vendredi 30 août 2019

Alexandre Labruffe, Prix Maison Rouge

Le premier roman d’Alexandre Labruffe aurait pu s’intituler : Le vertige de l’essence. Au lieu de quoi, et bien que le personnage principal soit imprégné de l’odeur de ce liquide, c’est sous un titre plus explicite, Chroniques d’une station-service qu’il a reçu, il y a une dizaine de jours, le tout frais Prix Maison Rouge, dans le jury duquel se trouvent notamment Philippe Djian et Frédéric Beigbeder – celui-ci a effectué un service après-vente efficace en disant tout le bien qu’il pensait de ce livre au Masque et la plume ainsi que dans le Figaro magazine. Il n’avait pas tort.
On est immédiatement séduit par le ton d’un ouvrage construit en fragments et qui néanmoins nous emmène quelque part, dans des histoires qui s’effilochent certes mais qu’on est tenté de suivre tant elles sont piquantes. C’est la mystérieuse cliente japonaise – asiatique, au moins – qui rend sa visite hebdomadaire dans la station-service, et qui serre le cœur du narrateur (le nôtre aussi, peut-être bien). C’est un trafic tout aussi mystérieux de livres, déposés pour quelqu’un qui viendra les chercher, dans lesquels il semble bien y avoir des messages cryptés. C’est un lieu incongru d’exposition artistique avec vernissage dans les règles du genre. On en passe…
Le narrateur, Beauvoire (s’agissant d’un homme, la féminisation du nom de « Simone de » doit être un acte poétique), observe l’humanité en transit dans sa capsule. Il note, tout en regardant de vieux films avec une attirance particulière pour la production de série B – « horreur, porn, apocalypse ou zombie » –, des pensées fugitives mais qui s’incrustent et finissent par définir l’humanité telle qu’il la voit dans les habitudes qu’elle adopte ici. C’est ainsi qu’il pense à la cocazéroïsation de cette humanité, ainsi qu’à la mobil-homisation d’une société constituée d’être lobautomisés.
Bien que ne se prenant pas pour un être exceptionnel (à certains moments, il se trouve même assez nul), il se reconnaît un rôle dans la marche de la planète. « Sans moi, la mondialisation n’est rien », note-t-il en constatant qu’il est « au sommet de la pyramide de la mobilité ». Forcément, quand il fait le compte du nombre de barils qu’il a écoulés depuis qu’il travaille à la station-service, ça impressionne.
Sous les apparences du sérieux, c’est vraiment drôle, à moins que ce soit sérieux sous les apparences de la drôlerie. L’équilibre entre les deux aspects est solide, on traverse ce livre, pas si immobile qu’on le penserait au point de départ (et d’arrivée), le sourire aux lèvres et même parfois en retenant (ou pas, tout dépend de l’endroit où l’on se trouve) un grand éclat de rire.
Le décor familier prend en tout cas une signification nouvelle dans ces Chroniques d’une station-service.

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    Je me permets juste de signaler une petite coquille, vous avez écrit "Philippe" Beigbeder au lieu de Frédéric.

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    1. Merci, je corrige. J'aurais pu faire pire, écrire "Frédéric Djian", par exemple...

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