dimanche 2 novembre 2014

La quatrième guerre de Sheldon Horowitz

Sheldon Horowitz, new-yorkais, juif et veuf de 82 ans, s’est installé depuis peu en Norvège, sur l’insistance de sa petite-fille Rhea : « Je ne veux pas que tu meures seul », lui a-t-elle dit, en même temps qu’elle lui apprenait sa grossesse. Il ne se sent pas chez lui à Oslo et vit surtout dans le passé, en particulier celui des trois guerres qui le hantent même s’il n’en a fait qu’une.
Il était trop jeune pour participer à la Seconde Guerre mondiale. Il aurait voulu, pourtant, entrer dans la lutte contre ceux qui ont tué tant de Juifs. Et, si quelque chose le réconcilie avec la Norvège, c’est d’apprendre comment, en 1940, quelques soldats de ce pays l’ont défendu contre l’attaque d’un croiseur allemand. Deux coups de canon ont suffi pour couler le navire. Les noms des canons, Moïse et Aaron, font aux oreilles de Sheldon une musique d’autant plus douce qu’ils ont été repris par Lars, le mari de Rhea, pour baptiser ses deux fusils.
Sheldon n’a en revanche pas hésité à partir pour la Corée où une nouvelle guerre menaçait la civilisation. Sur son rôle, les avis divergent. Son épouse croyait savoir qu’il était dans un bureau. Tandis que lui se souvient des moments où, sniper, il a abattu une dizaine d’ennemis, craignant depuis cette époque d’être pourchassé par les Nord-Coréens désireux de venger leurs morts. Cette version est considérée par son entourage comme un signe de démence sénile.
La troisième guerre de Sheldon a été, par procuration celle du Vietnam. Il rêve sans cesse des circonstances dans lesquelles son fils a été tué là-bas et se voit en photographe de Reuters accompagnant l’opération fatale.
Trois guerres, ce devrait être suffisant pour un homme. Mais il ne choisit pas d’en rencontrer une nouvelle quand il réagit à l’instinct pour cacher un enfant de sept ans dont la mère serbe a été tuée presque devant lui par des Kosovars. Il s’enfuit, pour le sauver, avec un gamin qui ne comprend rien de ce qu’il lui dit. Une complicité s’installe dans l’urgence entre le vieil homme et l’enfant, celui-ci se laissant conduire par le premier dont les réflexes de soldat se sont réveillés. Aux dépens d’une enveloppe corporelle dont les performances sont très éloignées de celles de sa jeunesse…
Sur le rythme d’un thriller où règnent l’instinct de survie et le sens moral opposés à un conflit transporté de l’ex-Yougoslavie jusqu’en Norvège, Derek B. Miller a écrit avec Dans la peau de Sheldon Horowitz un premier roman saisissant. On ne distingue pas toujours ce qui, chez Sheldon Horowitz, relève de la réalité ou de cette démence sénile dont, au fond, il ne souffre peut-être pas du tout. Les efforts nécessaires au lecteur pour effectuer sans cesse la mise au point fournissent une profondeur supplémentaire au livre.

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