Irène Frain, autrice protéiforme, est surtout connue pour des romans pleins d’aventures, souvent inspirés de parcours biographiques qu’un ancrage breton, avec une origine commune à de nombreux grands voyageurs, l’autorise à aller chercher un peu partout sur la planète – avec une prédilection pour l’Orient.
On sait peut-être moins que, côté littérature, elle place
très haut l’œuvre de Julien Gracq et que, côté société, la cause des femmes lui
est chère. Son nouveau livre penche de ces deux côtés : une écriture d’une
élégance très tenue et un personnage féminin dont la mort a été laissée dans
l’ombre. Un crime sans importance est
un récit, affiché comme tel, où une mort tragique pose avec urgence des
questions auxquelles toutes les réponses ne sont pas données. En visitant les
creux des silences, elle fait entendre une voix qui porte loin.
C’est un fait divers comme on en rencontre trop souvent, qui
met en scène un agresseur inconnu et sa victime de 79 ans, et qui remue
d’autant plus les proches que l’affaire n’est pas résolue. Irène Frain pose les
données : « Les faits. Le peu qu’on en a su pendant des mois. Ce
qu’on a cru savoir. Les rumeurs, les récits. » Description des lieux,
lumière limpide, hésitations, déjà, sur quelques détails qui n’en sont
peut-être pas. Car la narratrice embarquée bien malgré elle dans une enquête
pour laquelle elle n’est pas formée commence celle-ci après les semaines du
coma dont la victime n’est pas sortie, après l’enterrement auquel assistait,
avec son compagnon, une femme en manteau bleu-noir. Elle a échangé quelques
mots avec les enfants de la défunte.
« Comment l’auteur de ces lignes est-il au fait de
cette information ? C’est très simple. Je suis la femme en manteau
bleu-noir. Et la victime de l’impasse, c’est ma sœur. »
Outre qu’elle était son aînée et sa marraine, Denise a joué un rôle essentiel dans la vie d’Irène. Qui a pourtant été, de tous les membres de la famille, la dernière informée, par un simple faire-part à la veille des obsèques – alors que l’agression s’était produite, sans qu’elle en sache rien, sept semaines auparavant. La faute peut-être à la distance qui s’était installée entre les deux sœurs qui ne s’étaient pas vues depuis des années. La faute peut-être à la maladie de Denise, et on peut remonter ainsi, de causes en effets, le temps des effets pervers qui ont conduit à cet éloignement. Il dure après les obsèques puisque, au contraire de ce qu’ils avaient annoncé, les enfants de Denise ne donnent plus signe de vie.
Les histoires de famille sont, ainsi, pleines de secrets
douteux dont on ne sait pas toujours très bien comment ils se sont trouvés
enfermés dans les mémoires avec interdiction d’en sortir. Irène prend des
notes, remplit des carnets, le présent appelle le passé, les nœuds ne se défont
pas et, même, se resserrent : « j’ai voulu tenir la chronique du
silence. Mais au fil des mois, un autre propos, beaucoup plus conscient, a pris
le pas sur le premier. Il a commencé à se dessiner le jour où j’ai découvert
que la police et la justice m’opposaient le même mutisme que ma famille.
L’accablement, à ce moment-là, a fait place à la colère. »
Cette colère sous-tend le texte, comme l’effroi de la
disparition inexpliquée. Il reste des trous dans l’histoire, que « la
petite ravaudeuse du passé », comme elle se décrit dans un poème final,
tente de combler. Avec le talent nécessaire pour dire les sentiments
contradictoires qui l’animent.
Merci pour cet article ! Une romancière que je ne connaissais pas du tout mais son œuvre appelle à la plongée
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