À Douai incendié et pillé
(De
l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Douai,
19 octobre.
De Lille
tomber à Douai, de la joie délirante dans la désolation, de la vie qui éclate
dans la mort qui s’étale, voilà ce qui nous arrive.
Douai est vide.
Il n’y reste plus une âme. Ils ont flambé les quatre coins et le centre. Ils
ont tout volé, tout pillé, tout cassé.
Le
16 août, dans une affiche insolente, les Allemands ordonnaient aux
habitants de quitter la ville. L’évacuation fut laborieuse mais complète. Ils y
mirent le temps mais réussirent. Ils enlevèrent tout le monde.
On voit la
brute en pleine joie de tout briser. On les voit à coups de crosses, de cannes
ou de maillets ; ils ont avec eux leurs instruments de destruction –
abattre les vitres, les porcelaines, les meubles fins, les tableaux, tous les
souvenirs par quoi l’être humain se survit et reste présent à ses descendants.
Puis ils ont incendié de toutes parts. La ville ne disparaîtra pas, mais une
maison sur quarante se consume. Comme à Cambrai, ils ont pensé à la grand’place.
Deux côtés sur quatre sont à terre. Tout est à sac, c’est leur chef-d’œuvre.
Riches ou pauvres, hôtels ou boutiques, monuments ou villas, toute habitation
est vidée, souillée, bouleversée, retournée, les matelas sont éventrés, les
coffres-forts forcés, les édredons ouverts, les tiroirs arrachés, les glaces
brisées. Les lits sont dévissés, les chaises décannées, les cheminées fendues,
les enseignes arrachées. Saisissez bien : ce n’est pas le bombardement, ce
n’est pas la bataille qui a fait ça, c’est la main tranquille du Boche.
Il a démeublé
le palais de justice et fiché dans la cour des bâtons comme des épouvantails à
moineaux, avec les toges et robes des magistrats. Il a démeublé l’hôtel de
ville, fait une cuisine de la salle de réception et un dépotoir du reste du
monument. Au musée, il a raflé tous les tableaux de valeur, crevé les yeux à
tous les portraits, mis un chapeau haut de forme à Voltaire, des moustaches à
Cicéron, une pipe à Ariane. Il a sorti dehors, à la pluie, tous les oiseaux
empaillés. À l’église Saint-Pierre, là il s’est posé dans toute sa culture. Il
a descendu, bien entendu, les tuyaux d’orgue, mais, cette fois, les a débités
en petits morceaux : il a sorti de la sacristie tout le vestiaire ;
ayant également cambriolé le théâtre, il a mêlé à la porte de l’église les
oripeaux et les vêtements sacrés. Les chasubles s’entrelaçaient aux robes des
danseuses ; pour voir si les saints étaient en métal, ils ont brisé les
vitrines. Ils étaient en plâtre ! Ils ont décapité saint Pierre pour lui
voler sa tête parce qu’il l’avait en bronze. Ils ont fait sauter tous les
troncs. Ils ont gratté le « Souvenez-vous d’eux » au monument des
soldats de 1870.
Dehors, sur la
place, ils ont laissé, comme à Cambrai, un piano ouvert et une chaise
accueillante pour le joueur. À Cambrai, le piano coûta la main à un officier
anglais. L’insolence dans la lâcheté. Vengeance !
Le Petit Journal, 20 octobre 1918.
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