jeudi 7 février 2013

Le Goncourt d'Alexis Jenni en poche


Victorien Salagnon a fait la guerre pendant vingt ans. En France, en Indochine et en Algérie, il a participé aux combats, a tué, a essayé de comprendre la violence des hommes avant d’y renoncer et d’accepter la loi du sang qui coule. Il a mis les choses à distance grâce à la peinture qu’il a pratiquée jusque sur les champs de bataille, le plus souvent à l’encre et inspiré, à la manière chinoise, par le mouvement de sa main davantage que par ce qu’il voyait. Aujourd’hui, retiré dans la banlieue de Lyon avec la femme qu’il a toujours aimée, il continue à fréquenter un ancien compagnon d’armes, Mariani, qui lui a sauvé la vie et dont la colère toujours vive a fait un compagnon de route des GAFFES, le Groupe d’Autodéfense des Français Fiers d’Être de Souche.
C’est cet homme que rencontre le narrateur, à un moment de sa vie où il la maîtrise mal. Sous les silences, il perçoit une forme de sagesse à laquelle il espérera atteindre aussi en partageant l’art de la peinture à l’encre. Et, surtout, il reconstitue l’histoire de Victorien Salagnon à la lumière des événements contemporains : la montée du racisme et de l’intolérance, la colère des banlieues, la répression toujours plus présente. Dans une vision plus large, il perçoit la manière dont la France s’est constituée, telle qu’elle croit être, à travers la fiction écrite par celui qu’il appelle le Romancier (de Gaulle). Capable, pense-t-on, de dire le vrai alors qu’il s’applique à faire croire ce qu’il a imaginé. Sur le riche terreau de « la pourriture coloniale » s’est développée une société à plusieurs vitesses, comme en témoignent les différences de statuts entre les personnes au temps où l’Algérie française : les uns étaient citoyens, les autres, sujets…
Alexis Jenni a écrit avec L'art français de la guerre un premier roman qui ne se contente pas d’être épais. Il brasse aussi, à travers l’épopée à la fois héroïque et dérisoire du personnage principal, bien des questions humaines posées avec acuité pendant ces vingt ans de guerre et qui font aujourd’hui encore écho à l’actualité. En alternant les chapitres de commentaires à la première personne et ceux du roman proprement dit, il crée une proximité dans laquelle on se sent bien, malgré la gravité des thèmes abordés. Dans une écriture où les répétitions servent de ponctuation, il a mis en place une efficace machine de guerre à la guerre, avec nuances.
Le prix Goncourt est venu, en 2011, couronner ce livre d'un débutant déjà mûr.
P.-S. Alexis Jenni tient un blog, suivi par celui-ci (colonne de droite, rubrique "Ma liste de blogs").

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