samedi 2 août 2014

14-18, une anthologie chronologique (1)

La mobilisation générale est décrétée en France le 1er août, en même temps qu'en Allemagne. Pierre Loti percevait depuis une semaine des bruits de guerre avec l'Allemagne. Le changement d'atmosphère est brutal après les premiers moments du retour à Rochefort où il est arrivé dans la nuit du 17 au 18 juillet : il avait reçu avec joie, glaces et champagne les aspirants de la Marine avant d'accueillir le commandant de leur école, sa famille et les officiers.
Samedi 1er août. – La guerre !... Depuis deux semaines, on vivait dans l’angoisse de son attente, avec l’espoir quand même. Et maintenant ce cauchemar des nuits est devenu la réalité. Et ce sera une guerre d’extermination, la plus atroce qu’on ait jamais vue.
Temps accablant d’orage, sous un ciel noir. Samuel rentre le soir du Bertranet pour rallier son régiment.
À 9 heures, une grande retraite en musique parcourt les rues, toutes les troupes, tous les matelots, tous les réservistes, toute la foule. Tout cela défile interminablement sous le ciel chaud et noir, et la pluie d’orage. Nous allons, Samuel et moi, le voir passer. On chante La Marseillaise, on danse, on jette les chapeaux en l’air, on crie : à Berlin ! La joie et l’enthousiasme vont au délire.
Dimanche 2. – Grand calme et silence dans la maison ; il ne semble pas que ce soit possible, ce qui nous attend demain.
[…]
Après dîner, nous allons une dernière fois fumer une cigarette à la fenêtre de mon cabinet de travail, – et on se dit que ce sera peut-être la dernière fois de la vie...
Pierre Loti, Soldats bleus : Journal intime 1914-1918. La Table Ronde, 1998, nouvelle édition 2014
La nouvelle survient parfois à des moments incongrus. Ce jour-là, Célestin Louise, policier parisien, était en planque dans le septième arrondissement depuis six heures du matin pour arrêter Octave Chapoutel, un cambrioleur. Le devoir accompli, non sans mal, il ne lui reste qu'à emmener son prisonnier au Dépôt. Mais le cocher du fiacre qu'il a hélé boulevard Raspail a, lui, eu le temps d'être renseigné. Dans ces circonstances, l'arrestation d'un malfaiteur devient anecdotique.
— Vive la France ! lança le cocher en s’arrêtant devant ce drôle de couple que formaient le jeune policier et son prisonnier.
Célestin le regarda en fronçant les sourcils.
— Qu’est-ce qu’elle a de spécial, la France, aujourd’hui ?
— Vous n’avez pas lu les journaux du matin, monsieur ? La mobilisation générale a été décrétée.
Disant cela, le cocher attrapa un journal calé derrière le dossier de son siège et le lança à Célestin. Celui-ci poussa La Guimauve à l’intérieur du fiacre et grimpa près de lui.
— Au Dépôt !
Tout en surveillant du coin de l’œil le cambrioleur qui s’était affalé sur son siège, Célestin parcourut la une du « Petit Parisien » : l’Allemagne a lancé un ultimatum à la France et à la Russie, les sommant de ne pas mobiliser.
— Les cons ! murmura Célestin.
Par la fenêtre, le policier aperçut des colleurs d’affiches apposant sur les murs d’un bâtiment officiel le fameux décret de mobilisation générale qui, parfois, était écrit à la main. Le gouvernement avait choisi la guerre. Avait-il seulement eu le choix ?
Thierry Bourcy, La cote 512. Nouveau Monde, 2005
Dans la campagne dont il est question ici, la nouvelle arrive le lendemain. L'ordre est affiché sur le panneau de la mairie, à côté des tarifs de la balance municipale. La nouvelle tombe mal, mais à quel moment serait-elle bien tombée ? Il reste à dresser les meules de paille, puis il faudra s'occuper des betteraves sans oublier, jour après jour, de soigner les bêtes. Si les hommes partent à la guerre, les femmes devront tout prendre en charge, aux champs comme aux étables.
Le tocsin cueille Gabriel dans la cour de la métairie. Le temps est splendide en ce premier dimanche d’août 1914. La campagne est immobile, écrasée de soleil, semblable à une bête étalée de tout son long, économe de ses gestes, figée sous la canicule. La récolte de blé est rentrée, Gabriel en éprouve de la gaîté ; aussi la cloche le prend-elle au dépourvu. Le moment de stupeur passé, il se met à courir, ses sabots sonnent sur la terre battue, desséchée et dure comme pierre. Il n’a pas franchi la barrière rarement close qu’Alexandrine surgit à ses côtés d’il ne sait où, les traits brouillés par les rumeurs des derniers jours.
Pour l’attendre Gabriel ne court plus, et ils hâtent le pas en direction de l’église et du tambour du garde champêtre qui retentit à son tour. C’est donc que tout ça est grave. Devant l’école communale qui abrite la mairie, la population du village au complet, générations confondues, est rassemblée. Soit deux douzaines d’âmes.

Didier Desbrugères, Limon. Gaïa, 2014

1 commentaire:

  1. Mon grand-père, Pierre Gortchakoff, sibérien, mobilisé en 1916, est allé combattre sur le Front d'Orient, en 1917, en passant par la France, pour échouer, en 1919, à Marseille. J'ai relaté son histoire ici :

    http://tietie007.over-blog.com/article-pierre-gortchakoff-d-irkoutsk-a-l-estaque-48394459.html

    RépondreSupprimer