jeudi 13 août 2020

L’Amazonie de Patrick Deville

Sans désemparer, Patrick Deville poursuit l’immense projet d’une série de romans « sans fiction » qui embrassent le temps et la géographie, dont Amazonia est le septième volume. Cet ensemble est enfin nommé, dans la liste des ouvrages du même auteur : « Le projet Abracadabra ». Et bien nommé. Car il y a une part de magie dans la manière dont l’écrivain nous emporte, de 1860 à nos jours, dans d’affolants tours du monde. Ceux-ci tiennent autant d’une manière ancienne de raconter, avec son lot d’aventures improbables, que d’une éblouissante modernité par les rapprochements saisissants effectués entre des faits contemporains entre eux ou par des échos lointains retentissant jusqu’à notre époque, avec la présence de l’auteur pour témoin.

Le titre du dernier roman en fixe le décor, très présent dans les débats qui agitaient le monde au moment de sa sortie, et il est d’ailleurs question au passage du dérèglement climatique qui, l’année dernière, « provoquait un été caniculaire dans l’hémisphère Nord, des incendies partout »… Quant à Bolsonaro, dans sa campagne soutenue par les évangélistes, il « annonçait la disparition prochaine du ministère de la Culture, ainsi que l’ouverture des terres indiennes à l’industrie forestière. » Patrick Deville n’est pas devin, mais il voit clair. Plaçant par ailleurs dans le même sac les églises évangélistes déjà citées et les organisations non gouvernementales qui « sont la plupart du temps de simples escroqueries au service de leurs actionnaires ».

Amazonia est cependant moins bâti sur des thèmes qui nourrissent (ou pourrissent) la conscience écologique d’aujourd’hui que sur les longs faisceaux d’une activité humaine intelligente traduite par de troublantes simultanéités entre l’art et l’industrie. Quand Jules Verne écrit, en 1860, son premier roman, Paris au XXe siècle, la bourgade d’Iquitos est fondée dans la forêt amazonienne, « avancée triomphante de la civilisation industrielle. » Le même Jules Verne mettra, par la pensée, les pieds dans la région avec un autre roman, paru en 1881, La Jangada. Il en est alors, poussé par son éditeur, à chanter les louanges du Progrès. Avec quelques nuances : « Les progrès ne s’accomplissent pas sans que ce soit au détriment des races indigènes. »

Ne tentons pas d’embrasser, comme le fait Patrick Deville, la matière immense d’Amazonia. D’autant que cela conduirait à passer à côté de l’essentiel : la complicité entre père et fils lors de ce voyage accompli ensemble, en partageant paysages, lectures et réflexions.

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