vendredi 27 février 2009

L'élégance classique des habits d'un classique

Non, la littérature classique n'est pas ennuyeuse. Reprenez Madame Bovary, pour voir. Il en existe mille éditions différentes, Gustave Flaubert ayant été déjà proposé sous tous les habits.
Le voici encore. Pourquoi? Et pourquoi pas? Retrouver Emma Bovary comme une nouvelle venue, ce qu'elle n'est bien entendu pas, reste un plaisir. Surtout quand le volume qui nous la propose est agréable.
Papier couleur lin, couverture gaufrée blanc cassé, c'est un bel objet que nous avons en main. Les lecteurs qu'exaspèrent les commentaires, parfois accusés d'occuper une trop grande place, ne s'énerveront pas cette fois-ci: trois pages signées Chantal Vinet en guise de présentation, et c'est tout.
Ensuite, le texte et rien que le texte, dans une typographie aérée qui confirme que tout a été pensé pour offrir un confort plaisant à la lecture.
Souvenez-vous, ou découvrez:
Nous étions à l'étude, quand le Proviseur entra, suivi d'un nouveau habillé en bourgeois et d'un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail.
Ensuite, plus de 400 pages d'un bonheur qui semble couler de source - et qui représente en réalité un travail d'écriture considérable, Flaubert ayant toujours cherché la perfection dans ses textes.
Si quelqu'un en doute, il suffit d'aller voir L'Atelier Bovary pour accéder aux versions successives des brouillons...

jeudi 26 février 2009

Les livres des proches

C'est inévitable, quand on baigne depuis aussi longtemps que moi (je n'ose même pas dire combien de décennies) dans le milieu littéraire, quand on rencontre sans cesse des écrivains, d'avoir parfois à lire des livres signés par des personnes qu'on connaît bien - pas seulement signés, d'ailleurs, écrits aussi, car je fréquente peu les "peoples" qui font écrire par d'autres...
Là, je viens d'en lire deux le même jour. Sentiment étrange de renouer une conversation provisoirement interrompue, de retrouver quelqu'un autant que de découvrir un texte.

J'ai commencé par Nadine Monfils, à qui je suis fidèle depuis le début des années 80, quand j'avais été son premier véritable éditeur - elle n'avait auparavant publié qu'un ou deux recueils de poèmes à compte d'auteur. Les manuscrits que j'ai reçus à ce moment n'étaient pas parfaits. Mais ils sortaient d'un imaginaire riche et les images y étaient belles - piquantes, aussi, puisqu'il y était question de petites filles perverses bien que très peu réalistes. L'univers merveilleux de Nadine Monfils a grandi en même temps que l'écrivaine faisait son chemin entre polar et érotisme, publiant un peu partout. Et réalisant même en personne l'adaptation cinématographique d'un de ses romans, Madame Edouard.
Il y a deux ans, elle a reçu le prix Polar du salon Polar & Co de Cognac, pour Babylone dream.
Elle réinvite donc l'inspecteur Lynch, son adjoint Barn et la profileuse Nicki dans une nouvelle aventure, Tequila frappée. Une enquête tordue habitée par des personnages à la Magritte et quelques drôles d'individus. Cela s'ouvre sur l'explosion d'une maison et se termine presque par un coup de couteau. Entre les deux événements, il s'en passe de belles et de moins belles, tout pour plaire aux amateurs de thrillers.

Le deuxième écrivain du jour, William Bourton, en est avec Je plaisante à son premier roman. Il y a vingt ans, je n'aurais pas parié un ariary sur sa capacité à écrire un bon livre. Il était alors journaliste, dans le même quotidien que moi, mais s'occupait de matières qui étaient très éloignées de la littérature. Il a pourtant pris, petit à petit, et toujours dans la même rédaction, une dimension de plus en plus importante. Il a écrit des ouvrages sur la philosophie, un sur le western.
Puis ce roman...
Je peux vous le dire, j'étais très inquiet avant de l'ouvrir. Car enfin, il pouvait tout aussi bien être mauvais que bon. Franchement, cela m'aurait ennuyé, après la conversation que nous avions eue il y a quelques années sur le chemin qu'il avait fait, lui aussi, comme Nadine Monfils, bien que sur une autre voie.
Heureusement pour moi (et un peu pour lui aussi, car s'il avait été mauvais je l'aurais dit), c'est un livre brillant, et même mieux que cela.
D'autant plus qu'aux premiers mots - pardon, aux premières lignes, mais c'est un monologue -, j'avais craint le pire. Cela sentait le bavard qui allait casser les pieds de sa voisine, et du même coup les miens, pendant toute la durée d'un vol entre les Etats-Unis et l'Europe. Et puis, très vite, la mayonnaise prend, le personnage acquiert de la consistance. Plus encore: il séduit. Son vagabondage verbal, qui passe de la philosophie à son voyage en voiture sur le territoire américain, devient une aventure qu'on a plaisir à suivre jusqu'au coup de théâtre final.
Un romancier à découvrir, donc.

Pour finir sur ces deux-là que rien ne semble rapprocher en théorie, j'ajoute une double coïncidence. Dans leurs livres, Nadine Monfils et William Bourton parlent de tequila et, plus étrange encore, de la Fée Clochette. Mais où vont-ils chercher ça?

samedi 21 février 2009

Antoine Bello, vice-roi des menteurs

Une belle idée, conduite pendant deux romans d'une main ferme. Antoine Bello a de l'imagination et les moyens de la mettre au service de ses fictions. Il avait publié, en 2007, le premier volet de son œuvre la plus récente, Les falsificateurs. Le deuxième, Les éclaireurs, vient de paraître. Une découverte à faire absolument, par laquelle j'ai été, pour ma part, totalement enchanté.

Commençons par le commencement, bien qu'un résumé des Falsificateurs, au début du deuxième tome, permette de faire l'économie de sa lecture - mais on perdrait beaucoup à s'en passer, parce que le bonheur est dans l'épaisseur de ces deux romans additionnés.

Dans Les falsificateurs, donc, Antoine Bello imaginait une société secrète, le Consortium de Falsification du Réel (CFR), dans lequel scénaristes et falsificateurs travaillent à modifier quelques faits, pour des détails ou dans des proportions plus importantes.
C'est hallucinant.
Le jeune Sliv, un Islandais engagé par la CFR, découvre le pouvoir presque sans limites de réécrire l'histoire. Il invente de toutes pièces une cause humanitaire, se trompe un peu en imaginant la présence dans le Pacifique d'un poisson sorti des expériences nucléaires, se rattrape avec une fausse carte du Vinland qui atteste de la découverte de l'Amérique par les Vikings bien avant Christophe Colomb. Scénariste hyperdoué mais un peu désinvolte, Sliv est une excellente recrue dont le parcours au sein du CFR nous fait douter de tout ce que nous savons ou croyons savoir. C'est vertigineux, construit avec une précision maniaque et efficace.
On en redemandait, et Antoine Bello avait promis une suite très attendue.

La voici. Les éclaireurs est à la hauteur de l'attente. Depuis presque dix ans, Sliv a compris la plupart des ressorts qui font fonctionner le CFR. Mais toujours pas ses buts. Et, quand il voit les tours du World Trade Center s'effondrer le 11 septembre 2001, se rappelant d'un dossier à partir duquel le personnage de Ben Laden avait été choisi pour diriger une organisation qui n'existait pas - Al-Qaida, il est pour le moins troublé. Le CFR aurait-il été à l'origine, voire même le responsable des attentats? Poser la question n'est pas y répondre. Mais le doute s'est installé et il faudra pas loin de 500 pages pour retrouver un peu de sérénité.
Entre-temps, le CFR aura eu affaire à forte partie. Dans le genre falsificateur, l'administration Bush révèle toute sa puissance en imposant l'idée de la présence d'armes de destruction massive sur le territoire irakien. De quoi justifier une guerre...?
Antoine Bello plonge en apnée dans le réel, le réécrit, nous fait partager sa vision d'un monde où tout serait mensonge, construction artificielle.

Il n'est pas impossible, me disait-il l'autre jour, qu'un troisième tome vienne un jour compléter ces deux premiers. Je suis partant.

vendredi 20 février 2009

L'Afrique exploitée, encore

Avec le savoir-faire de l'auteur de polars qu'il est aussi (son inspecteur Wallander est célèbre auprès des amateurs du genre), l'écrivain suédois Henning Mankell met sa plume talentueuse au service de ses colères. Celles-ci sont souvent ancrées sur le continent africain, où se passe d'ailleurs une partie de sa vie.
Pourtant, le récit semble d'abord n'avoir aucun rapport avec l'Afrique et concerner uniquement une famille suédoise. La mère, Louise, est archéologue et rentre d'un chantier de fouilles en Grèce pour retrouver son fils Henrik mort paisiblement. Mais ce calme ne trompe pas l'instinct maternel: malgré tous les signes cliniques d'un suicide, elle est certaine que Henrik a été assassiné.
Par qui et pourquoi?
Répondre à ces questions va la conduire à découvrir qu'elle ne savait, au fond, pas grand-chose de Henrik. Celui-ci voyageait beaucoup, louait à Barcelone un appartement dont il n'avait jamais parlé, recevait de grosses sommes d'argent et s'intéressait à d'étranges secrets dont il est dangereux de s'approcher. Son fils était un mystère pour elle.
Parmi ces secrets, symbole de tous les autres, Le cerveau de Kennedy. Et sa disparition. Si une partie du corps du président assassiné a pu se volatiliser sans laisser de trace, bien des choses peuvent être cachées aux yeux des hommes, et jusqu'aux actions les plus terribles.
C'est au Mozambique que mène la piste suivie par Henrik, piste que remontera Louise au mépris de tous les avertissements voilés ou plus clairs qu'elle reçoit. Dans ce pays, et ailleurs dans le monde, une sorte de saint laïc auréolé de toutes les qualités mène une croisade en faveur des malades du sida. En apparence. Car la réalité est toute différente...
Je vous laisse la découvrir, car lever le voile sur le moteur principal du récit conduirait à gâcher une grande partie du plaisir.
Lecteur de ce roman, j'ai été comme Claire - mais dans une situation plus confortable. Je n'ai pas pu lâcher la piste une fois que j'avais commencé à la suivre. Et même après, je continue d'y penser, puisque la fin du livre n'est pas tout à fait la fin de l'histoire.
Une belle réussite qui permet d'alerter sur un sujet grave, comme John Le Carré l'avait fait déjà, à sa manière, dans La constance du jardinier.

jeudi 19 février 2009

Le comique funéraire

Il y a quelques jours, Macha Séry publiait dans Le Monde un article intitulé: Le comique funéraire connaît une nouvelle vogue. Elle puise des exemples à la scène et à l'écran. Mais aussi dans la littérature. Elle cite Pétrus Borel et son Croque-mort. L'écrivain américain Tim Cockey dont le héros principal est un croque-mort (voir par exemple Le croque-mort enfonce le clou). Les Exercices de stèle de Patrice Delbourg. Le début du dernier roman de Jean-Paul Dubois, Les accommodements raisonnables.

Elle ne cite pas, mais elle aurait pu, un ouvrage récent de Stéphane Audeguy, In Memoriam. Ce sont des anecdotes, "parfois terribles, parfois cocasses, toujours singulières", à propos de la mort. Personnages célèbres ou non, ils sont rassemblés grâce à la curiosité d'un romancier devenu ici collectionneur. La récolte est riche et pleine de surprises.
Le livre s'ouvre avec une chienne, Laïka. Les plus âgés d'entre nous s'en souviennent: elle fut le premier mammifère envoyé autour de la Terre.
La chienne Laïka mourut, peut-être asphyxiée, dans l'espace où on l'avait envoyée. Il n'avait pas été prévu de dispositif de récupération de la capsule spatiale. Le cadavre de Laïka poursuivit sa trajectoire orbitale pendant plus de six mois, avant que son véhicule rentre dans l'atmosphère et y brûle.
Sinistre... Tout autant que la dernière anecdote, dont Marilyn Monroe fait les frais:
Quand on transporta Marilyn Monroe à la morgue, personne ne vient réclamer son corps.
Etonnant, non? (Comme aurait dit Desproges.)
Entre les deux, on hésite souvent entre un sourire et un frisson.
Ramsès II a été inhumé dans la Vallée des Rois, tombe n° 7.
Albert Einstein a prononcé ses derniers mots en allemand, langue que ne parlait pas l'infimière qui se trouvait alors près de lui à l'hôpital de Princeton, si bien qu'on ne connaît pas ces paroles ultimes.
Tandis que les célèbres derniers mots de Goethe ("Mehr Licht") pourraient bien avoir été tout autre chose. Stéphane Audeguy suggère:
"Allons, petite femme, laisse-moi encore un moment ta chère petite patte." Ce qui est très différent.
J'en conviens volontiers.
Et je signale à Stéphane Audeguy, au cas où il tombe sur ce blog, que les deux enterrements de Savornan de Brazza, explorateur, ont été, en 2006, suivis d'un troisième. (Voir, bien que je n'y parle pas de ce détail, la note que je consacrais il y a un mois à Equatoria, de Patrick Deville...)

La transition vers le roman se fait ainsi tout naturellement, puisque Stéphane Audeguy a publié, en même temps que ce petit livre savoureux, un roman qui ne l'est pas moins. Nous autres raconte le voyage de Pierre, photographe de presse, au Kenya où il va enterrer son père.
C'est un superbe roman initiatique, où le personnage principal se trouve confronté à un univers dont il ne connaît rien, et qu'il découvre avec une belle ouverture d'esprit. Il fait siennes les causes que défendait son père. Il tombe amoureux d'une marathonienne. Il ne sera plus jamais pareil - et le dire n'est rien.
Il sera, surtout, heureux, ainsi que le montrent les dernières lignes:
Sa joie est pure comme celle du crustacé ingrat maintenant absorbé par les joies délicates de la vie en lagon, et le vent le plus fou ne nous fera pas taire, et nos mots sur la terre un immense tombeau.

jeudi 12 février 2009

Le quart d'heure colonial

De gros romans, disais-je la semaine dernière. En voici donc un autre, six cents pages qui se lisent sans faiblir. L'élan est donné par un dialoguiste très en verve qui fait avancer son récit à coups de répliques imparables.
Le quart d'heure colonial, c'est le moment où le Blanc devient fou. Jean-Claude Derey, qui n'est pas fou, jette sur les colons en Afrique un regard sévère en même temps qu'amusé. On est dans le ton dès le premier paragraphe:
Ulysse, c'est ton tour! Fissa! Fais avion! Le gouverneur n'aime pas attendre!, me hurle le garde soudanais en pointant sa baïonnette vers moi.
Ulysse, un des personnages principaux, cherche un emploi de boy chez le gouverneur de Grand Bassam. Il n'a pas sa langue en poche. Les yeux non plus. Mais il obtient le boulot, fait mine de se courber devant l'autorité, n'en pense pas moins et joue du verbe avec une sorte de poésie ludique qui fait office de résistance devant l'autorité. Quant à séduire la femme du gouverneur, est-ce pour résister ou, au contraire, parce qu'il cède?
Ulysse a un frère, Diallo, qui vit retranché dans les arbres et fait office de mauvais sujet. Mais, au fond, ils sont presque pareils, à regarder s'agiter leurs propriétaires provisoires, à se moquer d'eux, à tenir bon...
Tous les personnages, quelle que soit leur couleur, forment une galerie bariolée qu'on ne se lasse pas d'observer au quotidien, surtout quand ce quotidien est bousculé par des événements inattendus.
Le roman commence au début du vingtième siècle. La guerre n'est pas loin, prétexte à serrer encore un peu plus la discipline. Ou un semblant de discipline, puisque les apparences sont souvent plus importantes que les sentiments profonds.
Ce n'est pas le premier livre que Jean-Claude Derey consacre à l'Afrique. Il y est comme chez lui, et ses romans sont comme lui: la colère s'y teinte de gros rires, la dénonciation de la colonisation ne va pas sans scènes épiques.
Je ne sais pas si c'est, comme l'annonce l'éditeur en couverture, LE roman de la civilisation. C'en est un, en tout cas, qui donne du plaisir et à réfléchir...

jeudi 5 février 2009

Le temps des pavés

Les éditeurs fourbissent-ils déjà leurs armes pour les vacances? Ou est-ce une pure coïncidence? Depuis quelque temps, je lis des gros livres. Certains très gros. Ce n'est pas une qualité en soi. Mais, quand il s'agit de romans qu'il est impossible de lâcher une fois qu'on y est entré, c'est plutôt bon signe. C'est le cas de ceux-ci.

Pour ne pas vous assommer, je les proposerai un à un, en commençant par celui de Patrick Bauwen, découvert avec L'œil de Caine, un formidable thriller qui avait, l'an dernier, reçu le Prix des Lecteurs du Livre de poche dans la catégorie polar.

Son deuxième opus est à la hauteur. Je me suis plongé hier après-midi dans les premières pages et je l'ai terminé ce matin, quasiment sans respirer tant j'étais emporté par le récit. Monster n'est pas de la grande littérature au sens où on l'entend pour les qualités du style, mais c'est sacrément efficace.
Et je me demande ce que je peux raconter pour faire sentir comment fonctionne le scénario, sans dévoiler celui-ci. Car une bonne part du plaisir réside dans les effets de surprise qui se succèdent à un rythme soutenu, ainsi que dans des scènes d'action dignes d'un film américain.

Paul Becker est médecin et a ouvert un cabinet à Naples, près de Miami. Il s'agit plus exactement d'une Walk-In Clinic, où les patients sont accueillis à toute heure du jour ou de la nuit. Ce soir-là, alors que la tempête Erika menace sans montrer encore toutes ses capacités de nuisance, Paul reçoit son vieux copain Cameron, flic de son état. Il a ramassé sur la plage un type qui se promenait tout nu, l'a un peu bousculé, et ce drôle de client a besoin de quelques points de suture.
Rien que de très banal, en somme. Sinon que, après leur départ, Paul trouve par terre un téléphone. Sur lequel on l'appelle d'un ton menaçant. Et, dans l'appareil, il découvre trois photos intrigantes: un jeune enfant qui a disparu depuis quelque temps, une orgie qui semble impliquer des mineurs et... son propre père.
C'est en route pour une macabre sarabande qui remonte une filière pédophile très organisée. On rencontre en chemin des individus peu recommandables. Et presque tous les protagonistes ont plusieurs visages.
Effrayant.
Et parfait quand on aime ça.