Dany Laferrière a pris goût aux vers libres et
reprend pour Chronique de la dérive douce
une forme déjà adoptée dans L’énigme du
retour. De retour, il en est question aussi, mais dans le passé, du côté de
1976. Nadia Comaneci est sur tous les écrans et Dany Laferrière, pas encore
écrivain, débarque en exilé là même où la petite gymnaste roumaine engrange des
médailles d’or. Montréal, donc. Pour un roman, certes, mais très proche de la
vie de son auteur, comme celui-ci le confirme en s’expliquant d’abord sur le
choix de la forme.
C’est un
jeune homme qui arrive, empli de poésie. Et c’est par la poésie qu’il capte
l’essentiel. C’est une déambulation, nez au vent.
Ce jeune
homme est-il Dany Laferrière ?
Il est
beaucoup moi. C’est une fiction littéraire, mais construite fondamentalement à
partir de moi, comme si j’étais un matériau de travail. Ce n’est pas moi pour
parler de moi, c’est moi pour modèle, comme quand un sculpteur travaille à
partir d’un modèle et veut montrer autre chose.
Pourquoi
avoir attendu si longtemps pour écrire ce livre ?
En fait,
il était déjà paru au Canada en 1994, et je l’ai réécrit. Je pense qu’après L’énigme du retour, il fallait
montrer l’autre face pour permettre au lecteur de mesurer le temps. C’est une
des fonctions de la littérature : faire sentir le temps.
Est-il
aussi l’autre face de Comment faire
l’amour avec un nègre sans se fatiguer ?
Tout à fait.
C’est une clé. Dans Comment faire l’amour, le narrateur parlait surtout du monde
anglo-saxon, probablement pour parler du colonialisme puisque le discours du
Québec francophone était un discours de colonisé. Je ne pouvais pas l’endosser,
parce que cela aurait été d’un humilié à un autre. Ici, il s’agit de la version
vraie, les personnages ont leurs noms réels et on découvre que les jeunes
filles étaient francophones. A l’époque, je voulais être un écrivain
nord-américain et élargir l’espace, mais dans la langue française.
Les
quatre saisons rythment le récit. Pourquoi ce choix ?
C’est très
frappant pour quelqu’un qui arrive dans un pays du nord. D’abord, il découvre
qu’il y a quatre saisons. Ensuite, l’obsession des habitants pour ces saisons,
leur place dans les conversations. L’hiver qui pourrait revenir, l’été dont on
déplore la brièveté, l’automne et ses couleurs… Je n’ai jamais entendu autant
parler de dictature à Haïti que des saisons à Montréal. Donc, si on veut faire
un portrait du Québec comme je l’ai tenté, il faut passer par les saisons.
Le texte
est truffé d’images qui envahissent l’espace mental…
Les gens
du sud sont visuels. A Haïti, particulièrement, ils sont peintres. L’œil est
plus important que l’oreille. Ce que j’ai ressenti passe par des descriptions,
c’est-à-dire des mots avec lesquels je transmets mes émotions au lecteur, pour
lui faire comprendre, même s’il n’est pas moi, ce qu’était un moment donné, ce
que j’ai vu.
Le
personnage de l’Indien est proche du narrateur, tout en étant différent.
L’Indien vit pour l’alcool et le narrateur, pour les femmes. Ce sont deux
façons de voir le même monde ?
D’abord,
j’aime beaucoup travailler sur les clichés. Il est rare qu’ils soient
complètement faux, mais ils sont surtout très réducteurs. Par ailleurs, ces
deux personnages représentent l’Amérique. L’un y était avant tout le monde,
l’autre est arrivé en dernier et vient, en quelque sorte, remplacer le premier.
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