mardi 5 novembre 2019

Prix Femina spécial, Edna O'Brien

C'est donc pour l'ensemble de son oeuvre, mais à l'occasion de la traduction, par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat, de Girl...
Là où passe Boko Haram, les écolières perdent non seulement tout espoir de poursuivre leurs études mais aussi d’être considérées comme des êtres humains. Elles ne sont plus que des outils de soulagement pour le repos des guerriers ou des organes reproducteurs, priées de fournir des remplaçants mâles aux combattants abattus. Dans les remerciements qui suivent son nouveau roman, Girl, la romancière irlandaise Edna O’Brien n’explique pas pourquoi elle s’est intéressée à ce drame ni pourquoi elle s’est rendue au Nigeria afin de le comprendre. Elle dévoile cependant comment elle en est arrivée à choisir le moyen d’en parler dans une fiction : « mon unique méthode était de faire entendre leur imagination et leur voix par le truchement d’une seule fille particulièrement visionnaire. »
Voici donc Maryam, qui nous avertit d’emblée : « J’étais une fille autrefois, c’est fini. » Avec ses amies, elle a été arrachée au dortoir de l’école, elle a voyagé en camion, elle a espéré être retrouvée, puis elle a perdu cet espoir mais elle a survécu.
Sans pathos, sans rien masquer non plus des conditions dans lesquelles la jeune fille est détenue et exploitée, la romancière raconte un parcours qui, on l’imagine, peut se confondre, à quelques détails près, avec beaucoup d’autres.
Il y a là tous les sévices qu’on imaginait, et dont la presse nous avait déjà longuement entretenus, dans les détails. Il y a en outre, et c’est pourquoi la fiction se révèle supérieure au reportage dans la capacité à ouvrir les yeux, l’incarnation de Maryam qui subit ces sévices. Sa chair et son esprit souffrent, nous souffrons avec elle puisque nous l’accompagnons sur ce chemin qu’elle n’a pas choisi et où chaque pas semble plus atroce que le précédent.
Edna O’Brien se garde bien cependant de peindre le tableau en noir et blanc, sans nuances. Maryam peut estimer qu’elle a de la chance, un temps, d’avoir été choisie comme épouse d’un homme qui n’est pas le pire. Le pire, de toute manière, elle l’a déjà connu.
Edna O’Brien n’entonne pas non plus un chant désespéré. Elle laisse une chance à Maryam, même s’il s’agit de passer par une porte très étroite et que la jeune femme ne pourra jamais oublier ce qu’elle a subi. Nous non plus qui, à chaque fois que nous entendrons à nouveau parler de cette région du monde et de ce qui s’y passe, aurons à l’esprit une personne plutôt qu’une abstraction.
On sort de là secoué comme rarement, partagé entre le soulagement et la tentation de gratter les cicatrices désormais en commun avec l’héroïne.
J'ajoute que le Prix Femina essai va à Emmanuelle Lambert pour Giono, furioso (Stock)

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