Hier, le prix Wepler - Fondation La Poste a été attribué à Éric Laurrent pour Les découvertes, un roman assez étonnant (pour qui découvre cet écrivain) et dont l'écriture fascine. Des phrases souvent très longues, suspendues par des parenthèses rarement courtes, à l'intérieur desquelles l'écrivain installe des digressions qui semblent être là pour retarder le moment de plaisir que l'on pressent une fois que les parenthèses seront refermées. On connaît le mécanisme: retarder le plaisir est une manière de le renforcer.
Du coup, l'imprimeur s'y est mis aussi, au moins dans l'exemplaire que j'ai lu. Comme les découvertes sont, pour une bonne partie, celles de la sensualité (j'y reviendrai), je suis tombé en arrêt à la fin de la page 96, au beau milieu d'un strip-tease qui en arrivait au moment fatidique:
Un moment, l'ayant crocheté avec les pouces, elle étira de chaque côté l'élastique de son string, auquel elle parut imprimer un mouvement giratoire, comme elle l'eût fait d'un cerceau. S'étant tournée une fois encore, elle l'abaissait et le
Fin de la page 96.
Puis, en face, le texte se poursuit:
leurs bijoux, si bien que subsiste aujourd'hui en moi, plus de trente ans après, gravé avec la même netteté qu'une Vierge de Raphaël, une Vénus du Titien ou quelque autre divinité de Rubens [...]
Ah! Il y a un problème, non? En effet, j'ai déjà lu ça quelque part. A la page 65, pour être précis, et c'est bien le numéro que porte la page suivant la 96. Celle-ci reviendra 32 pages plus loin, avant de sauter à la page 129. Pour retarder le plaisir, l'imprimeur a donc été encore plus fort qu’Éric Laurrent, et je ne saurai jamais comment se termine le strip-tease, ni quels émois il a provoqués chez l'adolescent.
Celui-ci s'était découvert, à l'école, des problèmes de vision. Une fois ceux-ci résolus, il est entré de plain-pied, et avec émerveillement, dans le monde des mots. Puis dans celui des images, en particulier des images érotiques, selon une gradation assez habituelle à une époque où la pornographie n'était pas aussi répandue qu'à présent: les illustrations du Larousse, celles du catalogue de La Redoute, l'affiche du film Emmanuelle, les revues spécialisées pour un public masculin... Mais l'émotion produite chez lui par les femmes à demi nues, puis tout à fait nues, enfin offertes jusque dans leur intimité, est davantage esthétique que sexuelle - le plaisir solitaire naîtra d'ailleurs bien tard, et presque par hasard, au moment où il écrit lui-même une nouvelle érotique.
Même avec 32 pages de moins (mais je regrette, bien entendu, de ne pas les avoir lues), Les découvertes est un roman brillant et séduisant, sinueux comme un parcours aléatoire semé de distractions, jusqu'à la fin: les dernières pages sont occupées par trois longues notes qui sont de véritables nouvelles.
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