mardi 12 mars 2013

Bernard Pivot, les mots de sa vie entre guillemets


Comme beaucoup d’autres lecteurs, j’ai abondamment fréquenté Bernard Pivot. Le plus souvent par l’intermédiaire du petit écran. Le rendez-vous était une fête, dès Ouvrez les guillemets en 1973 (un lundi), davantage encore avec Apostrophes le vendredi, pendant plus de quinze ans. Moins ensuite.
Ouvrez les guillemets : ma première rencontre physique avec le maître ès lectures qu’il était pour moi s’est faite… un vendredi soir, le 16 septembre 1988. Chez Drouant, où il ignorait qu’il aurait un jour son couvert, il avait organisé une émission avec quatre solides candidats aux prix littéraires d’automne. Et Hervé Bazin, alors président de l’académie Goncourt. Celui-ci côtoyait Bernard-Henri Lévy, qui venait de publier un livre très belge, Les derniers jours de Charles Baudelaire (il recevra le prix Interallié), Patrick Besson (La statue du Commandeur, qui ne recevra rien), Erik Orsenna (L’exposition coloniale, prix Goncourt) et Philippe Labro (Un été dans l’Ouest, prix Gutenberg – qu’est-ce que c’est ?). Je me trouvais dans une salle annexe pendant l’émission que nous suivions sur des écrans de contrôle, mais j’avais eu l’honneur de serrer la main de Bernard Pivot avant le début du direct.
Fermez les guillemets : en mars 1997, lors de soirée d’ouverture du Salon du Livre de Paris, traversant le stand de RTL, je retombe sur Bernard Pivot, en conversation avec un de ses invités de l’autre jour, Philippe Labro. Bonjour-bonjour, serrage de mains, comment allez-vous ?
Entre ces guillemets ouverts et fermés, symbolisés non par des doigts autour de la tête mais par de brèves et viriles poignées de mains, il y avait eu une vraie rencontre, en deux temps.
En avril 1993, Bernard Pivot était l’invité d’honneur de la Foire du Livre de Bruxelles. J’avais fait des pieds et des mains pour me mettre en contact avec son assistante, Anne-Marie Bourgnon, et la convaincre de me donner le numéro de téléphone du journaliste. Je me reconnais dans le rapide portrait que fait Bernard Pivot, à l’article « Impatience » de son ouvrage Les mots de ma vie : « Un journaliste est, par nature, par intérêt professionnel, un impatient chronique, angoissé, presque maladif. Premier à détenir une information, premier sur un “scoop”, il veut aussi en être le premier divulgateur, que ce soit par écrit, par la parole ou par l’image. Il vit dans la hantise d’être “grillé” par un confrère. C’est un chasseur d’exclusivités, de priorités, d’antériorités, de “pole positions” ». C’était pour moi une sorte d’évidence : il n’était pas question de laisser l’exclusivité de pareil entretien à un confrère, considéré dans ces instants-là comme un concurrent.
Anne-Marie Bourgnon ne m’a donné le numéro de téléphone de Bernard Pivot qu’à une condition : il fallait que je mange le papier sur lequel je l’avais noté quand je l’aurais utilisé, un samedi matin à telle heure précise qu’elle m’avait donné. J’ai promis. Et je n’ai pas tenu la promesse, bien entendu.
Quelques jours plus tard, nous en avons bien ri, Bernard Pivot et moi, attablés à une bonne table bruxelloise, en compagnie de confrères un peu jaloux d’avoir été, en effet, grillés.

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