vendredi 6 juillet 2012

Des poches pour votre été (1/2)

Je regarde avec plaisir les listes de livres de poche que différents magazines conseillent pour vos lectures d'été. Je ne ferai pas l'injure à celles et ceux qui fréquentent ce blog de rappeler mon attachement à ce format. J'en parle toute l'année. Mais je ne commente pas tout ce que je lis, faute de temps. Voici donc, pour compléter les notes longues publiées depuis janvier sur des livres au format de poche, des notes plus brèves sur une trentaine de titres qui ont aussi fait mon bonheur cette année. Le meilleur, et rien que le meilleur. En deux parties, pour ne pas vous assommer.

Lauren Groff
Dans ses nouvelles, Lauren Groff montre déjà un tempérament de romancière. Les personnages sont consistants, même si leur fragilité est centrale. Placés sur des lignes de faille, ils sont prêts à la fugue. Qui prend aussi son sens musical, puisque les neuf textes sont brodés autour d’un thème unique, fuite volontaire ou non qui détermine la suite. Des couples se font et se défont, des regards en coin et des gestes furtifs prennent toute leur signification.

Milena Agus
Une jeune fille raconte sa famille, sarde « depuis le Paléolithique supérieur ». Père, mère, frère, tante, tous sont décalés. L’ambiance est assez cacophonique. La narratrice elle-même, plongée dans une relation sado-maso avec un homme marié, a du mal à trouver sa place dans un contexte agité. Où trouvent place au passage, cependant, de belles figures provisoires. Milena Agus décrit des horreurs sans en faire toute une histoire, et cela fait une histoire superbe.

Herta Müller
Prix Nobel de littérature 2009, Herta Müller aiguise les mots et brise le rythme des phrases, haché comme le souffle de ses personnages l’est parfois. Après la déportation par les Soviétiques, en 1945, des Allemands vivant en Roumanie, la vie au camp est un enfer quotidien. Çà et là surnagent des parcelles d’humanité, très mal en point. Basé sur un témoignage, le roman transpose celui-ci avec une force qui traverse les années et les cultures, pour nous toucher au cœur.

Thomas Bernhard
Thomas Bernhard n’avait pas vingt ans quand il a connu Une mise en quarantaine, pour citer le sous-titre de ce quatrième volet d’une autobiographie. Dans les conditions quasi pénitentiaires d’un sanatorium, il affine sa détestation de l’Autriche et de l’autorité, tout en se cherchant des raisons de vivre. Le récit est si sombre, si noyé de désespérance sourde qu’il semble n’avoir aucune chance de s’en sortir. Mais il y a, heureusement, la musique et la littérature.

Audur Ava Olafsdóttir
Arnljótur n’est pas fait pour les bateaux, puisqu’il a été malade pendant toute une campagne de pêche. Ni pour les études. Ni pour être père, bien qu’il ait une petite fille. En revanche, il est fasciné par les fleurs et, malgré les craintes de son père, quitte l’Islande pour un pays lointain où il va restaurer, dans un monastère, une roseraie exceptionnelle. Et apprendre, dans le même temps, qui il est vraiment, dans un magnifique premier roman d’initiation.

Diane Ducret
Comment font-ils, les dictateurs parfois laids, pour séduire les femmes ? Celles qui tombent amoureuses sont-elles attirées par le pouvoir ? Diane Ducret se garde de généraliser à partir des exemples qu’elle a choisi d’étudier dans le détail : Mussolini, Lénine, Staline, Salazar, Bokassa, Mao, Ceausescu et Hitler. Mais elle retourne la proposition et suggère que, surtout, ces hommes avaient besoin de leurs égéries. Les portraits, basés sur une documentation très fouillée, sont remarquables.

Franck Pavloff
Un volcan menace Naños de Agua Santa, une ville d’Equateur. Un jardinier, venu d’on ne sait où, écoute les mouvements qui font vibrer les entrailles de la terre. Son patron le trouve bien alarmiste pour quelqu’un qui, au contraire de sa riche famille, ne connaît pas le passé privilégié des terres dont il s’occupe : jamais une coulée de lave n’a atteint celles-ci. Pourquoi en irait-il autrement ? Parce que, peut-être, Franck Pavloff a placé ce roman sous le signe d’un avenir fragile.

Caroline Lamarche
Un chien court sur une autoroute, se faufile entre les véhicules, s’échappe. La scène a surpris six témoins qui se sont arrêtés – il faut sauver ce chien ! Et pour lesquels ce moment cristallise toute une vie. Le camionneur créateur, le curé plein de questions, la femme prête à quitter son amant, le cycliste désenchanté, la mère qui n’a pu allaiter, sa fille trop grosse : chacun voit dans l’animal la métaphore d’événements très personnels, et le kaléidoscope prend tout son sens.

William Cliff
William Cliff en poète voyageur, ou vagabond. Ses périples américains et orientaux sont le chant d’un « loup errant qui ne sait où trouver son trou ». Il se frotte à des populations que, souvent, il n’aime pas. Comme Baudelaire en Belgique, c’est la détestation de lui-même qu’il projette sur les autres. Les textes sont aigus comme des rochers sur lesquels on se coupe, poisseux comme la boue qui colle aux pieds et dont l’odeur envahit les narines. Avec, malgré tout, une beauté incongrue.

R.J. Ellory
Voici qui plaira aux amateurs de théories du complot. Et même aux autres, car Ellory monte une énigme spectaculaire autour de quelques femmes retrouvées mortes à Washington. Le mode opératoire est identique, le surnom de « tueur au ruban » circule. Tandis que l’inspecteur Miller patauge, le romancier partage avec le lecteur les pensées du probable assassin. Bien entendu, tout est beaucoup plus compliqué qu’il y paraît et on ne lâche pas l’affaire jusqu’à la fin.

Ingrid Betancourt
Ce pourrait être un formidable roman d’aventures. Mais Ingrid Betancourt, candidate à l’élection présidentielle de 2002 en Colombie, a vraiment été prisonnière des FARC plus de six ans. Moments d’abattement, écart entre son éducation et une situation à quoi rien ne l’a préparée, tentatives d’évasion, humiliations, rares espoirs, rien ne manque dans ce récit poignant. Il ne suffisait pas de le vivre pour l’écrire. Le résultat est un livre qu’on traverse de bout en bout comme un cauchemar.

Jonas Jonasson
Non, Allan n’a pas envie de fêter ses cent ans. Il fait la belle, tombe sur un jeune type patibulaire dont il emporte la valise, trouve une fortune dedans, et se trouve dès lors, accompagné de quelques complices de hasard, embarqué dans une histoire invraisemblable. Pas davantage, au fond, que sa vie dont des pans se révèlent au fil des pages. Nombreuses, les pages, mais une fête pleine de surprises et qui dure beaucoup plus longtemps qu’un anniversaire.

Robert Bober
L’histoire de Jules et Jim est plus proche de lui que ne pouvait le penser Bernard, un jeune homme devenu figurant dans le film de Truffaut. Sa mère le lui fait découvrir avec précaution, grâce à des photos qu’elle a laissées sous ses yeux. Entre un passé familial qu’il ne connaissait pas, la fin de la guerre d’Algérie, des émois encore adolescents et des amitiés intellectuelles, Robert Bober construit un roman sensible. Une évocation personnelle et collective à partager.

Zéno Bianu
Depuis les blasons du corps, la poésie française s’est emparée des aspects les plus variés de la sensualité. Celle-ci se déchaîne à travers les siècles, de la douceur érotique à la rage pornographique. Parmi les deux cents poètes que choisit Zéno Bianu, les Belges ont leur place, de Norge à Cliff, de Michaux à Verheggen ou de Scutenaire à Pirotte. Leurs variations sur un même thème font vibrer à l’unisson le mot et la peau. Un livre de chevet au charme (aux charmes ?) presque inépuisable.

Elsa Delachair
Les plus grands écrivains ont pratiqué l’insulte avec bonheur, dans leurs œuvres ou pour s’en prendre à leurs adversaires. Parfois les deux, d’ailleurs. On ne s’étonne pas de trouver ici Louis-Ferdinand Céline et le Louis Pergaud de La guerre des boutons. Plus surprenante, sauf pour les familiers de leurs textes, est la verve de William Shakespeare, de Molière ou de Raymond Queneau. Il ne manque qu’Hergé et son capitaine Haddock, qui auraient mérité d’avoir une place ici.

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