vendredi 28 mai 2010

Parlez-vous belge ?

Je ne renie pas mes origines, même si elles me semblent de plus en plus lointaines. Vous comprendrez donc mon empressement à ouvrir, d'abord, puis à lire quand j'en ai eu le temps, ce livre de Philippe Genion au titre kilométrique, Comment parler le belge (et le comprendre, ce qui est moins simple).
En Belgique, on parle donc belge? Qui l'eût cru? Je l'entends dire souvent. Mais voilà: ce petit pays compliqué n'a pas de langue nationale, ou alors il en a trop (le français, le néerlandais et l'allemand). Ce qui ressemble à une colonisation linguistique y échappe, par bonheur, grâce à des expressions singulières qui justifient l'intérêt que leur porte Philippe Genion - et d'autres, car il n'est pas le premier à se pencher sur cette exception culturelle qui n'ose pas dire son nom et dont certains se défendent, parce qu'elles feraient "province". Et alors? Les particularités locales sont comme les traditions (les Gilles de Binche, le Doudou, la gueuze, etc.). Laissez-les vivre!
Et bien vivre, puisqu'il paraît que les Belges sont des bons vivants. Philippe Genion affiche en tout cas les caractéristiques de cette catégorie d'hommes agréables à fréquenter, serait-ce seulement à travers son livre. Même si je ne suis pas du même avis que lui sur tous les mots et les expressions qu'il propose, j'ai passé grâce à lui des moments très plaisants. La preuve par l'exemple...
Demi
Contrairement à l'usage français, lorsqu'on demande un "demi" de bière, on reçoit un grand verre de 50 cl. Un verre de 25 cl ou de 33 cl, on appelle ça "une bière". Vu que c'est un quart ou un tiers de litre, pourquoi appellerait-on ça un demi? Je vous le demande.
Hein
Quoi, pardon, plaît-il? Façon de demander à quelqu'un de répéter ce qu'il vient de dire, soit parce qu'on a mal entendu, soit parce qu'on n'en croit pas ses oreilles. "Le gouvernement est tombé à cause des Flamands, il va encore falloir aller voter. - Hein?" Il y a aussi la version "Hein dites?", qui signifie "N'est-ce pas?" ou "Qu'en pensez-vous?", comme par exemple dans: "On irait bien manger une crêpe, hein dites?"
Stoemp
Purée de pommes de terre et de légumes, sorte de version flamande du rata. A ne pas confondre avec une troupe de percussionnistes pédestres new-yorkaise, ni avec le dernier son qu'a émis Maike Brant.
Il n'existe pas de Panthéon en Belgique. Une question de modestie bien naturelle, peut-être, dans un petit pays. Ce qui n'empêche pas qu'il y existe de grands hommes. Maurice Grevisse, Jacques Brel, Georges Simenon, Hergé, qu'en dites-vous? - Hein? Bon, voilà, c'est comme ça, chez nous... Et Philippe Genion, sans se pousser du col, aura beaucoup fait lui aussi pour cette culture aussi exotique que celle du chicon.

jeudi 27 mai 2010

Jules Renard, un anniversaire

J'ai un problème avec les anniversaires: je les oublie. Le mien le premier, mais ceux des autres aussi, ce qui peut être vexant pour celles et ceux qui attendaient au moins un petit signe. (Avis aux amis de Facebook: même si le réseau social fait tout pour m'aider en les rappelant, les anniversaires correspondent très précisément à une catégorie d'événements qui suscitent ma distraction. C'est involontaire, pardonnez-moi.)
On me pardonnera aussi, je l'espère, d'évoquer le centenaire de la mort Jules Renard cent ans... et cinq jours après celle-ci.
Et, comme j'ai décidément beaucoup de choses à me faire pardonner, j'implore l'indulgence de François Morel, qui préface le Théâtre de Jules Renard. Il est si brillant, si convaincant que le lecteur peu familier de cette partie de l'œuvre de Jules Renard éprouve un peu de honte à ne pas s'y être mis plus tôt. La honte étant, sur ce sujet, largement compensée par la promesse d'un plaisir à venir pendant les 960 pages d'un fort volume.
Si je n'ai donc jamais lu une seule pièce de Jules Renard, certains textes du livre qui vient de paraître ne me sont pas étrangers. Ils ont été extraits, par exemple par Jean-Louis Trintignant, du Journal de Jules Renard.
Sur le Journal, je ne vais pas dire que je suis incollable, mais pas loin. C'est le seul volume de la Pléiade que je possède. Vous savez, cette superbe collection reliée cuir, imprimée sur papier bible, avec des notes en abondance et un texte sur lequel sont passés vingt correcteurs. Cette collection que j'ai vue si souvent sur les murs de gens friqués qui n'en ont jamais lu plus de dix pages. Je l'ai acheté d'occasion, il y a quelques années, parce que je ne le possédais plus et que, malgré un sens très limité de la propriété, il me manquait. Il m'accompagne depuis si longtemps, il m'est arrivé si souvent de l'ouvrir au hasard pour me repaître de quelques traits de l'ami Jules (dans ces moments-là, oui, je deviens familier, puisque je me reconnais la plupart du temps dans ce qu'il écrit) que je ne pouvais plus m'en passer. J'ai toujours eu des projets autour de ce Journal et, même si je n'en mènerai peut-être jamais aucun à bien, il me plaît de continuer à les caresser - ces projets, au moins, ne déposent pas leur merde dans la cour, comme le font les chats des voisins auxquels je destine bien autre chose que des caresses.
Je m'égare. Mais il est tard. Et je vais me coucher. J'hésite: Théâtre ou Journal?

samedi 22 mai 2010

J'ai fait de beaux voyages, à Belize avec Alain Dugrand par exemple

Chaque année, le week-end de la Pentecôte s'accompagne d'une petite bouffée de nostalgie. Quand je vivais en Europe, j'étais à ce moment un fidèle visiteur du festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo. J'y faisais de belles rencontres. Aujourd'hui, je me contente de lire les ouvrages des écrivains invités. C'est bien aussi, la semaine que je viens de passer en est la preuve. D'autant que, parfois, un voyage en chambre rappelle une rencontre. J'ai ainsi relu Belize, d'Alain Dugrand, réédité en poche, et dont j'avais parlé avec son auteur en 1993 - fasciné par son récit de voyage vers le nulle part. Souvenir de notre conversation...

Il est toujours surprenant de voir un homme que l'on pense complètement plongé dans l'actualité - Alain Dugrand appartenait à l'équipe qui fonda «Libération» - s'intéresser à un pays où il ne se passe rien, à une région où personne ne va. Paradoxalement, c'est cela qui l'a attiré à Belize. Quand il en parle, il dit: Tout le monde me déconseillait d'y aller, parce qu'il n'y avait rien à y faire, rien à y voir, et c'est évidemment pour ça que j'y suis allé.
Deux mois et demi, davantage qu'un simple séjour touristique, moins qu'une véritable plongée dans une réalité inconnue. Mais Alain Dugrand n'oublie pas son métier: J'avais préparé ce voyage, j'avais pris contact avec quelques personnes qui m'ont ouvert les bonnes portes. C'est toujours bien de tomber sur quelqu'un par des réseaux d'amitié ou de sympathie, on est tout de suite en confiance.
Comme tout voyageur qui se respecte, Alain Dugrand a été replacé en face de quelques évidences qu'il est toujours bon de rappeler: Quand on arrive, on a le sentiment d'une étrangeté qui ne se dissipe pas en une semaine. C'est là où on se dit, mais c'est une banalité, que le monde n'est pas découvert, qu'il reste à découvrir. Il est, en tout cas, toujours plus complexe que les images qu'on nous en donne à voir. Parce que les images, ça n'a pas de sens. Il est donc important que des écrivains nous donnent à voir les choses comme personne ne les voit.
Alain Dugrand parle bien de Belize. Dans son livre comme dans une conversation. On sent qu'il est, d'une certaine manière, tombé amoureux de ce tout petit pays qui est une mosaïque construite au hasard de belles et grandes histoires individuelles - certaines, cela dit, moins reluisantes que d'autres, mais toutes intéressantes. Il rêve tout haut d'un monde idéal qui ressemblerait à Belize, où la tolérance est la règle générale et où tout finit toujours par s'arranger. Partout ailleurs dans le monde, une mosaïque comme celle-là provoquerait une explosion. Pourquoi est-ce que, là, à l'écart du monde, ça tient? On a l'impression que les différents éléments ne s'intègrent pas, grâce à un respect de l'autre assez stupéfiant.
Alain Dugrand retournera à Belize, ce petit pays au sud du Mexique dont il avait découvert l'existence presque par hasard, en remarquant une plaque de voiture dont il ignorait la provenance. Il y retournera, quitte à connaître à nouveau ce sentiment qu'il décrit dans son récit: Voyager, c'est emporter avec soi l'innocente illusion de découvrir une terre nouvelle, éprouver un léger vague à l'âme devant un paysage attendu, mais si décevant en réalité, terre trop plate, forêt dévastée, mâchurée de taillis malingres. C'est éviter le regard du pêcheur qui rentre bredouille et plus pauvre après deux jours d'efforts en mer. C'est être déçu, et s'en défendre, devant un lagon sublime dévasté par les étrons, les tessons de bouteilles.

mercredi 19 mai 2010

San-Antonio, à consommer sans modération

J'ai le goût des intégrales. De certaines plus que d'autres, bien entendu. Le début de celle-ci, en librairie depuis la semaine dernière pour les deux premiers volumes d'un ensemble qui en comptera dix-sept, me réjouit particulièrement: San-Antonio en Bouquins, c'est une aubaine comme il ne s'en présente pas tellement.
Sans avoir été un lecteur assidu de l'œuvre de Frédéric Dard, je n'ai jamais manqué de me jeter sur un San-Antonio quand l'un d'eux (il y en a 175) me passait sous les yeux.
La dernière fois (avant celle-ci), c'était... spécial.
Je me trouvais l'année dernière à Fort-Dauphin, au sud de Madagascar, dans une maison où l'on fait la cuisine au fatapera - l'équivalent, en plus rustique, du barbecue. Donc au charbon de bois, qu'il faut allumer avec du petit bois. Dont la combustion, quand il est humide, peut être aidée par du papier. Il y avait, éparpillées sur le sol, des feuilles de papier. Au format d'un livre de poche. Incapable de ne pas m'intéresser à tout ce qui est imprimé, même si ça traîne par terre, je me suis penché et j'ai regardé. Vous l'avez déjà deviné: c'étaient des pages d'un San-Antonio!
Désolation.
Compréhension, aussi: il faut bien l'allumer, ce feu!
Et vous imaginez combien de jours on peut tenir avec les deux premiers volumes de l'intégrale? Cela fait environ 1280 feuilles de papier...
Ce jour-là, à Fort-Dauphin où l'on brûle donc des livres pour la bonne cause, j'ai quand même repensé au jour où j'ai rencontré Frédéric Dard. Nous étions dans le luxueux salon d'un hôtel en bordure d'un aéroport, et nous avions longuement parlé - je ne sais plus de quel livre, pour être tout à fait honnête.
Je garde en tout cas le souvenir d'un homme charmant, avec lequel j'aurais volontiers eu une autre conversation, un autre jour. Comme il est mort il y aura bientôt dix ans, ce ne sera plus possible.
Heureusement, il reste ses livres, avec lesquels les retrouvailles promettent encore des jours et des jours de lecture depuis la première apparition de son personnage le plus célèbre.
Si vous voulez en savoir plus, j'ai écrit un article dans Le Soir au sujet de cette intégrale. Suivez le lien...

lundi 17 mai 2010

Lire plutôt qu'aller au Festival de Cannes

Je sais, je ne devrais pas m'énerver pour si peu. Je devrais rester concentré sur le gros paquet de livres que j'ai encore à lire cette semaine - un travail énorme mais plaisant, puisque ce sont des ouvrages d'auteurs invités au Festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo.
Il n'empêche. la manière dont certains journalistes "culturels" jugent inutile de faire quelques petites vérifications avant d'avancer quelque chose me tue. Je crois bien que j'ai engueulé, hier soir, l'envoyée spéciale de je ne sais quelle chaîne française au Festival de Cannes, pendant qu'elle disait tout le mal qu'elle pensait du dernier film de Bertrand Tavernier - ce qui était bien son droit. Libération, ce matin, dit d'ailleurs à peu près la même chose.
La journaliste de télévision parlait donc de ce film, adapté, précisait-elle (pas Libération), "du célèbre roman de Madame de Lafayette".
Ah! bon?
Un seul roman de Madame de Lafayette, que ses proches appelaient peut-être Marie-Madeleine, est célèbre: La princesse de Clèves. Dans les dernières décennies, le cinéma lui a fait une grande publicité, puis Nicolas Sarkozy a pris la relève.
Mais Histoire de la princesse de Montpensier, où Bertrand Tavernier a puisé le sujet de son film (et je suis un peu triste s'il est raté, car j'ai tant aimé tant de ses films), n'est pas vraiment célèbre et est encore moins un roman. Il s'agit d'une nouvelle qui, selon la typographie, occupe de vingt à cinquante pages.
Ce ne serait pas mal, de se renseigner avant d'affirmer, parfois. Il y a même mieux à faire: lire le texte de Madame de Lafayette au lieu d'aller voir le film.

vendredi 7 mai 2010

Les fossiles de Tracy Chevalier

Depuis La jeune fille à la perle, qui mettait face à face Vermeer et une jeune fille qui lui servait de modèle (au moins dans la fiction), chaque roman de Tracy Chevalier est un événement. Événement, donc, la traduction de Prodigieuses créatures qui sort aujourd'hui.
Mary Enning, au centre d'un récit qui se passe en Angleterre au début du 19ème siècle, a réellement vécu à cette époque. Et elle a aussi découvert les fossiles dont il est question dans le livre. On la suit de son enfance à l'âge adulte, apprenant sur le tas à affiner le don qu'elle possède: dans la chasse aux fossiles au milieu des rochers de Lyme Regis, elle est la meilleure.
Mais un autre personnage féminin prend presque autant de place qu'elle: Elizabeth Philpot, qui partage avec Mary la passion des fossiles. Dans une série de questions que j'ai posées à Tracy Chevalier au sujet de Prodigieuses créatures, la dernière concernait Mary Philpot. La place ayant manqué dans Le Soir de ce vendredi pour y publier toutes les réponses de l'écrivaine, je vous confie en exclusivité la fin de notre échange.

Elizabeth Philpot, une des narratrices, accorde une attention particulière aux visages: les yeux, le front, le nez, le menton, la chevelure… Est-ce un détail ou un trait essentiel de son caractère?

C’est un trait essentiel. Elizabeth ne trouve pas aussi facilement des fossiles que Mary, mais elle est intuitive. C’est simplement un autre type de perception. Elle «lit» les gens, pose des jugements sur eux. Elle est très obstinée, ou pleine de discernement, et c’est important dans son caractère. Je l’aime – elle est mon personnage préféré dans le livre. D’une certaine manière, elle est censée représenter le lecteur, qui observe la géniale Mary Anning, s’interroge et s’émerveille.

jeudi 6 mai 2010

La rentrée littéraire, on en parle déjà

La préparation va bon train. Alors qu'il reste encore pas mal de livres à paraître avant l'été (et que j'en ai lu un beau paquet dont je tenterai d'extraire le meilleur), les éditeurs ont le regard fixé vers les mois d'août et de septembre, c'est-à-dire vers ce phénomène que le monde entier nous envie (bien qu'avec quelques craintes), la rentrée littéraire.
Au lieu d'encombrer ce blog avec les programmes au fur et à mesure de leur disponibilité, j'ai choisi cette année d'ouvrir une page spéciale dans laquelle je les intègre au fur et à mesure. Elle est encore toute petite, ne propose que dix titres, mais elle est appelée à croître et à embellir dans les semaines qui viennent. Je vous signalerai de temps à autre les nouveautés qui y seront introduites, rangées par date de parution, mais son accès est libre dès aujourd'hui.


samedi 1 mai 2010

Pocket BD : vous vouliez être libraire?

Pocket, c'est du poche (facile!). La collection se porte bien, et même très bien. Ce qui n'interdit pas ses têtes pensantes de chercher à innover, par exemple en publiant, depuis peu, des bandes dessinées. D'autres éditeurs l'ont fait et continuent à le faire, avec plus ou moins de bonheur. Ici, on a résolument choisi le terrain de la BD "adulte", dans un format qui respecte la mise en page de l'auteur.
J'ai lu les trois premiers titres. Je passe rapidement sur deux d'entre eux, vous comprendrez pourquoi j'ai envie de m'attarder sur le troisième.
Mon gras et moi, de Gally est une suite savoureuse d'anecdotes et de réflexions sur les kilos en trop, comment cela se gère ou pas en fonction du regard des autres et même du sien. Aurélia Aurita fait dans l'autofiction (pour Gally, je ne sais pas) avec Fraise et chocolat. Je ne voudrais pas être à la place de Frédéric, le personnage masculin de cette torride histoire de couple...

Et j'en viens à mon petit préféré, Moi vivant, vous n'aurez jamais de pauses ou comment j'ai cru devenir libraire, de Leslie Plée. Libraire, un beau métier, non? (Je réponds oui: les conditions dans lesquelles je l'ai pratiqué étaient presque idéales.)
Mais, dans une grande surface où ne comptent que le chiffre, le rendement, l'efficacité et ce genre de valeurs, c'est une véritable galère, que Leslie Plée raconte avec un humour corrosif. «Avant d'être ici, les chefs ont travaillé chez Carrefour, Mc Donald's, Kronenbourg (tout s'explique). Maintenant, ils vendent "du livre".»
Alors, libraire, non, ce n'est pas toujours un beau métier. On y trouve les mêmes conflits hiérarchiques qu'ailleurs, on n'a même pas le temps de lire, il faut fourguer des titres sans intérêt.
Mais cela fait une superbe bande dessinée, avec quelques planches supplémentaires pour l'édition de poche.