jeudi 21 avril 2011

L'année littéraire (19) - BHL, les intellectuels engagés, la Lybie, etc.

Philosophe de terrain, Bernard-Henri Lévy est allé respirer les odeurs de poudre en Lybie et en est revenu d'humeur assez guerrière pour gagner à sa nouvelle cause un président, d'autres pays, bientôt une coalition. Celle-ci bombarde, annonce l'envoi de conseillers au sol - dont beaucoup pensent qu'ils étaient là avant l'annonce. Et c'est, d'un mot dont Bernard-Henri Lévy a horreur, l'enlisement...
BHL a-t-il lu ou relu Sun Tzu?
On ne saurait tenir les troupes longtemps en campagne, sans porter un très grand préjudice à l'État et sans donner une atteinte mortelle à sa propre réputation.
Rassurez-vous, je ne vais pas me lancer dans des considérations tactiques et stratégiques. Mais je constate combien le sujet préoccupe ceux qu'on appelle les intellectuels. Et les divise.
Un article de Claude Lanzmann (Le Monde du 17 avril) a frappé comme un coup de tonnerre dans l'apparent consensus. Voici sa conclusion:
Il y a quelque chose de comique dans la notion de supériorité des armes. Kadhafi en vérité est un diable, un jeteur de sort: il est plus fort que ses ennemis terrestres, mais il frappe également nos «frappes» d’une étrange faiblesse que leurs chantres n’avaient pas prévue. Après tout, l’aveuglement des chantres est consubstantiel à leur être, ils l’ont prouvé à maintes reprises, entonnant le péan de l’ingérence, humanitaire ou pas.
Ce qui change tout, c’est que leur seule voix ait rallié le consentement actif des gouvernements et des États, les entraînant dans une guerre sans nom, à l’issue très incertaine.
Pire, Claude Lanzmann ajoutait un post-scriptum de nature querelleuse:
Sous la pression amicale de Bernard-Henri Lévy, j’ai cosigné l’appel intitulé «L’appel de la dernière chance pour une intervention urgente en Libye» (revue «La Règle du jeu» du 16 mars). Je n’ai pourtant pas cessé de désapprouver les modalités de cette intervention, et mon désaccord s’est fait, chaque jour passant, plus grand, car l’ingérence n’a jamais cessé de me poser des problèmes, et je m’en étais expliqué dans la revue «Les Temps modernes» nº627, 16 juin 2004 («L’humanitaire et le tragique de l’histoire»).
La première réaction, tout simplement logique, poussait à se demander pourquoi Claude Lanzmann avait cédé à une pression, fût-elle amicale, pour signer un appel qui semblait ne pas le convaincre. N'a-t-il plus foi en ses propres opinions, qu'il rappelle pourtant?
Ceci étant, Bernard-Henri Lévy n'a pas tardé à réagir: Enlisement, vous avez dit enlisement?
Sur l'air, incongru en la circonstance, du célèbre Bizarre? vous avez dit bizarre?, le philosophe (de terrain) a entrepris de former ses bataillons. Et qu'un sang impur, etc.
Mardi, Gilles Hertzog, proche de BHL, rappelle la rédaction de Libération, signait dans ce quotidien un article de rupture: L'adieu à Lanzmann.
Aujourd'hui, toujours dans Libération, Marc Weitzmann publie L'intellectuel engagé, une maladie française, où il ne craint pas de s'appuyer sur les ressorts du comique:
La vie intellectuelle de St-Germain-des-Prés a désormais sur le cours des choses mondial une influence réelle, mesurable en sang versé et en nombre de morts.
Euh... elle est vraiment sérieuse, cette phrase?
Les dernières lignes, en revanche, et plus encore les derniers mots, posent assez précisément les données du problème de la place de l'intellectuel dans la société contemporaine:
Sartre, à gauche, Malraux, à droite – soit les deux «pères» de la théorie de l’écrivain engagé selon Bernard-Henri Lévy – en restent, dans la vie littéraire, les figures majeures. Et s’il est vrai que les révolutions arabes s’inscrivent dans la continuation de la chute du mur de Berlin, alors telle est peut-être la vraie, et la seule, guerre au fond de BHL: se sauver lui-même comme ultime représentant de cette posture dépassée.
Il semble que BHL (et ceux qui le défendent, et ceux qui l'ont suivi) ait oublié de prendre en compte une donnée essentielle: les temps ont changé.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire