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samedi 30 mai 2020

Boualem Sansal: «Je suis un pessimiste optimiste»


Boualem Sansal n’en a pas fini avec le thème qu’il abordait trois ans plus tôt dans 2084 : la fin du monde, qui lui avait valu (avec Hédi Kaddour) le Grand Prix du roman de l’Académie française. Un totalitarisme d’inspiration plus religieuse qu’idéologique y était à l’œuvre dans un pays imaginaire. Avec Le train d’Erlingen ou La métamorphose de Dieu, les lieux sont situés plus précisément. Erlingen, où vit Ute Von Ebert, riche héritière d’une famille de financiers et d’industriels, se trouve en Allemagne. Elisabeth Potier, son mystérieux double, a survécu aux attentats islamistes parisiens du 13 novembre 2015 et termine son existence en Seine-Saint-Denis. Leurs filles, Léa et Hannah, sont installées à Londres.
A travers un « feuilleton décousu » comme un puzzle se manifestent des personnalités troublées par des menaces, en particulier à Erlingen. La ville est menacée par un envahisseur qui n’est pas nommé, sur lequel les bruits les plus inquiétants se répandent, et dont on devine qu’il ferait régner, en cas de victoire, un ordre voisin de celui qui régissait la population d’Abistan dans 2084. Des liens profonds entre les protagonistes du roman se font jour au fur et à mesure que les pièces du dossier se mettent en place. La correspondance entre Ute et sa fille Hannah en est une, qui raconte les événements d’Erlingen, où un train est annoncé pour évacuer une partie des habitants. Mais, comme avec Godot, il ne suffit pas de l’attendre pour qu’il arrive.
Le romancier propose une zone d’inconfort dans laquelle les points de repère stables manquent. Ute, dans ses lettres, hésite sur le sens de tout cela : « honnêtement, je ne sais que penser moi-même, il m’arrive en rapportant les faits de me dire que rien de cela n’est réel, quelque part il y a un esprit traumatisé qui délire et c’est par moi qu’il s’exprime. » C’est peut-être, comme dans MacBeth, « une histoire dite par un idiot, pleine de fracas et de furie, et qui ne signifie rien… » Mais elle donne à penser, et longtemps.



A Erlingen, Ute Von Ebert vit ce qu’elle raconte à sa fille Hannah installée à Londres : l’attente et la crainte d’être envahis par un mystérieux ennemi à l’identité mal définie. En écrivant, aviez-vous une idée de cette identité ?
Il est difficile de répondre à cette question. Le fait est qu’un sentiment de peur générale, diffus et puissant, étreint le monde, on le ressent tous, partout. Quand on arrive dans un aéroport international, n’importe où, on est frappé par la profusion des contrôles, par l’omniprésence de policiers et de militaires lourdement armés, par les appels incessants de sécurité. Même quand on est averti des réalités du monde, on se demande pourquoi cette débauche de moyens et quel ennemi est véritablement visé. Il y a bien sûr le terrorisme mais il y a surtout ce sentiment d’oppression qui nous fait voir des ennemis partout. En écrivant Le train d’Erlingen, c’est évidemment aux islamistes que je pensais mais des islamistes d’un genre nouveau, qui empruntent à l’islamiste traditionnel fruste et cruel mais qui inscrivent leur djihad dans un cadre très sophistiqué derrière lequel il y a des Etats (Arabie, Qatar, Iran, pays maghrébins, Soudan, Pakistan, Afghanistan, des organisations internationales (l’Organisation de la coopération islamique (OCI), la Ligue mondiale islamique (LMI)…), des sectes, des structures tentaculaires comme les Frères Musulmans, etc. Le djihad dont je parle n’est pas que le terrorisme, il est une guerre totale s’inscrivant dans le long terme qui se mène sur le plan religieux mais aussi sur les plans, politique, diplomatique, culturel, économique, financier, médiatique.
Cette vision noire de l’avenir peut sembler exagérée mais elle est fondée sur des données réelles, même s’il est difficile de mettre des noms sur elles.
D’autre part, nous ne sommes pas tous au même niveau de menace. L’encerclement par l’islamisme est une hypothèse scolaire quand on vit en Suisse, au Groenland ou au Pérou, mais il est une réalité quotidienne, dramatique au Proche-Orient, en Asie, au Maghreb, en Afrique, et pour le moins difficile dans de nombreux quartiers des grandes villes d’Europe.
Vous citez, par l’intermédiaire de vos narratrices qui analysent même certaines de leurs œuvres, de nombreux auteurs : Thoreau, Baudelaire, Kafka, Gheorghiu, Buzzati. Ces écrivains nous aident-ils à comprendre le monde ?
Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Ce qui arrive aujourd’hui est arrivé dans le passé. Il est important de connaître le point de vue de ceux qui nous ont précédés. C’est grâce à eux, à leurs écrits, à leurs combats, que nous avons pu avancer dans notre compréhension du monde et fait évoluer nos systèmes de pensée. Si personne n’avait lu les auteurs des Lumières, serions-nous aujourd’hui dans l’humanisme, la démocratie, la laïcité ? Sans doute que non. Si les Arabo-musulmans les avaient lus et médités, comme ils l’avaient si bien fait jadis avec les Grecs et les Hindous dont ils ont traduits les œuvres qu’ils ont fait connaître en Europe, seraient-ils encore aujourd’hui à ce point sous l’emprise de la religion ? Sûrement que non. Voilà pourquoi je pense que la lutte la plus efficace contre l’intégrisme passe par la diffusion la plus large de cette littérature progressiste, à l’école, au lycée, à l’université, à travers tous les médias possibles. Il faut constituer sa bibliothèque idéale et la consulter souvent. La baisse tendancielle de la lecture est un mauvais signe, qui fragilise la société, abrutie par ailleurs par la sous-culture télévisuelle, dont profitent les idéologies fascisantes car qui ignore l’histoire est condamné à la revivre.
L’imposture et l’imposteur, leur complémentarité à travers l’invention de complots et la croyance à ceux-ci, est-ce au fond le cœur de votre roman ? Ou la vérité relative par rapport à la vérité exclusive ? Ou les deux à la fois, et d’autres choses encore ?
Mon objet est bien là, pointer l’imposture qui est un phénomène en soi hyper dangereux, car d’une erreur il fait une vérité, et les imposteurs qui s’en emparent pour des buts de pouvoir et de butin. Croire que Dieu existe est pour l’individu une hypothèse intéressante, elle n’exclut pas le doute et en cela elle est un chemin vers l’humanisme, mais faire de cette croyance un axiome, une vérité absolue pour toute la société c’est ouvrir la voie au fanatisme religieux et à son travers civil, le totalitarisme. Entre ces deux pôles existent toutes sortes de systèmes hybrides, certains plus dangereux que d’autres. Le capitalisme des derniers siècles et celui qui se profile entièrement voué au dieu Finance, que je dénonce aussi dans le roman sont de ces monstres bicéphales qui prennent de l’un et de l’autre, de l’humanisme idiot qui fait de l’homme sa propre idole et du fanatisme qui fait du croyant un esclave heureux de sa soumission comme le disait si bien La Boétie, dans son célèbre Traité de la soumission volontaire, livre indispensable dans sa Bibliothèque idéale, de même que les Essais de son contemporain et ami, Montaigne.
« Le train d’Erlingen ou La métamorphose de Dieu » est un livre construit sur plusieurs niveaux de fiction qui se révèlent progressivement. Avez-vous eu la volonté d’égarer le lecteur ?
L’égarer, non, mais lui montrer que le chemin de la  connaissance n’est pas linéaire, il est multiple et mystérieux, et que rien n’est jamais acquis. A un pas de la connaissance on est aussi ignorant que celui qui n’a pas commencé son voyage. Je dirais aussi que toute connaissance acquise facilement est douteuse et dangereuse, elle est une idée reçue, un a priori, un savoir superficiel. La vérité est une quête incessante et le roman (qui n’est pas un essai ni un mode d’emploi) doit être un texte à déchiffrer. Le plaisir de la découverte de la connaissance et le plaisir de lecture vont ensemble. J’ai quand même fait un prologue dans lequel je fournis la trame générale du roman, j’avais peur que la complexité de l’histoire ne décourage le lecteur dès le premier chapitre.
Par ailleurs, et Léa le dit elle-même à la fin, c’est une sorte de roman impossible dont un des buts semble être précisément de démontrer sa propre impossibilité en additionnant des fragments qui s’organisent d’eux-mêmes. Vous le pensez aussi ?
C’est le paradoxe, on ne peut parler de la connaissance que si on la sait déjà. Sur son chemin, on est dans l’ignorance, dans le flou, dans l’hypothèse et le doute, tantôt dans la peur, tantôt dans l’exaltation. La connaissance est la vérité sue mais il n’est pas dit que toute vérité est bonne à savoir. Celui qui regarde la Gorgone est transformé en statue, comme la femme de Loth est pétrifiée quand elle se retourne pour voir le feu divin anéantir Sodome et Gomorrhe. Sachant cela, on devrait par prudence ou sagesse s’interdire de chercher la connaissance ou du moins refuser de l’atteindre car on ne sait pas à l’avance ce qu’elle fera de nous, nous transfigurer ou nous anéantir. Comme nous cherchons la connaissance pour nous réaliser, la connaissance nous cherche pour exister en réalité, à travers nos actes, et pas seulement en principe virtuel.
Vous apportez parfois, à travers vos personnages, une bouffée d’optimisme : « sur le long terme, l’humanité semble bien pouvoir survivre à tous les dieux », par exemple. Tout n’est donc pas perdu ?
Je répète souvent que je suis un pessimiste optimiste. Le présent n’incite pas à l’optimisme, il est notre confrontation incessante et douloureuse avec la réalité. Quand on regarde le passé, nous ne voyons que souffrances et malheurs et quelques rares et fugaces bonheurs. Nos espérances ne peuvent finalement être investies que dans le futur, le long terme. C’est le seul temps sur lequel nous avons les pleins pouvoirs, nous pouvons le peindre en bleu, en rose, en rouge, en vert, en blanc et le mouvoir dans la direction que l’on veut, nord, sud, est, ouest. On peut aussi se convaincre qu’à ce terme, nous aurons réglé tous nos problèmes, l’islamisme, la pollution, le réchauffement climatique, le grand banditisme, l’esclavage, la misère, etc.
Le long terme dont je parle ne s’inscrit pas dans cette vision linéaire du temps. Je vois dans l’évolution à venir terme la possibilité d’une transformation radicale de l’humanité, un nouveau cycle d’évolution. Nous étions des batraciens qui sortis des océans se sont transformés en singes qui descendus des arbres sont devenus des hommes. Je pense que la prochaine étape nous verra disparaître en tant que corps animal et nous sublimer en tant qu’esprit, une onde ou simplement une formule mathématique dans l’immense ordinateur que formeront nos esprits connectés les uns aux autres. A cette étape, on pourra dire que Dieu est mort (et donc toute forme d’organisation verticale) et poursuivre tranquillement notre nouvelle vie d’homme-esprit. Je me sens optimiste quand je pense à cette possible évolution.
Mais ce rêve mis de côté, je pense que le jour où les ressources vitales à l’humanité (eau, air, électricité et nourriture de base) viendront à manquer nous serons devant le plus grand défi de notre histoire : nous devrons nous entretuer pour qu’une minorité survive ou nous unir et construire un nouveau monde, un monde de survie.
Un hameau proche d’Erlingen porte un nom qui rappelle votre précédent roman : Kleines Dorf 2084 Bis. Un clin d’œil à vos lecteurs ?
C’est en effet un clin d’œil à 2084 mais je le fais pour dire surtout qu’il y a toujours, non loin de notre village, un hameau plus ou moins invisible habité par le Mal. Je suggère qu’il faut tout faire pour l’éviter, le Mal est rusé et contagieux. Le combattre n’est pas le mieux à faire, nous ne sommes pas de taille, il nous vaincrait sûrement, comme il pourrait par ses cris de guerre et sa ruse, séduire quelques-uns des nôtres et introduire le virus dans nos rangs. Il ne faut combattre que si on est sûr de gagner. Installer une frontière hermétique entre nous et le Mal est la bonne attitude et elle est exempte de risques. Si on avait isolé l’Allemagne de Hitler, il n’y aurait pas eu de guerre, mais voilà on a voulu monnayer avec lui, on a coopéré avec lui, on lui a permis de construire une économie forte, on a négocié avec lui, on a été de concession en concession. Résultat quand il s’est persuadé qu’il pouvait à coup sûr vaincre, il s’est déchainé sur l’Europe.
Si on regarde le hameau islamiste, on voit qu’il a vaincu tous les villages environnants, qu’il a séduit nombre de jeunes des villages suivants et qu’il étend sa toile sur tout le pays. A ce stade, on ne peut plus le combattre, c’est la métastase, le début de la fin. Il faut, si c’est encore possible, fermer la frontière, dresser autour de lui un cordon sanitaire hermétique.

jeudi 29 octobre 2015

Doublé au Grand Prix du roman de l'Académie française

L'Académie française a fait son choix pour le premier prix littéraire parmi les plus importants de l'automne, son Grand Prix du roman. En réalité, elle n'est pas parvenue à choisir, puisqu'elle le partage, cette année, entre deux lauréats, Hédi Kaddour et Boualem Sansal. Cela s'était déjà produit deux fois, en 1954 (Pierre Moinot et Paul Mousset) et en 1999 (Amélie Nothomb et François Taillandier).

Dans Les PrépondérantsUne équipe américaine de tournage arrive en 1922 à Nahbès, dans une colonie française nord-africaine où l’opinion dominante et bien-pensante du Cercle des Prépondérants entend et approuve, à propos des femmes appartenant au milieu trouble du cinéma, cette remarque : « Quand elles s’assoient on voit tout ! » Le bruit court, plus inquiétant encore, que certains membres de l’équipe sont opposés au colonialisme. De quoi provoquer un choc culturel – « Le choc » est le titre donné par Hédi Kaddour à la première partie de son roman, Les Prépondérants, souvent cité par les différents jurys des prix littéraires à venir dès la semaine prochaine.
Il y a quelques raisons de ne pas manquer ce roman romanesque bourré d’arguments pour convaincre les plus réticents. On y trouve de grandes histoires d’amour contrariées. Une ambition artistique chez un réalisateur, Neil Daintree, qui rêve d’adapter Eugénie Grandet. La reconstitution historique d’une époque où fermentent les germes de troubles multiples, non seulement en Afrique du Nord mais aussi en Europe – un détour par Berlin fournit l’occasion de s’inquiéter de l’avenir du « Mussolini bavarois », un certain Adolf Hitler… Alors qu’au départ, il n’y avait que l’envie de décors naturels pour tourner Le Guerrier des sables avec des vrais chameaux – plus difficiles à diriger que les animaux de cirque dont Neil aurait disposé à Hollywood.
Comme dans la vie, une chose en entraîne une autre. Pour convaincre ses producteurs de transporter son équipe technique et ses acteurs au bord du désert, et donc d’engager un budget important, le réalisateur avait plaidé : « je veux qu’on sente que l’arrière-plan peut à tout moment échapper au contrôle des héros ». C’est gagné, et bien au-delà du champ de la caméra.
Le jeune Raouf, cousin de la studieuse Rania et fils du caïd Si Ahmed, chargé d’aider les Américains tout en les surveillant un peu, excédé d’être traité par la vedette du film, Kathryn Bishop, comme un adolescent, finit par céder au charme de celle-ci et les tourtereaux roucoulent malgré l’ambition de l’actrice prête à tout pour une grande carrière. De ce point de vue, Raouf ne peut guère lui être utile, au contraire d’autres hommes, en Europe où ils voyagent ensemble.
Le plus étonnant, qui est aussi le plus impressionnant dans Les Prépondérants, c’est la façon dont Hédi Kaddour fait mine de bâtir mollement un récit lâche alors que tout y est concerté. Les trois temps principaux découpent le roman en parties chronologiques (« Le grand voyage » et « Un an après » sont les deux dernières), sans artifices. Mais c’est à l’intérieur que les nœuds se font et se défont, entraînant les personnages à la rencontre de cultures diverses, d’événements provoqués par des sentiments de base combinés dans des mécanismes complexes, et dont la complexité ne freine jamais le flux du récit.

Le nouveau roman de Boualem Sansal est un délire : une société aussi codifiée, surveillée que l’Abistan, le pays où se déroule 2084. La fin du monde, n’est possible que dans l’imaginaire, pas dans la vraie vie. L’écrivain l’affirme lui-même, dans un avertissement destiné à nous rassurer : « le monde de Bigaye que je décris dans ces pages n’existe pas et n’a aucune raison d’exister à l’avenir, tout comme le monde de Big Brother imaginé par maître Orwell, et si merveilleusement conté dans son livre blanc 1984 n’existait pas en son temps, n’existe pas dans le nôtre et n’a réellement aucune raison d’exister dans le futur. Dormez tranquilles, bonnes gens, tout est parfaitement faux et le reste est sous contrôle. »
D’ailleurs, Sansal s’inspire directement des mécanismes mis en place par Orwell dans sa fiction : la dictature est aussi et d’abord une police de la pensée qui impose une langue pauvre et unique, la surveillance est complète et les interrogatoires, fréquents. En effet, tout est sous contrôle.
Sous couvert de pure invention, on le soupçonne cependant très vite d’alerter, comme le faisait Orwell, sur des dérives bien réelles. L’écrivain britannique, en 1949, peu après les accords de Yalta, décrivait un pouvoir politique totalitaire, pas très différent de celui qui oppressait les Soviétiques. Boualem Sansal, aujourd’hui, évoque un pouvoir religieux tout aussi totalitaire dont l’Etat islamique fournit quotidiennement l’illustration.
Mais 2084 est cependant une parabole plutôt qu’un témoignage. Dans l’ordre du reportage, les informations que nous recevons de régions soumises à un despotisme radical horrifient. Dans l’ordre du roman, la vision globale est pire encore.
Il est entendu, en Abistan, qu’il y a un seul Dieu, Yôlah, représenté sur Terre par un prophète unique, Abi, dont les « divins enseignements » sont consignés dans un livre sacré écrit en abilang, le Gkabul. Tout le monde s’habille de la même manière, les hommes en burni, les femmes en burniqab, après une inévitable évolution : « Un jour, suite à quelque fièvre qui avait décimé plusieurs régions, on rallongea le burni des femmes jusqu’à la plante des pieds, on le renforça par un système de bandage qui comprimait les parties charnues et protubérantes et on le compléta par une capuche avec œillères incorporées qui enserrait fermement la tête ». On a bien lu : les motivations étaient rationnelles, il s’agissait de lutter contre la fièvre…
Dans ce pays qui ne connaît aucune Histoire, sinon 2084, la date de la Guerre sainte, aucune géographie, car il n’existe rien au-delà de frontières introuvables, Ati se pose des questions. Attitude répréhensible, évidemment, qu’il masque derrière un discours convenu tandis que son esprit bat la campagne, envisageant ce que pourrait être une religion qui ne soit pas d’Etat, ou un Etat qui ne serait pas religieux, la vie à une autre époque avec moins de contraintes, une sorte de… oui, de liberté. Concept totalement étranger en Abistan, où l’effleurer s’apparente à un crime.
Avec 2084. La fin du monde, Boualem Sansal poursuit une œuvre salutaire d’éveil – tout le contraire de ce qu’il faisait mine de déclarer dans son avertissement. La démonstration n’évite pas quelques pesanteurs, mais elle est irréfutable.


A propos de l'Académie française et de son Prix du roman dont c'est le centième anniversaire, je rappelle que la "Bibliothèque littéraire" de la Bibliothèque malgache a réédité, à l'intention des curieux, deux des trois premiers lauréats.

jeudi 15 octobre 2015

Le dernier trio du Grand Prix du roman de l'Académie française

A deux semaines de la proclamation du lauréat, ils ne sont plus que trois dans la dernière sélection du Grand Prix du roman de l'Académie française. Une femme et deux auteurs Gallimard ancrés, au moins en partie, de l'autre côté de la Méditerranée. Mais la tradition de l'Académie veut qu'on n'indique pas officiellement les éditeurs - et encore moins qu'on parle des origines des romanciers.
Donc, cinq noms ont disparu: Bernard Chambaz. Charles Dantzig, Gérard Mordillat, Antoine Mouton et Judith Perrignon. Il reste:
  • Agnès Desarthe, Ce coeur changeant (L'Olivier)
  • Hédi Kaddour, Les Prépondérants (Gallimard)
  • Boualem Sansal, 2084 (Gallimard)
Vous dire à qui je voudrais qu'il soit attribué, ce Grand Prix du roman 2015? Pas facile. J'aime les trois livres, avec peut-être une légère préférence pour celui d'Agnès Desarthe. Mais, vous le savez, je n'ai pas le droit de vote... seulement celui de faire (re)découvrir, à la Bibliothèque malgache, deux des premiers lauréats.


mercredi 26 mars 2014

Les Prix Littérature-monde, à venir deux fois

C'est un nouveau prix littéraire à deux étages, dans un paysage où il en est tant qu'on s'épuise à suivre cette actualité. Pourquoi, alors que la première sélection n'est pas encore connue (il y en aura deux, en avril), consacrer déjà une note de blog aux Prix Littérature-monde? Parce que ces lauriers inédits, les uns pour un livre écrit en français, les autres pour un livre traduit en français, ont quelque chose de sympathique. Ils sont liés au Festival Étonnants Voyageurs cher à mon cœur, ils seront attribués par un jury très international, ils sont la conséquence lointains, sept ans après, d'un manifeste qui a fait date, ils iront (c'est un espoir, pas une certitude) à des ouvrages qui les méritent...
Je ne vais plus vous faire l'article pour Étonnants Voyageurs, un des plus beaux festivals littéraires parmi ceux que je connais, grand rassemblement malouin de la Pentecôte (ne pas confondre avec pentecôtiste) où les participants vivent en immersion, quelques jours, dans un monde ouvert sur le monde. Du 7 au 9 juin cette année...
Le jury est constitué de huit écrivains. Écrivains et non personnalités venues de tous les horizons pourvu qu'elles apportent à un prix une petite part de leur notoriété - si, si, certains prix fonctionnent de cette manière. Rien de tout cela ici. Trois d'entre eux, Français de France (si je peux m'exprimer ainsi entre les deux tours des élections municipales), ne peuvent être suspectés d'un repli sur soi: Michel Le Bris en premier lieu, fondateur d’Étonnants Voyageurs et inspiré par une littérature elle-même voyageuse; Paule Constant, à qui aucun territoire n'est étranger, et Jean Rouaud, initiateur avec Michel Le Bris du manifeste sur lequel je ne vais pas tarder à revenir, dont l'oeuvre creuse inlassablement des questions sans réponses. Les autres membres du jury ont tous écrit des livres marquants et viennent d'ailleurs: Ananda Devi, de Maurice, Nancy Huston, du Canada, Dany Laferrière, d'Haïti, Atiq Rahimi, d'Afghanistan, et Boualem Sansal, d'Algérie.
Seuls parmi eux Paule Constant et Atiq Rahimi n'appartenaient pas aux 44 signataires du manifeste paru le 15 mars 2007 dans Le Monde: Pour une littérature-monde en français. (On avait dû oublier de les solliciter, parce qu'ils se seraient probablement joints avec enthousiasme à l'initiative.) Il survenait après une saison des prix littéraires d'automne très majoritairement tournée vers des écrivains venus d'outre-France, ainsi qu'ils étaient qualifiés. Hasard ou nécessité? Le premier avait bien fait les choses. La seconde semblait être perçue comme une urgence.
Une affaire à suivre, et que je suivrai pour vous...