mardi 5 novembre 2019

Prix Femina français, Sylvain Prudhomme

« Le monde se divise en deux catégories. Ceux qui partent. Et ceux qui restent. » C’est clair. Ou presque. Dans Par les routes, Sylvain Prudhomme pose face à face, ou côte à côte, deux hommes qui ont été, ensemble, de grands voyageurs. Puis ils se sont séparés. Le narrateur, écrivain, n’a plus pensé que de loin en loin à celui qu’il appelle l’autostoppeur. Il n’est retombé sur lui que quinze ans après, par hasard, à condition de croire au hasard, à V., une petite ville où il vient chercher la solitude et le dépouillement qui conviennent à son prochain travail.
Il est arrivé avec peu de bagages. Des livres, surtout. Il loue un deux pièces à l’ameublement sommaire. « J’ai pensé : on voit mieux dans le peu. On vit mieux. On se déplace mieux, on conçoit mieux, on décide mieux. » Mais il y a, dans le même lieu, l’autostoppeur, qu’il retrouve bientôt, qui donne l’impression de s’être posé aussi : il a une femme, Marie, un fils, Agustín. Pas vraiment posé pour autant : à intervalles irréguliers, il reprend la route, incapable de rester sur place.
Il a limité ses voyages au territoire de la France – avant, ils partaient ensemble pour des destinations bien plus lointaines. Il collectionne les rencontres, les portraits de ses « autostoppés » qui l’ont emmené ailleurs pour un parcours plus ou moins long. Il trace ses parcours sur une carte, voit ce qui lui manque, les régions qu’il a peu explorées. Repartira peut-être dans ces directions-là. Quittera les autoroutes qui ont longtemps été ses axes de prédilection – il sait tout des aires de repos, celles qui sont favorables à un départ rapides, celles où on traîne, les plaisantes, les autres…
Il explique cette vie à celui qui fut son ami, et peut-être le redevient petit à petit, à moins qu’il soit en train de prendre sa place. Pendant que l’autostoppeur voyage, le narrateur s’occupe d’Agustín, tient compagnie à Marie, occupe le terrain dans un glissement insensible mais irrésistible vers une situation quasi familiale. Avec une question qui le taraude : et si l’autostoppeur, en réalité, ne partait pas ? S’il se contentait de rester dans le coin pour observer ce qui se passe ? « J’ai pensé à Jean-Claude Romand, à tous les imposteurs qui plutôt que d’avouer qu’ils n’ont plus de travail passent leurs journées à faire mine d’être occupés, zonent du matin au soir sur les parkings, dorment et mangent dans leur voiture – jusqu’au jour où ils craquent, s’effondrent, ne supportent plus de mentir à tout leur entourage. »
Par les routes est un voyage par étapes et par procuration, un beau voyage dont ne parviennent, à V., que des échos lointains – téléphone, photos, cartes postales. Ils sont suffisants pour décrire un ailleurs flou tandis que le narrateur s’ancre. Et peut-être l’autostoppeur a-t-il besoin que quelqu’un le fasse à sa place, puisque ce n’est pas dans sa nature. Même la scène finale, magnifique et surprenante, se jouera sans lui.

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