jeudi 29 septembre 2011

Les nouvelles liaisons dangereuses de Philippe Djian

«Il me semble que tous les romans de Philippe Djian parlent de la fin du monde», écrivait Marie Darrieussecq en préface d'un livre qui s'intitulait précisément La fin du monde. Ce pourrait être aussi, en effet, celui du roman de Djian réédité en poche, Incidences. Où le monde ne finit qu’à la dernière page, vers laquelle l’écrivain conduit sans précipitation, posant un à un les éléments du désastre à venir.
A cinquante-trois ans, Marc enseigne le scénario à l’université. Il vit à l’écart de la ville dans la même maison que sa sœur Marianne, célibataire comme lui. Il aime les promenades en forêt et mêler à l’oxygène la fumée d’une cigarette. Il apprécie certaines de ses étudiantes et les mettre dans son lit est une pratique qui suscite chez lui la prudence, car il sait que le moindre écart rendu public lui vaudrait un renvoi. Il n’est pas un modèle de vertu, comme on voit. Mais cela l’ennuie moins que de découvrir, au petit matin, le corps froid de Barbara à côté de lui. Elle a vingt-trois ans, elle vient de s’inscrire à son atelier d’écriture, ils sont rentrés ivres la veille, dans la petite Fiat 500 de Marc, malgré les dangers de la route le long de la corniche.
La mort de Barbara, à la troisième page du roman, résonne comme un coup de gong. Certes, la ligne rouge a été franchie depuis longtemps. Mais, avec sur les bras un cadavre qu’il s’empresse de faire disparaître dans une grotte où lui-même a failli tomber un jour, Marc fait exploser les barrières. Tout donne à penser qu’il n’a pas tué Barbara et qu’il cherche à éviter les ennuis. Ce qui est la meilleure façon de les attirer.
Incidences se présente comme un polar où Marc fait face à une enquête sur la disparition de la jeune fille. La discrétion avec laquelle il séduit ses étudiantes – ou se laisse séduire par elles – est payante. Les soupçons ne se portent pas sur lui. Même si Myriam, la mère de Barbara, qui est sans nouvelles de l’Afghanistan où se trouve son mari, se rapproche de l’enseignant…
L’intrigue principale se met en place et s’enrichit de pistes annexes sur lesquelles on s’aventure avec crainte si l’on est lucide. Car Philippe Djian rend rarement plus souriante une situation qui se présente sous un jour sombre. C’est ainsi qu’à petites touches, il introduit des renseignements sur le passé de Marc et Marianne, qui ont subi la violence de leur mère. Le frère, qui a toujours protégé sa sœur, n’a pas brisé le lien fusionnel dans lequel ils sont enfermés. Au contraire: il s’irrite vivement de voir Richard Olson, à ses yeux injustement nommé directeur du département de littérature, manœuvrer pour séduire Marianne. La relation entre les deux hommes, conflictuelle depuis le début, n’est pas en voie d’apaisement. L’assaut que mène par ailleurs une autre étudiante peu douée mais décidée à conquérir Marc place celui-ci dans un état d’esprit d’autant plus ambigu que, pour la première fois, il est attiré par une femme au-delà de vingt-six ans…
Incidences est un sac d’embrouilles, mais d’une affolante précision. Chaque pièce est indispensable et à sa place, comme on s’en rendra compte à la fin du roman. Par ailleurs, celui-ci est également un plaidoyer pour la littérature. Marc, c’est au moins une chose qu’on ne pensera pas à lui reprocher, considère l’écriture comme une maîtresse plus exigeante que ses petites étudiantes. Il a rêvé d’être écrivain, a compris qu’il n’était pas à la hauteur et tient maintenant «de longs discours sur le style, sa misère et sa gloire, sur la minutie des choix qui s’imposaient à chaque instant, sur les différents conflits qui pouvaient éclater à l’intérieur d’une même phrase, sur les sacrifices qu’il fallait consentir, sur l’absolue priorité de la langue, le tonus, la résilience, l’affûtage, la nécessité, l’abandon de soi.» Une leçon qu’applique Philippe Djian.

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