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dimanche 15 mars 2020

Quand Jean Rouaud était kiosquier

Cinquième volume de « La vie poétique », Kiosque prolonge et confirme l’engagement de Jean Rouaud à voir le monde et à l’interpréter dans un univers littéraire dont il cherche encore, à ce moment, la forme. Le cycle tend vers l’écriture, la publication, l’existence comme écrivain. L’auteur ne sait pas alors qu’il recevra tout en bloc, dès son premier roman, Les champs d’honneur, et le Goncourt 1990 en prime.
Nous l’avions rencontré chez lui, quelques jours avant ce prix qui allait tout changer. Il était encore kiosquier, il avait déjà conquis un public de lecteurs et de lectrices plus large que la promesse faite par son éditeur, Jérôme Lindon – trois cents exemplaires, avait-il annoncé –, plus large aussi que dans son espoir secret : « Je pensais à trois mille. Et j’imaginais une jeune institutrice de province dans son coin, le soir, lisant le livre. » Il écrivait depuis longtemps et avait entrepris diverses expériences stylistiques avant de trouver son chemin dans la mémoire et sur les champs de bataille.
Avec Kiosque, nous n’en sommes pas encore là. Rue de Flandre, Jean Rouaud vend la presse et observe la rue. Deux amis, un anarchiste et un peintre maudit, partagent ce lieu avec lui. Des personnages contrastés et romanesques dont les portraits sur le vif séduisent par l’impression de réel qui en ressort. De manière plus ramassée, le kiosquier-écrivain garde les traces de certains clients : « Mon vieux Chagall / A connu les pogroms / Dans sa jeunesse. » Sur le modèle formel de Bashô : « Après le chrysanthème / Hors le navet long / Il n’y a plus rien. » Et avec l’audace de Bashô qui rend un navet poétique. Tout est littérature pourvu que les mots d’un artiste s’en emparent. La leçon sera retenue et le kiosque devient un théâtre aux facettes multiples.
Les bruits du monde s’y heurtent à travers les journaux et magazines de toutes provenances géographiques, linguistiques et culturelles – certains pour un ou deux acheteurs fidèles seulement. A travers, surtout, ces lecteurs qui apportent, rue de Flandre, leur perception de l’actualité dans leur pays d’origine : « J’apprenais beaucoup de leurs commentaires agacés ou désabusés quand ils démontaient devant moi les analyses des prétendus spécialistes de l’actualité étrangère, me prouvant par A+B que ce qu’ils racontaient ne tenait pas debout. »
C’est un Beyrouthin qui décrypte les âneries sur le Liban, un Marocain frappé par la présence policière à Casablanca, la guerre en Yougoslavie qui s’annonce rue de Flandre avant même d’avoir commencé. Le kiosquier reçoit des nouvelles du monde entier, sans bouger de son édicule moderne (et glacial l’hiver), grâce à ses envoyés spéciaux. Ils lui fournissent le recul nécessaire devant les commentaires autorisés – et plus jamais Jean Rouaud n’aura confiance dans la parole des experts convoqués par la radio ou la télévision pour « expliquer », à leur manière, les crises…
Le kiosque a, sur celui qui y travaille, un effet inverse à celui de la caverne platonicienne : au lieu de limiter la perception de l’extérieur à quelques formes d’ombres, il projette des pans entiers de vérités restées obscures à qui se satisfait des versions médiatiques. Encore fallait-il, pour l’entendre et le comprendre, être ouvert à la variété d’une humanité concentrée en ce lieu. L’écrivain possède cette qualité, avec celle de nous la faire partager.

mardi 10 mars 2015

Jean Rouaud en guerre, un peu

Jean Rouaud est un écrivain bourré d’humour, ce que ses premiers livres ne permettaient pas de percevoir. On comprend mieux pourquoi cela ne sautait pas aux yeux, après la lecture d’Un peu la guerre, troisième volet de La vie poétique. L’autobiographie s’y écrit par vagues et finit par dessiner, avec un peu de flou, le portrait d’un homme dont la jeunesse file à toute allure tandis qu’il peine à publier son premier roman. Ce sera fait à 37 ans avec Les champs d’honneur, Goncourt en prime et tout paraît simple quand on le dit ainsi. Alors que, racontée par l’auteur lui-même, l’affaire prend une toute autre allure.
Comme tout le monde, ou presque, il est passé par des refus avant d’être retenu par Jérôme Lindon aux Editions de Minuit, enseigne à la fois prestigieuse et modeste par laquelle Rouaud est adoubé quand le « commandeur » (jamais nommé, pas davantage que la maison d’édition) lui dit : « Vous n’êtes pas penseur, vous n’êtes pas philosophe, vous n’êtes pas essayiste, vous êtes romancier. » L’entrevue avec l’éditeur ne fut pas vraiment sereine. Quelle était la structure du livre ? Et Jean Rouaud d’en improviser une qui semblait convenir. Où était le narrateur ? « S’il s’agit, comme il semble, d’un roman de la mémoire, on est avec la mémoire de qui ? » Là, c’était d’autant plus complexe que l’écrivain en devenir n’attendait pas cette question chez un homme qui avait publié Samuel Beckett et le Nouveau Roman, c’est-à-dire quelques grenades lancées en direction du récit conventionnel. Il fallut, en définitive, mettre la difficulté en évidence dans le texte de quatrième de couverture, évoquant, à côté de quelques autres, ce disparu-là : « le narrateur, dont le vide occupe le centre du récit. » Et Jean Rouaud ajoute : « Comme si, aux victimes collatérales des conflits du siècle, il convenait de rajouter un mort, le roman, et un disparu, moi. Alors oui, pour tout ça, un peu la guerre. »
Un peu les guerres, même, empilées les unes sur les autres comme les disparus du roman. Et, parmi les guerres, celle menée par les intellectuels contre le roman lui-même, genre bourgeois définitivement obsolète jusque dans la faculté de province que fréquentait Jean Rouaud. Comment écrire quand même sur ce territoire désormais interdit ? « D’autant plus délicat à explorer, que le réel – l’illusion référentielle, selon les doctes qui se pinçaient le nez quand il était question du roman – était littérairement tenu à distance, considéré comme suspect, voire nuisible pour la bonne compréhension des choses. »
Ajoutons ce qu’on sait au moins depuis les débuts de La vie poétique : Jean Rouaud, jeune, souffrait d’un environnement culturel étriqué et de toutes les caractéristiques dévalorisantes de ses origines provinciales. Qui pouvait s’intéresser à lui ? Même pas la jolie étudiante qui lui pose une question sur un livre qu’il n’a pas lu, d’où un commentaire qui se veut avisé mais ne repose sur rien, sinon des généralités. Timide jusqu’à la maladresse quand il s’agit de masquer un trou dans sa culture…
Pourtant, l’acte de décès du roman, en un sens, l’arrange. Il y mettra du temps mais finira par y voir clair : « que de cette mort du roman je fasse le roman de la mort, le roman de mes morts. D’où, ce qui sera mon chantier futur : ressusciter le roman pour ressusciter mes morts. »
Parcours dans le temps et dans le dédale des esthétiques dominantes selon les époques, Un peu la guerre raconte l’art de contourner les interdits, de tracer un chemin inédit à distance des contraintes.

mercredi 26 mars 2014

Les Prix Littérature-monde, à venir deux fois

C'est un nouveau prix littéraire à deux étages, dans un paysage où il en est tant qu'on s'épuise à suivre cette actualité. Pourquoi, alors que la première sélection n'est pas encore connue (il y en aura deux, en avril), consacrer déjà une note de blog aux Prix Littérature-monde? Parce que ces lauriers inédits, les uns pour un livre écrit en français, les autres pour un livre traduit en français, ont quelque chose de sympathique. Ils sont liés au Festival Étonnants Voyageurs cher à mon cœur, ils seront attribués par un jury très international, ils sont la conséquence lointains, sept ans après, d'un manifeste qui a fait date, ils iront (c'est un espoir, pas une certitude) à des ouvrages qui les méritent...
Je ne vais plus vous faire l'article pour Étonnants Voyageurs, un des plus beaux festivals littéraires parmi ceux que je connais, grand rassemblement malouin de la Pentecôte (ne pas confondre avec pentecôtiste) où les participants vivent en immersion, quelques jours, dans un monde ouvert sur le monde. Du 7 au 9 juin cette année...
Le jury est constitué de huit écrivains. Écrivains et non personnalités venues de tous les horizons pourvu qu'elles apportent à un prix une petite part de leur notoriété - si, si, certains prix fonctionnent de cette manière. Rien de tout cela ici. Trois d'entre eux, Français de France (si je peux m'exprimer ainsi entre les deux tours des élections municipales), ne peuvent être suspectés d'un repli sur soi: Michel Le Bris en premier lieu, fondateur d’Étonnants Voyageurs et inspiré par une littérature elle-même voyageuse; Paule Constant, à qui aucun territoire n'est étranger, et Jean Rouaud, initiateur avec Michel Le Bris du manifeste sur lequel je ne vais pas tarder à revenir, dont l'oeuvre creuse inlassablement des questions sans réponses. Les autres membres du jury ont tous écrit des livres marquants et viennent d'ailleurs: Ananda Devi, de Maurice, Nancy Huston, du Canada, Dany Laferrière, d'Haïti, Atiq Rahimi, d'Afghanistan, et Boualem Sansal, d'Algérie.
Seuls parmi eux Paule Constant et Atiq Rahimi n'appartenaient pas aux 44 signataires du manifeste paru le 15 mars 2007 dans Le Monde: Pour une littérature-monde en français. (On avait dû oublier de les solliciter, parce qu'ils se seraient probablement joints avec enthousiasme à l'initiative.) Il survenait après une saison des prix littéraires d'automne très majoritairement tournée vers des écrivains venus d'outre-France, ainsi qu'ils étaient qualifiés. Hasard ou nécessité? Le premier avait bien fait les choses. La seconde semblait être perçue comme une urgence.
Une affaire à suivre, et que je suivrai pour vous...

lundi 14 octobre 2013

Paroles et musique de Jean Rouaud

Jean Rouaud a entrepris de raconter La vie poétique. Sa vie, en somme, dont le premier volet s’intitulait Comment gagner sa vie honnêtement. Pour suivre, Une façon de chanter prolonge une autobiographie éclatée dont les thèmes courent au fil de souvenirs parfois réinventés.
Puisque l’écrivain fournit une clé de lecture dans le titre, suivons-le sur le chemin musical qu’il emprunte souvent. Longtemps, dans sa province rigide où la nouveauté, observée avec une méfiance paysanne, arrivait avec retard, il a dû se contenter d’une bande son « rudimentaire : le clocher de l’église, sonnant tous les quarts d’heure, et dont le carillon variant selon les événements faisant office de télégraphe […], le cling cling sonore du marteau du maréchal-ferrant aplatissant sur l’enclume un fer à cheval rougeoyant »… Avec, pour seules chansons, celles d’une autre génération. « Et pendant ce temps Elvis Presley se déhanchait sur Jailhouse Rock. »
Puis vint la guitare, instrument de la modernité rattrapée, quand il fallait faire un choix entre les Beatles et les Rolling Stones, avec quelques vagues accords plaqués sur des paroles qui feraient de lui un chanteur à la mode. Puisqu’il suffisait de quelques mots fredonnés au moment adéquat pour éprouver « un sentiment d’allégresse ». Des airs composés, il n’a rien retenu, ni des paroles d’ailleurs. Il ne connaissait pas l’écriture musicale et n’acceptera de le reconnaître comme une lacune que beaucoup plus tard, quand il prendra des leçons de piano.
S’il n’est pas devenu interprète, la musique a pourtant continué de l’émouvoir, capable de déclencher chez lui une émotion traduite par des torrents de larmes. Mais pas Brassens, « poète en second », chez qui il voit « un amalgame douteux, quand il s’avisa de renvoyer dos à dos résistants et collaborateurs. » Car Jean Rouaud, au détour de la poésie qui imbibe chacun de ses livres, est capable de flinguer. Céline, par exemple, dont toute l’œuvre est pour lui d’un seul bloc. Ou Jean Cocteau, à travers ses « mots sentencieux et idiots, qui derrière leur prétention au sens caché ne veulent rien dire d’autre que la fatuité de leur auteur. »
Sur tout cela, Rouaud dessine des lignes de pluie, le « blason » qui inaugurait en dix pages son premier roman, Les champs d’honneur. La pluie si présente dans l’Ouest de son enfance, mais qu’il espérait surtout voir tomber à Paris, condition pour que la seule chaîne de télévision captée chez lui programme un film l’après-midi.

lundi 5 mars 2012

Sorties de la semaine : Nicolas Bouvier, Jonathan Kellerman, Jean Rouaud

Ils arrivent, ils sont presque là. Ce sont les trois livres les plus tentants de la semaine - à mes yeux, bien entendu, mais ils me suffisent bien.

Des textes inédits de Nicolas Bouvier rédigés en des pays sur lesquels il n’a rien publié de son vivant : telles sont les pépites de ses archives sur près d’un demi-siècle, du jeune homme de dix-huit ans qui en 1948 écrit son premier récit de voyage entre Genève et Copenhague, rempli d’illusions qu’il veut «rendre réelles», à l’écrivain reconnu qui en 1992 sillonne les routes néo-zélandaises, à la fois fourbu et émerveillé.
On visitera aussi avec lui la France et l’Afrique du Nord de 1957-1958 lors d’une tournée de films-conférences, on parcourra la campagne de Java en 1970 à bord d’une locomotive, on accompagnera des touristes en Chine en 1986 et on fera du tourisme avec son épouse au Canada en 1991.
Tout le talent de Nicolas Bouvier apparaît dans ces carnets : portraitiste et observateur hors pair, mais également reporter, historien, ethnographe, conférencier, photographe, poète. La brièveté des notations, les feuilles de route, l’absence de relecture et de projet littéraire rendent particulièrement attachantes ces pages qui s’adressent aux lecteurs-voyageurs comme à tous les amateurs de l’auteur genevois. Car, dans ce recueil où l’on retrouve la profondeur historique et le charme du Bouvier écrivant, scintille le Bouvier écrivain.

Le gardien d’une somptueuse maison du quartier huppé de Borodi Lane à Los Angeles, dont la construction a été suspendue sans raison apparente, trouve sur le chantier deux corps enlacés dans une position non équivoque. Le garçon a pris une balle dans la tête, la fille a été étranglée après avoir été violée avec une bouteille.
Qui sont-ils?
Pas de problème pour lui: l'inspecteur Milo Sturgis et son comparse le psychologue Alex Delaware apprennent sans difficulté qu’il s’agit de Des, un jeune architecte employé par Helga Gemein, dont l'agence à forte tendance écologiste vient de fermer ses portes. Pour la jeune et jolie victime, en revanche, mystère total.
Au fur et à mesure des pistes qui s'ouvrent à eux, les deux enquêteurs constatent que personne ne veut leur parler, qu'il s'agisse de voisins ou d'agences gouvernementales. Et quand enfin ils découvrent que la bâtisse appartenait au sultan milliardaire d'une île indonésienne, et que Des avait fricoté avec les éco-terroristes pendant ses années de fac, un incendie criminel détruit la maison de Borodi Lane, relançant totalement l'enquête.

Une façon de chanter constitue le deuxième volet de l'autobiographie poétique entamée par Jean Rouaud avec Comment gagner sa vie honnêtement. Alors que le premier tome racontait les années d'après mai 68, les voyages en auto-stop, les petits boulots et les expériences hasardeuses des jeunes adeptes de la vie en communauté, Une façon de chanter, à l'occasion de la mort d'un proche, remonte vers l'enfance et l'adolescence.
Comme le disparu est ce même cousin qui a offert à l'auteur sa première guitare, ce dernier en profite pour tendre l'oreille vers les lointains de sa jeunesse. Et le moins qu'on puisse dire c'est que la bande-son du village natal était rudimentaire: les cloches de l'église, le marteau du maréchal-ferrant, le cri d'un goret égorgé par le charcutier, et derrière le mur du jardin la seule musique d'un piano sous les doigts de l'oncle Émile. On comprend pourquoi l'arrivée brusque, par l'entremise du transistor, des groupes anglo-saxons, va bousculer ce monde ancien où l'on chantait encore Auprès de ma blonde. Et pour accompagner cette prise de pouvoir par la jeunesse, pas de meilleur passeport que l'apprentissage de la guitare.
L'intime et le collectif se mêlent dans le flux d'un récit mouvant et drôle, où l'on croise certaines figures déjà rencontrées comme celles de la mère et du père, mais aussi une charmante vieille dame professeur de piano, un naufragé volontaire, une famille allemande accueillante et le jeune Rimbaud plaquant des accords sur un clavier taillé dans sa table de travail. Autant d'évocations que ponctue la très riche bande musicale: Dylan, les Byrds, Graeme Allwright, les Kinks et bien d'autres sont convoqués pour raconter en musique ce changement de monde, sans oublier les refrains balbutiants, composés par un jeune homme sombre derrière lequel on reconnaît Jean Rouaud lui-même gagner sa vie honnêtement.

samedi 31 octobre 2009

Veillée d'armes pour quatre écrivains


Comment vivent, ce week-end, les quatre écrivains encore sélectionnés pour le prix Goncourt de lundi? A vrai dire, je n'en sais rien. Je ne ne suis pas dans la peau de Laurent Mauvignier, Marie Ndiaye, Jean-Philippe Toussaint ou Delphine de Vigan.
Mais j'ai le souvenir d'avoir rencontré, en 1990, un de ces membres du dernier carré, quelques jours avant la proclamation. Jean Rouaud avait publié son premier roman, Les champs d'honneur (chez Minuit, tiens, tiens, ils sont deux cette année à porter cette casaque). Il jouait à l'homme détaché de ce qui pourrait arriver le lundi suivant. Mais je voyais bien qu'il y pensait beaucoup. Il croyait, me disait-il, avoir une chance sur deux. Pile ou face. La pièce est retombée du bon côté.
Deux ans plus tôt, le vendredi soir précédant ce fameux lundi, Bernard Pivot avait invité les quatre derniers sélectionnés, chez Drouant, pour un Apostrophes assez spécial.
J'y étais.
Récit.

Concevoir un «Apostrophes» chez Drouant, dans le salon même où se réunit l'Académie Goncourt, avec le président de celle-ci et quatre des plus sérieux candidats aux lauriers 1988, est un joli coup pour Bernard Pivot. Une manière d'ouvrir au public une des scènes les plus secrètes et les plus convoitées de la vie littéraire française...
Trois quarts d'heure avant le début de l'émission on se croirait presque, d'ailleurs, un jour de remise de Prix Goncourt. Les photographes tiennent là, il est vrai, un joli cliché: le peut-être futur lauréat déjà dans le salon Goncourt!
Triés sur le volet, les invités qui font habituellement tapisserie derrière les auteurs se réunissent, champagne à la main, dans une pièce annexe où Bernard-Henri Lévy, malgré la courtoise autorité du réalisateur de l'émission, reste plus longtemps que les autres qui se contentent d'une brève apparition avant de rejoindre Bernard Pivot et Hervé Bazin autour de la table. Mais B.H.L. veut tout savoir: «Est-ce que je suis à côté de Bernard? Comment est-ce que je dois me tenir à table?» Puis, maquillé de manière à rendre son visage presque aussi pâle que la chemise ouverte jusqu'au nombril, il se décide à passer au salon.
Dans les coulisses, puisqu'on est entre gens du monde, on se fait des sourires, on s'embrasse. Mais il est des baisers entre éditeurs qui ressemblent à celui de Judas. Même les plus rompus à cet exercice en ressentent un certain malaise: «Ce n'est pas que je sois tout à fait incapable d'hypocrisie, mais quand même...», nous glisse l'un d'eux.
Petit à petit, tout le monde s'installe. Sur les écrans de contrôle, Bernard Pivot prend encore quelques notes, réclame de l'eau pour Patrick Besson. B.H.L. s'ébouriffe les cheveux. Le réalisateur prend ses repères. Deux portraits des Goncourt à montrer au début de l'émission. «Non, lance Bernard Pivot, il manque Jules; c'est deux fois Edmond. On n'en montrera qu'un!». B.H.L. change de micro, s'ébouriffe encore les cheveux. On le voit beaucoup. Peut-être parce que le blanc de sa chemise - deux boutons refermés - permet de régler les caméras. Le feuilleton est terminé. «Combien de temps, pour les publicités?» demande Bernard Pivot, qui vient de régler sa montre.
Dans la salle annexe, le silence s'est fait. Les visiteurs sont tendus. Un des «Apostrophes» les plus importants de la rentrée commence. Conséquence logique de ce trop-plein de tension, des rires éclatent au générique style «Champs-Elysées», au sourire crispé - comme un tic d'un coin des lèvres - de Patrick Besson, puis c'est la franche gaieté pendant les explications d'Hervé Bazin. Sauf de la part de son épouse, qui se contente de sourire doucement...
La suite, elle était sur l'écran. A commencer par les platitudes des quatre goncourables devant Bazin.
Restent, l'émission terminée, les compliments rassurants des éditeurs à leurs poulains: «Tu as été très bien quand tu as dit que...» Et les espoirs de ventes spectaculaires à partir du samedi matin, en attendant de reparler des prix littéraires.

A lundi, tout le monde...