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mardi 26 mars 2019

Jean d'Ormeson, le goût de l’anecdote

Aragon appelait Jean d’Ormesson : « Petit », dans une relation amicale dont le second prenait prétexte pour aligner, dans sa bibliographie, des titres poétiques : C’est une chose étrange à la fin que le monde, en 2010, Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit, en 2013, et en 2016 Je dirai malgré tout que cette vie fut belle, trois vers extraits du même poème d’Aragon dont ils sont les deux premiers et le dernier. Il en reste. L’avant-dernier : « N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci », pourrait encore servir. A moins que ce soient les lecteurs de Jean d’Ormesson qui aient ce mot sur la lèvre.
Car l’écrivain enchante même quand il irrite. A moins qu’il irrite même quand il enchante. Ce qui brille chez lui peut être rangé au rayon des tics, voire des tocs. Il ne peut s’empêcher de citer ses auteurs préférés à longueur de pages. Son nouveau livre, qui peut donc aussi faire office d’anthologie, est un dialogue entre lui et lui, ou Moi et Moi, ce dernier étant le « Sur-Moi » du premier, son juge, son interpellateur de mauvaise conscience. Jean d’O, comme on le surnomme familièrement, surtout quand on n’est pas son familier, n’a besoin de personne pour le relancer sur les chemins familiers de sa vie.
Il a déjà utilisé celle-ci, avec ses annexes historiques, et comment ne pas se répéter quand on a déjà tant puisé dans la matière dont on dispose ? Le reproche en est fait à l’accusé, dans une parodie de procès, il s’en sort en racontant les mêmes histoires. Il est l’oncle qui, à chaque repas familial, repose la question : et celle-là, vous la connaissez ? Puis embraie sur le récit dix fois entendu précédemment.
Mais l’oncle, pardon : Jean d’Ormesson, a du talent, et l’effet d’écho qui circule entre ses livres ne lasse pas. Après tout, bien des lecteurs ignorent une bonne partie de son œuvre, et l’écrivain trouvera toujours des candidats réceptifs à ses anecdotes. L’anecdote, c’est là où l’auteur pléiadisé de son vivant est le meilleur : il campe une situation en quelques phrases, déroule les faits, précise certains détails avec une gourmandise partageuse. Il a trop le sens de la nuance pour imposer les idées générales qui ne sont souvent que des généralisations. Et, à peser les ingrédients de l’ouvrage, on constate qu’il parle plus souvent des autres que de lui. Une grande capacité à admirer, une aussi grande à se déprécier : le secret, peut-être, de notre plaisir.

lundi 11 décembre 2017

John Le Carré dévoile le dessous des cartes

Parmi les films tirés de ses œuvres, estime John Le Carré, les meilleurs « sont ceux qui n’ont jamais vu le jour. » Si l’on en juge d’après les noms des réalisateurs tentés par une adaptation sans aller jusqu’au bout, il a peut-être raison : Fritz Lang, Sydney Pollack, Francis Ford Coppola ou Stanley Kubrick. Mais, lui dira Pollack, « pourquoi vous acharnez-vous à écrire des bouquins si compliqués ? »
La réponse à la question du cinéaste se trouve entre les lignes du livre autobiographique de John Le Carré, Le tunnel aux pigeons. En deux explications.
La première est apportée par les scènes où David Cornwell – son véritable nom – est sur le terrain. Le terrain est complexe et il faut bien que les romans rendent compte de l’embrouillamini qu’est souvent la réalité. Les lecteurs de ses livres, de La Taupe à Un traître à notre goût, d’Une petite ville en Allemagne au Chant de la mission se réjouiront de découvrir le dessous des cartes. Ce qui, dans le travail d’espion sans grade, dans les rencontres, dans les voyages, a été emprunté à ses notes prises sur le vif par l’écrivain. On relève au passage qu’il fait davantage confiance à celles-ci qu’aux photographies qu’il aurait pu prendre – et dont il se passe donc sans regrets. « Quand j’écris une note, ma mémoire enregistre cette pensée ; quand je prends une photo, l’appareil me vole mon travail. »
Certains souvenirs ont une saveur toute particulière. L’histoire des rencontres avec Yasser Arafat, par exemple, semble inventée tant elle est hors normes. A cette occasion, et en quelques autres, on comprend comment Le Carré voyage, quand c’est dans le but d’écrire un roman, en compagnie de ses personnages : ce qu’il vit, il ne le ressent pas directement lui-même mais le donne à connaître à ces êtres de fiction qui s’animent et réagissent à travers lui. « J’ai longtemps cru ma façon de procéder unique, jusqu’à ce que je rencontre un célèbre photographe de guerre qui m’avoua que c’était seulement lorsqu’il regardait dans le viseur de son appareil que sa peur le quittait. »
La deuxième explication à la complexité de ses livres est plus personnelle, liée à son enfance. C’est la plus intéressante. Il écrit : « Ce n’est pas l’espionnage qui m’a initié au secret. La tromperie et l’esquive avaient été les armes indispensables de mon enfance. » La preuve par l’absence de la mère et la carrière assez particulière de son père, escroc de haut vol, séducteur entouré d’une cour d’admirateurs et encore davantage d’admiratrices. Face à lui qui pratiquait le mensonge et la dissimulation comme des arts à part entière, il fallait bien se défendre. Ce qu’apprit très vite l’enfant, l’adolescent, l’adulte – et l’écrivain, « fils du père de l’auteur », comme il l’écrivait en ajoutant sa signature à celle que Ronnie, le père, avait déjà apposée sur certains exemplaires de ses romans. Il avait inventé ses vies, le fils allait en inventer d’autres.

lundi 21 octobre 2013

Quand Salman Rushdie vivait caché sans être heureux

Peu avant le quarantième anniversaire de l’indépendance de l’Inde, en 1987, Salman Rushdie était retourné dans son pays d’origine pour travailler à un film. Dans le Kerala, il avait vu un conteur qui ne respectait pas les règles habituelles du genre, commencer au début de l’histoire et poursuivre jusqu’à la fin. Celui-là faisait tout de travers et le public suivait malgré tout. L’écrivain a retenu la leçon. Joseph Anton, qui raconte les années où Rushdie dut vivre caché parce qu’il avait été condamné à mort par l’ayatollah Khomeiny, s’ouvre le jour où, le 14 février 1989, il apprend qu’une fatwa a été prononcée contre lui. Et où tout bascule. La lumière, en ce beau mardi ensoleillé, est engloutie d’un coup. Les années de formation, pourquoi il s’est, après son père, intéressé à la religion sans être un homme religieux, pourquoi son roman le plus célèbre, Les Versets sataniques, est devenu la source de son malheur, cela viendra le moment venu.
Cette autobiographie est écrite à la troisième personne, parce que Salman Rushdie écrivain regarde vivre un Salman Rushdie personnage – et vivant sous le pseudonyme de Joseph Anton – nous raconte tout ce que nous avions espéré savoir de la manière dont cette douzaine d’années ont été vécues par lui. Elle est aussi une formidable réflexion, par-delà les nombreuses anecdotes, sur la liberté que donne la littérature et les limites de cette liberté.
En constatant que son roman est devenu, aux yeux d’une partie du monde, un blasphème et non plus l’œuvre qu’il avait créée en artiste, Salman Rushdie mesure l’incompréhension dont il a eu à subir les conséquences. S’il a gagné, ce n’est pas seulement parce qu’il est vivant. C’est aussi parce que Joseph Anton est un livre formidable, où l’humour marque des points contre l’intégrisme.

dimanche 19 mai 2013

Étonnants Voyageurs : André Brink

Les Mémoires d’André Brink sont, à un double titre, un ouvrage capital. Pour comprendre le cheminement esthétique d’un immense écrivain. Pour comprendre aussi l’évolution d’un homme que rien ne prédestinait à devenir, dans son Afrique du Sud natale, un opposant à l’apartheid. Il va de soi que les deux aspects sont liés. En revenant sur le passé, Brink montre les nœuds qui l’ont conduit aux Bifurcations à l’enseigne desquelles il place ce livre. « Rien n’est jamais vraiment éliminé. Les choix éliminés continuent d’exister aussi sûrement que les rares dont on peut dire qu’ils ont été “retenus” – de même que le non-dit persiste dans ce qui est exprimé. Il est fort possible que ce soit cette coexistence qui, finalement (pour autant qu’il y ait une fin), définisse la texture d’une vie. »
Sa jeunesse se déroule en noir et blanc, surtout côté blanc d’ailleurs, sans interrogations majeures sur l’injustice d’une société qui privilégie la minorité au pouvoir. Son père, juge, lui donne à la fois l’exemple d’une haute idée du bien et du mal, et celui d’un incompréhensible détachement devant certaines scènes choquantes. André veut être écrivain – mais sa sœur, de trois ans sa cadette, publie avant lui et connaîtra le succès comme auteur pour la jeunesse. Dans le bouillonnement de ses lectures et de ses premières tentatives romanesques, des échecs qui ne remettent pas sa vocation en cause, un choc salutaire se produit en Europe. En 1960, il est à Paris quand il apprend le massacre de Sharpeville, au cours duquel des dizaines de Noirs ont été tués par la police. La même année, à Londres, il découvre Picasso dont l’art libère en lui « une profusion de possibilités », dans le même temps où il prend conscience de la violence du régime : « les assassins étaient mes semblables ; le régime qui avait non seulement rendu cela possible mais l’avait orchestré activement et avec enthousiasme était ce même gouvernement auquel, à peine quelques mois plus tôt, j’avais avec empressement juré allégeance en adhérant au Ruiterwag. » Le Ruiterwag, où il côtoyait F.W. De Klerk, futur président, était la branche cadette du Broederbond, l’organisation secrète afrikaner…
La perspective change. André Brink devient, avec d’autres, un écrivain en colère pour qui les mots sont des armes. La résistance à l’apartheid s’organise sur divers plans, force subversive que le gouvernement entend réprimer, mettant notamment la censure en place. « Mais, dans ce silence oppressant, il restait une voix qu’on pouvait encore entendre, même si elle était diabolisée ou devenue suspecte pour un grand nombre : la voix de l’art. Dans mon cas, la voix romanesque. »
Elle l’a conduit où l’on sait : Au plus noir de la nuit, Une saison blanche et sèche, L’insecte missionnaire… Une œuvre imbriquée avec les soubresauts de sa vie, y compris sentimentale, et indissociable du dernier demi-siècle en Afrique du Sud. « Dans ce processus, je suis devenu, et c’est irrévocable, un animal politique. Désormais, il serait hypocrite de ma part d’imaginer que la politique puisse rester un territoire distinct, nettement démarqué à l’intérieur de mon expérience globale de l’existence. Elle est partout, imprègne tout. On ne peut la séparer du reste. »
Dans Mes bifurcations, André Brink rend hommage à deux hommes qui l’ont particulièrement marqué : Desmond Tutu et Nelson Mandela. Mais il s’élève avec force contre ce que devient le pays auquel les années quatre-vingt-dix avaient rendu l’espoir. « En Afrique du Sud, l’immémoriale tension raciale continue donc de paralyser le débat démocratique », écrit-il en dénonçant les dérives de l’ANC où il voit la réplique du passé. Euphorie, réalisme, désillusion, rancœur, désespoir… « Il nous reste à accomplir le possible », disait-il déjà il y a quelques années. Tout un programme.


mardi 12 mars 2013

Bernard Pivot, les mots de sa vie entre guillemets


Comme beaucoup d’autres lecteurs, j’ai abondamment fréquenté Bernard Pivot. Le plus souvent par l’intermédiaire du petit écran. Le rendez-vous était une fête, dès Ouvrez les guillemets en 1973 (un lundi), davantage encore avec Apostrophes le vendredi, pendant plus de quinze ans. Moins ensuite.
Ouvrez les guillemets : ma première rencontre physique avec le maître ès lectures qu’il était pour moi s’est faite… un vendredi soir, le 16 septembre 1988. Chez Drouant, où il ignorait qu’il aurait un jour son couvert, il avait organisé une émission avec quatre solides candidats aux prix littéraires d’automne. Et Hervé Bazin, alors président de l’académie Goncourt. Celui-ci côtoyait Bernard-Henri Lévy, qui venait de publier un livre très belge, Les derniers jours de Charles Baudelaire (il recevra le prix Interallié), Patrick Besson (La statue du Commandeur, qui ne recevra rien), Erik Orsenna (L’exposition coloniale, prix Goncourt) et Philippe Labro (Un été dans l’Ouest, prix Gutenberg – qu’est-ce que c’est ?). Je me trouvais dans une salle annexe pendant l’émission que nous suivions sur des écrans de contrôle, mais j’avais eu l’honneur de serrer la main de Bernard Pivot avant le début du direct.
Fermez les guillemets : en mars 1997, lors de soirée d’ouverture du Salon du Livre de Paris, traversant le stand de RTL, je retombe sur Bernard Pivot, en conversation avec un de ses invités de l’autre jour, Philippe Labro. Bonjour-bonjour, serrage de mains, comment allez-vous ?
Entre ces guillemets ouverts et fermés, symbolisés non par des doigts autour de la tête mais par de brèves et viriles poignées de mains, il y avait eu une vraie rencontre, en deux temps.
En avril 1993, Bernard Pivot était l’invité d’honneur de la Foire du Livre de Bruxelles. J’avais fait des pieds et des mains pour me mettre en contact avec son assistante, Anne-Marie Bourgnon, et la convaincre de me donner le numéro de téléphone du journaliste. Je me reconnais dans le rapide portrait que fait Bernard Pivot, à l’article « Impatience » de son ouvrage Les mots de ma vie : « Un journaliste est, par nature, par intérêt professionnel, un impatient chronique, angoissé, presque maladif. Premier à détenir une information, premier sur un “scoop”, il veut aussi en être le premier divulgateur, que ce soit par écrit, par la parole ou par l’image. Il vit dans la hantise d’être “grillé” par un confrère. C’est un chasseur d’exclusivités, de priorités, d’antériorités, de “pole positions” ». C’était pour moi une sorte d’évidence : il n’était pas question de laisser l’exclusivité de pareil entretien à un confrère, considéré dans ces instants-là comme un concurrent.
Anne-Marie Bourgnon ne m’a donné le numéro de téléphone de Bernard Pivot qu’à une condition : il fallait que je mange le papier sur lequel je l’avais noté quand je l’aurais utilisé, un samedi matin à telle heure précise qu’elle m’avait donné. J’ai promis. Et je n’ai pas tenu la promesse, bien entendu.
Quelques jours plus tard, nous en avons bien ri, Bernard Pivot et moi, attablés à une bonne table bruxelloise, en compagnie de confrères un peu jaloux d’avoir été, en effet, grillés.

mardi 18 septembre 2012

Salman Rushdie : « Je suis un homme mort »…

Le nouveau livre de Salman Rushdie, Joseph Anton, ne paraît qu'après-demain (le jeudi 20 septembre, pour celles et ceux qui liront ceci plus tard) en France. J'ai tenté d'en obtenir les épreuves mais l'embargo a été décrété et on ne me les enverra, m'a dit une attachée de presse par ailleurs très sympathique, que le jour où le livre sera mis en vente.
Si je tombe jeudi, dans Libération ou Le Monde, sur des articles aux signataires desquels on aura laissé le temps de lire l'ouvrage (il est épais), je vais râler. D'ailleurs, je râle déjà. Après tout, j'avais reçu Les versets sataniques la veille de leur mise en vente, exactement le temps qu'il fallait pour passer la journée à en apprécier la valeur littéraire (immense!) et avoir le temps d'écrire un article paru, du coup, en même temps que le livre - je parle de la traduction française. On aurait pu faire la même chose cette fois-ci...
Mais, bon, plutôt que de râler stérilement, je tente de reporter l'énergie grognonne vers quelque chose d'utile. Après tout, Joseph Anton sort aujourd'hui en anglais et, à défaut de l'acheter (ce qui nécessiterait une infrastructure bancaire à laquelle je n'ai pas accès), je peux en lire les premières pages.
Tout de suite, une évidence: il ne s'agit pas du témoignage brut d'un homme condamné à mort par l'Ayatollah Khomeini. Il s'agit du livre d'un écrivain que les circonstances ont poussé à se prendre comme personnage principal de ce qu'il aurait probablement préféré ne pas avoir à écrire. Il y a mis du temps, d'ailleurs: la tristement célèbre fatwa a été prononcée en février 1989.
Joseph Anton commence donc le 14 février de cette année-là, par un coup de téléphone d'une journaliste de la BBC qui demande à Salman Rushdie (il, lui dans le texte - un personnage, donc - s'en veut de ne pas avoir retenu le nom de cette journaliste) comment il se sent. «Pas bien», répond-il. En réalité, il pense: «Je suis un homme mort» et que c'est une question de quelques jours...
Il ferme les volets et la serrure de la porte d'entrée. Les événements et les sensations se bousculent. Son mariage ne va pas bien, il doit aller à une cérémonie d'hommage à Bruce Chatwin, l'écrivain qui était son ami et est mort moins d'un mois avant, il a un rendez-vous pour une émission de la CBS - et voilà une voiture qui arrive pour le conduire à l'émission en direct... Il rouvre la porte d'entrée, sort, monte dans la voiture. Il ne le sait pas encore, mais il n'y reviendra plus avant trois ans.
Sa vie a basculé du côté sombre. Il n'était que l'auteur d'un livre, il devient une cible...
Il y en a ainsi quelques pages, que je n'ai pas pris le temps de lire complètement (j'ai moins l'habitude en anglais). Mais elles m'ont donné envie d'être déjà jeudi, pour poursuivre cette lecture en français.
En attendant, tout va mal: la prime offerte par la fondation iranienne pour l'assassinat de Salman Rushdie a été augmentée de 500.000 dollars.
En attendant, tout va bien: Salman Rushdie est vivant.

jeudi 19 novembre 2009

Chez le dentiste, vous trouvez ça drôle?

Y a-t-il pire torture que celle de la fraise du dentiste? La scène la plus éprouvante de toute l'histoire du cinéma reste pour moi - et à jamais - non un plan de véritable film d'horreur mais le moment où Dustin Hoffman se fait creuser une dent, sans anesthésie. C'est dans Marathon Man et je ne suis pas certain que je reverrais ce film si j'en avais l'occasion.
Un roman que j'ai lu récemment - mais je ne sais plus lequel, vous échapperez à cette référence - raconte l'histoire d'une femme (femme de ménage, si je me souviens bien) qui ne supporte pas d'être endormie. Et qui subit le supplice d'une dévitalisation avec l'impression qu'elle va mourir. Je l'ai vécu avec elle...


En revanche, je n'ai pas vécu ce que Maya Angelou, alors enfant, relate dans Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage, une magnifique tranche d'autobiographie. Crevant de mal aux dents, deux d'entre elles cariées à tel point que l'émail avait disparu et qu'il n'y avait plus de prise pour le fil sur lequel Momma avait tiré pour en extraire d'autres, la petite fille part chez le dentiste avec sa grand-mère.
Seul problème, mais de taille: elles sont noires et le dentiste est blanc. Sa politique est de ne pas soigner les gens de couleur. Il le dira même de manière beaucoup plus crue:
- [...] Annie, ma politique c'est que je préférerais fourrer la main dans la gueule d'un chien que dans celle d'un nègre.
Sa position est définitive. Mais, rassurez-vous, Momma trouvera une autre solution.


Par ailleurs, il peut arriver que la visite chez le dentiste soit l'occasion de faire une rencontre. Dans L'or de la terre promise, Henry Roth envoie tante Bertha, un important personnage secondaire, arracher quelques dents. (Les caries ont la même cause que pour Maya Angelou: un abus de sucreries. Merci à la littérature de nous prodiguer des conseils d'hygiène dentaire.) Tante Bertha étant, comme plusieurs autres personnages de ce roman qu'il faut absolument découvrir, un personnage haut en couleurs, son récit ne manque pas de piquant. On est donc surpris qu'elle continue à aller chez le dentiste, non plus chaque semaine, mais deux fois par semaine. Puis trois. Puis quatre. Cela cache quelque chose, on s'en doute. je vous laisse l'accompagner, vous ne regretterez pas, cette fois, le détour.

En écoutant...


Je ne suis pas toujours d'humeur à écouter de la musique en lisant mais, ces jours-ci (pour réduire le bruit de la fraise?), oui. Je me suis mis en boucle le nouvel album des Weezer, Raditude, et c'était un régal. Difficile de vous expliquer pourquoi - je suis nul pour commenter mes goûts musicaux. Et, de toute manière, si vous n'aimez pas, vous pouvez toujours en infliger l'écoute à votre dentiste en espérant qu'il n'aimera pas non plus.

samedi 5 septembre 2009

Simone Veil: une étrange bouffée de vanité

Je n'avais pas eu l'occasion, il y a deux ans, d'ouvrir Une vie, les mémoires de Simone Veil dont le succès a été énorme. Je viens de combler cette lacune grâce à la réédition en poche.
Entendons-nous bien: c'est un livre remarquable, d'une grande liberté de ton, où une femme exceptionnelle retrace un parcours qui ne l'est pas moins. Elle ne dit que des choses intelligentes, et les dit remarquablement.
Comme je la connaissais en fait assez peu, j'ai appris beaucoup dans cet ouvrage.
Mais j'ai été effaré par le cahier de photographies, au moins par sa seconde partie. On y voit Simone Veil en compagnie de quelques grands de ce monde: Raymond Barre, Margaret Thatcher, Juan Carlos, Ronald Reagan, George Bush, Hillary Clinton, Shumon Peres, Hussein de Jordanie, Abdou Diouf, Nelson Mandela, Jean-Paul II et l'abbé Pierre.
Cela ressemble aux portraits affichés dans le salon ou le bureau d'un parvenu, fier de montrer à ses visiteurs qu'il a fréquenté la crème du pouvoir. Et c'est d'un parfait mauvais goût.
Je ne sais pas qui a eu l'idée de cette collection ostentatoire. J'espère que ce n'est pas elle-même, dans une étrange bouffée de vanité. Quoi qu'il en soit, l'idée n'était pas bonne. Simone Veil méritait mieux.