C’est la trouée
De Cambrai à Saint-Quentin, il n’est plus de
ligne Hindenburg
(De l’envoyé
spécial du Petit Journal.)
Front britannique,
8 octobre.
Ce soir de
victoire, 8 octobre, il n’est plus, en Cambrésis, entre les Allemands et
les Britanniques, de fossé Hindenburg. En quelques heures de furieuse bataille,
avec une fougue, un esprit de décision et une chance aussi qui rappelle les
glorieuses journées d’août, les deux armées Byng et Rawlinson, prolongées par
l’armée française de Debeney, viennent d’abattre et d’annihiler la dernière
barrière déjà chancelante, où s’appuyait encore pour nous interdire d’entrer
dans Cambrai et de nous développer vers Valenciennes, le groupe las, mais
toujours acharné des armées von Hutier et von der Marwitz.
Voici comment
se fit la chose. Depuis le 27, nous avions, au cours d’âpres et tenaces
combats, conquis une à une les tranchées de résistance qui formaient le cœur du
rempart Hindenburg. Une ligne restait, la dernière, la décisive : la ligne
de soutien Masnières-Beaurevoir. Derrière, c’était la plaine vallonnée du
Cambrésis, une province vierge jusqu’à Valenciennes et Mézières. Depuis trois
jours, nous nous battons ici sans arrêt pour agrandir les brèches esquissées
vers Aubencheul et en avant de Gouy, mais une si forte position ne pouvait se
réduire à coups de petits contacts. Il fallait un vrai siège d’envergure, une
grande bataille pour écraser l’ennemi dans cette énorme citadelle de près de
vingt kilomètres de front ou l’en déloger.
L’assaut de la ligne Masnières-Beaurevoir
Donc, à trois
heures de nuit, de forts éléments de l’armée Byng partaient à l’assaut, mais à
cinq heures dix, c’est-à-dire au petit jour, tanks et fantassins se ruant en
force attaquaient la position principale, à savoir la ligne Masnières-Beaurevoir.
Nous avions devant nous dix divisions, dont sept fatiguées. Le haut
commandement comptait sur une résistance désespérée.
Est-ce le cran
de nos troupes de choc ou la lassitude extrême du Boche ? Dès huit heures,
notre premier objectif partout atteint, nous bondissions loin derrière le fossé
Hindenburg et prenions l’Allemand à la gorge dans des villages distants de plus
de cinq kilomètres des tranchées de départ. Je vous livre des noms de victoire
comme ils me parviennent par brefs coups de téléphone : Lesdain, Esnes,
Vilers-Outréau, Serain, Prémont.
Nous avons
enfoncé la défense allemande sur une moyenne de quatre kilomètres en
profondeur. Nous passons à travers des plateaux intacts qui, depuis quatre ans,
nous sont interdits. Cambrai débordé ne peut nous être disputé longtemps. Ce
n’est pas là un succès éclatant de quelques heures ou d’un jour, mais la
victoire, la trouée.
Il serait vain
de vouloir lire loin dans l’avenir. Ne retenons de ce jour glorieux qu’un
fait : il n’est plus entre Cambrai et Saint-Quentin de ligne Hindenburg.
Nous commençons une grande bataille de mouvement. Dès maintenant, tous les plus
beaux espoirs nous sont permis. Avant peu nous aurons biffé de la carte de
France ce « glacis » en quoi l’ennemi mettait son suprême recours.
Le Petit Journal, 9 octobre 1918.
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