mercredi 30 novembre 2011

L'actualité littéraire (53) - Le palmarès de "Lire"

Après Le Point, c'est le magazine Lire qui a établi sa liste des meilleurs livres de 2011. Ici aussi, quelques lauréats de prix littéraires (David Grossman, Emmanuel Carrère, Alexis Jenni), et un bel éclectisme qui puise dans bien des catégories de l'édition. Patrick Deville salué, c'est une excellente nouvelle, comme Silvia Avallone ou Dominique Sylvain. Personnellement, je n'aurais pas choisi Leonardo Padura, qui m'a semblé envahi par l'Histoire plutôt que de l'utiliser comme matériau romanesque. Mais, bon...
Voilà, en tout cas, qui renforce mon envie de lire Une femme fuyant l'annonce, de David Grossman, où un thème cher à mon cœur, la marche, semble utilisé au mieux dans un roman d'une belle ampleur. Il faudra que je m'y mette (que je m'y jette), un de ces jours...
  • Meilleur livre de l’année : David Grossman, Une femme fuyant l’annonce (Seuil)
  • Roman français : Patrick Deville, Kampuchea (Seuil) 
  • Roman étranger : Jonathan Coe, La vie très privée de Mr Sim (Gallimard) 
  • Récit : Emmanuel Carrère, Limonov (P.O.L) 
  • Premier roman français : Alexis Jenni, L’art français de la guerre (Gallimard) 
  • Premier roman étranger : Silvia Avallone, D’acier (Liana Levi) 
  • Histoire : Robert Service, Trotski (Perrin) 
  • Roman historique : Leonardo Padura, L’homme qui aimait les chiens (Métailié) 
  • Polar français: Dominique Sylvain, Guerre sale (Viviane Hamy) 
  • Polar étranger : Kem Nunn, Tijuana Straits (Sonatine)   
  • Journal : Rick Bass, Le journal des cinq saisons (Bourgois) 
  • Histoire littéraire : Frédéric Rouvillois, Une histoire des best-sellers (Flammarion) 
  • Biographie d’écrivains : Mireille Huchon, Rabelais (Gallimard) 
  • Nouvelles : Julian Barnes, Pulsations (Mercure de France) 
  • Découverte France : Frédéric Werst, Ward (Seuil) 
  • Découverte étranger : Jonathan Dee, Les privilèges (Plon) 
  • BD : Manu Larcenet, Blast (Dargaud) 
  • Sciences : Isabelle Attané, Au pays des enfants rares (Fayard) 
  • Livre audio : Marguerite Yourcenar, Nouvelles orientales, lues par Christian Gonon (Gallimard)
  • Jeunesse : Ruta Setepys, Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre (Gallimard Jeunesse)

samedi 26 novembre 2011

Jack Kerouac sauvé des eaux : "The Sea is My Brother"

C'est l'événement littéraire de la semaine: la sortie, hier, d'un roman inédit de Jack Kerouac, le premier qu'il a écrit et dont on croyait le manuscrit perdu à jamais. The Sea is My Brother, inspiré par les quelques mois où le futur écrivain avait travaillé, en 1942, dans la marine marchande, est une découverte capitale pour tous les lecteurs de Kerouac - aussi importante que la publication de la version originale, celle du "rouleau", de Sur la route.
Écrit en 1943, ce roman utilise les matériaux que Kerouac avait accumulés lors de sa vie de marin. Au cours de celle-ci, il avait en effet tenu un journal dans lequel il décrivait son expérience, ce qu'il voyait, les personnes qu'il côtoyait, destinant clairement ces notes à un roman.
Celui-ci, à en juger par la préface et la dizaine de pages qu'on peut en lire sans acheter le livre (c'est ici), est une belle surprise. Il distribue entre les deux personnages principaux, Everhart et Martin, ce que Kerouac trouve en lui de personnalités dissociées. ("In my novel, you see, Everhart is my schzoid self, Martin the other; the two combined run the parallel gamut of my experience.") Ils se rencontrent vers la fin du premier chapitre (si le premier chapitre est complet dans la partie disponible à la lecture) et l'on sent naître chez eux une fascination réciproque.
Mais c'est surtout Martin qui est présent dans ce début, errant sans but après avoir dépensé, il se demande bien comment, huit cents dollars en quinze jours, se retrouvant avec seulement quelques pièces de monnaie en poche, essayant de reconstituer la dernière nuit qui lui a coûté, estime-t-il, cent cinquante dollars. Une virée avec des marins en goguette, de la bonne musique, de la danse, des chambres d'hôtel, de la boisson... Le tableau, quand il s'est éveillé, ressemblait à un paysage d'après la bataille. Et il s'est remis en route dans New York, sauvant un petit chat d'un probable accident, puis entrant dans un bar, offrant une bière à une fille - ses derniers sous -, entrant dans le groupe auquel appartient Everhart et écoutant, sans rien dire, celui-ci parler: "Ma connaissance de la vie est seulement négative: je sais ce qui est mal, mais je ne sais pas ce qui est bien."
A suivre...

vendredi 25 novembre 2011

L'actualité littéraire (52) - Bientôt le prix Rossel, pour les romanciers belges

En Belgique, on prend son temps. Que ce soit pour former un gouvernement ou pour attribuer un prix littéraire. Mais on fait les choses aussi bien que possible.
Dans un peu moins de deux semaines, le mercredi 7 décembre, sera attribué le prix Rossel - l'équivalent du Goncourt pour la France. Comme le Goncourt, ce prix est doublé (depuis 2001) d'un Rossel des jeunes, annoncé le même jour. Et, en invité d'honneur, un membre de l'académie Goncourt, Bernard Pivot, viendra dire (on l'espère) l'importance d'une récompense qui a déjà couronné, entre beaucoup d'autres (il a été créé en 1938 et ne s'est interrompu que de 1940 à 1945), Jean-Claude Pirotte, Henry Bauchau ou Guy Goffette - pour ne citer que quelques noms récents, et qui parlent au-delà des frontières de la Belgique.
Le Soir, qui organise ce prix, vient d'annoncer les cinq sélectionnés dans chacune des deux catégories.
Pour le prix Rossel:
  • Geneviève Damas. Si tu passes la rivière (Luce Wilquin)
  • Armel Job. Les eaux amères (Robert Laffont)
  • Françoise Lalande. La séduction des hommes tristes (Luce Wilquin)
  • Emmanuelle Pol. L'atelier de la chair (Finitude)
  • Nicole Roland. Kosaburo, 1945 (Actes Sud)
Et, pour le Rossel des jeunes:
  • Geneviève Damas. Si tu passes la rivière (Luce Wilquin)
  • François Emmanuel. Cheyenn (Le Seuil)
  • Lydia Flem. La Reine Alice (Le Seuil)
  • Nicole Roland. Kosaburo, 1945 (Actes Sud)
  • Nathalie Skowronek. Karen et moi (Arléa)
Je note, dans ces sélections, la présence d'un seul éditeur belge, Luce Wilquin, avec deux titres. preuve, s'il en était besoin, que les écrivains belges continuent à publier allègrement en France. Et la forte domination des romancières qui sont, les deux listes confondues, six contre deux romanciers seulement.
Si j'avais à participer aux délibérations du jury (ce n'est pas le cas), j'hésiterais entre couronner enfin Françoise Lalande, qui a sa place dans le palmarès depuis des années, saluer la belle constance avec laquelle Armel Job donne des romans fascinants ou défendre le spectaculaire premier roman de Geneviève Damas, presque aussi convaincant que celui de Caroline De Mulder qui a reçu le prix en 2010.
Proclamation dans dix jours, ainsi que pour le Rossel des jeunes - là, je suis intervenu, avec d'autres, dans le choix des cinq finalistes, mais je laisse aux grands adolescents amoureux des livres le soin de trancher entre eux.

jeudi 24 novembre 2011

L'actualité littéraire (51) - "Le Point" choisit ses livres de l'année

La manie, la folie des palmarès... Tout le monde s'y met. On attend celui de Lire, devenu un véritable point de repère et annoncé pour mardi prochain. Le Point a déjà dégainé avec 25 titres variés dans lesquels on trouve du roman, comme dans les prix littéraires, mais aussi des romans noirs (ou policiers, comme on veut), une bande dessinée, et un peu de tout. Un joli marché dans lequel picorer selon les goûts - d'autant qu'il semble avoir été composé, si j'en juge par les ouvrages que j'ai lus, avec goût. D'ailleurs, leur premier choix est aussi celui que j'avais fait au moins pour cette rentrée (je ne suis pas, pour ma part, retourné jusqu'en janvier). Voici la liste
  • Limonov, Emmanuel Carrère (P.O.L) 
  • Rien ne s'oppose à la nuit, Delphine de Vigan (Lattès) 
  • De l'amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles, Lucien Jerphagnon (Albin Michel) 
  • Dôme, Stephen King (Albin Michel) 
  • Jeanne, Jacqueline de Romilly (de Fallois) 
  • Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson (Gallimard) 
  • Une histoire buissonnière de la France, Graham Robb (Flammarion) 
  • L’origine des systèmes familiaux, tome 1, Emmanuel Todd (Gallimard) 
  • Freedom, Jonathan Franzen (l'Olivier) 
  • L'art français de la guerre, Alexis Jenni (Gallimard) 
  • Un été sans les hommes, Siri Hustvedt (Actes Sud) 
  • Histoire de la virilité, Alain Corbin, Georges Vigaello et Jean-Jacques Courtine (Seuil)  
  • L'armée furieuse, Fred Vargas (Viviane Hamy) 
  • Jayne Mansfield, 1967, Simon Liberati (Grasset) 
  • Le parrain de Katmandou, John Burdett (Presses de la Cité) 
  • Chroniques de la révolution égyptienne, Ala al-Aswani (Actes Sud) 
  • Les petits, Christine Angot (Flammarion) 
  • Fontenoy ne reviendra plus, Gérard Guégan (Stock) 
  • Polina, Bastien Vivès (Casterman) 
  • Contre le vide moral, Tony Judt (Héloïse d'Ormesson) 
  • Jusqu'à la folie, Jesse Kellerman (Les Deux Terres) 
  • Malaparte, vies et légendes, Maurizio Serra (Grasset) 
  • Tout, tout de suite, Morgan Sportès (Fayard) 
  • Les privilèges, Jonathan Dee (Plon) 
  • La fête du siècle, Niccoló Ammaniti (Robert Laffont)
Vous en avez lu beaucoup, là-dedans? Combien vous en reste-t-il à découvrir? Un peu plus de la moitié, en ce qui me concerne, surtout hors domaine romanesque, ce qui trahit évidemment mes inclinations...

mercredi 23 novembre 2011

Véronique Ovaldé, l'oubliée des prix littéraires

Chaque lecteur aura le sien, en fonction de ses goûts et du temps qu'il aura passé à lire des romans de la rentrée. (Ce serait d'ailleurs une bonne idée, de rassembler quelque part les oubliés des prix littéraires, et de faire un anti-palmarès plutôt qu'un Prix des prix.) Le mien, s'il fallait en sauver un seul, serait le roman de Véronique Ovaldé, Des vies d'oiseaux.
Un chassé-croisé d'une grande subtilité entre une mère et sa fille puis, au-delà, entre deux couples dont chacune des femmes est l'oiseau. La liberté d'écriture correspond à celle des existences des personnages, et en même temps une densité impressionnante leste ces pages qu'on n'a pas envie de lâcher dès qu'on y a mis le nez. Certes, au début, on a un peu de mal à suivre. C'est volontaire: toutes les données ne sont pas fournies d'emblée, il faut les découvrir petit à petit. Mais cette découverte est un bonheur de chaque instant. Les pistes tracées entre Villanueva et Irigoy, c'est-à-dire entre une cité où prospère la partie la plus favorisée de la population et une campagne réputée encore mal dégrossie, dessinent une toile pleine de possibilités qui se croisent, pour finir par nous rendre prisonniers d'un récit que l'on voudrait ne pas voir finir.
J'ai peu lu Véronique Ovaldé auparavant - deux autres romans, je crois: Les hommes en général me plaisent beaucoup et Déloger l'animal, parus en 2003 et 2005. Elle avait, avec ses livres suivants, conquis plusieurs jurys. Celui du Prix France Culture-Télérama avec Et mon cœur transparent (2008). Ceux du Renaudot des Lycéens, du Roman France Télévisions et des lectrices de Elle avec ce que je savais de Vera Candida (2009). Elle n'a pas fini de nous séduire et il faut la découvrir avant qu'elle soit devenue, aux yeux du public, la grande qu'elle est déjà pour ses lecteurs.

mardi 22 novembre 2011

L'actualité littéraire (50) - Prix littéraires, on fait le bilan?

Je ne le dirai plus, c'est la dernière fois: si vous voulez tout savoir (ou presque) sur les principaux prix littéraires de cet automne, c'est ici. Et méfiez-vous des imitations. Mais il ne s'agit que d'une liste, et vous voulez peut-être en savoir plus?
Le bilan est globalement positif, comme aurait dit Georges Marchais. Je le cite sans aucune ironie. A l'exception du prix Interallié pour Morgan Sportès, j'aurais volontiers voté pour tous les autres lauréats. (Je précise quand même, ou je rappelle aux plus attentifs, que je n'ai pas lu le livre de Mathieu Lindon, sur lequel je n'ai donc pas le moindre avis à partager avec vous.)
Bien sûr, on peut penser que le centenaire de Gallimard a pesé dans la balance, et que cela fait beaucoup de lauriers dans la besace de l'éditeur de la rue Sébastien Bottin (pardon: de la rue Gaston Gallimard). Mais n'est-ce pas Patrick Rambaud, académicien Goncourt, qui disait faire à la rentrée littéraire deux piles de romans, l'une pour Gallimard, l'autre pour le reste? Et faut-il y voir le résultat de pressions plus ou moins directes, ou celui d'une politique éditoriale dont certains commentateurs trouvent plaisir à dire du mal sans la suivre? Quand je constate qu'Alexis Jenni (Goncourt), Sylvain Tesson (Médicis essai) et Carole Martinez (Goncourt des Lycéens) ont été primés, j'applaudis. Et j'accompagne mes applaudissements d'un cri de joie proche de l'orgasme en constatant que, même sous la couverture blanche, David Foenkinos, le type même à mes yeux de la fausse valeur, a disparu assez vite de toutes les sélections. Ce qui ne l'empêchera pas de vendre beaucoup d'exemplaires de son dernier roman, je ne m'inquiète pas pour lui.
Le meilleur des livres que j'ai lus dans cette rentrée (faut-il l'appeler roman?), Limonov, d'Emmanuel Carrère, n'a pas échappé aux jurys. Ni l'excellent Retour à Killybegs, de Sorj Chalandon. Pas davantage que Delphine de Vigan, Eric Reinhardt, Véronique Bizot ou Marien Defalvard (il est convenu maintenant que ce jeune homme est un insupportable prétentieux, mais quel talent!).
Au fond, si ma voix portait assez loin pour me faire entendre des différents jurés parisiens, je n'aurais qu'un oubli grave à leur reprocher: celui de Véronique Ovaldé, dont Des vies d'oiseaux aurait bien mérité un coup de projecteur. J'y reviendrai.

samedi 19 novembre 2011

Antoine Blondin : "Un jour, nous prendrons des trains qui partent"

Face aux personnages flamboyants d'Un singe en hiver - qu'on connaît grâce au film de Verneuil, même si on n'a pas lu le livre -, le héros de L’humeur vagabonde paraît bien pâle. Benoît Laborie est un sous-Rastignac, monté à Paris, non pour le conquérir, mais sous la pression de sa mère. Parce qu’il a le bac, elle rêve pour lui d’une haute destinée. Quand il serait, pour sa part, volontiers resté le mari discret d’une femme de tête grâce à laquelle l’exploitation agricole est florissante. Comme il n’y sert à rien, il part. Denise ne semble pas s’en émouvoir.
A Paris, il se sent balourd. Pire: il est balourd. Malgré les lettres de recommandation de sa mère, il n’est bien reçu nulle part. Il s’égare au Père-Lachaise où il est entré avec un pot de fleur et se fait arrêter à la sortie, soupçonné de l’avoir volé. Il loge dans un hôtel de passe qu’il a pris pour une pension de famille…
Il connaîtra son heure de gloire, après l’assassinat de Denise par sa mère, puis retournera à l’anonymat en devenant figurant. Ce qu’il a, au fond, toujours été.
Sur l’écriture de ce roman à la construction équilibrée, Antoine Blondin s’était confié dans une émission de radio dont la transcription (parue l'an dernier dans un volume illustré où se trouvait aussi Un singe en hiver) est édifiante. Au cours d’une soirée bien arrosée où son éditeur le presse de lui donner un nouveau manuscrit, l’écrivain lui annonce qu’il est écrit. De L’humeur vagabonde, il n’a en réalité même pas le titre… Confiant, l’éditeur l’emmène à Mayenne et le loge dans un hôtel à côté de l’imprimerie où Blondin pourra donner le texte à composer au fur et à mesure qu’il en aura terminé les corrections. Mais il n’a rien à corriger, puisqu’il n’a rien écrit ! Bien obligé, il se lance dans un premier paragraphe, cent pages suivent, qu’il porte à l’imprimeur un vendredi soir, comptant sur le week-end pour fournir cent pages de plus. Le lundi, il n’en a que quatre. Il les porte quand même et se met à dicter la suite au typographe. «Trente et un jours après mon arrivée à Mayenne, je rentre à Paris avec mon livre imprimé et broché sous le bras». Magnanime, l’éditeur fait mine de n’avoir pas compris...
Une belle histoire pour un livre à (re)découvrir.

vendredi 18 novembre 2011

Les trains de nuit de Patrick Modiano

Dans les entretiens donnés autour de L’horizon, son dernier roman, Patrick Modiano déplorait à plusieurs reprises, en s’excusant presque, d’écrire toujours la même chose. Il est vrai que, depuis les débuts il y a plus de quarante ans, le registre est fixé: des photographies anciennes, des souvenirs superposés, des silhouettes imprécises, une myopie généralisée traversée d’éclairs de lucidité. Mais il n’y a aucune raison de le déplorer: plus qu’une marque de fabrique, sa manière d’avancer dans le brouillard est celle qui convient pour élucider les énigmes lâches dans lesquelles sont plongés les personnages fantomatiques de ses livres.
Par le truchement de Jean Bosmans, le personnage principal, il utilise cette fois, en guise de clé, l’image de la «matière sombre» où tout se perd dans une masse indifférenciée. «Derrière les événements précis et les visages familiers, il sentait bien tout ce qui était devenu une matière sombre: brèves rencontres, rendez-vous manqués, lettres perdues, prénoms et numéros de téléphone figurant dans un ancien agenda et que vous avez oubliés, et celles et ceux que vous avez croisés sans même le savoir. Comme en astronomie, cette matière sombre était plus vaste que la partie visible de votre vie. Elle était infinie.»
Dans Paris marqué par les repères du passé, Bosmans repense à sa jeunesse et à l’époque où il fréquentait Margaret Le Coz après l’avoir rencontrée lors d’une bousculade à l’entrée d’une station de métro. Il revoit les hommes qui travaillaient avec elle chez Richelieu Interim – ou quelque chose d’approchant. Le nom de Boyaval lui revient, un homme qui effrayait Margaret, toujours inquiète de le retrouver sur son chemin, au point de déménager souvent, de vivre quasi cachée. Comme Bosmans lui-même, d’ailleurs, fuyant les sollicitations de sa mère et de son compagnon aux allures de prêtre défroqué.
Comment Margaret, née à Berlin, est arrivée à Paris, c’est toute une histoire, à laquelle des détails manqueront toujours. Les détails qui provoqueront sa fuite vers Berlin et sa disparition, après l’arrestation du couple dont elle garde l’enfant.
Mais Bosmans note, dans un carnet de moleskine noir, les dates, les noms, les lieux qui émergent de sa mémoire. Il répertorie «les faibles scintillements», les «poussières d’étoiles» noyés dans la matière noire. Il s’imagine dans un corridor du temps, parallèle à ceux que suivent toutes les personnes rencontrées autrefois, et qu’il ne rencontrera plus jamais, à moins qu’un hasard spatio-temporel les replace face à lui. Encore faudrait-il que ce soit à la même époque pour qu’ils se reconnaissent…
Les personnages de Patrick Modiano voyagent dans des trains de nuit, sans rien voir du paysage que les lumières d’une gare aussitôt effacées, bercés par les secousses du wagon entre les occupants duquel naît une intimité provisoire. «Oui, j’ai l’impression que nous n’avons cessé, Margaret et moi, de prendre des trains de nuit, de sorte que cette période de nos vies est discontinue, chaotique, hachée d’une quantité de séquences très courtes sans le moindre lien entre elles…»
Le lien, il faut le chercher, et le trouver, dans l’écriture d’un Modiano au sommet de son art.

jeudi 17 novembre 2011

Pierre Dumayet, souvenir d'une rencontre

© Jean Leclercq
Pierre Dumayet vient de mourir. Pour moi, il était surtout l'homme de Cinq colonnes à la une, émission parfois regardée chez mes grands-parents - mes parents n'avaient pas la télévision, de peur probablement de faire entrer chez nous un véritable démon. J'ai appris trop tard l'existence de Lectures pour tous, c'était déjà le temps de Bernard Pivot (et de Michel Polac, dans un registre plus agité).
La télévision et les livres, vaste problème, en voie d'être à jamais irrésolu. Comme le dit souvent Bernard Pivot, il a eu la chance d'animer Apostrophes à un moment où le nombre de chaînes n'autorisait pas la dispersion qui est la règle aujourd'hui. Pierre Dumayet aurait pu le dire encore bien davantage...
Toujours est-il qu'il faudrait (après tout, cela existe peut-être) rassembler sur DVD les émissions de Lectures pour tous. Écrivant ceci, je suis occupé à regarder, du coin de l’œil (j'ai un grand écran), un entretien avec Louis-Ferdinand Céline, qui n'éructe pas du tout, se tient très bien et parle davantage de chiens que de littérature - la littérature, c'était pour lui surtout un moyen de gagner un peu d'argent. Et Dumayet de revenir sans cesse au livre pour lequel il le reçoit, D'un château l'autre...
Si j'ai manqué Pierre Dumayet à la télévision, je ne l'ai pas complètement ignoré. Je l'ai même rencontré, quand il a publié, en 1989, Brossard et moi. Rien que pour vous, en récompense de votre fidélité, voici l'article que j'avais publié à ce moment.

Pierre Dumayet passe son temps à prendre des notes qu'il n'utilise pas. D'ailleurs, quand il en a besoin, il ne sait plus où il les a mises. Mais si elles étaient importantes, il n'a pas besoin de les revoir pour s'en souvenir. Pour Brossard et moi, son nouveau livre, il s'est en tout cas contenté de la mémoire des notes qu'il avait dû prendre autrefois...
- J'ai surtout envie de me raconter que je vais faire un livre. L'important, c'est de commencer. Le signal, c'est l'envie d'écrire, une phrase génératrice d'une autre phrase... Mais on ne peut pas dire que j'ai inondé les librairies!
Il a tant fait parler les écrivains à la télévision qu'il n'a, en effet, pas jugé utile d'ajouter une pile d'ouvrages à celles qu'il connaissait déjà. Quatre livres en un peu plus de vingt ans, ce n'est pas excessif. Celui qui vient de paraître - chez un petit éditeur, comme le précédent, Narcisse, paru en Belgique (chez Talus d'Approche) - met en scène un narrateur qui se dédouble dans la première personne qu'il rencontre - c'est le Brossard du titre, bien sûr -, comme si la vie se faisait dès lors par procurations successives. Ce récit donne l'impression de pouvoir se lire de deux manières au moins: comme si le personnage principal se dispersait à travers plusieurs autres ou comme si les rencontres lui donnaient à chaque fois une nouvelle occasion de se découvrir lui-même. Pierre Dumayet n'a voulu, cependant, introduire qu'une seule de ces deux possibilités.
- L'ordre d'entrée en scène des personnages est clairement indiqué. Le premier qu'on attrape, c'est Brossard. Avec lui vient sa femme, et Gabrielle. Puis ils décident à tour de rôle de vivre normalement...
En parlant, Pierre Dumayet s'occupe de sa pipe. Ou l'enferme dans sa main pour la glisser - allumée! - dans sa poche... Cette pipe, qui fait partie de son image, est aussi présente dans son livre, où elle finit par occuper les personnages qui entreprennent d'en fabriquer.
- La pipe, c'est une sacrée réalité! La racine de bruyère avale des pierres qui peuvent faire rater le travail. C'est un métier risqué! Il y a une leçon de morale: une pipe, ça peut se rater plus facilement qu'on le croit! L'idée d'une pipe parfaite, que le narrateur aime bien, c'est l'idée de perfection en général...
L'humour et la distance que Pierre Dumayet place entre lui et son livre empêchent cependant de le confondre avec le narrateur. Et empêchent aussi de le prendre au sérieux. Comment d'ailleurs prendre au sérieux un homme qui dit, de son style d'écriture:
- Ça m'embêterait d'écrire une phrase qui n'aille pas ailleurs!
Ailleurs, c'est la fantaisie à laquelle donne droit ce livre - "un type de bouquin qui ne peut pas trouver une quantité de lecteurs abusive", dit-il lui-même - et qui réjouira l'esprit de ceux qui auront la curiosité de le découvrir.

Le journaliste dévoyé de James Siegel

Est-ce parce que le personnage principal est un journaliste? Ou parce que l'attachée de presse a réussi à m'allécher en quelques mots quand elle m'a envoyé le livre? Ou tout simplement parce que je cherchais quelques heures de détente et que le thriller de James Siegel, Storyteller, me semblait approprié? Toujours est-il que je l'ai ouvert, et que je ne l'ai plus lâché.
Il faut dire que Tom Valle est un sacré personnage, même s'il ne travaille que dans un obscur journal local en Californie - le seul qui a bien voulu de lui après le scandale que ses articles avaient déclenché à New York.
Là-bas, tenaillé par l'envie de gravir les échelons de la gloire - et de la reconnaissance de son rédacteur en chef -, il s'était mis à inventer des histoires au lieu de faire le métier qu'il aimait pourtant. De bonnes histoires. La gloire et la reconnaissance étaient venues, puis - tant va la cruche à l'eau... - la découverte de ses mystifications. Il avait fait tout le contraire de ce que veut le métier, et son nom est désormais maudit par toute la profession. Célèbre, il l'est toujours, mais pour les pires raisons.
Recueilli dans une petite rédaction comme on recueille un chien errant, il couvre les activités de Littleton, les centenaires, les faits divers... Précisément, voici une centenaire, dont le fils est mort cinquante ans plus tôt, et qui pourtant s'est manifesté à l'occasion de l'anniversaire. Voici aussi un terrible accident, avec un corps calciné dans une des deux voitures, et aucune trace de freinage sur la route, et aucun des deux conducteurs n'étant la personne qu'on croit. Ajoutons à cela qu'une tragédie ancienne, la rupture d'un barrage en 1954, n'était probablement pas un accident aussi simple qu'il y paraissait, et concluons, comme Tom Valle qui a gardé quelques réflexes de journaliste (de bon journaliste, cette fois), à une affaire aussi bien embrouillée que cachée.
Comment son enquête le ramène aux traces de ses fautes anciennes, c'est ce qu'il faudra expliquer - avec quelques autres énigmes imbriquées dans un livre très réussi.

mercredi 16 novembre 2011

L'actualité littéraire (49) - Le prix Interallié termine la saison et couronne Morgan Sportès

Il n'était plus sur les listes de l'Interallié, mais probablement les membres du jury n'en avaient-ils que pour Simon Liberati (le prix Femina les a privé de ce lauréat) et souhaitaient-ils saluer quand même un roman dans lequel on peut trouver quelque chose d'une enquête journalistique.
Ce n'était pas vraiment le cas des livres de Laurence Cossé ni de Stéphane Hoffmann, les deux survivants de leurs sélections. Ils sont donc, sans troip se poser de questions, allés chercher ailleurs.
Certes, Les autos tamponneuses, de Stéphane Hoffmann, a gardé quelques partisans, mais ceux-ci ont été balayés par les partisans de Morgan Sportès, revenu de nulle part avec un Tout, tout de suite, qui n'aura pas tout reçu, ni tout de suite, mais conclut ainsi une saison des prix littéraires jusqu'ici très calme. Sauf aujourd'hui, donc, où Delphine de Vigan, absente elle aussi des listes, s'est retrouvée dans la course. Elle n'en avait pas besoin.
Et Morgan Sportès, avec son écriture pesante, sa reconstitution sourcilleuse de l'affaire dite "du gang des barbares", n'en avait pas les qualités. Bon, ce n'est pas la première fois que l'Interallié déçoit (ni les autres prix non plus, d'ailleurs), il fallait bien qu'un jury fasse tache dans un superbe palmarès 2011.

L'actualité littéraire (48) - Le poche, fragile avenir du livre papier?


J'ai souvent parlé ici de l'importance que revêt, à mes yeux avides de lectures, l'existence des collections de poche. Je pense aussi avoir prouvé, dans les faits, que ce ne sont pas des paroles en l'air. En lançant un mensuel, C'est dans la poche, à l'existence malheureusement éphémère en raison de son manque d'audience. Ou en consacrant souvent des notes de blog à des rééditions.
Je n'aurais eu, par exemple (je cite celui-là parce que le livre se trouve encore sur mon bureau), presque aucune chance de tomber un jour sur La ligne de force, de Pierre Herbart, s'il ne venait de reparaître dans une de ces collections. J'ai dû lire, ici ou là, quelques-uns de ses livres, mais ils ne m'avaient jamais arrêté comme celui-ci vient de le faire. Ses séjours en Indochine, en URSS et en Espagne sont une superbe occasion de découvrir un homme libre et un écrivain de grand talent, détaché en apparence de tout ce qu'il raconte et, en réalité, fermement ancré dans ses convictions.
Donc, les poches pour la joie de découvrir ou de redécouvrir, voilà une sorte d'évidence à laquelle je ne me lasse pas de revenir.
Et voici que Livres Hebdo, dans un baromètre trimestriel dont la dernière version paraîtra ce vendredi, ajoute, à ma conviction (nourrie de plaisir), des faits et des chiffres (nourris de l'état du marché du livre en France). Alors que ce marché est, par rapport au troisième trimestre 2010, globalement en baisse de 1%, le livre de poche est en croissance, certes légère, de 1%. Il inverse la tendance générale - comme, dans une moindre mesure, les secteurs jeunesse, scolaire et parascolaire.
Bien entendu, il ne suffit pas d'enregistrer ces chiffres pour en conclure que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, et que le livre au format de poche a ses plus belles années devant lui. La concurrence annoncée, déjà présente en partie, du livre électronique, que l'on peut (si l'on veut) vendre moins cher qu'un livre papier, présage plutôt un reflux. Au moment où les libraires tremblent, où la TVA sur le livre devrait augmenter, c'est tout un monde - auteurs, éditeurs, libraires et lecteurs - qui doit se réorganiser en fonction de cette mutation. Il y faudra de l'intelligence, pour prendre la mesure du changement, et la volonté de l'accompagner - d'autres l'ont dit mieux que moi, parmi lesquels François Bon.
En attendant, je continuerai à dévorer des livres au format de poche et à vous le faire savoir.

mardi 15 novembre 2011

L'actualité littéraire (47) - Éric Laurrent, le prix Wepler et la complicité d'un imprimeur

Hier, le prix Wepler - Fondation La Poste a été attribué à Éric Laurrent pour Les découvertes, un roman assez étonnant (pour qui découvre cet écrivain) et dont l'écriture fascine. Des phrases souvent très longues, suspendues par des parenthèses rarement courtes, à l'intérieur desquelles l'écrivain installe des digressions qui semblent être là pour retarder le moment de plaisir que l'on pressent une fois que les parenthèses seront refermées. On connaît le mécanisme: retarder le plaisir est une manière de le renforcer.
Du coup, l'imprimeur s'y est mis aussi, au moins dans l'exemplaire que j'ai lu. Comme les découvertes sont, pour une bonne partie, celles de la sensualité (j'y reviendrai), je suis tombé en arrêt à la fin de la page 96, au beau milieu d'un strip-tease qui en arrivait au moment fatidique:
Un moment, l'ayant crocheté avec les pouces, elle étira de chaque côté l'élastique de son string, auquel elle parut imprimer un mouvement giratoire, comme elle l'eût fait d'un cerceau. S'étant tournée une fois encore, elle l'abaissait et le
Fin de la page 96.
Puis, en face, le texte se poursuit:
leurs bijoux, si bien que subsiste aujourd'hui en moi, plus de trente ans après, gravé avec la même netteté qu'une Vierge de Raphaël, une Vénus du Titien ou quelque autre divinité de Rubens [...]
Ah! Il y a un problème, non? En effet, j'ai déjà lu ça quelque part. A la page 65, pour être précis, et c'est bien le numéro que porte la page suivant la 96. Celle-ci reviendra 32 pages plus loin, avant de sauter à la page 129. Pour retarder le plaisir, l'imprimeur a donc été encore plus fort qu’Éric Laurrent, et je ne saurai jamais comment se termine le strip-tease, ni quels émois il a provoqués chez l'adolescent.
Celui-ci s'était découvert, à l'école, des problèmes de vision. Une fois ceux-ci résolus, il est entré de plain-pied, et avec émerveillement, dans le monde des mots. Puis dans celui des images, en particulier des images érotiques, selon une gradation assez habituelle à une époque où la pornographie n'était pas aussi répandue qu'à présent: les illustrations du Larousse, celles du catalogue de La Redoute, l'affiche du film Emmanuelle, les revues spécialisées pour un public masculin... Mais l'émotion produite chez lui par les femmes à demi nues, puis tout à fait nues, enfin offertes jusque dans leur intimité, est davantage esthétique que sexuelle - le plaisir solitaire naîtra d'ailleurs bien tard, et presque par hasard, au moment où il écrit lui-même une nouvelle érotique.
Même avec 32 pages de moins (mais je regrette, bien entendu, de ne pas les avoir lues), Les découvertes est un roman brillant et séduisant, sinueux comme un parcours aléatoire semé de distractions, jusqu'à la fin: les dernières pages sont occupées par trois longues notes qui sont de véritables nouvelles.

lundi 14 novembre 2011

Hommage à Hubert Nyssen

De la tristesse, d'abord, même si on savait depuis quelques mois qu'il était bien malade et que ce qui lui restait de vie allait très vite en se rétrécissant. J'avais pourtant du mal à y croire, à accepter cette idée pourtant évidente qu'il était comme les autres. Comment prendre la mesure de sa vie, commencée à Bruxelles le 11 avril 1925 et mort samedi matin, 12 novembre 2011? En lisant ses carnets? Ses romans? En prenant la mesure de ce qu'est devenue la petite maison d'édition qu'il a fondée en 1978, Actes Sud?
J'aimais cet homme. Je l'ai rencontré souvent, à Arles, à Paris, à Bruxelles, à Montréal, à Genève...
Voici l'écho d'une de ces rencontres. Actes Sud avait 25 ans, et il venait d'y publier Le bonheur de l'imposture.

Vous avez souvent hésité à publier chez vous, chez Actes Sud. «Le bonheur de l'imposture» y sort pourtant...
Tant que la maison était relativement petite, cela ressemblait trop à de l'autoédition. Et puis, il est arrivé un moment où des auteurs me disaient: Actes Sud, ce n'est pas assez bien pour tes romans? J'ai demandé à faire une première entorse au droit d'exclusivité de Grasset pour publier «Eléonore à Dresde» chez Actes Sud.
Certains livres que vous écrivez sont-ils mieux destinés à Actes Sud que d'autres?
Non. Mais, toute facilité mise à part ce n'est pas facile d'éditer dans sa propre maison, contrairement à ce qu'on pourrait croire, je me sens mieux chez Actes Sud qu'ailleurs, parce que je suis entouré de gens qui me disent de faire attention ici ou là. C'est exceptionnel ailleurs. Je me sens mieux entouré, mieux conseillé, et sans complaisance. Ils sont tous plus jeunes que moi, puisque mon premier associé, c'est ma fille, et ils appartiennent à sa génération ou à la suivante.
Votre parcours d'écrivain a commencé par la poésie, c'est assez classique...
Oui, et des nouvelles, dans des revues comme «Marginales» ou «Synthèse».
A quand un volume de nouvelles?
Je ne sais pas. Un volume dactylographié existe, mais je suis très incertain à ce sujet. Tout cela fait partie d'une époque ancienne. Je n'ai pas envie de réécrire ni de sortir une pièce à conviction de ma jeunesse... Je crois que je vais laisser ça à mes héritiers, ils feront ce qu'ils voudront. Mais les commencements, c'était vraiment poésie et nouvelles.
Ecrivez-vous encore de la poésie?
Plus rarement. La dernière publication que j'ai faite avec quelques inédits, c'était l'«Anthologie personnelle», en 1991. Avant cela, j'avais publié en 1982 «De l'altérité des cimes en temps de crise» aux éditions de l'Aire. En fait, le dernier travail que j'ai fait en poésie, incroyablement agréable et très difficile il m'a pris un an , est l'«Anthologie personnelle» de Berberova qui paraît maintenant. J'ai fait traduire, je me suis entouré de conseillers. J'ai des enregistrements de poèmes lus par Nina. Donc j'ai plus ou moins compris la musique et j'ai travaillé là-dessus, j'ai fait l'adaptation. C'est la poésie d'une autre, mais c'était un travail d'écrivain.
Vous parlez de Berberova, ce qui nous amène naturellement au personnage d'écrivain du «Bonheur de l'imposture». Eléonore Korab, racontée ici par son fils, évoque irrésistiblement la figure de l'écrivain russe imposé par Actes Sud. Ce n'est évidemment pas un hasard...
Bien sûr. D'ailleurs, il y a des scènes que je reprends des carnets «L'éditeur et son double». Par exemple, la scène de Montréal m'est arrivée. Je me suis trouvé dans cette situation abracadabrante: un organisateur prétendait avoir reçu la parole de Berberova qu'elle serait là, elle me disait qu'elle n'avait jamais promis de venir, et j'ai finalement décidé d'y aller. Les méthodes de ce type me déplaisaient, et, sans l'avertir, j'ai pris la parole et j'ai dit: Vous ne voyez pas Berberova pour une raison très simple: elle n'existe pas je l'ai inventée. J'ai commencé comme ça, et puis, tout à coup, je me suis arrêté en me disant que je ne pourrais jamais revenir en arrière.
Il y a souvent, dans vos romans, des pans d'autobiographie, mais une autobiographie dévoyée...
Tout à fait dévoyée!
Est-ce une volonté de vous raconter ou est-ce que cela s'impose parce qu'il n'est pas possible de faire autrement?
C'est un matériau. Je travaille très longuement avant d'écrire. Pour ce roman-là, l'écriture elle-même et les quelques versions successives m'ont demandé sept ou huit mois, mais il y a eu deux ans de travail préliminaire, de recherche de documents, de mise au point de l'idée, de l'action, de recherche du ton, du découpage... Au début, il y a une petite histoire autour d'Archibald Gracie, rescapé du naufrage du «Titanic». Elle est romancée, mais elle est fondée sur un rapport qui a été publié par le Lloyd's de Londres, un des assureurs du navire. Ça fait deux pages dans le livre, mais je suis quand même allé rechercher le document pour me fonder sur des choses. Je ne m'attendais évidemment pas à voir débouler le film de Cameron. Je me suis précipité pour le voir. Dieu merci, ou il a ignoré le document ou il n'a pas voulu s'en servir. Je ne peux pas nier non plus, puisque chaque chapitre est une autre manière de raconter l'histoire avec l'idée qu'on pourrait se trouver devant un psychanalyste le mot n'est jamais cité, qu'il y a aussi quelque chose d'autobiographique là-dedans. Avec les passions et les centres d'intérêt que j'ai, il est évident que j'ai été continuellement interpellé par la psychanalyse. Je n'y ai jamais cédé, je n'ai jamais commencé de cure. L'autobiographique, c'est l'espèce de dérobade à l'appel psychanalytique
Dans le roman, le psychanalyste est appelé «paysagiste». Le narrateur est cartographe. Ce sont des éléments qui nous renvoient aux débuts d'Actes Sud, non?
Ce sont deux choses différentes. J'avais eu l'idée que le fil conducteur du roman pouvait être cette réitération de la tentation psychanalytique. Et c'est venu comme une évidence. Par ailleurs, il est vrai qu'Actes a commencé par la publication de cartes. Et j'avais toujours été intéressé par le rapport sémiologique entre la cartographie et le langage. Ça me plaisait, d'avoir un personnage qui aurait une représentation paysagère de la vie. Il me semblait que cela donnait une unité au livre. Venant de la cartographie, Actes Sud a en effet publié des livres qui touchent à ce sujet. Le premier était «La campagne inventée», le deuxième, «Le temps et l'espace en Camargue», un peu plus tard le livre de Mendras... Puis est arrivé ce texte étonnant, «Pierre pour mémoire», et c'est là que notre carrière littéraire a véritablement pris son envol. Jamais je n'aurais imaginé que nous aurions trois mille titres et quatre-vingt-dix personnes salariées. C'est une énorme boutique!
Combien de titres publiez-vous maintenant chaque année?
Environ 250, mais il est important de noter que nous aurions pu grossir à la verticale, en faisant de plus en plus de romans, ou de plus en plus de ceci ou de cela, et on a opté pour une politique d'expansion horizontale. On a d'abord repris Papiers, qui est devenu Actes Sud-Papiers, puis on a créé la collection Babel , et puis on a racheté Solin, Sindbad, on a créé Actes Sud Junior, Actes Sud Nature...
Quelle est votre position personnelle par rapport à Actes Sud? Il y a quelques années, vous nous disiez déjà vouloir adopter une position plus en retrait tout en restant présent. Qu'en est-il aujourd'hui?
Mon obsession a toujours été de rester présent et en même temps de déléguer le plus possible, de faire passer le flux vital. J'ai horreur des problèmes de succession, je trouve ça odieux quand une firme s'interroge sur son avenir parce qu'on ne sait pas qui vont être les successeurs. Aujourd'hui, au point de vue structure, la société est devenue importante, et, au lieu d'avoir un conseil d'administration comme la plupart des sociétés anonymes, on a choisi la formule d'un directoire chapeauté par un truc qui porte un nom horrible, le conseil de surveillance. Je suis président du conseil de surveillance et j'ai à mes côtés les actionnaires minoritaires. Je surveille donc l'ensemble des activités. Au-dessous, il y a le directoire qui est dirigé par Françoise, ma fille, qui nous a rejoints au début de l'aventure, avec, à sa droite, Bertrand Py qui est le directeur éditorial et, à sa gauche, Jean-Paul Capitani qui est le directeur financier mais qui est aussi éditeur à sa manière. Donc je reste présent comme un conseiller, comme un type disponible à tous ceux qui veulent l'interroger. J'essaie de garder une influence pas une autorité, la nuance est importante sur la tenue graphique des livres, sur leur qualité de présentation. J'ai toujours été absolument convaincu qu'un impératif premier dans l'édition était de faire du livre un allié du texte et pas un adversaire. Il y a tellement de livres avec lesquels il faut se battre pour les lire! Je reste très impliqué dans la collection Babel et j'ai voulu, il y a deux ans, devant notre expansion et la diversification sur laquelle elle est fondée, créer une collection de rendez-vous littéraires, qui s'appelle Un endroit où aller, où on retrouve quelque chose des débuts d'Actes Sud. Ce sont des coups de coeur.
Ces coups de coeur, y en a-t-il que vous imposez à la maison?
Oui. Hier même s'est trouvée devant moi une jeune femme qui était pour moi une découverte insensée. Il y a des années que je ne suis plus tombé sur une écriture d'une si grande beauté, d'une si grande efficacité, et j'ai fait affaire avec elle sans consulter personne. Je veux relier ça à un phénomène qui est très important dans l'histoire de la maison. Au début, comme tout le monde, nous avions un comité de lecture. A un moment, on s'est retrouvé douze ou treize. Très vite, je me suis aperçu que c'était un lieu de négociations, de jeux d'influences, et que nous allions arriver à cette situation où sont arrivés tous les éditeurs de la place dont le comité est archicélèbre: les décisions se prennent en dehors du comité pour la plupart. Ce que j'ai voulu, c'est avoir dans la maison des éditeurs au sens anglais du terme , c'est-à-dire des gens qui s'occupent du texte, et les directeurs des grandes collections. Ces gens-là, on les a choisis parce qu'ils sont compétents. Ils sont capables de découvrir des textes et d'en assumer la vie. Je suis donc parti du point de vue qu'il fallait leur donner l'autorité de publier. Le seul lieu d'examen par lequel ils doivent passer, c'est l'examen économique. Comme nous avons toujours pensé que cette maison était destinée à découvrir des oeuvres et pas à gagner de l'argent, nous avons voulu que l'économie soit présente comme un moyen de réaliser nos découvertes et de ne pas risquer des aventures imbéciles.
Après vingt ans d'Actes Sud, quelle est votre plus grande fierté? Certains auteurs, le catalogue, l'équipe?
Beaucoup de choses viennent à égalité. Quand je regarde ces vingt années écoulées, la première est quand même d'avoir fondé une équipe où les deux mots sur lesquels je les ai lancés, plaisir et nécessité le plaisir de découvrir et de faire découvrir, la nécessité entre autres économique dont j'ai parlé, mais aussi de faire des livres qui soient beaux, agréables, existent toujours vingt ans après. Mes gars, qui sont à 80% des femmes, en sont toujours à travailler selon le plaisir sans jamais perdre de vue la nécessité. La deuxième chose dont je suis fier, mais c'est une fierté collective, c'est pourquoi je remplace le «je» par «nous» à partir de cet instant, c'est que nous avons inscrit au thesaurus littéraire contemporain des noms que personne ne connaissait. Mieux: des noms qui avaient été refoulés. Je pense à Berberova qui avait été repoussée par toute l'édition parisienne. Je pense à Paul Auster qui avait essuyé dix-sept refus d'éditeurs pour le premier volume de sa «Trilogie new-yorkaise», c'est-à-dire son plus grand succès. Il y a des gens qui étaient à leurs débuts, comme Goran Tunström... Maintenant, je suis comme un funambule qui, avec son balancier, se sent en sécurité. Je me balance entre les vingt ans qui viennent de s'écouler et les vingt ans à venir et que je ne verrai peut-être pas jusqu'au bout, je n'en sais rien, parce que je suis à un moment de ma vie où tout peut arriver n'importe quand. Entre le passé et l'avenir, je vois que le paysage est très beau des deux côtés. Voilà où j'en suis.

jeudi 10 novembre 2011

A la recherche du prochain best-seller

Vous n'en avez pas marre, vous, de vous jeter sur les mêmes livres que tout le monde? De constater, en regardant le classement Datalib dans Libé de ce matin, que vous avez déjà lu le n° 1 (Alexis Jenni, Goncourt oblige), le 2 (Emmanuel Carrère), le 3 (Delphine de Vigan), le 4 (Sylvain Tesson), et que vous avez même failli vous attaquer au 5 (Douglas Kennedy)? Ce que, d'ailleurs, vous ferez peut-être, puisque vous avez aimé les quatre premiers de la liste. (Enfin, je dis "vous" comme ça, hein!, en guise de figure rhétorique bas de gamme, ce n'est pas que je veuille à tout prix vous assimiler à moi, qui les ai vraiment appréciés.)
Bon, me dis-je ce matin, rassemblant à grand peine les idées éparpillées dans quelques rêves nocturnes avec lesquels je renonce d'autant plus aisément à vous assommer que j'en ai tout oublié.
Bon, donc, dis-je, et si je me mettais en quête du prochain best-seller, plutôt que de suivre le courant?
Il est bien joli, ce projet. Mais il faut quand même trouver des pistes. Où ça? Dans une revue branchée? J'essaie Les Inrocks? Cette semaine, Nelly Kaprièlan, grande prêtresse du bon goût (chez Bongou, à Madagascar, ils fabriquent de la charcuterie, je dis ça, je ne dis rien...), au point d'avoir, en 2009 et 2010, sacré le Goncourt avant même l'académie du même nom (mais pas cette année, et elle en semble presque soulagée, puisqu'on aurait pu lui reprocher un nouveau conformisme), cette semaine, écrivais-je avant de me lancer dans une phrase à tiroirs (fermons ces tiroirs, revenons au fait), Nelly Kaprièlan a sauté sur des chroniques cultes. Ah! culte et best-seller, voilà qui me convient. L'auteur, il est vrai, n'est pas un parfait inconnu. Nicolas Bedos s'est fait un prénom sur le dos de Giesbert (il l'avait bien mérité) et sur celui de ses invités (beaucoup d'entre eux l'avaient bien mérité aussi, pas tous) de La semaine critique (ne cherchez pas, c'était sur France 2, et ça n'existe plus).

Le volume 1 du Journal d'un mythomane (il se poursuit dans l'hebdomadaire Marianne, sans le son et l'image) ne sera peut-être pas un best-seller. Mais Nicolas Bedos n'a pas qu'un prénom, il a aussi une sacrée plume, insolente, inventive, réjouissante jusque dans ses excès, et notamment à cause de ses excès eux-mêmes. J'apprends, grâce à Nelly Kaprièlan, qu'il publie aussi des nouvelles. Bien, très bien. Dans L'Officiel. Ah! Faudra-t-il que je lise un mensuel dont semble s'être inspirée la nouvelle formule du Monde Magazine? (Depuis, je ne lis plus rien dans Le Monde Magazine.) Un effort, quand même. Je tombe, presque par hasard, sur le numéro de février. C'est bien ce que je pensais. Je ne suis pas intéressé, passez votre chemin, non, je ne m'y abonnerai pas. Malgré deux pages signées Nicolas Bedos. Comment j'ai tué Michel Houellebecq raconte la soirée post-Goncourt d'une certaine Paule (rafraîchissons les souvenirs: en 1998, Paule Constant a reçu le Goncourt avec Confidence pour confidence, alors que le favori était Les particules élémentaires, de... Michel Houellebecq, et Paule Constant en a beaucoup, et très injustement, souffert). Voici donc Paule maquillée comme un camion et décidée à se venger de son tourmenteur involontaire (ou presque: Michel Houellebecq, pareil à lui-même, convaincu de sa supériorité, avait quand même dit que le roman de Paule Constant était nul, et tout le milieu littéraire d'acquiescer comme un seul homme).
C'est très plaisant, Comment j'ai tué Michel Houellebecq. Comme risque d'être très plaisant le roman auquel, selon une rumeur qu'il entretient lui-même, Nicolas Bedos travaille. La plume aussi acérée que dans ses chroniques et ses nouvelles, j'espère. Mais je le soupçonne d'être un peu trop germanopratin (comme ils disent) pour franchir, avec ses livres, les frontières de l'Hexagone.
Le roman à venir sera donc peut-être un best-seller, oui.
Mais un best-seller mondial? Non.
Or, voyez-vous, aujourd'hui, il n'y a que cela qui m'intéresse. Débusquer le prochain best-seller mondial, le roman qui va faire exploser les ventes - roman, oui, quand même, car une biographie de Steve Jobs n'appartient pas à la littérature et, donc, m'excite beaucoup moins.

A qui le tour? Stephen King? Pourquoi pas? C'est un habitué. Combien de livres a-t-il publié, déjà? En tient-il lui-même le compte? Personnellement, j'ai un peu de mal à suivre. Mais je m'arrête sur celui-ci. Paru avant-hier, il est déjà classé au cinquième rang des meilleures ventes chez Amazon. Et quelque chose me dit qu'il devrait avoir une belle carrière. Voyez la couverture, remettez le titre à l'endroit (je veux dire: comme on écrit les dates en français), et 11/22/63 vous renvoie à Dallas, le 22 novembre 1963, le jour où Kennedy a été assassiné. Un sujet inépuisable, même sans aborder les multiples théories du complot qui se sont greffées dessus.
James Epping est, de nos jours, professeur de lettres à Lisbon Falls, dans le Maine. Son ami Al, le patron d'un snack qu'il fréquente assidûment, lui fait une proposition que je pourrais résumer ainsi: "Ta mission, si tu l'acceptes, consiste à sauver Kennedy." Ah! Curieux, n'est-il pas?
Mais, à ce moment, nous savons déjà plusieurs choses. Que, dans l'arrière-boutique d'Al, une faille temporelle est ouverte pour qui veut bien y pénétrer. Qu'elle envoie le candidat au voyage le 9 septembre 1958 à 11 heures 58. Que tout séjour dans le passé dure, au présent, deux minutes, quel que soit le temps écoulé à partir du 9 septembre 1958. Qu'Al vendait ses hamburgers (Fatburgers) moins cher que tous ses concurrents non parce que, comme certains l'en soupçonnaient, il les confectionnait avec du chat (on les surnommait Catburgers), mais parce qu'il achetait sa viande un demi-siècle plus tôt, au prix de l'époque. Que, pour les personnes rencontrées en 1958, chaque rencontre avec le visiteur du futur est la première. Et deux ou trois choses de ce genre, avec lesquelles Stephen King parvient à étayer, mieux que ne l'ont fait beaucoup d'écrivains avant lui, les voyages d'Al dans le temps, avec leurs limites et leur part de mystère. J'ai compris quelques-unes de leurs caractéristiques, mais pas toutes, dit en substance Al.
D'un de ces voyages, plus long qu'il n'était nécessaire pour faire ses courses chez le boucher, Al est rentré malade, mourant d'un cancer qui ne lui permettrait pas d'atteindre la date à laquelle il voulait agir pour empêcher Lee Oswald d'assassiner Kennedy. Et il se propose d'envoyer James à sa place pour faire le boulot. Celui-ci a-t-il le droit de refuser d'accomplir la dernière volonté de son ami?
"Tu peux changer l'Histoire, Jake. Comprends-tu cela? John Kennedy peut vivre."
Je n'en suis, dans ma lecture, qu'au début du quatrième et dernier chapitre de la première partie. Le roman compte six parties, c'est dire qu'il reste bien des choses à découvrir. Je vous raconterai peut-être, si j'en trouve le temps. A moins que je finisse par décider qu'il vaut mieux vous laisser dans l'attente de la suite, histoire de ne pas gâcher un plaisir à venir.
Stephen King, donc, futur best-seller mondial, quand les traductions suivront.
Vous me direz, et vous aurez raison, qu'il ne s'agit pas d'une surprise.
Et que vous aviez espéré, en commençant à lire cette note qui n'en finit pas, trouver quelque chose que vous ne connaissez pas.
Je ne vous donne pas tort.

Le problème, s'agissant de romans sur lesquels les éditeurs misent un maximum, avec l'espoir de retombées commerciales comparables, c'est qu'on en parle surtout en chiffres, et moins d'un point de vue littéraire. Dans le Wall Street Journal, par exemple, que je ne lis pas (encore moins que L'Officiel). Mais dont Courrier international a eu la bonne idée, cette semaine, de traduire en partie un article: A la recherche du prochain Harry Potter. Harry Potter et best-seller, vous l'avez compris, non seulement ça rime (pauvrement, certes), mais ce sont, dans la perspective qui m'occupe encore pour quelques minutes, de parfaits synonymes.
Selon le journal américain, Erin Morgenstern pourrait être l'heureuse élue. The Night Circus s'adresse aux jeunes et aux adultes, son univers est proche de celui de Twilight, l'éditeur (Doubleday) a signé en une semaine, la jeune écrivaine a "laissé le chèque de l'éditeur sur son bureau pendant un mois sans trop savoir ce qu'elle devait en faire."
Les ingrédients d'une nouvelle légende sont en place, l'avenir dira ce que deviendra le premier roman d'Erin Morgenstern, 33 ans. Il y est en tout cas question de magiciens, voilà qui pourrait plaire après Harry Potter.
On verra si le prochain best-seller mondial est ici... Il est peu probable, en tout cas, qu'il débarque de l’Ouzbékistan ou de, par exemple, Madagascar. Encore que. Rien n'est impossible.

mardi 8 novembre 2011

Calixthe Beyala offre une nouvelle vie à une adolescente de banlieue

A la première phrase, Pauline, huit ans, se fait fracasser la mâchoire par son frère aîné. Quelques années plus tard, elle se venge d’un coup de couteau qui balafre la main de Fabien… Le nouveau personnage de Calixthe Beyala fait de la vie un apprentissage plutôt rude. Et se dirige tout droit vers les marges de la société: à quatorze ans, elle a l’impression que la vraie vie est dans la rue plutôt qu’à l’école.
«J’ai été inspirée par une adolescente réelle, explique la romancière. C’était une jeune fille d’une grande sensibilité. Et je me suis dit qu’il y avait des livres sur l’adolescence partout, sauf en banlieue. J’ai donc voulu faire une photographie de l’intérieur, qui permette de connaître l’intimité de ces adolescentes.»
Pauline est la narratrice de sa propre histoire, au fil de ce qui lui arrive, sans recul et avec son interprétation des événements. Calixthe Beyala a, une fois de plus, changé de personnalité: «J’adore entrer dans les personnages, me dédoubler. Je dois être un peu schizo… Cela me permet d’être autre pendant plusieurs mois, et de me construire comme être humain. Bien sûr, c’est parfois douloureux, puisque je ressens les mêmes peines que Pauline. Mais aussi les mêmes joies, les mêmes plaisirs…»
Après tant de livres et de reportages qui font parler les jeunes de banlieue selon des codes de langage désormais bien établis, Le roman de Pauline détonne. On s’en étonne. La réplique fuse: «En banlieue, les gens parlent comme partout ailleurs. Peut-être le vocabulaire est-il moins riche. Mais ce qu’on appelle la langue de la banlieue est une caricature, voire une imposture. Devant un journaliste, les jeunes renvoient l’image qu’on veut qu’ils donnent!»
La jeune fille n’est en tout cas pas d’un seul bloc. «Elle est complexe, comme tous les êtres humains. Elle est métisse: sa mère vient du Nord de la France, son père, du Mali. Et ce métissage induit des réflexes sociologiques, culturels, la question de l’identité. Ses relations avec la police et l’école sont difficiles. Elle rencontre toute la panoplie des problèmes de la banlieue.»
Parmi ces problèmes, une belle place est accordée aux relations entre les garçons et les filles. Pauline a un «fiancé». Mais Nicolas est surtout une belle petite crapule pour qui l’avenir semble être un gros mot. Il en a bien assez à se débattre avec le présent et tout ce qu’il peut lui offrir.
Tandis que Pauline, de son côté, semble prête à évoluer dans une autre direction. Grâce à Mathilde, une enseignante qui la recueille au risque de se faire dévorer par l’adolescente. Qui lui donne à lire Le livre de ma mère. Qui l’écoute. Qui la sauve, peut-être.
«Tout enfant se laisserait aller s’il n’y avait pas quelqu’un qui lui tendait la main. Il y a une part de hasard : au départ, Pauline ne réalise pas sa chance. Elle manipule Mathilde, utilise la relation ambiguë entre les Noirs et les Blancs. Elle est très forte, à cause de ce qu’elle a souffert et qui l’a endurcie. Elle est à la fois mature et immature …»
Au début du roman, Calixthe Beyala montrait une assistante sociale dont les conseils étaient sans effets sur Pauline. A la fin, Mathilde réussit ce que l’institution a raté. Une leçon? «On a tendance à se débarrasser des problèmes sur des structures. Mais les gens y sont débordés, ils n’ont plus l’élan, le souffle pour aider. Tandis qu’une démarche individuelle peut réaliser de grandes choses.»
Aider une jeune fille à s’épanouir, peut-être.

lundi 7 novembre 2011

L'actualité littéraire (46) - Goncourt des Lycéens et Femina

Les lycéens ne s'inquiètent probablement pas de l'éditeur des livres qu'ils aiment - je l'espère, du moins. Malgré cela, ils sont tombés encore sur un roman publié chez Gallimard. Mais un excellent roman, Du domaine des Murmures, de Carole Martinez.
Après Le cœur cousu, vaste feuilleton sensible avec lequel elle courait les routes et ramassait, au bord de celles-ci, quantité de lecteurs, elle resserré son propos et l'a enfermé avec son héroïne Esclarmonde dans une cellule dont celle-ci ne devrait plus jamais sortir, pour avoir refusé d'épouser le nobliau que son père lui destinait. Vouée à Dieu en ce 12e siècle où on aime les miracles faute de pouvoir beaucoup espérer dans la vraie vie, elle devient objet d'adoration et de scandale. Car, avant de devenir sainte, elle avait été violée (l'identité du violeur est la part de suspense du roman) et était entrée enceinte en réclusion.
Un livre de douleur et de joie mêlées, comme il arrive dans les vies de grands mystiques, même imaginaires. Encore qu'au fond, je ne sais pas si Carole Martinez a inventé ou non son personnage, et cela n'a d'ailleurs aucune importance puisque Esclarmonde existe pour ses lecteurs.

Le prix Femina va à un livre au contraire plongé dans la rumeur du monde, même si celle-ci nous semble déjà si lointaine. Jayne Mansfield 1967, de Simon Liberati, raconte la mort - et la vie, mais il commence par la mort - d'une vedette de deuxième catégorie, qui eut son heure de gloire mais était déjà, lors de l'accident, sortie du cercle de lumière où elle aurait voulu rester. Vie ratée, destinée pathétique, tout cela est raconté avec force détails dans lesquels on se noie parfois mais qui, accumulés, finissent par donner une forte impression de réel.
On savait à peine encore qui elle avait été, cette Jayne Mansfield devenue strip-teaseuse pour arrondir ses fins de mois, et voilà qu'elle nous devient familière.

Puisque c'est une journée très chargée pour les imprimeurs qui fabriquent les bandes rouges destinées, dès demain (dès cet après-midi?), à désigner les différents lauréats, j'ajoute que le prix Femina étranger a été attribué à Francisco Goldman (Dire son nom) et le Femina essai à Laure Murat (L'homme qui se prenait pour Napoléon).

En face du jury féminin, des hommes ont donné le prix Virilo à Eric Chevillard (Dino Egger) et le prix Trop Virilo - les hommes n'en font jamais trop - à Eric Reinhardt (Le système Victoria).

Ce sera tout pour aujourd'hui.

vendredi 4 novembre 2011

L'actualité littéraire (45) - Les poètes belges s'exportent bien

Guy Goffette est le plus récent lauréat du Goncourt de la poésie. Jean-Claude Pirotte vient de recevoir le prix Apollinaire, souvent considéré en France comme la récompense suprême pour un poète.
Deux poètes belges dont le talent, certes, est connu depuis longtemps. Depuis qu’ils ont commencé à publier leurs textes, d’abord à des tirages confidentiels, ils n’ont cessé d’élargir le cercle de leurs lecteurs, en passant aussi tous deux, il est vrai, par le roman – mais toujours à forte connotation poétique, comme le montre encore Jean-Claude Pirotte dans son dernier livre, Place des Savanes.
Il est vrai aussi qu’ils se sont installés tous deux en France depuis des années, et qu’ils se sont rapprochés de grandes maisons d’édition – Gallimard pour Guy Goffette, La Table ronde pour Jean-Claude Pirotte.
Mais, surtout, ils n’ont cessé de suivre leur propre route, de faire entendre des voix personnelles. Pour le dire vite, Guy Goffette dans une quête sensuelle passant par les mots et Jean-Claude Pirotte dans des notations banales rehaussées par son regard singulier.
On ne parle pas assez de poésie. Moi non plus. L’occasion est belle de saluer ce double couronnement, même si presque une année s’est passée depuis le premier. D’autant plus belle que j’ai lu leurs premiers textes il y a longtemps, qu’ils existent encore en moi et se prolongent régulièrement dans de nouveaux livres.
Et puis, dirai-je ma première rencontre avec Guy Goffette, quand la conversation s’est prolongée, chez lui, jusqu’au milieu de la nuit? Ou les Chimay partagées avec Jean-Claude Pirotte dans un bar aujourd’hui disparu?
Je n’insiste pas.
Mais ces souvenirs sont aussi vifs que ceux des lectures, et les accompagnent.