mercredi 2 octobre 2013

Un gentil tueur impitoyable, vu par Marc Dugain

Un jour, Marc Dugain a vu un film sur Ed Kemper, assassin de ses grands-parents, de sa mère et d’une amie de celle-ci ainsi que de six jeunes filles. Cela lui a donné l’envie de s’« immiscer dans cet être complexe », comme il l’explique en quelques lignes pour terminer Avenue des Géants.
Al Kenner, ainsi que Marc Dugain a rebaptisé son personnage, a découvert Crime et châtiment en prison. On ne mettra pas cette lecture sur le compte du hasard.
Pas davantage qu’il n’y a de hasard, sinon romanesque, dans l’Avenue des Géants du titre, là où Al Kenner a eu un accident de moto : « j’y ai vu un signe, même si cette appellation tenait seulement aux arbres immenses qui la jalonnaient. » Comme son modèle réel, il mesure 2,20 mètres, ce qui l’empêchera d’entrer dans l’armée pour se battre au Vietnam.
Une taille encombrante ne suffit pas à faire naître une vocation de tueur. Sinon que, moins grand, Al aurait eu une vie différente. Mais ses véritables problèmes résident dans les rapports avec une mère qui lui mène la vie dure, comme d’ailleurs à son mari qui finira par jeter l’éponge en la quittant. Al tue des chats, il en décapite même un pour exprimer, dira un psychiatre, le désir de décapiter sa mère. Cela viendra, plus tard, après d’autres meurtres. Dont plusieurs ne seront révélés qu’à la fin du roman – ils ne surprennent pas, si on a jeté un œil sur la biographie d’Ed Kemper.
Si celui-ci est un sujet idéal pour une fiction, ce n’est pas tant à cause des crimes pour lesquels il a été condamné. Mais plutôt pour le versant psychologique de son histoire et pour la manière dont, devenu grand lecteur, il s’intéresse à son propre cas. Il sera ainsi capable, grâce à ses connaissances toutes neuves, de tromper le psy qui le suit, et même le jury qui décidera d’effacer son premier casier judiciaire – ses grands-parents – après avoir estimé qu’il ne représente plus un danger. On verra comment ils se trompent.
Il serait aisé d’utiliser Avenue des Géants comme socle d’un procès intenté aux psychologues et psychiatres pour leur rôle dans la justice. Là n’est pas le propos de Marc Dugain. En se mettant dans la peau d’un géant très intelligent (Al rappelle plusieurs fois que son QI est supérieur à celui d’Einstein), il explore une personnalité complexe. Beaucoup s’accordent à le trouver gentil et il occupe d’ailleurs sa captivité à enregistrer des livres à destination des aveugles. Mais il a développé par ailleurs les caractéristiques du monstre qu’il est aussi, comme le lui disait souvent sa mère. Il n’est pas quelque part entre les deux. Il est les deux à la fois. Avenue des Géants est, pour cela, un livre inquiétant et bourré de questions sans réponses.

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