Roubaix… Tourcoing…
(De
l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front britannique,
21 octobre.
Roubaix et
Tourcoing vont nous servir de preuves, car nous avons quelque chose à prouver.
Roubaix, Tourcoing comme Lille, sont les fruits de la dernière note Wilson. Le
crime de Cambrai, le sac répugnant de Douai datent d’avant. Ils n’avaient pas
encore reçu l’avertissement ; la douche américaine ne les avait pas
touchés, ils se croyaient toujours les bêtes sans contrôle ni responsabilité.
Mais la défaite se précisa et le justicier parla. Ils tremblèrent, et,
puisqu’ils tremblèrent, ils comprirent.
Et ils ne
brûlèrent ni ne saccagèrent Lille, pas plus que Roubaix, pas plus que
Tourcoing.
À quoi
devons-nous la vie des trois villes ? À leur générosité ? Nous la
devons à notre victoire et à la terreur qui, depuis, les talonne.
Mais j’ai
promis des preuves, je les apporte.
Pour « raisons politiques… »
À Lille,
l’ordre avait été donné par le grand quartier général allemand de faire sauter
les services publics : eau, gaz, électricité. Au dernier moment, la note
Wilson étant arrivée, le gouverneur de Lille en reçut une aussi. Elle
disait : « Pour raisons politiques,
ne faites rien sauter. »
Mais j’ai
mieux. Voilà mon histoire :
Mercredi soir
dernier, un officier allemand de Gand arriva à Roubaix. C’était le capitaine
Schreider, fils des banquiers de Berlin Beck-Schreider. Cet officier avait été
moins brute que les autres. Pour le coup que tentait l’Allemagne, c’était lui
qui présentait les plus grandes chances de réussite. On le choisit. Le
capitaine Schreider arriva donc à Roubaix. Il alla chez le secrétaire général
de la mairie, lui dit : « Dans les journaux alliés, une campagne de
presse se mène actuellement tendant à nous faire passer pour des barbares. Les
Alliés prétendent que nous avons détruit pour détruire. Outre que c’est faux,
cela nuit à la cause de la paix. Je vous demande donc de réunir les notables.
J’ai besoin de les voir à ce sujet. » Les notables furent convoqués.
« Messieurs, leur dit le capitaine Schreider, vous devez être comme moi
pour l’œuvre de paix. Pour cette œuvre je réclame votre collaboration. »
Il redit la campagne de presse et arriva au fait. « Ce qu’il me faut,
c’est une lettre signée de vous tous, attestant que jamais nous n’avons détruit
pour détruire et que seules les nécessités militaires nous ont forcés à ruiner
ce que nous avons pu ruiner. » Il ajouta : « J’ai déjà obtenu
semblable déclaration de Bruges et de Thielt. Je l’obtiendrai de Lille et de
Tourcoing. J’attends la vôtre. »
Les notables
refusèrent.
Mais ils volèrent jusqu’au bout
Voilà leurs
manœuvres. Ils se savent perdus, ils voient notre couteau sous leur gorge, ils
ont peur. Ils n’ont pas eu peur d’assassiner, de détruire, de salir, car le
fond de leur nature est fait davantage de saloperie que de cruauté, mais ils
ont peur de payer. Ils ne détruisent plus ce qui se voit, ils volent ce qui ne
saute pas aux yeux. Wilson leur a dit de ne plus détruire : ils obéissent ;
mais il a oublié de leur dire de ne pas voler : ils volent. Ils veulent
faire signer des blancs-seings aux maires de Roubaix, de Tourcoing, mais le
matin de leur départ ils font sauter la caisse municipale, 450 000 francs,
et les emportent. Ils veulent des certificats de civilisation, et ils avaient
une commission qui s’appelait exactement commission
de destruction des utilités industrielles. Les membres de cette bande
officielle s’amenaient dans les usines et à coups de maillet cassaient tout et,
la flamme au poing brûlaient ce qui résistait. Ils se sont emparés des métiers.
Les usiniers voyaient arriver leurs anciens fournisseurs allemands qui, cette
fois en officiers, reprenaient pour rien les outils qu’ils avaient fournis. Il
n’y avait pas de prison à Roubaix : ils en ont ouvert trois pour enfermer
nos frères, deux pour les hommes, une pour les femmes. Pendant quatre ans, il y
passa 700 personnes par jour. Ils prirent nos bancs des écoles pour faire
du feu, et les salles pour mettre leurs chevaux. Et à Roubaix, comme ils avaient
des dettes et qu’ils voulaient les payer avant la fuite – on est gentleman ou on ne l’est pas –
ils prélevèrent sur les finances municipales 6 millions et réglèrent. Et à
Lille, à Roubaix, à Tourcoing toutes les mères continuent d’éclater en sanglots
à cause de leurs fils de 14, 15, 16 et 17 ans qu’ils leur ont arrachés.
Telle est la colombe allemande. Vengeance !
Le Petit Journal, 22 octobre 1918.
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