mardi 2 octobre 2018

14-18, Albert Londres : «L’Allemand n’est pas tombé mais il chancelle.»




L’armée belge entre victorieusement dans la bataille

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front britannique, 30 septembre.
L’Allemand n’est pas tombé mais il chancelle. Il se sent forcé. Il est là derrière, guettant, affolé, où nous allons donner du bélier. On le voit les mains levées s’appuyant contre son mur pour qu’il ne lui tombe pas sur la tête. Son mur ne l’a pas encore écrasé parce que jusqu’ici où s’ouvrait une fissure il put encore étayer. Si tu veux tout boucher, Ludendorff, tu n’as pas fini, le bélier comme notre furet court, court le long de ton mur. Tu n’auras pas assez de poutres.
Les Belges ont été beaux. Voilà une semaine je voyageais sur la ligne de Calais. Le train était rempli d’officiers de Sa Majesté Albert. Ils se demandaient tous : « Et toi aussi, tu as été rappelé. » Et ils se frottaient les mains, leur jour de gloire était arrivé. Depuis quatre ans dans leur pauvre petit morceau de terre ravagée regardant du côté où étaient leurs parents, ils attendaient. Le roi leur a crié : Allez ! Voici comment ils y sont allés.
Il pleuvait comme dans les Flandres, c’est-à-dire à pleins brocs, à pleins brocs qui n’auraient pas de pomme d’arrosoir. Ils se sont mis à chanter, à brailler et, pardonnez-moi, à gueuler comme des animaux et sont partis. Ils criaient : « Vive la liberté ! Vive le roi ! Vivent nous autres ! » Les Wallons le criaient en français, les Flamands en flamand, et ils chantaient la Madelon et ils pensaient à la reine et ils criaient : « Vive la reine aussi ! » Il n’y avait pas seulement que l’eau qui tombait du ciel, il y avait celle qui noyait le sol : l’inondation. Ils entrèrent dans l’inondation ; c’est d’un lac que les virent sortir les Allemands. Devant eux, la forêt d’Houthulst, le repaire ennemi : ils l’encerclent, la débordent et haineuse grandit la lutte. La forêt d’Houthulst cache les gros canons allemands, les gros canons allemands qui chaque fois nous ont barré la route. Il faut qu’ils les aient, il faut qu’ils les aient tous et intacts encore et avec leurs munitions, et ils les ont. Et c’est du 280, du 240 de marine, du 210, du 150 long ; ils en prennent trois cents et les artilleurs se précipitent et ils les retournent et le Boche reçoit ses obus sur le dos. Trois cents canons en une matinée ! C’est plus qu’ils en avaient, les Belges, pendant toute leur bataille de l’Yser.
Mais l’Allemand flaira. Ça craque, il a une poutre toute prête pour étayer, il l’apporte sous la forme d’une division le long de la route Woumen-Merckem. Mais à cette division compte un régiment, le centième saxon, ah ! alors. Le centième saxon est l’unité boche qui, en août 14, brûla, pilla, ravagea Dinant, rassembla huit cents civils sur la place de cette ville, huit cents civils au hasard, femmes, enfants, et flanqua une mitrailleuse devant et mitrailla tout ça. Ah ! le centième saxon se trouve sur la route Woumen-Merckem. Les Belges ne chantèrent plus. Ils entendirent par delà ces quatre années les plaintes des femmes et les cris aigres des enfants, des femmes et des enfants de chez eux, et ils tombèrent la rage aux poings sur les bandits malpropres. Sans ce centième saxon, la route eût été quand même enlevée, mais qu’il y aida !
L’élan était donné et toute la crête des Flandres leur était arrachée et le lendemain ils se rabattaient sur Dixmude, ils l’enlevaient ruines par ruines et ils pointaient vers Roulers. Et les Belges sont à trois kilomètres de Roulers, et Plumer les suit au sud, et la flotte bombarde toujours la côte, et les Flandres n’ont pas encore tout vu.
Le Petit Journal, 1er octobre 1918.


Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

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