mardi 13 janvier 2015

Retour gagnant au Japon pour Amélie Nothomb

Un état proche du bonheur : voilà comment nous nous sentions à la dernière page du vingt-deuxième roman d’Amélie Nothomb, La nostalgie heureuse. Un état en harmonie avec le titre, qui ne nous est pas familier au moment de découvrir, millésime après millésime, la production régulière de l’écrivaine belge la plus populaire aujourd’hui. Nous n’avons en effet pas souvent partagé l’enthousiasme des quelques centaines de milliers de lecteurs et de lectrices qui lui font fête à chaque publication, au mois d’août pour l’édition originale, un an et demi plus tard pour la sortie au format de poche.
Entendons-nous bien, puisque ceci mérite une explication : depuis 1992, le talent de la romancière est une évidence difficilement contestable. Elle possède le don de la formule, du dialogue, du trait vif – bien d’autres se contenteraient d’une partie de ce qu’elle a reçu. Mais, car il y a un « mais », il nous a trop souvent semblé qu’elle gâchait ce don, en enfant capricieux qui se détourne très vite de ses plus beaux jouets : un vague sujet lui sert de prétexte à filer un récit bref, qu’on lit en une heure et dont on oublie tout très vite, sauf l’anecdote de point de départ. Une nouvelle aurait suffi, nous sommes-nous dit à de multiples reprises…
Et pourtant, chaque année, nous revenons vers Amélie Nothomb avec la certitude qu’elle réussira bien, un jour ou l’autre, à nous séduire de nouveau. La patience est toujours récompensée : c’est fait ! Et dès les premières lignes qui sont une promesse cette fois tenue :
« Tout ce que l’on aime devient une fiction. La première des miennes fut le Japon. A l’âge de cinq ans, quand on m’en arracha, je commençai à me le raconter. Très vite, les lacunes de mon récit me gênèrent. Que pouvais-je dire du pays que j’avais cru connaître et qui, au fil des années, s’éloignait de mon corps et de ma tête ? »
On ne peut plus croire à la coïncidence : quand Amélie Nothomb est à son meilleur, comme ce fut le cas dans Stupeur et tremblements ou dans Ni d’Eve ni d’Adam, c’est du Japon qu’elle nous parle, c’est-à-dire d’elle-même dans ses fractures les plus intimes. Elle utilise bien le détournement d’autobiographie dans d’autres romans, mais sans nous toucher de la même manière, comme si c’était bien là, et nulle part ailleurs, que se trouvait sa vérité de femme et de romancière.
L’anecdote : la romancière accepte de partir au Japon avec une petite équipe de télévision pour tourner un reportage sur les traces de son enfance. Elle a accepté d’autant plus facilement qu’elle pensait que le sujet serait refusé. Et puis, non, le projet se monte et il faut bien y aller, même à reculons. Quinze ans après son dernier séjour, elle donne deux coups de téléphone pour préparer celui-ci : au fiancé de Ni d’Eve ni d’Adam et à la gouvernante de sa petite enfance, qui a gardé la voix qu’elle avait autrefois.
Sur place, pendant neuf jours, les contraintes parfois absurdes d’un tournage pour la télévision ne parviennent pas à contenir ses émotions. Ainsi quand elle tombe en pâmoison devant un caniveau où elle reconnaît celui de son enfance, sans le moindre changement. Elle le fait remarquer à ses accompagnateurs, pour lesquels ce détail n’a bien sûr aucun intérêt. Ce décalage, elle le vit à plein, tout le temps, et jusque dans les rencontres. Cela pourrait être vain. Au contraire : c’est plein. Bien que parfois indicibles, les moments sont dits, écrits, jusqu’à faire ressentir le vide parfait et le kenshō : « Une épiphanie de cet état espéré, où l’on est de plain-pied avec le présent absolu, l’extase perpétuelle, la joie exhaustive. »
Amélie Nothomb à son meilleur, c’est excellent.

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