samedi 9 août 2014

14-18, une anthologie chronologique (2)

Puisque tout est allé très vite, les écrivains prennent la plume dans l'urgence, du moins ceux auxquels s'ouvrent les pages des gazettes. Il n'est pas (encore) question de commenter des faits. Robert de Flers, dramaturge, en appelle en quelque sorte à la conscience nationale en « Une » du Figaro. Au-delà de l'extrait que nous donnons, il cite Henri Heine, puisqu'il n'y a pas mieux qu'un Allemand pour parler de l'Allemagne : « Quand les Allemands sont de mauvaise foi, ils sont de mauvaise foi. Mais quand ils sont de bonne foi, ils font semblant. »
La France tout entière est animée, transportée, soulevée par une seule pensée : la volonté de vaincre. Quelques heures ont suffi à notre admirable pays pour restaurer et affirmer magnifiquement son unité morale et pour retrouver ces deux vertus, si souvent incompatibles : l'enthousiasme et le sang-froid.
Avant-hier dimanche, le boulevard – qui, dans la soirée, devait être le théâtre de violences déplorables, avait un air de fête, presque de mi-carême et la foule en s'écoulant, murmurait : « C'est un beau dimanche ! »
Oui, ce fut un beau dimanche que celui où notre nation, dans un même élan de ferveur et de revanche, accepta une guerre hideusement, sournoisement préparée et imposée par un peuple affolé de domination brutale et d'orgueil entêté. Ce fut un beau dimanche que celui où nos adversaires, achevant de mettre les derniers atouts dans notre jeu, consentirent à ce crime contre le droit des nations et des gens : la violation d'un territoire neutre, et ne reculèrent pas devant le cynisme barbare qu'il y avait à franchir la frontière avant toute déclaration de guerre.
Robert de Flers, La volonté de vaincre, in : Le Figaro, mardi 4 août 1914.
Roger Martin du Gard voit, à travers les personnages des Thibault, une ville de Paris affolée par le fanatisme patriotique. Le rêve du socialisme transnational que nourrissait Jacques semble devoir être emporté par la vitesse à laquelle l'Histoire s'écrit. Elle se lit dans les rues où les boîtes à ordures n'ont pas été vidées. Il ne s'agit pas du seul désordre, celui-ci du moins n'étant provoqué que par la brutale mutation d'une société civile en puissance militaire. Que les aspects civils en souffrent est un moindre mal.
Rue de Rivoli, entre deux haies de curieux, un régiment d’infanterie coloniale, en tenue de campagne, défilait au pas cadencé, sans musique, dans un silence saisissant. Au passage des chefs de bataillon montés, la foule se découvrait.
Avenue de l’Opéra, les balcons étaient pavoisés de drapeaux. L’auto longea une section de voitures de la Croix-Rouge ; puis un détachement de soldats, en bourgerons de corvée, avec des pelles et des pioches.
Place de l’Opéra, il fallut stopper de nouveau. Un train d’artillerie, suivi d’une dizaine de voitures blindées, montait vers la Bastille. Sur le toit de l’Opéra, des équipes d’ouvriers installaient des projecteurs destinés à surveiller la venue nocturne des « taubes » sur Paris.
Tout le long des boulevards, malgré le service d’ordre, des curieux se massaient devant les magasins allemands ou autrichiens qui avaient été pillés, dans la nuit. Autour de la Cristallerie de Bohême, le sol était jonché de tessons et de verre pulvérisé. La Brasserie Viennoise semblait avoir subi un siège : par la devanture éventrée, l’on apercevait les glaces brisées, les tables et les banquettes démolies.
Roger Martin du Gard, L'été 1914. Gallimard, 1936
Les combats ont commencé et Maurice Barrès s'enthousiasme dans l’Écho de Paris, qui conserve quatre de ses six pages habituelles quand beaucoup d'autres quotidiens paraissent sur deux pages seulement. Une feuille, voilà ce qu'ils sont devenus pour la plupart. Mais revenons à Barrès et aux raisons de son enthousiasme, tempéré cependant par le souci de donner aux non combattants une existence pas trop misérable, pendant que les forces vives de la nation sont montées au front.
Il éclate enfin le jour espéré pendant quarante-quatre années ! Les pantalons rouges sont apparus sur la crête des Vosges et nos soldats reconquièrent l'Alsace éperdue de bonheur...
La France combattante comble toutes les espérances, la France non combattante fera son devoir. Il ne faut pas que la sainte ivresse dont est illuminée l'âme de nos soldats victorieux soit troublée par l'image des femmes, des enfants, des vieux parents qu'ils peuvent laisser dans le besoin. Il y a une loi qui vient au secours des femmes mariées, des familles légitimes. Mais il y a mille misères que la loi n'a pas prévues. Par exemple, un très grand nombre de femmes restent seules, sans ressources, et n'ont pas droit à un secours parce qu'elles n'ont pas de mari sous les drapeaux. Il faut les sauver. La Patrie ne peut pas laisser des gens mourir de faim dans la minute où pour elle des milliers de vies allègrement se sacrifient.

Maurice Barrès, La résurrection de la France, in : L’Écho de Paris, dimanche 9 août 1914

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