Depuis 1978 et Le
monde selon Garp, traduit en français deux ans plus tard, adapté au cinéma
dès 1982 (avec Robin Williams dans le rôle principal), John Irving est devenu
un poids lourd de la littérature mondiale – alors que son roman précédent, paru
comme les deux premiers sans faire grand bruit, s’intitulait Un mariage poids moyen. La référence à
une catégorie pondérale n’est pas anodine : John Irving a longtemps
pratiqué la lutte, thème récurrent dans de nombreux livres. Comme le sont le
cirque, l’absence des parents, les accidents… Son dernier roman en date, qui
est réédité au format de poche après avoir été traduit l’an dernier, renoue
avec quelques-uns de ces fondamentaux.
Le nouveau héros de John Irving mène, dans Avenue des Mystères, une double vie.
Eveillé et à demi conscient, Juan Diego Guerrero part aux Philippines pour un
pèlerinage accompli au nom d’un Américain qu’il a connu avant sa mort, son
voyage étant égayé par deux femmes, mère et fille, entreprenantes au-delà de
tout ce qu’il avait connu. Endormi, souvent, dans un état de conscience
suraigu, il revit, pleurant et marmonnant, les épisodes marquants de son passé.
Cette double vie constitue le personnage, né au Mexique où
il a grandi comme un gosse de la décharge d’Oaxaca, puis écrivain américain et
professeur d’université : « Il
affirmait ainsi que dans son esprit, c’est-à-dire dans sa mémoire, et aussi
dans ses rêves, il vivait et revivait ses deux vies “en parallèle”. »
Le roman épouse donc des lignes approximativement parallèles, tortueuses, en
respectant la fantaisie de la trajectoire ainsi que la singularité des
personnages. Si bien que John Irving réussit à nous imposer de l’Avenida de los
Misterios, l’Avenue des Mystères, une
image aussi prégnante qu’elle l’est pour Juan Diego.
Double est aussi la médication emportée par l’écrivain en
voyage. Les effets contradictoires des bêtabloquants qui rendent ses rêves
décousus et du Viagra qui semble l’aider à redevenir lui-même participent à la
succession de ses états de conscience et d’inconscience relatives.
Les personnages secondaires créent des effets puissants, car
beaucoup d’entre eux sont des phénomènes, au sens où l’on dit « phénomène
de cirque ». Le cirque est familier au romancier américain et il s’en
donne à cœur joie avant de transformer Juan Diego et surtout sa sœur Lupe en
attraction. Lupe éprouve des difficultés d’élocution, ce qui ne l’empêche pas
de parler une langue riche et violente, mais seul son frère la comprend, ce qui
évite parfois quelques ennuis aux deux enfants. Lupe, surtout, possède le don
de lire dans les pensées, et cela pourrait donner un beau spectacle. Même si
Ignacio, le directeur du « Circo de La Maravilla » qui est aussi le
dompteur des lions, veut surtout apprendre grâce à Lupe ce que ses animaux ont
dans la tête : sont-ils dangereux pour lui ? Lupe, qui éprouve tout
de suite du dégoût pour Ignacio (elle lit dans ses pensées et elles ne sont pas
belles), ne lui dira pas que le mâle de la troupe ne lui veut aucun mal, tandis
que les lionnes…
Il faudrait
s’attarder sur le couple formé par Flor, travesti flamboyant, et Edward,
missionnaire américain en chemises fleuries qui découvre en même temps l’amour
et son homosexualité. En adoptant Juan Diego, ils lui permettront de
s’installer aux Etats-Unis et de devenir écrivain – doté d’une œuvre qui, par
certains aspects, recoupe celle de John Irving.
La statue géante de la Vierge qui provoquera la mort
d’Esperanza, la mère de Juan Diego et Lupe, vaut bien un personnage humain, et
son nez fournira une flamme brève mais qui illuminera longtemps le roman.
Tant d’autres, aussi, forment une foule bariolée dont les mouvements contaminent, pour le meilleur, Avenue des Mystères.
Tant d’autres, aussi, forment une foule bariolée dont les mouvements contaminent, pour le meilleur, Avenue des Mystères.
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