jeudi 3 mars 2016

En 1995, une gueulante à propos d'un futur académicien

Andreï Makine à l'Académie française, c'était prévisible. Même le grand (le très grand?) Frédéric Mitterrand s'était retiré quand Makine a fait acte de candidature. Il restait sept autres candidats, dont l'un a obtenu deux voix au premier tour et les autres, dans un touchant ensemble, zéro. Contre 15 pour Makine, qui va donc devoir constituer un comité pour lui payer son épée, mettre un beau costume un peu ridicule, et plancher sur un mot, voire sur plusieurs s'il participe aux séances du dictionnaire. Cela ne changera pas la face du monde, ni même de l'Académie. Mais me renvoie à la saison 1995 des prix littéraires où Makine avait été couvert de lauriers à ne plus savoir qu'en faire. Je m'étais énervé. Voici ce que j'avais écrit, une semaine après le Médicis qu'il avait partagé avec Vassilis Alexakis.

Très franchement, on n’y croyait pas. Bien sûr, l’académie Goncourt avait clamé haut et fort, il y a une dizaine de jours, qu’elle s’accordait dorénavant le droit de couronner un roman qui aurait déjà reçu un autre prix littéraire. Bien sûr, on savait que cet accès de mauvaise humeur avait été provoqué par une inquiétude : celle de voir échapper, par le bouleversement du calendrier des prix, la possibilité de récompenser le livre d’Andreï Makine, Le Testament français, donné pour favori à peu près par tous les jurys. Mais, Andreï Makine ayant obtenu, lundi dernier, le Médicis ex aequo avec Vassilis Alexakis, il paraissait assez invraisemblable de voir cette menace mise à exécution, au moins pour deux raisons, l’une bonne et l’autre mauvaise.
La bonne raison, c’est que les prix littéraires d’automne, quoi qu’on en pense, constituent un formidable outil de promotion de la littérature. Et offrir deux couronnes à un seul titre (et même trois puisque le Goncourt des lycéens s’y ajoute, mais l’enjeu est très différent pour les jeunes lecteurs) est le plus sûr moyen de renforcer une tendance malheureuse du monde de la librairie, à savoir une diminution du nombre d’ouvrages attirant un large public. Le fossé se creuse entre les best-sellers et les autres livres, et toute personne ayant les moyens de lutter contre cette dérive a le désir de le faire. C’est du moins ce qu’on croyait. Il est apparu hier que l’académie Goncourt regroupait des écrivains qui, pour une partie d’entre eux au moins, n’appartiennent pas à cette catégorie de personnes. Autant dire que la légitimité de cette institution s’en trouve fortement diminuée à nos yeux.
La mauvaise raison, qui pouvait cependant converger avec la bonne, c’est que les éditeurs habitués à courir après les prix littéraires – le célèbre triumvirat Gallimard, Grasset et le Seuil – avaient été oubliés, cette année, aussi bien par l’Académie française que par les jurys du Femina et du Médicis français, ne décrochant pour Gallimard qu’un prix de traduction, et pour Grasset un prix de l’essai, tous deux bien moins rentables sur le plan des ventes. La pression qu’ils pouvaient exercer sur les jurés du Goncourt a donc dû être forte, mais n’a servi à rien, sinon à diriger quelques votes vers le roman de Franz-Olivier Giesbert, La Souille.
Voici donc Le Testament français, d’Andreï Makine, nanti de deux prix et demi, et son éditeur, Simone Gallimard, honorée à titre posthume pour avoir (bien) défendu son « poulain ».
Mais que nous reste-t-il, après avoir dénoncé cette mascarade, à dire du livre que nous n’ayons pas déjà écrit il y a une semaine ?
Rappelons donc brièvement qu’il s’agit de l’histoire d’un jeune Russe fasciné, à travers une femme, par la langue française et par la culture d’un pays qui lui semble être une sorte d’Atlantide. Partagé entre deux langues, deux univers, il raconte ce qui est d’abord pour lui une déchirure avant de devenir, après la réconciliation avec lui-même, une richesse.
Le sujet est touchant mais son traitement n’a rien de très excitant. Roman classique de bonne facture, Le Testament français ne méritait sans doute pas d’être l’objet d’enjeux aussi considérables. Avouons-le : nous n’avons pas compris pourquoi différents jurys se disputaient à ce point l’honneur contestable de mettre ce livre dans le palmarès de leur prix. La bataille se serait déroulée autour d’un incontestable chef-d’œuvre qu’on aurait pu l’accepter, mais nous sommes loin du compte.
Peut-être faut-il donc interpréter ce qui s’est passé en fonction d’une autre motivation, qui sera jugée bonne ou mauvaise selon les interprétations : le souci d’offrir un ballon d’oxygène à une maison d’édition, le Mercure de France, dont l’avenir semblait compromis après la disparition de sa directrice.
Terminons cependant par une anecdote liée à la carrière de l’auteur, Andreï Makine, qui signe ici son quatrième livre. Les premiers avaient été présentés comme étant traduits du russe, parce que leur auteur n’osait pas se présenter comme un écrivain de langue française. Du moins ce droit lui a-t-il maintenant, et de quelle manière, été reconnu.

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