Delphine a trente-cinq ans. Elle est la propriétaire de l’agence Pour Vous. Une agence très particulière: demandez-y n’importe quoi, vous l’obtiendrez. De la compagnie pour un grand-père. Un enfant à louer pour quelques heures par semaine. De l’aide pour faire les courses. Du temps à partager, et plus si affinités. La surveillance d’un malade, jusqu’à la fin, et jusqu’à lui donner la mort le moment venu. La conception d’un enfant pour une mère stérile. Rien ne paraît impossible, à une condition: n’espérez pas que Delphine fasse entrer le moindre souffle d’affection dans son travail. Pour le reste, elle est parfaite. Et, c’est le moins qu’on puisse en dire, elle paie de sa personne. Elle n’ignore pas qu’elle est en marge de la légalité pour un grand nombre de ses activités. Mais elle connaît si bien le besoin d’affection éprouvé par ses clients qu’elle trouve normal de leur mentir quand elle la leur procure. En cas de problème, elle sait qu’un contrat a été signé.
La nouvelle héroïne de Dominique Mainard fait froid dans le dos. Elle effectue un calcul cynique. Elle se repose sur des fiches soigneusement mises à jour et une comptabilité bien tenue. S’il est vrai que tout s’achète, en voici encore une preuve. Mais le cynisme est seulement du côté du personnage, pas de la romancière, comme on le verra plus loin dans le récit.
Delphine effectue elle-même l’essentiel des travaux de son agence. Elle a quand même une employée, Marja, la quarantaine, capable, elle, de pleurer et d’éprouver des sentiments. Marja ne comprend pas l’insensibilité de sa patronne. Craque parfois devant ses exigences et celles des clients. Elle se prête à leurs désirs. Prête même son fils. Mais n’en peut plus de se faire traiter de prostituée ou de mauvaise mère.
Marja est le miroir dans lequel Delphine ne se voit pas… «Je ne suis pas une gentille jeune femme, Marja, lui avais-je dit un jour».
La directrice de Pour Vous n’est pourtant pas un être coulé d’une seule pièce. Une faille discrète apparaît en elle quand Jones veut la charger d’un travail qui semble pourtant plus anodin que bien d’autres: dactylographier les cahiers qu’Adorno, un amant de Jones, a écrits pour lui, d’une écriture difficilement lisible. Jones sait le rôle que Delphine a joué dans les derniers mois d’Adorno. Il ignore que l’accompagnatrice du malade a, après la mort de celui-ci, caché les cahiers dans l’espoir qu’ils ne soient jamais retrouvés, qu’elle s’est emparée d’une importante somme d’argent et qu’elle a précipité, à la demande d’Adorno, sa fin.
Delphine, quant à elle, est troublée par une mission qu’elle ne veut d’abord pas accomplir, avant de s’y plonger passionnément, de recopier elle-même le texte en y modifiant quelque peu la vision qu’il donne d’elle-même. Finalement, elle n’apprécie pas trop d’être jugée si froide. Pire: Jones ne la laisse pas indifférente. Alors qu’elle porte l’enfant d’une autre femme, pour la première fois, elle devine en elle quelque chose de si proche de l’amour qu’il faut bien l’appeler ainsi. La femme qui résistait à tout devient pareille aux héroïnes des romans à l’eau de rose qu’appréciait tant sa première employeuse.
C’est le monde à l’envers, à moins qu’il soit remis à l’endroit. Dominique Mainard aime ces pirouettes qui lui permettent de visiter l’intérieur des âmes, de presser ses personnages pour leur faire donner tout leur suc. Une fois encore, elle pratique une gymnastique plaisante qui nous oblige à considérer Delphine d’un autre œil. Et à reprendre espoir dans l’humanité: en définitive, le pire n’est pas toujours sûr.
Ce roman a obtenu le prix des Libraires en 2009.
La nouvelle héroïne de Dominique Mainard fait froid dans le dos. Elle effectue un calcul cynique. Elle se repose sur des fiches soigneusement mises à jour et une comptabilité bien tenue. S’il est vrai que tout s’achète, en voici encore une preuve. Mais le cynisme est seulement du côté du personnage, pas de la romancière, comme on le verra plus loin dans le récit.
Delphine effectue elle-même l’essentiel des travaux de son agence. Elle a quand même une employée, Marja, la quarantaine, capable, elle, de pleurer et d’éprouver des sentiments. Marja ne comprend pas l’insensibilité de sa patronne. Craque parfois devant ses exigences et celles des clients. Elle se prête à leurs désirs. Prête même son fils. Mais n’en peut plus de se faire traiter de prostituée ou de mauvaise mère.
Marja est le miroir dans lequel Delphine ne se voit pas… «Je ne suis pas une gentille jeune femme, Marja, lui avais-je dit un jour».
La directrice de Pour Vous n’est pourtant pas un être coulé d’une seule pièce. Une faille discrète apparaît en elle quand Jones veut la charger d’un travail qui semble pourtant plus anodin que bien d’autres: dactylographier les cahiers qu’Adorno, un amant de Jones, a écrits pour lui, d’une écriture difficilement lisible. Jones sait le rôle que Delphine a joué dans les derniers mois d’Adorno. Il ignore que l’accompagnatrice du malade a, après la mort de celui-ci, caché les cahiers dans l’espoir qu’ils ne soient jamais retrouvés, qu’elle s’est emparée d’une importante somme d’argent et qu’elle a précipité, à la demande d’Adorno, sa fin.
Delphine, quant à elle, est troublée par une mission qu’elle ne veut d’abord pas accomplir, avant de s’y plonger passionnément, de recopier elle-même le texte en y modifiant quelque peu la vision qu’il donne d’elle-même. Finalement, elle n’apprécie pas trop d’être jugée si froide. Pire: Jones ne la laisse pas indifférente. Alors qu’elle porte l’enfant d’une autre femme, pour la première fois, elle devine en elle quelque chose de si proche de l’amour qu’il faut bien l’appeler ainsi. La femme qui résistait à tout devient pareille aux héroïnes des romans à l’eau de rose qu’appréciait tant sa première employeuse.
C’est le monde à l’envers, à moins qu’il soit remis à l’endroit. Dominique Mainard aime ces pirouettes qui lui permettent de visiter l’intérieur des âmes, de presser ses personnages pour leur faire donner tout leur suc. Une fois encore, elle pratique une gymnastique plaisante qui nous oblige à considérer Delphine d’un autre œil. Et à reprendre espoir dans l’humanité: en définitive, le pire n’est pas toujours sûr.
Ce roman a obtenu le prix des Libraires en 2009.
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