Pourquoi ils luttent férocement
(De
l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front britannique,
2 octobre.
L’ennemi
s’accroche tant qu’il peut. Les combats qui se livrent sur tout le front sont
les plus durs que l’on ait jamais vus. Tout ce que nous gagnons l’est au prix
de la ténacité la plus obstinée. Des deux côtés, du nôtre et de celui des
Allemands, on lutte sans marchander. Chacun y va de tous ses moyens. C’est que
chaque pas qui se gagne ou se perd a plus d’importance où nous sommes
maintenant que plusieurs kilomètres quand les Allemands retraitaient de leur
extrême avance à leur ligne Hindenburg.
Nos victoires
du 18 juillet au 27 septembre, si formidables qu’en soient les
conséquences et si offensives qu’elles fussent, n’étaient que des victoires de
redressement. L’ennemi ne perdait que les fruits de ses récents bénéfices et
derrière lui, cette perte essuyée, il savait retrouver sa ligne capitale. Il y
arrive. Là se termine notre redressement. Allons-nous nous arrêter et nous
coucher sur notre reprise, lui sur sa sécurité ? L’ennemi le voudrait
bien. Nous ne le voulons pas.
Assis sur sa
ligne Hindenburg, l’ennemi n’est pas battu, il n’est que refoulé. Comment
considère-t-il sa ligne Hindenburg ? Est-ce simplement comme une escale où
l’on reprend souffle ou comme un port où le bateau doit demeurer pour être
réparé car, autrement, s’il reprenait le large, il coulerait. Il la considère
comme un port. La question est alors de savoir si nous allons réussir à chasser
le bateau du port, c’est-à-dire si nous allons l’éventrer, le livrer à tous les
vents. C’est le travail que, le 27 septembre, il y a six jours, nous avons
entrepris.
Nous avions
déjà démoli, entre Quéant et Drocourt, une partie des digues de ce port, la
partie devant Cambrai. Le 27 septembre, nous nous sommes attaqués aux
autres. Les Américains et Gouraud ont commencé. La ligne Hindenburg ne passe
pas devant les Américains, ni devant Gouraud, mais l’ébranlement peut venir de
loin et les maçons allemands, qui courent replâtrer les fissures devant les
Américains et Gouraud seront autant de moins qui travailleront sur la ligne
Hindenburg quand nous l’attaquerons.
Gouraud avait
répondu aux Américains ; vingt-quatre heures après, Byng répond à
Gouraud ; Byng n’attaque pas précisément la ligne Hindenburg puisqu’il est
derrière Quéant, il attaque sur Cambrai. Mais dans cette région d’Arras à
Saint-Quentin, la ligne Hindenburg est un peu partout. On peut considérer que
tout ce qui défend Douai, Cambrai, Saint-Quentin, fait partie de la ligne
Hindenburg. Il l’attaque donc tout de même. Les Allemands se cramponnent, ils
ne veulent pas laisser démolir leur port. Byng l’entame. Il enlève le canal du
Nord, le bois Bourlon, arrive sur Cambrai. Les Allemands s’acharnent à la
défense, Depuis quatre jours, terribles, ils nous disputent la ville. Ils
savent qu’ils vont la perdre puisqu’ils brûlent, mais ils savent ce qu’ils
perdront en la perdant. Ils savent que c’est un pan de la ligne qui les abrite.
Vous comprenez pourquoi ils luttent désespérément.
Vingt-quatre
heures après, Plumer et les Belges répondent à Byng. Là non plus ne se trouve
pas la ligne Hindenburg mais, au Nord aussi l’ébranlement peut venir. Les
Allemands le savent, ils résistent de toutes leurs forces.
Vingt-quatre
heures après, Rawlinson répond aux Belges et à Plumer. Cette fois, c’est en
pleine ligne Hindenburg que l’on va mordre, c’est en plein dans le port des
Allemands que Rawlinson s’élance. Mètre par mètre, il le démolit ;
Saint-Quentin tombe. Nous avons presque gagné. Il ne reste plus intégralement
dans les mains de nos ennemis sur le front britannique que douze kilomètres de
la ligne Hindenburg, les douze derniers kilomètres sont entre les deux villages
de Crèvecœur et de Vend’huile. Et ils essaient de reprendre ceux qu’ils ont
perdus, car après que les derniers remparts seraient tombés, la tempête
viendrait, la tempête qui ferait tournoyer leurs bataillons. Vous comprenez
maintenant pourquoi, devant les Belges, devant Plumer, devant Byng, devant
Rawlinson et Berthelot et Mangin et Gouraud, ils luttent férocement.
Le Petit Journal, 3 octobre 1918.
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