vendredi 25 décembre 2015

En rayon : John MacPartland, «La pente savonneuse»

Est-ce d'avoir lu hier, parce qu'il est réédité au format de poche (Libretto) dans les premiers jours de 2016, Les oreilles sur le dos, de Georges Arnaud, publié la première fois en 1953, et de m'être dit qu'il aurait bien eu sa place en Série noire? (Dans la rétrospective que j'ai conduite à travers la collection il y a quelques mois, cette année-là, c'était Touchez pas au grisbi!, d'Albert Simonin.) Est-ce pour ne pas laisser passer les derniers jours de 2015 sans revenir une fois encore à une collection qui célèbre son 70e anniversaire? Toujours est-il qu'en explorant les vieilleries de ma bibliothèque, je sors des rayons, aujourd'hui, un volume de la Série noire daté de 1957 (le même millésime que, dans la rétrospective déjà signalée, Chauds les glaçons! de Ian Fleming, titre qui deviendra plus tard Les diamants sont éternels). Il est signé John MacPartland, à la carrière d'écrivain brève mais dense - une douzaine de romans publiés de 1952 à 1959, la plupart traduits à la Série noire. Et c'est le premier: La pente savonneuse. Dont voici le début:

Elle était assise au bout du bar coudé, dans la partie la plus courte du comptoir, où il n’y a place que pour trois tabourets. J’apercevais son profil dans la glace, derrière le barman. Et en regardant sur ma droite, mine de rien, je la voyais en plein de face.
Je ne crois pas que je sois bien doué pour vous la décrire en détail. Voici toujours de quoi vous donner une idée : dessinez un ovale au fusain, un ovale étroit et parfait. En haut de l’ovale, ajoutez ses cheveux, des cheveux soyeux, châtain foncé. Un front haut, les sourcils à peine arqués. Pour les tracer, vous pouvez appuyer carrément sur votre fusain.
De grands yeux, innocents, limpides, honnêtes. Même dans ce bar, ils vous faisaient penser à une fille habituée aux chevaux, ou aux voitures de course. De ces yeux qui regardent loin et qui voient tout, sans hâte, sans énervement, sans nonchalance.
Toutes les filles que j’ai rencontrées avec cette tête là ne valaient pas un clou. Mais je n’en ai pas moins continué à espérer. Un visage de jeune gars intelligent. Vous voyez ce que je veux dire : les ligne pures du nez, des joues, des pommettes, de la bouche, du menton, du cou… Il ne s’agit pas de beauté, et encore moins de joliesse. Non. Mais d’élégance, peut-être de noblesse. Une belle bouche, aux lèvres pleines, au dessin ferme.
Elle portait une jaquette grise toute simple, avec un petit foulard en soie d’un orange vif. Elle ignorait complètement mon existence. Peut-être avait-elle vaguement aperçu le soldat qui occupait le centre du bar – il n’y avait pas foule – et probable qu’elle savait que je la regardais, tantôt en lui jetant des coups d’œil furtifs par-dessus mon épaule, tantôt en étudiant son profil dans la glace. Les femmes remarquent toujours quand un homme les reluque, et d’habitude, ça leur plaît. Mais celle-ci, que je la regarde ou pas, ça ne lui faisait ni chaud ni froid.
C’était le milieu de l’après-midi. Quatre ou cinq personnes seulement dans le bistrot. Tout au bout du comptoir, le barman discutait base-ball avec un gros lard. Dehors, un soleil éclatant sur la Calle Principal. Ne vous laissez pas bluffer par ce nom : c’est tout simplement une petite rue secondaire de Monterey, en Californie, la classique rue commerçante de l’Amérique.

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