lundi 9 mars 2009

Le printemps des poètes / 8

Louise Labé
(1524-1566)


Sonnets

II

Ô beaux yeux bruns, ô regards détournés,
ô chauds soupirs, ô larmes répandues,
ô noires nuits vainement attendues,
ô jours luisants vainement revenus !

Ô tristes plaintes, ô désirs obstinés,
ô temps perdus, ô peines dilapidées,
ô mille morts disposées en mille filets,
ô pires maux qui me sont destinés !

Ô rires, ô front, cheveux, bras, mains et doigts !
ô luth plaintif, viole, archet et voix !
tant de flambeaux pour brûler une femelle !

Je me plains de ce que, alors que tu portais tant de feux,
et que tu touchais mon cœur de ces feux en tant d'endroits,
aucune étincelle n'en ait volé sur toi.


VIII

Je vis, je meurs ; je brûle et je me noie ;
j'ai très chaud tout en souffrant du froid ;
la vie m'est et trop douce et trop dure ;
j'ai de grands chagrins entremêlés de joie.

Je ris et je pleure au même moment,
et dans mon plaisir je souffre maintes graves tortures ;
mon bonheur s'en va, et pour toujours il dure ;
du même mouvement je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour me mène de manière erratique ;
et quand je pense être au comble de la souffrance,
soudain je me trouve hors de peine.

puis quand je crois que ma joie est assurée
et que je suis au plus haut du bonheur auquel j'aspire,
il me remet en mon malheur précédent.


XI

Ô doux regards, ô yeux pleins de beauté,
petits jardins pleins de fleurs amoureuses
où sont les flèches dangereuses d'Amour,
mon œil est tellement arrêté à vous regarder !

Ô coeur félon, ô dure cruauté,
tu m'emprisonnes si durement,
j'ai tant pleuré de larmes tristes,
en ressentant la brûlure de mon coeur torturé.

Donc, mes yeux, vous avez tant de plaisir,
vous recevez tant de bonheur par ces yeux ;
mais toi, mon coeur, plus tu les vois s'y complaire,

plus tu languis, plus tu as de chagrin.
Devinez donc si je me sens bien moi aussi,
quand je sens que mon oeil s'oppose à mon coeur.

(Edition Académie de Lyon.)

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