François Weyergans est quelqu'un qui rit beaucoup, mais d'un rire contenu, peu expansif, comme chargé d'une certaine ironie envers lui-même. Si Melchior, le personnage de La démence du boxeur, devait le décrire, peut-être le ferait-il ainsi. «Quand Melchior pensait à ses amis, c'était de leur rire qu'il se souvenait le mieux»...
Le souvenir est un des thèmes essentiels de ce livre puisque Melchior, à quatre-vingt-deux ans, a sa vie plutôt derrière lui. Mais, bien que s'étant consacré au cinéma - il a été un grand producteur -, c'est récemment qu'il s'est décidé à tourner lui-même un film. Un désir d'enfant qui veut connaître ce plaisir avant de mourir...
Livre beau, grave et triste à la fois, La Démence du boxeur est peut-être ce que François Weyergans, auteur cependant déjà de quelques ouvrages qui ont fait date, a écrit de mieux.
(Note: cet article a été rédigé en 1992, au moment de la sortie du roman.)
Vous aviez déjà, dans Le Radeau de la Méduse, parlé de la façon de faire un film, mais c'est la première fois que vous parlez du cinéma...
Dans Le Radeau de la Méduse, je parlais de télévision! Il y a une frontière nette entre la télévision et le cinéma.
Ici, il y a d'une part le plaisir de mettre le cinéma dans un roman - il faut bien abriter ce pauvre cinéma quelque part, il n'a plus trop d'endroits où aller, donc on peut peut-être le recueillir dans la littérature - et, d'autre part, il y a aussi, très enfoui, mon désir d'écrire une histoire du cinéma, que je sais très bien que je n'écrirai jamais.
Il s'agit, pour Melchior, de retrouver un cinéma «à l'ancienne», en quelque sorte...
Ces mots, «cinéma à l'ancienne» me hérissent un peu, mais on est d'accord sur les choses. C'est un peu ambigu. Avant tout, je voulais faire le portrait d'un personnage âgé. Et, comme toile de fond, j'ai pris le cinéma. Il y a au départ un désir très naïf. Je me suis dit: ce serait bien que je fasse un livre dans lequel on parle de cinéma parce que ça me permettrait, pendant que je l'écris, de regarder plein de films sur mon magnétoscope. Mais je n'ai pas de magnétoscope et, au lieu de mener une vie de pacha en regardant des films et en écrivant de temps en temps trois lignes, je me suis retrouvé à mener une vie de forçat, à n'écrire que des lignes qui ne conviennent pas, qu'il faut raturer et refaire, pendant presque deux ans, sans même avoir le temps d'aller au cinéma!
Ce Melchior saisi à la fin de sa vie, est-ce qu'il pourrait être vous-même, plus tard?
Je ne crois pas. Je n'aurais jamais été producteur ou distributeur. Je lui ai fait avoir quelques attitudes de base que j'admire dans la vie, que j'essaie d'atteindre moi-même sans y parvenir toujours...
Une des choses qui frappent dans son caractère, c'est le goût presque joyeux qu'il éprouve pour l'échec. Est-ce ainsi que vous pouvez vivre l'échec?
Je n'ai pas de goût pour l'échec. Je pense qu'il faut arriver à construire une certaine sorte de vision du monde, ou une sorte d'armure qui fait qu'on souffre le moins possible. Ça se paie assez cher parce que, en contre-partie, si on souffre le moins possible, les joies sont peut-être ressenties moins fortement, parce qu'on apprend à avoir du recul, à avoir un regard un peu ironique ou cynique. C'est assez lacanien, pour employer un adjectif qui était à la mode il y a quinze ans, mais c'est vrai. La psychanalyse, telle qu'elle m'intéresse, je ne pense pas qu'elle guérisse mieux qu'un médicament, ni moins bien, mais elle peut donner une sorte de philosophie.
Ce roman n'est-il pas, d'une certaine manière, et bien que différent, cousin de Macaire le Copte?
Oui, Melchior a un côté Macaire, j'en étais un peu conscient. Je voulais faire un Macaire laïc, comme pour répondre à toutes sortes de gens qui me disent que ce qu'ils préfèrent dans mon œuvre c'est Macaire. Moi pas, par exemple. Je vois bien d'où ça vient: d'une grande vague mystique, un mysticisme qui n'est pas trop vaseux.
Le côté ascétique de ces personnages semble aussi bien vous correspondre...
Peut-être. Mais il y a aussi le fait que, dans ce livre, la mort prend la place qui était celle de Dieu dans Macaire. C'est pour ça que je le dis plus laïc.
La mort serait donc le vrai sujet de La Démence du boxeur?
Disons-le. C'est un vieux monsieur sympathique, plein d'ardeur, plein de vie, mais qui vit tragiquement parce qu'il va mourir tout seul. J'aimais bien montrer la jeunesse d'un type vieux, aussi. J'ai inventé plein de jeux d'enfants. Quand on écrit, on peut inventer des enfances qui ne sont pas vraiment les nôtres - rien de tout cela ne m'est arrivé. Mais les mêmes souvenirs d'enfance à quarante-trois ans, ce ne serait pas bien...
L'essentiel n'est-il pas la perspective, le point de vue?
Oui. Et là, le narrateur est vraiment très loin, mais on peut croire que c'est Melchior qui parle. C'est technique. Il ne faut pas qu'il y ait de verbes clinquants. Quelques personnes me reprochent ça et disent qu'il y a trop d'auxiliaires. Mais moi, dès que je peux remplacer n'importe quel verbe par «être» ou «avoir», je n'hésite pas, c'est mieux!
Le souvenir est un des thèmes essentiels de ce livre puisque Melchior, à quatre-vingt-deux ans, a sa vie plutôt derrière lui. Mais, bien que s'étant consacré au cinéma - il a été un grand producteur -, c'est récemment qu'il s'est décidé à tourner lui-même un film. Un désir d'enfant qui veut connaître ce plaisir avant de mourir...
Livre beau, grave et triste à la fois, La Démence du boxeur est peut-être ce que François Weyergans, auteur cependant déjà de quelques ouvrages qui ont fait date, a écrit de mieux.
(Note: cet article a été rédigé en 1992, au moment de la sortie du roman.)
Vous aviez déjà, dans Le Radeau de la Méduse, parlé de la façon de faire un film, mais c'est la première fois que vous parlez du cinéma...
Dans Le Radeau de la Méduse, je parlais de télévision! Il y a une frontière nette entre la télévision et le cinéma.
Ici, il y a d'une part le plaisir de mettre le cinéma dans un roman - il faut bien abriter ce pauvre cinéma quelque part, il n'a plus trop d'endroits où aller, donc on peut peut-être le recueillir dans la littérature - et, d'autre part, il y a aussi, très enfoui, mon désir d'écrire une histoire du cinéma, que je sais très bien que je n'écrirai jamais.
Il s'agit, pour Melchior, de retrouver un cinéma «à l'ancienne», en quelque sorte...
Ces mots, «cinéma à l'ancienne» me hérissent un peu, mais on est d'accord sur les choses. C'est un peu ambigu. Avant tout, je voulais faire le portrait d'un personnage âgé. Et, comme toile de fond, j'ai pris le cinéma. Il y a au départ un désir très naïf. Je me suis dit: ce serait bien que je fasse un livre dans lequel on parle de cinéma parce que ça me permettrait, pendant que je l'écris, de regarder plein de films sur mon magnétoscope. Mais je n'ai pas de magnétoscope et, au lieu de mener une vie de pacha en regardant des films et en écrivant de temps en temps trois lignes, je me suis retrouvé à mener une vie de forçat, à n'écrire que des lignes qui ne conviennent pas, qu'il faut raturer et refaire, pendant presque deux ans, sans même avoir le temps d'aller au cinéma!
Ce Melchior saisi à la fin de sa vie, est-ce qu'il pourrait être vous-même, plus tard?
Je ne crois pas. Je n'aurais jamais été producteur ou distributeur. Je lui ai fait avoir quelques attitudes de base que j'admire dans la vie, que j'essaie d'atteindre moi-même sans y parvenir toujours...
Une des choses qui frappent dans son caractère, c'est le goût presque joyeux qu'il éprouve pour l'échec. Est-ce ainsi que vous pouvez vivre l'échec?
Je n'ai pas de goût pour l'échec. Je pense qu'il faut arriver à construire une certaine sorte de vision du monde, ou une sorte d'armure qui fait qu'on souffre le moins possible. Ça se paie assez cher parce que, en contre-partie, si on souffre le moins possible, les joies sont peut-être ressenties moins fortement, parce qu'on apprend à avoir du recul, à avoir un regard un peu ironique ou cynique. C'est assez lacanien, pour employer un adjectif qui était à la mode il y a quinze ans, mais c'est vrai. La psychanalyse, telle qu'elle m'intéresse, je ne pense pas qu'elle guérisse mieux qu'un médicament, ni moins bien, mais elle peut donner une sorte de philosophie.
Ce roman n'est-il pas, d'une certaine manière, et bien que différent, cousin de Macaire le Copte?
Oui, Melchior a un côté Macaire, j'en étais un peu conscient. Je voulais faire un Macaire laïc, comme pour répondre à toutes sortes de gens qui me disent que ce qu'ils préfèrent dans mon œuvre c'est Macaire. Moi pas, par exemple. Je vois bien d'où ça vient: d'une grande vague mystique, un mysticisme qui n'est pas trop vaseux.
Le côté ascétique de ces personnages semble aussi bien vous correspondre...
Peut-être. Mais il y a aussi le fait que, dans ce livre, la mort prend la place qui était celle de Dieu dans Macaire. C'est pour ça que je le dis plus laïc.
La mort serait donc le vrai sujet de La Démence du boxeur?
Disons-le. C'est un vieux monsieur sympathique, plein d'ardeur, plein de vie, mais qui vit tragiquement parce qu'il va mourir tout seul. J'aimais bien montrer la jeunesse d'un type vieux, aussi. J'ai inventé plein de jeux d'enfants. Quand on écrit, on peut inventer des enfances qui ne sont pas vraiment les nôtres - rien de tout cela ne m'est arrivé. Mais les mêmes souvenirs d'enfance à quarante-trois ans, ce ne serait pas bien...
L'essentiel n'est-il pas la perspective, le point de vue?
Oui. Et là, le narrateur est vraiment très loin, mais on peut croire que c'est Melchior qui parle. C'est technique. Il ne faut pas qu'il y ait de verbes clinquants. Quelques personnes me reprochent ça et disent qu'il y a trop d'auxiliaires. Mais moi, dès que je peux remplacer n'importe quel verbe par «être» ou «avoir», je n'hésite pas, c'est mieux!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire