Royal Romance, quatre
ingrédients dans le verre, bien davantage dans un livre qui avait exigé un peu de patience au début de l’année dernière. Le
premier roman de François Weyergans depuis son prix Goncourt de 2005
(« Trois jours chez ma mère ») et son élection, en 2009, à l’Académie
française.
Fidèle à sa réputation,
François Weyergans s’était fait attendre. Plus de six ans depuis son précédent
roman, Trois jours chez ma mère, prix
Goncourt 2005. Avec une date de parution retardée deux fois, de janvier à mars,
le temps aussi de changer le titre puisque le livre annoncé comme Mémoire pleine était devenu Royal Romance. Le titre précédent
évoquait, semble-t-il, la saturation d’une mémoire de téléphone. Celui-ci est
le nom d’un cocktail dont raffole Justine : « moitié gin, un quart Grand Marnier, un quart fruit de la
passion, un soupçon de grenadine ». Le voici réédité au Livre de
poche.
Daniel Flamm a beaucoup
aimé Justine qu’il a rencontrée à Montréal. Il se souvient d’elle et tente
d’écrire pour comprendre ce qui est arrivé entre eux et à chacun d’eux,
pourquoi leur histoire a eu lieu (« une
expression qui tombe à pic : les lieux auront compté dans le récit que je m’apprête à faire »), comment
elle s’est achevée. Et ce qu’il en reste.
Le début du roman nous en
dit un peu plus sur Daniel Flamm, écrivain devenu conseiller artistique d’une
papeterie finlandaise dont le patron s’est entiché de lui. Sur le papier, il
semble en savoir presque autant qu’Erik Orsenna – auteur d’un livre sur le
papier, avec un goût pour le savoir encyclopédique pareil à celui de Flamm.
Celui-ci a écrit un ouvrage sur le sel pour lequel il a couru le monde. Avec
Weyergans et Orsenna, l’Académie française ne manque pas de curiosité. Ni, pour
eux deux en particulier, de sujets de conversation.
Flamm ressemble encore
bien plus à Weyergans. Il lui est arrivé de renoncer à écrire un livre à force
de retard provoqué par sa fascination pour les informations qui l’envahissent. « L’actualité est l’ennemie de mon
travail », écrit-il. Un écrivain serait-il donc condamné à vivre en
ermite afin d’éviter les distractions qui le détournent de son travail ?
Poser la question n’est pas y répondre. Car ces distractions, ingérées,
digérées, deviennent une part importante de la matière romanesque, la part qui
relie, pour le lecteur, la fiction au monde.
Repassons par le sel pour
revenir à Justine. Celle-ci a inspiré l’héroïne du roman que Flamm consacre au
sel : « la jeune femme qui
aimait les films pornos, la Québécoise sur qui je vais écrire maintenant
quelque chose qui serait à mes romans comme ces bonus qu’on ajoute aux DVD. »
Sinon que, dans ce cas précis, le film original n’existe pas et il faut
l’imaginer d’après ce qu’en dit la sorte de bonus.
Tout l’art de François
Weyergans est là, sur une ligne de fuite qui conduit toujours plus loin en
marge du livre qu’il ne fera pas. Le romancier pratique la procrastination pour
réussir à en faire une dynamique créatrice. On vogue avec lui où il nous mène,
qu’importe l’endroit pourvu que le voyage soit beau, qu’on en rapporte des
souvenirs à la pelle.
Donc, parler longuement
de Justine ici est peut-être superflu. Puisqu’elle est le sujet affiché du
roman, l’essentiel est probablement ailleurs et sa présence est le catalyseur
autour duquel s’organisent des éléments disparates. Les lieux, notamment, dont
il était question plus haut, Strasbourg, Paris, Montréal. La littérature, de
Sterne à Starobinski. La musique, le cinéma, le théâtre – disons-le quand même,
Justine est comédienne quand Daniel la rencontre. Sans oublier l’amour, moteur
du roman. Et quantité de détails précis, dont tous ne concernent pas le sel ou
le papier, qui créent massivement un saisissant effet de réel.
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