dimanche 29 avril 2018

14-18, Albert Londres : «Chantons l’intelligence de l’armée française.»




Le Boche ceinturé par le lutteur français

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front français, 23 avril.
Chantons l’intelligence de l’armée française. L’Allemand avait fait de laborieux calculs, d’inspiration elle les a renversés. Les circonstances lui avaient découvert une chance inespérée, elle la lui a bouclée. Ses réserves lui permettant de corriger son plan, il a déployé ses réserves, face à elles aussitôt elle formait barrière. Il remontait, nous suivions. Plus la manœuvre allemande s’éloignait du Français, plus le Français s’attachait à ses bottes. Il nous fuyait, nous le cherchions. Nous l’avons partout trouvé. Il a subi le cauchemar du bleu.

Germania voulait tout avaler

C’est une histoire de cette grande histoire que nous voulons vous conter. Nous allons vous montrer pourquoi la Germanie, la bouche large ouverte, n’avala ni Amiens, ni son chemin de fer. Sa bouche se ferme petit à petit, car nous lui coulons de l’acier dedans.
La nuit n’était pas tombée du premier jour de leur départ sur les Britanniques que les Français étaient en mouvement. Ils s’y mirent non parce que c’était écrit le long de plans arrêtés d’avance. Sous le coup de la brutalité de l’attaque, les hypothèses, si souples qu’on les ait envisagées, ne pouvaient plus jouer. Ils montèrent à cheval, en camions, en wagons parce que leur chef saisissant la signification de chacune de ces heures de tempête ne laissa pas passer celle où l’ordre, sur-le-champ, doit être jeté.
L’Oise d’abord les vit apparaître, mais comme ce n’est pas de l’Oise qu’il s’agit dans cette histoire, cet hommage rendu à notre rivière, nous remonterons de suite entre Montdidier et Amiens.
C’est là où l’armée allemande, renonçant à se cogner davantage en dessous de Noyon, prenait de plus en plus du ventre. Elle s’empiffrait de notre terrain qu’elle trouvait délicieux. Comme on ne peut manger sans boire, trois de nos petits cours d’eau : la Luce, la Noye, la Seille voyaient vers eux se tendre ses lèvres. Après un tel repas, elle ne pouvait raisonnablement rêver que d’attraper le chemin de fer pour arriver plus tôt à Amiens où, dans un fauteuil, elle digérerait.

La ceinture se préparait

Mais le 23, alors que leur ventre était encore tout petit, la ceinture se préparait déjà. Elle n’était pas à portée. Elle était loin. Nos troupes pour accourir à cette bataille avaient de nombreux kilomètres à couvrir.
Le général qui les commandait arriva le premier. Le 24, alors que ses soldats, par tous les moyens roulants, par le jour et par la nuit, la figure, les cheveux, les habits poudrés de poussière, venaient à lui, il s’installait dans le poste d’où il allait commander. Des officiers, quelques gens de son escorte étaient toute son armée ! Entre lui et le Boche, ce qui avait échappé de l’armée anglaise partait se réorganiser. Fait renversant les habitudes, le chef avait précédé ses régiments. Il était seul devant l’ennemi. Les Boches flairaient le coup. Foch, le 24, n’était pas nommé généralissime, mais son existence les empoisonnait. Ils sont sûrs que c’est de lui que viendra le mal, aussi ils vont le troubler. Il lui font dire par leurs journaux que l’Allemagne concentre des troupes et des armes nouvelles devant Verdun, que Hindenburg (il faut lire Ludendorff qui l’a mis dans sa poche malgré ses clous) est tout à fait tenté de foncer sur le Chemin des Dames, en Champagne, en Lorraine. La ruse ne prend pas. Nos troupes continuent de rouler. Le 25, les premiers bataillons sont pied à terre. Le 26, l’ennemi, qui n’a rien pu savoir de précis sur notre manœuvre et qui ne rencontre plus devant lui que de l’Anglais clairsemé, se croyant sorti du doute, baptise sa bataille. Elle s’annonce gagnée, ce sera la bataille de l’Empereur. Tout doux ! Voilà que dans la matinée même, alors qu’il traversait Mesnil-Saint-Georges, il se cogne aux Français. D’où tombent-ils ? Lutte. Le chemin est barré, il insiste. Il tient bon.
Ce même soir, un commandant de l’état-major, – de cet état-major arrivé le premier, – est tué à bout portant, alors que plus au nord il allait en reconnaissance. L’ennemi le dépouille, voit qu’il appartient à telle armée, prend peur à la révélation que cette force qu’il croyait loin est devant lui, arrête huit de ses divisions marchant sur Arras, fait face – face à quoi ? Cette force qu’il craint n’est pas encore là, elle n’y sera que deux jours plus tard. Elle roule. Le Boche ne peut tout de même pas croire qu’il sera bloqué. Depuis huit jours, il avance à l’aise, il en a pris l’habitude. Mesnil-Saint-Georges ne le clouera pas : il fonce. C’est le 27. Nos transports n’ont pas encore tout déversé. Les Anglais se retirent plus vite que nous n’arrivons. Le 28, des deux côtés de Montdidier, à Rollot, un vide apparaît.

On la lui passa

Le commandement français a le temps d’opérer un rétablissement. Il n’a pas de disponibilités : il s’en créera ; il coupera son manteau en deux pour tout couvrir : ce sera moins bien, mais ce sera. Il bouche. Le 29, le plein du général commence de se faire. Le Boche a si bien ignoré la faiblesse de Rollot, que c’est sur Mesnil-Saint-Georges qu’il va redonner. Il faut qu’il emporte le passage, qu’il parvienne en chemin de fer. Le 30, il va s’y ruer quatre fois : à 7 h. 30, à 10 h., à 11 h. 30, à 17 h. Les nôtres sont arrivés. Ils le tapent, et à un bataillon contre une division le renversent de l’autre côté du village. Ils reprennent Mesnil. « Il semble bien, écrivent-ils le soir de cette râclée, que l’armée de réserve Foch a déjà commencé d’être engagée par portions. » Cela leur semble si bien, qu’ils ne vont plus insister à cet endroit. Foch est arrivé devant Montdidier ? Remontons alors, fonçons plus haut. On trouvera quand même le chemin de fer. Le lendemain, ils se jettent sur Grivesnes. Il ne s’agit plus de rater le coup. Il faut passer. Ils vont faire donner la garde. Grivesnes est un parc. Un château, des communs, tout se mène là-dedans, corps à corps, à coups de crosse, de lardoir. Ce sont les cavaliers à pied qui travaillent. Ils assomment la garde. Ils la couchent, éventrée, dans les fossés du parc. Un chef, le soir, appelle ça : « Le nouveau ravin de Gravelotte ». « Nous avons des difficultés de transports et d’exécution », annonce alors l’agence Wolff. Plutôt ! Maintenant, notre armée est là, prête à tout. (Et l’attaque sur le Chemin des Dames, en Champagne, en Lorraine, Hindenburg, où est-elle ?)

Et la panse boche dut se serrer

Mais, le 4 avril, ils tentent de nouveau sur Grivesnes. Ils vont jouer des coudes sur 10 kilomètres. Pile. Le 5, ils en remettent. Ça ne colle pas. « Ça ne colle pas ? » Alors, remontons ! Les Français, tudieu ! ne nous suivront pas toujours ; fonçons sur Rouvrel. Là, la ligne de chemin de fer est tout à côté. Trois kilomètres et ils l’auront. Ils choisissent leurs hommes. Il y a des bois, ils mettront des spécialistes de la bataille sous bois. Nous, nous avons des cavaliers. Gros moyens, dispositif massif : le grand jeu ! Ils perdent. Ils remontent sur Hangard. Peut-être bien qu’à Hangard ils ne rencontreront pas du bleu. Il ne peut tout de même pas marcher plus vite que les violons, le bleu ! Ils cherchent. Ils en trouvent. Ils sont boudés.
Ils l’étaient quand, l’autre matin, on jugea qu’ils ne l’étaient pas suffisamment. La panse allemande ballonnait. Il importait de lui redonner de la ligne. Ce fut ce dont on s’occupa le 18 au matin. On appela cela l’affaire de Thennes ou : « Comment nous consolidons sur la rive gauche de l’Avre. » Nous, qui sommes sans respect, nous aurions préféré dire : « Comment, après l’avoir ceinturé, nous serrons d’un cran, pour l’esthétique, le ventre de Ludendorff. »
Le Petit Journal, 24 avril 1918.


Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

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