lundi 16 mars 2020

Comment Pauline Delabroy-Allard raconte Sarah


Une passion amoureuse et furieuse élève celles qui la vivent – car il s’agit de deux femmes dans le premier roman de Pauline Delabroy-Allard, Ça raconte Sarah. Elle est aussi destructrice, revers de la médaille que les moments de grâce voudraient faire oublier mais que la réalité fait revenir sans cesse.
Au début, Sarah, dont le prénom n’apparaît pas encore dans le texte (mais il y a eu le titre, avant même d’ouvrir le livre), meurt à côté de la narratrice qui la veillait. Les trois pages du prologue sont la fin de l’histoire, il ne reste plus qu’à la raconter.
Tout de suite on est saisi par la description : « Ça raconte Sarah, sa beauté inédite, son nez abrupt d’oiseau rare, ses yeux d’une couleur inouïe, rocailleuse, verte, mais non, pas verte, ses yeux absinthe, malachite, vert-gris rabattu, ses yeux de serpent aux paupières tombantes. Ça raconte le printemps où elle est entrée dans ma vie comme on entre en scène, pleine d’allant, conquérante. Victorieuse. »
L’allant de Sarah, si l’on ose l’écrire ainsi, contamine le rythme des phrases qui se déroulent, souveraines, à la manière d’un mécanisme que rien ne peut gripper. Que rien ne semble pouvoir gripper au début, du moins. Car rien n’est plus fragile que les amours fortes, qui périssent de leur exclusivité dévorant l’espace autant que les sens, coupant du monde extérieur pour recréer une bulle autosuffisante – en principe, car en pratique ça raconte aussi une autre histoire…
Mais ça monte, d’abord, avec une puissance irrésistible, jusqu’au moment où la narratrice se sent étouffer, n’être plus elle-même, avoir abdiqué toute revendication personnelle. A force de ne plus vivre que pour et même par Sarah, elle souhaiterait quelques plages de repos que son amante ne lui laisse pas – et les accès de violence n’arrangent rien. « Elle insiste pour partir en vacances avec ma fille et moi. Elle ne sait pas que je préférerais partir seule, que je suis épuisée par cette histoire, par sa présence dans ma vie. »
Même quand ça descend, on est porté par les vagues des phrases de Pauline Delabroy-Allard. Elle s’est inventé un ton qui fait parfois penser à celui de Duras et qui pourtant s’en éloigne très vite pour gagner des territoires n’appartenant qu’à elle – et, désormais, à nous.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire