mercredi 4 mai 2016

En rayon, chez le dentiste

Les plus attentifs d'entre vous auront peut-être constaté le coup de mou que ce blog a subi depuis quelques semaines. Il est des événements plus épuisants que d'autres, et je ne m'attendais pas à subir autant le contrecoup de mes visites hebdomadaires dans un cabinet dentaire. Mais voilà, le plus dur est fait et je n'attends plus qu'une chose: de voir repousser mes dents. Ne me dites pas que ce n'est pas possible, je les écoute la nuit comme d'autres se penchent tout ouïe sur l'herbe. Le problème, bien sûr, est de souffrir d'un sommeil perturbé. Mais le miracle sans cesse renouvelé de la vie est à ce prix. Enfin, on le dit...
Toujours est-il que je n'ai pas sorti Marathon Man, de William Goldman, au hasard d'une visite dans les rayons de la bibliothèque. Le film que John Schlesinger en a tiré fait toujours, quarante ans après, le même effet douloureux devant les travaux artistiques d'un dentiste fou. Appréciez vous aussi (le livre n'est plus disponible, c'est un scandale) et dites-vous que ça fait du bien quand ça s'arrête.
Et, afin de ne pas me faire justement réprimander à juste titre, je signale que la traduction de l'américain est l'oeuvre d'Anne Villelaur.

Mon Dieu, j’ai peur, pensa Babe, il faut que j’essaie de le lui cacher. Il plongea son regard dans les yeux bleus, pensant, je ne devrais pas, vraiment. Il ne s’attache pas à me faire mal et il le pourrait, il a tout de suite repéré le trou dans ma dent. Maintenant, il y revenait, se servant de l’excavateur à cuiller, mais avec de telles précautions que ça ne faisait toujours pas mal, et Babe était un patient formidable de toute façon – si vraiment quelqu’un pouvait l’être – il subissait habituellement la plupart des interventions sans novocaïne, parce qu’il détestait les aiguilles et les heures de torpeur pires que les quelques minutes de gêne du moment. Et ce n’était vraiment rien de plus – de la gêne. Le type chauve grattait doucement, rapidement, autour de la cavité et la débarrassait de la pourriture. La dent était une des quatre de devant, une incisive supérieure, et alors qu’il était assis là, à ce rendez-vous de dentiste complètement fou, Babe ne savait pas beaucoup de choses, mais il était sûr d’un fait : le type chauve était un artiste dans son genre.
Ses doigts étaient forts, sûrs, rapides comme l’éclair : ils se mouvaient à une vitesse presque lénifiante tandis qu’ils dégageaient la pourriture. Babe, ligoté, pouvait observer les yeux bleu vif, et la concentration était incroyable. Pas un clignement de paupières ; rien ne les distrayait. Le grattement continuait, continuait, continuait. Quelques minutes plus tard, l’homme aux épaules de débardeur s’arrêta, choisit un autre outil, examina un moment la cavité.
« Est-ce sans danger ? » dit-il d’une voix toujours aussi unie, patiente, calme, semblant capable de subir n’importe quelle attente jusqu’à ce que vînt la réponse recherchée, mais Babe ne pouvait que répliquer : « Je vous l’ai déjà dit et je vous le dis maintenant, je jure que je ne sais pas. » Cela aurait été sa réponse en tout cas, mais avant qu’il en eût prononcé la moitié, l’homme aux épaules de débardeur prit le nouvel outil, un instrument d’exploration à pointe d’aiguille, et l’introduit au fond de la cavité dans le nerf à vif.
Le haut de la tête de Babe explosa.

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