Le secret a été
soigneusement préservé jusqu’à la parution d’Une place à prendre, la semaine dernière. Jeudi pour la version
anglaise, vendredi pour la version française. Seuls quelques rares journalistes
ont eu l’honneur, le plaisir, l’obligation (biffez les mentions inutiles) de
lire le roman avant. Le système est bien rodé, il a beaucoup servi pour Harry Potter, pariant sur un
enchaînement semblable à celui que décrivait déjà Corneille au 17e
siècle : « Et le désir
s’accroît quand l’effet se recule. » On a le droit de comprendre le
sens qui se cache sous les mots tels qu’ils sont écrits, nous sommes entre
adultes. Ainsi que les lecteurs d’Une
place à prendre, capables de supporter des scènes sexuellement explicites,
comme l’on dit pour les disques…
Donc, l’embargo a été (à
peu près) respecté. Mais il ne s’agissait pas de mettre en vente un livre aussi
prévisible que le 4e, 5e, etc., Harry Potter. Une des
rares choses que l’on savait avant d’ouvrir l’ouvrage était précisément qu’il
n’avait rien à voir avec la série pour ados. Le succès n’était donc pas tout à
fait garanti. Mais la curiosité était grande malgré tout et les premiers
chiffres communiqués par le magazine Livres
hebdo sont rassurants pour les éditeurs qui ont payé cher le droit d’éditer
l’ouvrage. 33.500 exemplaires se sont vendus en France pour les trois premiers
jours. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, pour les quatre premiers jours,
les chiffres sont respectivement de 157.000 et 124.063 exemplaires (admirez la
précision !). Des ventes qui seraient flatteuses pour tout autre écrivain.
Bien entendu, si on les compare aux 2,6 millions d’exemplaires du dernier Harry Potter vendus en Grande-Bretagne
pendant les premières vingt-quatre heures, c’est très différent.
L’essentiel n’est
cependant pas dans les chiffres mais dans les lettres. Parce qu’après tout,
qu’en avons-nous à faire, de la fortune de J.K. Rowling et du bilan de ses
éditeurs ? Ce qui nous intéresse vraiment, c’est le roman, ce qu’il
contient, comment il est écrit. Et s’il va nous plaire.
M’a-t-il plu ?
Peut-être bien que oui, peut-être bien que non, répondrais-je volontiers,
façon normande. Il y a du bon et du moins bon dans un livre très lisible mais
trop long, et qui manque d’une véritable écriture, ce qui fait la patte d’un
écrivain.
J.K. Rowling sait
raconter une histoire, ce n’est pas une découverte. Elle s’est probablement
appliquée à l’excès pour celle-ci, où elle raconte la vie d’une petite ville anglaise,
Pagford. On y est plutôt bourgeois et on y voit avec inquiétude une extension
de la ville voisine, Yarvil, empiéter sur le territoire au risque d’importer
les mœurs d’une population moins aisée au sein de laquelle la drogue fait des
ravages.
Barry Fairbrother,
conseiller paroissial, militait en faveur d’une meilleure intégration du
nouveau quartier – et aussi, conséquence logique, pour des moyens plus adéquats
donnés à une clinique de désintoxication. Barry Fairbrother croyait en
l’humanité. Tout cela à l’imparfait car, dès les premières pages, Barry meurt.
Commence alors non
seulement une lutte farouche pour prendre sa place au conseil paroissial – dont
le pouvoir est presque aussi grand que celui du conseil communal – mais aussi,
à travers cette lutte, le dévoilement de rancœurs, de fautes, de dérapages
divers dénoncés notamment par un « corbeau », comme dans le film de
Clouzot. Mais ce corbeau-ci est plusieurs même s’il utilise un seul pseudonyme
(« le fantôme de Barry Fairbrother ») et connaît les codes
informatiques qui permettent d’entrer sur le site du conseil.
Il y a là une belle
galerie de personnages, dont certains sont détestables et d’autres, émouvants.
Ils s’agitent un peu en vain, comme des acteurs qui forcent leur jeu – c’est un
des défauts du roman. Mais ils connaissent leur rôle et n’en sortent pas. Du
coup, ils en deviennent assez prévisibles – autre défaut…
On aurait peut-être mieux apprécié Une place à prendre s’il avait tenu en
400 pages au lieu de 680. De nombreux passages paraissent interminables, malgré
le soin de la romancière à découper son texte en chapitres pas trop longs. Il
n’y a aucune raison de déconseiller son livre, mais il y a tellement mieux à
lire…
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