mercredi 11 décembre 2019

Emma Becker, prix Roman des étudiants France Culture-Télérama

Pour un mensuel culturel français, un journaliste rencontre Emma Becker. Il remarque chez elle une « discrète absence de soutien-gorge ». Il est question du troisième roman de l’autrice, La Maison. Curieuse entrée en matière ? Oui. Déplacée ? Pas sûr : le livre raconte deux années de la vie d’Emma Becker dans un bordel de Berlin.
Une expérience de certaines limites de la sexualité dans le but avoué (pas sur le lieu de l’activité) d’écrire sur le sujet, en connaissance de cause. Une démarche plus consciente que chez d’autres femmes ayant pratiqué et raconté la prostitution, pensons à Grisélidis Réal ou à Nelly Arcan. On la rapprochera plutôt, au risque de faire bondir quelques âmes pures, des six mois pendant lesquels Florence Aubenas a cherché du travail en demandeuse d’emploi anonyme pour écrire Le quai de Ouistreham. La journaliste citait des exemples antérieurs : « un Américain blanc est devenu noir, un Allemand blond est devenu turc, un jeune Français s’est transformé en SDF, une femme des classes moyennes en pauvre, et je dois en oublier. » En voici donc une nouvelle version, sur un autre terrain.
Il y a de l’audace à s’y lancer. Emma Becker n’est pas une débutante, ses premiers romans, Mr. et Alice, l’ont plongée dans le grand bain de la littérature. Il était déjà question de relations entre femmes et hommes – dans les deux cas, l’homme était plus âgé que la femme et la possibilité d’une autofiction était proposée. S’agissait-il d’une initiation nécessaire avant de tâter l’eau de l’autre grand bain de la prostitution ? (Elle précise souvent sa légalité en Allemagne, ce qui évacue, sinon le point de vue moral, au moins quelques autres questions.) Peut-être. Mais ses collègues, dont elle fait des portraits souvent attachants, n’ont pas toutes franchi les étapes préliminaires…
« Ma vie, c’est d’écrire, alors je peux bien faire semblant pendant quelques mois encore d’être une pute – et si des mecs comme le Grec y croient, c’est que je suis une bonne actrice », glisse-elle, et pourquoi ne pas la suivre ? Les scènes réalistes sont nombreuses, elles n’écartent ni les aspects les plus glauques ni la possibilité de moments agréables. Il est vrai qu’après une période passée dans un bordel moins reluisant que la Maison à laquelle elle s’attache, elle bénéficie de conditions idéales pour une pratique bienveillante. Il s’agit, au fond, de prendre soin de ses semblables, par le sexe, affirme-t-elle.
Mais alors, pourquoi, comme une de ses copines qui avait lu une première version du texte, l’avons-nous trouvé « très triste » ? En partie, sans doute, à cause de la surabondance de sperme et d’autres humeurs corporelles, que la vie sociale ignore et qui renvoient à une condition naturelle pas si joyeuse qu’on le voudrait. Mais aussi parce qu’il impossible de se défaire de l’idée qu’au fond, non, décidément, si tolérant qu’on soit, cette condition n’est ni enviable ni même acceptable. Le livre aura au moins servi à conclure ainsi.

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