Un haut fait d’armes
(De
l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front britannique, 3 octobre.
Comme on sort
parfois un drapeau de sa gaine pour que le frisson passe sur les assistants,
sortons un haut fait d’armes pour que l’on n’oublie pas qu’il en existe.
La 46e division
anglaise en sera le héros, c’est une division composée des boys du centre de l’Angleterre.
Présentons
d’abord le général. Présenter les gens quand on ne doit pas dire leur nom,
voilà qui pourrait paraître difficile. Pour le général en question ce n’est pas
un obstacle. C’est l’homme qui, le 15 septembre 1916, sur la Somme,
attaquant un endroit qui s’appelait « les Bœufs » se plaça à la tête
du bataillon d’assaut et à pleins poumons se mit à sonner du cor de chasse.
Le fait se
passe à l’armée Rawlinson, celle du nord de Saint-Quentin.
Quelques jours
auparavant, les voyageurs du pays du front qui circulaient près du canal de la
Somme pouvaient s’offrir un spectacle qui n’avait rien d’attendu. Ils pouvaient
voir des tommies qui,
ayant revêtu la ceinture de sauvetage, se précipitaient en ordre dans le canal.
Ils pouvaient même voir le général qui en faisait autant. On a bien constaté
des cas de folie, au cours de cette guerre, mais ils étaient individuels. Les
voyageurs, rassurés, s’approchaient donc, ils assistaient à une répétition
collective. C’était les soldats de la 46e anglaise qui se
préparaient à franchir le canal de Saint-Quentin.
Rawlinson
déclencha son offensive. La date arriva. Par un matin brouillé, on vit des
tranchées des hommes fantastiques. Ils avaient tous leur ceinture de sauvetage.
Ces ceintures qui leur pressaient la poitrine devaient les entretenir de douces
choses, car ils les avaient déjà mises, les boys, ils les avaient mises dans
des circonstances plus excitantes, c’était les ceintures de sauvetage du bateau
de permissionnaires Boulogne-Folkestone. Ce matin-là, Bellenglise remplaçait
Boulogne. Et Folkestone était l’autre rive du canal. Ils se jetèrent à l’eau,
nagèrent. Pas de sous-marins, mais des obus. Ils franchirent le canal,
tendirent des câbles, des cordes où d’autres hommes comme des acrobates s’accrochèrent.
Un caporal comme Aphrodite sortant de l’eau se précipite sur l’engin, tue deux
servants, le troisième fait kamarad. « Où
sont les mines ? » lui crie-t-il. Le Boche dit où elles sont, il les
voit, coupe les fils. Il voit aussi l’entrée d’un tunnel, appelle ses
compagnons. Ses compagnons roulent un obusier et en plein dans l’ouverture
lancent un obus. Onze cents Boches étaient au fond et éternuent. La dose a été
suffisante ; ils sortent, ils sont 1 000. Ils se rendent. Le canal
est franchi, le reste de la division, grâce au pont, peut poursuivre. Ils font 4 000 prisonniers
et le tout en costume de bain.
Le Petit journal, 4 octobre 1918.
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