dimanche 1 mars 2020

Tracy Chevalier dans un roman contemporain

Un enfant d’une dizaine d’années débarque dans une nouvelle école. C’est la troisième fois que cela lui arrive en six ans, son père est un diplomate ghanéen et Osei subit donc les conséquences de ses changements de poste. Avantage : il a vécu à Rome, à Londres, à Accra et à New York. Inconvénient : la fin de l’année scolaire est proche à Washington D.C. quand il découvre l’école primaire construite en brique à laquelle il va devoir s’intégrer. Ou pas. Car Le nouveau, dernier roman de Tracy Chevalier, situé dans les années 70, présente surtout le cas exceptionnel, dans ce lieu et à cette époque, d’un enfant noir mêlé à des élèves qui sont tous blancs.
« Un garçon noir dans notre école – j’y crois pas ! », dit Blanca à ses amies Dee et Mimi en guise de commentaire – et Dee lui demande de parler plus bas, de peur qu’Osei l’entende.
Le récit tient en une journée, une seule. Elle ne sera pas facile, Osei en est conscient : « J’aurai déjà de la chance si j’arrive au bout de cette journée sans me faire tabasser », confie-t-il à Dee qui s’est très vite sentie attirée par lui. Parce qu’il est noir ? différent ? sympathique ? riche de ses expériences internationales ? Un peu tout cela en même temps, probablement. Si les premières heures semblent se dérouler sans heurts, des sentiments ambigus s’installent et une faille se creuse entre les deux enfants. La faute, en particulier, à une machination montée par un autre élève, jaloux, autour d’une trousse qui infléchira plusieurs destins.
Il n’est pas nécessaire d’être grand pour développer des émotions fortes. Ce qui ressemble à l’amour est présent dans les cours de récréation, matière à moqueries ou à envies. Et les haines sont féroces, au moins autant que chez les adultes.
Tracy Chevalier s’est fait un nom d’autrice avec des romans inscrits généralement dans un passé sur lequel elle se documentait d’abondance. La jeune fille à la perle, ainsi que d’autres livres, ont été accueillis avec un enthousiasme mérité. Mais elle nous avait confié un jour n’avoir jamais voulu écrire des romans historiques. Les personnages, leurs caractères, leurs trajectoires, sont au centre de ses préoccupations. Il n’est donc pas si surprenant qu’elle se soit, avec Le nouveau, rapprochée de notre époque contemporaine. Elle y préserve l’essentiel de ses qualités et même sublime celles-ci dans la mesure où nous ne sommes pas distraits par le décor.
Osei et Dee sont des enfants comme les autres, même si la couleur de leur peau les différencie – surtout aux yeux des autres élèves, d’ailleurs. Même si l’expression du racisme perce jusque dans le corps enseignant. Mais ils sont surtout bouleversés par ce qui leur arrive – le bien et le moins bien. Dans l’exploration de petites têtes en quête de leurs pouvoirs humains, la romancière abolit toute distance entre nous, lecteurs, et eux, personnages. Aucune condescendance ne l’anime : Osei, Dee et les autres réagissent avec une spontanéité qui doit pourtant tout à la fiction, et c’est pourquoi Le nouveau est un livre admirable. Sans avoir été jamais un enfant noir projeté soudain dans une école blanche dans la capitale des Etats-Unis, on sait maintenant ce que c’est. Et c’est terrible, bien qu’il nous soit interdit d’en dire plus sous peine de gâcher la perception d’une tension de plus en plus forte.

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