vendredi 24 décembre 2010

On fait le bilan de l'année ?

Entre la neige là-bas et les orages ici, dans ces fêtes obligatoires auxquelles je ne me fais pas et qui m'énervent de plus en plus - comment, le jour de Noël, trouver un restaurant qui propose une nourriture simple au lieu d'un menu tarabiscoté et prétentieux? -, le moment est venu de faire une sorte de bilan.
C'était quoi, le meilleur de ce qu'on a lu en 2010? (Puisque, en ce qui me concerne, 2010, c'est fini - je suis dans les lectures de 2011.)
Personne ne peut établir un classement absolu, puisque personne n'a tout lu. Dans les rédactions, les différents critiques recoupent leurs choix pour fournir une liste globale dans lesquelles il manque moins de choses. C'est ce que nous avons fait au Soir, pour vingt-cinq livres portés aux nues, dans tous les genres.
Je suis plutôt content: celui que j'avais classé en tête s'est aussi retrouvé premier de la liste générale. Le reste subit évidemment d'autres influences. Comme je ne peux justifier que mes goûts, je vais les assumer.
Avec deux mots d'explication préliminaire pour dire à quoi correspond mon espace de lecture par rapport à l'ensemble des parutions. Je ne parle que du roman (même si, dans mon classement, il y a d'autres choses). Reprenant, il y a quelques jours, la bibliographie de rentrée de Livres Hebdo, qui recensait 701 titres parus entre août et octobre, je constate que j'en ai lu exactement 80. Soit 11% de la production. Je dois être à peu près dans les mêmes proportions pour le reste de l'année, j'estime donc que je lis 10% des romans qui paraissent en France. Peu ou beaucoup? Je n'en sais rien. Pas assez à mon goût, en tout cas.
Voici, dans l'ordre de mes préférences, quinze livres dont on ne peut se passer.
(Un modem explosé a retardé cette note de quelques jours.)

Claro, CosmoZ (Actes Sud)
Définitivement le roman le plus fou, le plus ambitieux et le plus réussi de l'année.

Olivier Rolin, Bakou, derniers jours (Seuil)
Meilleur récit de voyage, dans la dispersion d'instants ultimes, ou supposés pouvoir l'être - ultimes.

André Brink, Bifurcations (Actes Sud)
Meilleure autobiographie, genre difficile auquel André Brink apporte, avec son histoire, tout son talent.

J.M. Coetzee, L'été de la vie (Seuil)
Tiens! Mon meilleur roman étranger est déjà le deuxième écrivain sud-africain de la liste.

Paul Verhaeghen, Oméga mineur (Cherche midi)
Oh! Deuxième apparition de Claro, puisqu'il a traduit ce roman.

Maylis de Kerangal, Naissance d'un pont (Verticales)
Non, je ne suis pas fâché avec les prix littéraires, la preuve...

David Vann, Sukkwan Island (Gallmeister)
Une grande découverte, chez un éditeur de petite taille. Le deuxième livre sera difficile, on l'attend.

Sofi Oksanen, Purge (Stock)
Un raz-de-marée totalement justifié. Et, non, je ne suis pas fâché avec les prix (bis).

Laurent Binet, HHhH (Grasset)
Le titre le plus incongru de l'année, Goncourt du premier roman (ter) pour un auteur à suivre absolument.

Caroline De Mulder, Ego tango (Champ Vallon)
Encore un prix (Rossel) pour le meilleur premier roman de la rentrée, envoûtant.

Simonetta Greggio, Dolce Vita (Stock)
Le roman le plus sous-exposé de la rentrée (paru un peu trop tard, peut-être), une formidable évocation des années de plomb en Italie.

Colin Thubron, En Sibérie (Hoëbecke)
Deuxième récit de voyage, genre où l'on trouve du bon et du moins bon. De l'excellent, ici.

Philippe Forest, Le siècle des nuages (Gallimard)
Un oubli injuste de la part des prix littéraires - je suis parfois fâché avec ceux-ci.

Jonathan Coe, B.S. Johnson (Quidam)
La meilleure biographie de l'année (j'en ai lu assez peu), à propos d'un écrivain méconnu.

Philippe Genion, Comment parler le belge (Points)
Le meilleur livre de poche de l'année (j'en ai lu beaucoup).

lundi 13 décembre 2010

Le prix Goncourt de la poésie à Guy Goffette

Des prix littéraires, le poète Guy Goffette, né en 1947, en a trop reçu pour en faire tenir la liste sur une carte de visite. En France d’abord avec le prix Guy Lévis-Mano dès 1983, année de son premier recueil marquant, Solo d’ombres. Puis en Belgique, en 1988, le Grand Prix de littérature de la Communauté française, au moment où venait de paraître Éloge pour une cuisine de province. Les deux Académies l’ont primé. Quelques beaux noms d’écrivains, dont ont été baptisées des récompenses, surgissent dans le palmarès: Mallarmé, Maurice Carême, Valery Larbaud, Marcel Pagnol. Quand il est passé à la prose, le Rossel ne l’a pas raté – en 2006, pour Une enfance lingère.
Tout cela est bel et bien mais, se dit-on, ne vaut pas le Goncourt. Sinon que le Goncourt aussi, maintenant, a salué Guy Goffette pour l’ensemble de son œuvre. Il rejoint une de ses compatriotes, Liliane Wouters, ainsi que Claude Roy, Yves Bonnefoy, Andrée Chedid, Philippe Jaccottet…
Il y a une trentaine d’années, du côté d’Arlon, Guy Goffette composait lui-même à la main une revue, Triangle, et des poèmes qu’il aimait, à l’enseigne de L’Apprentypographe. Il était déjà viscéralement attaché aux mots, forgeant des vers comme on grave le marbre: pour toujours, ou au moins au-delà de sa propre durée de vie. L’homme qu’il est porte au naturel le verbe haut, comme une revendication permanente, tandis que la musique de ses poèmes joue souvent de sonorités plus légères.
Guy Goffette ne peut se comprendre que si on le considère dans sa double démarche d’écrivain et de lecteur, à moins qu’il s’agisse d’une démarche unique sous le règne de la langue. Il est devenu rapidement chroniqueur à la NRF et à La Quinzaine littéraire, il est aujourd’hui éditeur chez Gallimard, conséquence logique d’une passion majuscule pour l’écriture des autres aussi. On ne compte plus ses préfaces, il a consacré des livres à Verlaine, Ardennais comme lui, à Auden, à Chavée…
Une sensualité sourde bat dans ses poèmes comme dans sa prose, émotion contagieuse qui fait naître des ondes longuement propagées sur une surface que l’on pensait claire et qui, pourtant, masque à peine de profondes inquiétudes.
C’est ainsi, soir après soir, / Que nous sommes devenus mortels, écrit le poète qui a, pareil aux autres, cru au bonheur, / Comme les gosses battant pavillon / Sur un peu d’eau croupie dans l’arrière-cour.
Bien sûr, il se vendra moins de Goncourt Goffette que de Goncourt Houellebecq. Mais le cœur peut bien pencher du côté du premier.

mardi 7 décembre 2010

C'est dans la poche : enfin le n° 3 !

Voici une proposition de lecture qui ne vous prendra pas trop de temps: je n'en ai pas eu assez (du temps) pour intégrer à ce troisième numéro tout ce que j'aurais voulu y mettre - et en outre je suis en retard par rapport au programme que je m'étais fixé!
Plutôt que de me couvrir la tête de cendres, je vous offre donc en souriant la livraison de décembre, avec une explication (pour le retard et le volume limité) dont je vais faire l'économie ici: elle est déjà dans l'éditorial.
Puisque c'est le moment des cadeaux, je prouve qu'un livre de poche en édition limitée, comme les éditeurs ont pris l'habitude d'en mettre en vente à la fin de l'année, est une bonne idée.
Si vous lisez des livres adaptés au calendrier, en voici quatre qui se déroulent à Noël - très différents les uns des autres.
Et, si vous voulez tout autre chose, découvrez (ou redécouvrez) le très grand écrivain américain John Cheever, adhérez après des dizaines de milliers d'autres lecteurs à la Barcelone de Carlos Ruiz Zafon, ou faites-vous avec Olivier Magny une idée de la manière d'être parisien...
C'est à charger ou à lire ici:
Je rappelle l'existence d'un petit site (lien dans la colonne de droite) un peu foutraque (j'arrangerai ça quand j'en trouverai le temps) mais où vous retrouverez les numéros précédents.

mercredi 1 décembre 2010

Deux jolis prix Rossel

Le prix Rossel, en Belgique, c'est, toute proportions gardées, l'équivalent du Goncourt en France. Avec publication, avant la dernière délibération du jury (composé d'écrivains), d'une liste de cinq ouvrages retenus pour le prix. Avec aussi son annexe pour les jeunes. Cette année, la présence dans la sélection de deux romans dont on avait beaucoup parlé - et ici même - semblait limiter le choix non à cinq, mais à deux titres: Une forme de vie, d'Amélie Nothomb, et L'assassinat d'Yvon Toussaint, d'Yvon Toussaint.
Et puis non, le jury en a décidé autrement, saluant un des premiers romans les plus spectaculaires de la dernière rentrée littéraire (au-delà de la nationalité de son auteure), Ego tango, de Caroline De Mulder. Sur ce livre qui m'avait beaucoup impressionné, j'avais écrit un article, que voici.

Si le tango peut être une passion, l’héroïne du premier roman de Caroline De Mulder en a fait une passion majuscule. Elle vit tango, elle respire tango, elle boit tango, elle mange tango – quand elle mange. Après avoir dansé dans sa robe légère, elle dort dans les milongas, là même où la fièvre des corps a rythmé la nuit. Elle accepte ses pieds détruits, admire le pas des meilleurs, l’allure des plus élégantes, la folie des autres qui est aussi la sienne. La musique vrille les oreilles, le vertige s’installe. Et la phrase suit, virgule, virgule, à petits pas, virgule, virgule encore, rupture du point, retour de la virgule, virgule, marche en avant, marche en arrière, le regard fixe, les mots comme écrasés par un mouvement à la fois raide et souple, agressif et voluptueux, virgule, virgule…
Ego tango est un livre qui se lit comme il se danse, à la limite d’une asphyxie encouragée par les lieux enfumés où se retrouvent les membres de cette secte étrange. Ils forment une petite communauté dans laquelle chacun observe tout le monde, mais davantage pour estimer la qualité des danseurs que pour leur prêter des aventures à l’extérieur du cercle. L’histoire, elle aussi, ne s’écrit qu’en dansant. «J’étais belle, nous dansions en murmurant sur une piste presque vide. L’histoire, ça dépendait, on brodait à mesure. Des fois c’était un gaucho, je l’imaginais tenant son cuchillo, d’après Ezequiel au contraire, il sifflait très nonchalant. Nous décidions, selon la musique et les rythmes, que tel morceau était glorieux, tel sanglant ou languissant, c’est à qui décrirait l’orage ou l’accalmie ou les grands sentiments, ou les morts qui tombent, c’était de la rêverie faite de broc, de clichés à tous crins et de souvenirs d’enfance, ça partait dans tous les sens, rien d’impossible cœur vaillant nous avons failli nous aimer.»
Enseignante à l’université de Namur, Caroline De Mulder prépare, pour l’an prochain, un essai intitulé Faust amoureux. Comme essayiste, on ne sait pas encore. Mais, comme romancière, elle en connaît un bout sur l’amour et la souffrance, sur la jouissance et la douleur. Elle vient de marquer son territoire en lettres flamboyantes, jetant toutes ses forces dans la bataille et imposant une voix âpre, forte.
Elle réussit en outre, malgré le rythme obsessionnel de son écriture derrière lequel tout le reste pourrait s’effacer, à faire exister des personnages et à leur prêter les mystères de leurs vies. Ezequiel, le sombre amant qui veut faire du cinéma. Lou, la maîtresse d’Alexis de Saint-Ours, et peut-être sa victime. Car il s’en passe, des choses, dans les coulisses, dans le vide de ce qui n’est pas empli par le tango. D’où vient le bleu qui marque le coup de Lou? Pourquoi Alexis ne se décide-t-il pas à quitter sa femme? Quand la narratrice trouvera-t-elle la force de dire à Ezequiel qu’elle ne supporte pas ses manières et lui lancera-t-elle ce simple mot: dégage!
A sa manière, Ego tango est un tour de force, porté jusqu’aux limites de la résistance physique et mentale. On s’y trouve toujours un peu à côté de soi, et c’est peut-être l’endroit d’où l’angle est le meilleur pour tout voir et tout comprendre. A condition de se laisser embarquer par la musique et de suivre à l’intuition, comme on apprend le tango dans la confiance du (ou de la) partenaire. Cette partenaire-ci se révèle parfaite pour nous entraîner jusqu’au bout du livre, même si on n’a jamais mis les pieds sur une piste de danse.

Quant au Rossel des jeunes, il salue un roman ancré dans l'histoire roumaine de la fin du siècle dernier, et lui aussi très réussi: La maison de l'âme, de Chantal Deltenre.

Chantal Deltenre s’est emparée d’un beau rituel que, du moins l’imagine-t-on, son travail d’ethnologue lui avait fait découvrir en Roumanie. Elle en a fait le fil conducteur d’un roman à la hauteur de ce qu’il représente: un lien entre les vivants et les morts, entre la maison d’en bas et la maison d’en haut.
La maison d’en bas est très compromise. La journaliste qui débarque en Roumanie de sa propre initiative, persuadée par, précisément, un ethnologue, découvre l’ampleur du «Plan de systématisation du territoire». Elle en avait entendu parler, elle ignorait à quel point il avait conduit à des destructions de maisons et à l’expulsion de leurs habitants, relogés par le régime Ceausescu dans des blocs insalubres. En particulier à Snagov, lieu de villégiature de la nomenklatura, où Stefan M., l’ethnologue roumain, a proposé de l’emmener pour son reportage. Les victimes du Plan s’appellent eux-mêmes les démolis et la chute du dictateur n’a pas signé la fin de leurs problèmes: la plupart n’auront jamais les moyens de récupérer leurs terrains, que se disputent les favoris du nouveau régime. Stefan, pour sa part, dès qu’ils sont arrivés à Snagov, n’a pas cessé de fuir la journaliste, comme s’il avait quelque chose à cacher, ou comme s’il se cachait lui-même…
La maison d’en haut, celle qu’on occupera après la mort, est l’objet de toutes les attentions. Chacun l’équipe à la manière traditionnelle, donnant les objets nécessaires à d’autres personnes qui seront les intermédiaires entre les deux mondes. La narratrice, à qui une femme agonisante a donné au Tchad un sac en coton – elle ne s’en sépare pas –, est sensible au symbole de ce don et partage volontiers La maison de l’âme avec celles et ceux qui en expriment le désir.
En une semaine dense où les interrogations se multiplient, la romancière serre les nœuds d’un livre émouvant où tout est dit sur un ton juste.

vendredi 26 novembre 2010

Comment peut-on être parisien?

On me demande (parfois), ces dernières semaines, ce que je deviens – parce que le blog est moins nourri. Je bosse, je bosse. Je prépare notamment le troisième numéro de C’est dans la poche (les deux premiers sont toujours disponibles), où vous pourrez notamment lire ceci, que je vous offre en avant-première.

Il y a de ces livres qui ne ressemblent à rien de connu et font plaisir. Ni tout à fait blog (bien que les textes soient nés à l’origine sur Internet, Olivier Magny s’en explique plus bas), ni vraiment ouvrage sociologique (quoique certains en pensent), pas seulement humoristique (c’est pourtant assez drôle), Dessine-moi un Parisien est un livre qui rebondit sur les clichés et dont l’auteur, Parisien, se moque (aimablement) de lui-même.
Au point de départ, c’est le vin qui intéresse Olivier Magny. Il a porté la bonne parole (aimez le vin français, il vous le rendra au centuple, on simplifie, bien sûr) un peu partout dans le monde avant de se réinstaller à Paris. Dans un bar à vin, cela va de soi.
Le poste d’observation semble idéal, si l’on en croit le résultat.
Il est possible de le chicaner un peu : d’un chapitre à l’autre, certaines redites donnent à penser que le livre a été écrit trop vite. Mais, après tout, il n’est pas vraiment conçu pour se lire d’un seul élan. Il vaut mieux l’avaler à petites gorgées, le laisser reposer, le reprendre. Toute la saveur est dans la modération.

Tous les animateurs d’un blog doivent se le demander : comment se fait-on remarquer par un éditeur au point de susciter chez lui le désir d’un livre ?

Aussi surprenant que cela puisse paraître, je ne me suis jamais considéré comme un « blogueur ». À dire vrai, le principe même des blogs me dérange. Tous ces gens qui se racontent, avec immodestie et sans pudeur, ne disent je trouve pas grand-chose de bon sur eux comme sur l’époque que l’on vit. Je ne lis donc jamais de blog. Et quitte à écrire quelque chose qui dans la forme s’apparente à un blog, je me suis dès le début de cette aventure fixé une règle cardinale : ne jamais parler de moi.
Peut-être ceci a-t-il contribué à rendre mon « blog » plus sympathique pour les lecteurs – car il parlait d’eux bien plus que de moi. Pour le reste, il faut, je pense, savoir écouter. Les commentaires aident à savoir si l’on est dans le juste. Si ce que l’on écrit résonne. À titre personnel, j’ai eu beaucoup de chance. La chance qu’Emmanuelle Heurtebize, directrice éditoriale, fût un jour assez audacieuse et imaginative pour voir dans ce blog écrit en anglais un livre écrit en français. Je lui dois une bonne partie de toutes les belles choses qui m’arrivent aujourd’hui.

De la note publiée sur Internet à ce qu’elle devient dans le livre, quel genre de travail avez-vous effectué ?

Un travail tout d’abord de traduction. Il m’a ainsi fallu trouver un style en français. La mécanique de l’écriture en anglais était bien rodée. Il fallait trouver de la justesse et du beau en français. Aller chercher de l’humour et du souriant derrière les mots sérieux du français. Une fois les textes bouclés, vint le travail d’illustration effectué par Marie Sourd. Son talent est une véritable bénédiction pour le livre. Chaque article est illustré, de la plus fine des façons, avec humour là encore et un style très enlevé.

Avez-vous pensé aux Lettres persanes de Montesquieu en vous demandant comment on peut être parisien ?

J’ai simplement essayé de faire ni trop faux, ni trop mal fichu. Je n’ai jamais espéré faire vrai ou joli. L’idée d’ouvrir les Lettres persanes et de me dire « Tiens, voyons comment il a bricolé ça le baron » ne m’a jamais effleuré. Et puis, à sa différence, je suis j’en ai peur juge et partie dans cette histoire.

Comment éviter la caricature ? Vous semblez mettre tous les Parisiens dans le même sac…

Beaucoup d’amis, de lecteurs me disent « oh, tu devrais écrire un article là-dessus. » Et le plus souvent, je m’en garde car une autre règle que je m’applique est que ce que j’écris dans ce livre doive fonctionner pour tous les Parisiens (le plus grand nombre en tout cas). Par-delà les âges, les quartiers, les classes sociales, les opinions politiques et les sociotypes. Ce livre n’est donc pas un livre qui décrit les bobos ou les csp+. Il décrit les Parisiens dans ce qu’ils ont en commun, de la vieille dame un peu chic au jeune étudiant négligé.

Au fond, puisqu’il ne s’agit pas vraiment de sociologie, avez-vous surtout voulu écrire un livre amusant ?

Oui. Quand je vois que dans certaines librairies, on trouve Dessine-moi un Parisien au rayon sociologie, je m’interroge sur ce qui doit être publié en sociologie de nos jours… Ce livre est avant tout un livre souriant. Qui je l’espère brosse un portrait dans lesquels les Parisiens se reconnaîtront et dont les autres se délecteront. Si en creux des choses sont dites, c’est tant mieux. C’est en tout cas l’équilibre que j’ai essayé d’établir entre justesse du trait et dérision affectueuse.

Les tics, les attitudes que vous décrivez sont-ils aussi les vôtres ?

Certains, oui. Mais je me soigne, docteur.

mercredi 10 novembre 2010

Goncourt des Lycéens : Inculte !

Non, non, ici, Inculte (avec une majuscule) n'est pas une injure, bien au contraire.
C'est une belle bande d'écrivains, dans laquelle on trouve Maylis de Kerangal, prix Médicis cette année, Claro, pas encore récompensé pour CosmoZ (mais ça viendra, ça doit venir!), et Mathias Enard, dont Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants a reçu hier le prix Goncourt des Lycéens. Vivent les lycéens, qui préfèrent la grâce d'un pont (pas celui de Maylis de Kerangal, cela aurait pu aussi) dessiné par Michel-Ange à la pesanteur d'une œuvre plastique imaginée par Michel Houellebecq!
Forts de leur expérience de lecteurs encore limitée mais déjà subjective (comme il se doit), les membres du jury final se sont exprimés sur leur choix. Dans une dépêche AFP, je relève quelques phrases qui me plaisent beaucoup. Emeline, 18 ans, à propos de La carte et le territoire: "Les phrases manquaient de finition... ou peut-être que ce n'est pas le style qui nous plaît". Ou, pour comparer le Goncourt des adultes et celui des jeunes, François-Xavier, 15 ans: "On préférait quelque chose qui avait une profondeur qu'il n'y avait pas dans Houellebecq". Et pan!
Après la démesure rythmée de Zone, Mathias Enard a écrit un roman bref inspiré par un séjour de Michel-Ange à Constantinople, où le Sultan lui demande de construire un pont. L'artiste ignore s'il en est capable mais, comme il râle sur le pape, il y va. Il se promène, prend des notes (des listes, en fait), esquisse quelques dessins, s'ennuie un peu, s'interroge beaucoup. A-t-il bien fait de venir? On lui avait promis une fortune pour son travail, et les avances sont si maigres qu'il vit chichement.
C'est beau comme un conte occidental trempé dans une pâte orientale, avec l'ambiguïté sexuelle d'un chanteur (ou chanteuse), danseur (ou danseuse) dont la silhouette hante Michel-Ange. C'est beau comme un échec sublime.

lundi 8 novembre 2010

Houellebecq, donc, et Virginie Despentes

Il n'y a pas eu de surprise. Et, comme moi qui l'annonçais avec quelques heures d'avance sur le résultat officiel, l'académie Goncourt a brûlé les étapes: 1'29" de délibération, un prix attribué au premier tour (comme l'an dernier, où Bernard Pivot faisait la gueule parce qu'il n'y avait pas eu de débat) dès 12h47 (au lieu de 13 heures, pour faire l'ouverture des journaux télévisés) à Michel Houellebecq.
Le prix Renaudot était moins prévisible. Et les jurés se sont presque écharpés. Il a fallu 11 tours de scrutin pour que Virginie Despentes et son Apocalypse bébé soit couronnée avec quatre voix, de justesse devant Dolce Vita 1959-1979, de Simonetta Greggio, trois voix - dommage, je viens de le lire, et c'est formidable -, et deux voix encore à ce qui semblait presque un gag, le roman autoédité d'Edouard Nabe, L'homme qui arrêta d'écrire.
Il y avait deux autres prix Renaudot.
Pour l'essai, Mohammed Aïssaoui est le lauréat avec L'affaire de l'esclave Furcy.
Et, pour le livre de poche, c'est Fabrice Humbert avec L'origine de la violence.
Tout cela fait un beau palmarès, n'était le cas de Michel Houellebecq dont je vous ai longuement entretenu tout à l'heure. (Et, si vous l'avez manqué, c'est ci-dessous.)

Michel Houellebecq, le jour de gloire?

La grande majorité de ceux qui écoutent et décodent les rumeurs parisiennes autour du prix Goncourt (aujourd'hui à 13 heures) pensent la même chose que moi: Michel Houellebecq sera le lauréat du prix Goncourt 2010 pour La carte et le territoire.
Au contraire de la majorité de cette majorité, je ne pense pas que ce soit une bonne chose. (Sinon pour avoir cette question derrière nous, et qu'on n'en parle plus, la prochaine fois qu'il sortira un roman à la rentrée.)
Vendredi, Fannie Rascle, une journaliste d'Europe1, cherchait presque désespérément des opposants au Goncourt pour Houellebecq. Elle m'a téléphoné, comme elle (ou sa collègue Amélie Bertrand, qui a rédigé l'article avec elle) avait téléphoné à Abeline Marjorel (du site Chroniquesdelarentréelittéraire.com), Jean-Marc Parisis (Le Figaro) et Marie-Rose Guarniéri, libraire. Les deux premiers pour, la dernière contre.
Voici comment ce que je lui ai dit a été résumé sur le site d'Europe1:
Le thème choisi par Michel Houellebecq est "sans doute intéressant", mais pour Pierre Maury, interrogé par Europe1.fr, le compte n’y est pas. "Sur le plan littéraire, il y a quelque chose de pesant, il n’y a pas d’innovation. C’est comme s’il suffisait d’entreprendre une démarche d’écriture sur notre monde, et après on pourrait écrire n’importe quoi. Il n’est pas classique, il est quelconque", assène-t-il. Et "ça n’a rien à voir avec le personnage Houellebecq", tient à préciser Pierre Maury. "Il peut être énervant c’est vrai, mais ce sont ces livres qui m’énervent", ajoute-t-il. "Il se dit beaucoup qu’il est temps qu’il ait le Goncourt, mais s’il l’a, je ne suis pas sûr que ce soit pour de bonnes raisons", conclut le critique littéraire.
Je regrette qu'elle n'ait pas précisé un "détail" qui me semblait avoir son importance: vendredi, au moment de notre conversation, je n'avais pas encore lu La carte et le territoire, et mon jugement ne reposait que sur les autres livres de Michel Houellebecq - je l'avais répété plusieurs fois.
Ceci dit, maintenant que j'ai lu La carte et le territoire, je n'ai pas changé d'avis. Je m'explique.

Comme il le fait souvent, Michel Houellebecq embrasse une thématique qu'il décline en thèmes secondaires, sur laquelle il construit un récit et plaque des réflexions.
Il est question d'art et de marché de l'art, de démarche créatrice et de représentation du monde. Jed Martin s'est fait connaître par des reproductions de cartes Michelin qui ont servi de support à sa première période et ont fait de lui un photographe coté. Dans une deuxième période, il devient peintre et produit une série de tableaux dans lesquels il introduit des personnes représentatives de la société contemporaine. Au début du roman, il bute d'ailleurs sur une toile dont il n'est pas satisfait, où il plaçait côte à côte Jeff Koons et Damien Hirst, à la manière dont il avait déjà rapproché Bill Gates et Steve Jobs. La dernière toile de cette période, point d'orgue de l'exposition au cours de laquelle ses œuvres vont s'arracher, est un portrait de Michel Houellebecq. Il y aura aussi, chez Jed Martin, une dernière période, dont le résultat ne sera connu qu'après sa mort: vidéaste, il filme des objets en décomposition et une nature triomphant de l'homme (pour le dire vite). C'est d'ailleurs, me semble-t-il, la part la plus intéressante de sa production.
Entre les trois époques, l'artiste se laisse vivre, périodes de latence pendant lesquelles il ne cherche rien et préfère attendre le retour de l'inspiration.
Tout cela ne va pas sans poser de multiples questions et induire des réflexions, comme je le disais plus haut.
A propos de la culture envisagée comme marché, c'est Michel Houellebecq - le personnage - qui fait la comparaison avec la durée de vie d'un appareil photo numérique:
«C'est un beau produit, un produit moderne; vous pouvez l'aimer. Mais il vous faut savoir que dans un an, deux ans tout au plus, il sera remplacé par un nouveau produit, aux caractéristiques prétendument améliorées.
«Nous aussi, nous sommes des produits...» poursuivit-il, «des produits culturels. Nous aussi, nous serons frappés d'obsolescence. Le fonctionnement du dispositif est identique - à ceci près qu'il n'y a pas, en général, d'amélioration technique ou fonctionnelle évidente; seule demeure l'exigence de nouveauté à l'état pur. [...]»
Ce n'est pas faux. Mais ce n'est pas non plus très original. Pas davantage qu'au moment où Jed Martin s'interroge sur sa propre démarche:
[...] il se demanda fugitivement ce qui l'avait conduit à se lancer dans une représentation artistique du monde, ou même à penser qu'une représentation artistique du monde était possible, le monde était tout sauf un sujet d'émotion artistique, le monde se présentait absolument comme un dispositif rationnel, dénué de magie comme d'intérêt particulier.
Ouais... Ce genre de moment arrêté dans le cours du roman fait, pour les uns, le charme de Houellebecq. Charme discutable, selon moi, puisqu'il ne s'agit généralement que de ressasser des lieux communs, sans aucune innovation pour la pensée. Certes, on ne demande pas à un romancier d'être un penseur. Mais, dans le cas qui nous occupe, ce romancier entreprendrait, semble-t-il, de décoder le monde contemporain. Et pourtant, après avoir refermé le livre, ce monde semble devenu encore plus opaque, comme si aucune des explications proposées n'était la bonne. Il faut dire que des explications à l'emporte-pièce font rarement avancer le schmilblik...
Tout le monde a relevé, déjà, que Michel Houellebecq met en scène sa propre mort dans ce roman. Rien d'inédit, là non plus. Mais l'occasion d'introduire une énigme plus proche du polar destinée, peut-être, à alléger un livre touffu et, pour tout dire, étouffant. Dans le genre, il vaut mieux aller voir, comme un policier le conseille à un autre policier, du côté d'un Thierry Jonquet.
Reste ce qui fait, à mes yeux, la principale faiblesse de La carte et le territoire, déjà présente dans les précédents romans de Michel Houellebecq: l'écriture est lourde, appliquée, sans aucune aspérité ni inventivité.
Mais peut-être, au fond est-ce cela qui plaît, puisqu'on ne prend aucun risque littéraire en embarquant dans les quatre cent et quelques pages de La carte et le territoire...

mercredi 3 novembre 2010

Une belle paire de Médicis

Réjouissons-nous ensemble: le jury Médicis a eu le nez fin aujourd'hui. Et, au Soir, nous avions eu le nez creux. A la demande du journal en ligne, Lucie et moi, qui passons nos jours et nos semaines à lire (ainsi qu'à écrire sur les livres que nous avons lus), nous étions réunis dix minutes par téléphone pour décerner, comme un jeu, les prix littéraires du Soir. En nous limitant aux sélections telles qu'elles étaient connues la semaine dernière (et qui sont mises à jour ici), nous avons donc choisi les romans (français seulement) auxquels les différents prix nous paraissaient convenir. Ce n'étaient pas des pronostics, et d'ailleurs nous avions préféré Jean-Marie Blas de Roblès à Éric Faye pour le Grand prix du roman de l'Académie française.
Mais voilà que les choses s'améliorent: hier, le Femina est allé à notre favori; aujourd'hui, le Médicis aussi. Les jurés ont le même bon goût que nous. Et on peut en faire (gentiment) une nouvelle histoire belge chez Bibliobs, cela fait plaisir.
Donc, Maylis de Kerangal reçoit le prix Médicis du roman français pour Naissance d'un pont. Un livre qui tranche sur la production littéraire (envisagée dans son ensemble et en faisant la moyenne, ce qui est bien sûr une sottise). Rigueur, ambition, écriture tenue dans un registre où on se sent bien dès les premières lignes. Il y a tout dans la construction de ce pont envisagée par une romancière capable d'adopter différents points de vue, de nous raconter une histoire, de décrire les paysages, de discuter de la composition du béton... Un roman formidable!
Formidable aussi, celui de David Vann, prix Médicis du roman étranger. Sukkwan Island est, dans le cadre d'une nature hostile (sur une île d'Alaska), le récit d'un échec. Un père a embarqué son fils de treize ans dans une vie à la sauvage, pour un an. Ses motivations sont moins claires que ses déclarations. Et ils ne sont pas vraiment préparés à l'expérience qui les attend. Cela va tourner au drame, on le devine très vite. Mais on ne devine absolument pas la surprise que nous a préparée David Vann au milieu de son livre...
Deux prix excellents, et une belle journée pour la littérature.

Au Renaudot aussi, c'est dans la poche

Je ne suis pas dans les confidences du jury Renaudot.
Et je ne sais pas si l'un ou l'autre des jurés de ce prix a lu C'est dans la poche. (Honnêtement, ça m'étonnerait.)
Mais voyez la jolie coïncidence: hier, alors que venait de paraître le deuxième numéro de ce magazine, la dernière sélection du Renaudot introduit, pour une nouvelle récompense, deux livres de poche.
L'un d'entre eux, d'ailleurs, celui d'Éric Holder (Bella Ciao), a été chroniqué dans le premier numéro de C'est dans la poche. Désolé pour l'autre (L'origine de la violence, de Fabrice Humbert), il était paru plus tôt dans l'année et n'avait donc pas trouvé place dans ces pages.
On en reparlera très vite (la semaine prochaine). Aujourd'hui, c'est jour de Médicis et de premier roman...

mardi 2 novembre 2010

Les prix, c'est l'inflation : trois Femina, deux Virilo

Trois Femina, deux Virilo, c'est le tarif du jour pour les prix littéraires. Et la saison se poursuit plutôt agréablement après le Grand Prix du roman de l'Académie française de la semaine dernière.

Certes, je n'ai pas lu La vie est brève et le désir sans fin, de Patrick Lapeyre, prix Femina du roman français (avec près d'une demi-heure de retard sur l'horaire annoncé, les débats ont dû être serrés). Mais tout ce que j'en ai entendu dire me donne à penser que j'aurai du plaisir à le découvrir le moment venu. Quand il sortira au format de poche, probablement.
Et je ne sais rien, malheureusement de l'Elisée Reclus de Jean-Didier Vincent qui lui vaut le prix Femina de l'essai.

Mais Purge, de Sofi Oksanen, qui avait déjà reçu le prix Fnac, et qui double la mise avec le prix Femina du roman étranger, est un livre formidable. Il y est question de l'Estonie, à l'Histoire complexe et liée à celle de l'URSS autant que de l'Allemagne (pour les années d'occupation pendant la seconde Guerre mondiale). Une jeune femme qui a vécu l'horreur de l'esclavage sexuel alors qu'elle croyait trouver la richesse découvre, dans la maison où a vécu sa famille, ce qu'il reste du souvenir de celle-ci, par Aliide, chargée des secrets du passé. L'atmosphère est aussi lourde que les gestes peuvent être légers, les époques se croisent - des années quarante aux années quatre-vingt-dix. Et la réussite est complète pour cette jeune auteure dont il s'agit du premier livre traduit en français.

Face aux dames du Femina, les moustachus du Virilo ont imposé leurs moustaches (postiches) autant que leurs choix depuis la création de leur prix. Double prix, en réalité.
Le prix Virilo proprement dit récompense le meilleur roman francophone de l'année et va à Emmanuel Dongala pour Photo de groupe au bord du fleuve - paradoxalement couronné pour, je cite le jury, "la description féministe d'une Afrique contemporaine démunie et violentée mais pleine d'espoir et d'humanité."
Et le prix Trop Virilo, qui récompense "la poussée de testostérone littéraire de l'année" va à... une femme, Virginie Despentes, pour Apocalypse bébé. Je cite encore le jury qui justifie ainsi son choix: "Jusqu'à sa fin explosive, le roman tend à prouver que le seul moyen pour devenir complètement femme, c'est d'emprunter les codes virils du mâle."
Je me garderai bien de faire mienne cette interprétation. Et je me contenterai de la satisfaction de voir couronnés deux excellents livres - que j'ai lus et appréciés.

C'est dans la poche : le numéro 2 est disponible

Cela n'a pas été sans mal, pour les raisons que j'explique dans l'éditorial (à lire ci-après), mais voilà: le deuxième numéro de C'est dans la poche est disponible. On peut le lire ou le télécharger dès maintenant sur les sites de Scribd et de Calaméo.
Une astuce: si vous préférez lire en ligne avec deux pages face à face (si donc vous avez la chance d'avoir un bel écran), il vaut mieux suivre le lien Calaméo - le fichier compte une page blanche de plus, après la couverture, grâce à laquelle les articles de plus d'une page seront vus avec la présentation du magazine, telle qu'elle a été conçue.
Les autres liens viendront en leur temps, c'est-à-dire, je pense, très rapidement. Ils seront tous disponibles sur la page dédiée à la revue.
Et voici donc l'éditorial, pour me faire pardonner deux jours de retard (par rapport à ce que j'avais prévu).

À l’heure du bouclage,
Internet rend l’âme…


Les joies d’un bouclage mensuel sont diverses – autant que celles d’un bouclage quotidien, hebdomadaire, ou tout autre rythme de parution que vous pourrez imaginer. Il y a la copie qui traîne, promise pour avant-hier, et pourquoi ce n’est pas encore là ? Je me le demande, je me réunis avec moi-même et je m’engueule. Puisque, jouant ici à peu près tous les rôles (à un article près, qui a failli arriver en retard mais s’est pointé le jour dit, merci Nicolas), je ne peux m’en prendre qu’à moi-même.
Et un peu aussi à mon fournisseur d’accès Internet, qui m’a laissé presque complètement en rade pendant les trois jours prévus pour terminer ce deuxième numéro de C’est dans la poche. Bon, c’est le week-end, lundi est férié. La hotline est ouverte, mais seulement pour prendre les appels. En ce qui concerne la solution du problème, il faudra attendre mardi. Le 2. Un jour de retard sur mes prévisions.
C’est qu’il manque encore quelques couvertures de livres, puisées avec difficultés sur les sites d’éditeurs grâce à une connexion 3G+ de secours. Avec une carte prépayée dont la validité a expiré il y a un mois. Qui lit les indications en petits caractères ? Pas moi. Jusqu’à maintenant. Ça va changer…
À l’exception de ces quelques contretemps, pourtant, tout va bien. Le numéro que vous venez d’ouvrir ressemble, un peu plus que le premier, à ce que je pouvais espérer. Vous me direz ce que vous en pensez.
L’accueil, le mois dernier, a été bon. Excellent, même. Il semble que je sois le seul à avoir vu tous les défauts de la livraison d’octobre. Plusieurs blogs ont signalé l’existence de C’est dans la poche qui, du coup, a pu commencer à exister vraiment, pour au moins 2000 lecteurs.
On m’a suggéré une édition au format epub. Au moment où les liseuses se répandent à toute allure, c’est certainement une bonne idée. Mais il faudrait, pour réaliser cette déclinaison de la version PDF, faire reculer les limites de mes compétences en informatique. Cela viendra peut-être.
La priorité reste cependant de proposer, dans une présentation agréable (qui ne va pas non plus jusqu’à l’élégance que pourrait obtenir un metteur en page digne de ce nom), un contenu solide, basé sur la lecture critique des livres. Et de piocher chaque mois dans l’abondante production des éditeurs au format de poche.
La présence d’un dossier consacré à une collection, un reportage sur «Lire en Poche», des citations au second degré et une page renvoyant vers Internet (quand cela fonctionne) sont les nouveautés de ce deuxième numéro. Avec la présence de quelques auteurs grâce à leurs photographies.
Rendez-vous dans un mois.

vendredi 29 octobre 2010

Eric Faye, Grand Prix du roman de l'Académie française

J'avais lu deux des trois romans qui restaient en lice, hier, pour le Grand Prix du roman de l'Académie française: Naissance d'un pont, de Maylis de Kerangal, et La montagne de minuit, de Jean-Marie Blas de Roblès.
Dans l'après-midi, celui-ci attendait, avec son éditeur, une nouvelle qu'il espérait bonne. Mais, vers trois heures et demie, un peu avant l'annonce officielle, Jean-Marie Blas de Roblès apprenait qu'il n'aurait pas le prix cette fois-ci.
Ni d'ailleurs Maylis de Kerangal, malgré les six voix encore obtenues au troisième tour de scrutin, malgré surtout les grandes qualités de son roman - je me console en me disant qu'on n'a pas fini d'en parler pour les autres prix littéraires qui vont se suivre en rafale, et sur les dernières sélections desquels cette page vous tient informés.
Le lauréat est donc, vous le savez probablement, avec neuf voix, Éric Faye pour Nagasaki. Un livre bref que j'ai lu hier soir. Sans la maîtrise de Naissance d'un pont, il s'en dégage malgré tout un charme certain.
Un météorologue d'une cinquantaine d'années, célibataire, constate que de la nourriture disparaît pendant qu'il est au travail. Après un instant de panique (le frigo se nourrirait-il de yaourts et de jus de fruits?), il envisage une solution plus rationnelle et installe chez lui une webcam qui lui permet d'exercer sa surveillance toute la journée, du bureau où son écran d'ordinateur montre ce qui se passe chez lui - s'il s'y passe quelque chose.
En effet, il ne tarde pas à surprendre la voleuse, puisqu'il s'agit d'une femme, et alerte la police qui vient la cueillir. Non sans mal, car elle se cachait dans une petite pièce inutilisée. Si l'on ajoute que le météorologue, saisi de compassion pour sa cohabitante secrète (il apprendra qu'elle vivait chez lui depuis un an sans qu'il s'en soit rendu compte), a essayé de la prévenir pour qu'elle s'enfuie avant l'arrivée des forces de l'ordre, on aura compris que sa dénonciation lui pèse dès lors qu'il l'a faite.
Dans la dernière partie du roman, la femme réfugiée chez lui devient la narratrice. Des échos renvoient d'une vie à une autre. Une part de mystère demeure, mais emplie d'une humanité ancrée dans des lieux où le passé a laissé des traces...

vendredi 22 octobre 2010

"Le premier mot" selon Vassilis Alexakis (entretien)

Vassilis Alexakis a publié récemment un roman beau et fort, Le premier mot. Il envoie une femme, la sœur d'un universitaire qui vient de mourir - Miltiadis - à la recherche des origines du langage articulé. Et rend cette quête passionnante grâce à la manière dont il installe ses personnages dans une fiction. J'ai écrit un article sur cet ouvrage, accompagné d'un bref entretien dont voici l'intégralité - parce que vous le valez bien, comme on dit...

Avez-vous eu le désir de connaître Le premier mot? Est-ce que cela vous travaillait?
Oui. Je suis même étonné d’avoir tant tardé à avoir eu cette idée. Vous savez, je me suis installé en France à l’époque des colonels, j’ai écrit en français et travaillé comme journaliste de langue française. Après la dictature, je suis revenu au grec puisque mes livres pouvaient paraître en Grèce aussi. Et j’ai passé ma vie dans les dictionnaires. Ce sont mes livres de chevet. Il était donc assez naturel que j’aie ce besoin de savoir: au fond, tous ces mots innombrables que j’ai vu défiler devant mes yeux, d’où sont-ils partis? Et pourquoi est-ce qu’on a commencé à parler? Et qu’est-ce qu’il est impossible de dire sans le langage articulé, puisqu’on peut s’exprimer par des cris ou avec les mains? Et quelles sont ces choses mystérieuses qui ont nécessité la création du langage articulé? Donc, effectivement, j’étais très curieux. Et j’ai eu peur, à un moment, qu’on le connaisse, ce premier mot. Qu’on me dise: en fait, le premier mot, c’était cela et il voulait dire telle chose. Heureusement, on ne le connaît pas. Donc il y avait lieu d’écrire un roman.
C’est un roman dans lequel il y a beaucoup de savoir. N’était-il pas difficile d’intégrer toute cette science à un roman?
C’était une très grande difficulté. C’est le roman, c’est la littérature qui m’intéresse, plus que les langues, plus que le reste. Le problème était d’arriver, dans un roman, d’une façon simple et naturelle, à englober toutes ces connaissances, toutes ces découvertes, etc. Mais, au fond, c’était moins compliqué que je ne le craignais au début. Parce qu’il fallait, évidemment, inventer les personnages, et les inventer de telle façon qu’ils soient romanesques, c’est-à-dire qu’ils participent à la fois à l’enquête et au roman. Comme exemple de ce mélange des deux aspects du livre, je citerais le personnage de la jeune fille sourde. Elle est très importante pour le livre. Elle a son histoire, ses drames, ses rêves, etc. En même temps, elle incarne un peu cette période de notre préhistoire où, d’après les linguistes, les paléontologues, etc., nous nous exprimions exclusivement par nos mains. Donc cette période de l’humanité, essentielle pour l’enquête sur le premier mot, est incarnée par un personnage qui va, qui vient, qui fait la cuisine, qui fait du théâtre, qui tombe amoureux, qui perd son père, etc. Vous voyez, pour chaque chose, il fallait trouver le personnage, ou alors les circonstances qui rendent cette exploration romanesque.
Il fallait aussi que le narrateur ne soit pas Miltiadis, parce qu’il était trop savant pour le lecteur?
Il fallait que tout cela soit dit très simplement, justement parce que le sujet est savant. Il me fallait un personnage qui ne soit pas une femme savante, puisque c’est une femme qui raconte. Et qu’elle ait toutes les difficultés qu’aurait chacun à mener cette enquête, et que j’ai eues moi aussi à la mener. Si vous voulez, je suis redevenu étudiant pendant les deux années où je faisais le livre. Il y a une joie extraordinaire à apprendre des choses nouvelles. La curiosité, je l’ai éprouvé, était un moteur fondamental. J’ai eu, en gros, une chance inouïe de pouvoir entendre – parce que j’ai vu beaucoup de monde pour faire le roman – tous ces gens me parler du cerveau humain, des premiers pas de l’humanité, du langage des bébés, parce qu’on pense que les premiers hommes qui ont parlé ont dû le faire un peu à la façon des bébés qui commencent à articuler, qui cherchent à fabriquer quelque chose qui ait un sens… Donc, d’une certaine manière, c’était un livre très difficile à faire pour garder un équilibre entre le roman et l’enquête. Et en même temps, à cause de cette difficulté qui m’a énormément stimulé, c’était un livre plus facile à faire, par rapport à un livre d’apparence facile. Je suis arrivé à ce paradoxe que les livres difficiles sont plus faciles à faire que les livres faciles…
Il y avait beaucoup de choses à dire…
Oui. Mais, comme vous avez pu le constater, tout cela est raconté d’une façon très simple. Et on ne parle évidemment pas que du premier mot dans le livre, même si c’est le thème qui revient. Il fallait que cette enquête ait un fondement romanesque très puissant pour qu’elle soit plausible. Il fallait bien une mort et la promesse faite à un frère disparu pour que la sœur se lance à la fois dans cette enquête et dans l’écriture, puisqu’elle n’a jamais écrit de sa vie.
La sœur de Miltiadis, qui est donc la narratrice, n’a-t-elle pas de nom?
Vous êtes très observateur. C’est tout à fait volontaire. Je pense que les personnages de roman n’ont pas nécessairement besoin de nom. Comme c’est la narratrice et un peu moi, je me suis dit: non, ce n’est pas la peine de lui donner un nom. On va traverser le livre, la sœur va vivre très bien sans nom. C’était un peu un défi de faire vivre quelqu’un et de le rendre tout à fait crédible pour le lecteur, puisque c’est quand même elle qui mène tout le roman, sans lui donner de nom. Je ne suis pas sûr que tout le monde l’a remarqué.
La sœur de Miltiadis fabrique des petits bateaux. Le bateau est-il un symbole du passage?
Oui, d’une certaine manière, le bateau est le passage sur l’Achéron, le fleuve entre les vivants et les morts. Tout le livre est un voyage infini sur une rivière qui sépare deux mondes. Le bateau, pour moi, c’est aussi la Grèce. C’est mon voyage, mon départ de Grèce. Je suis parti en bateau du Pirée. A un moment, il est question du mot nostalgie qui a été créé de toutes pièces par un Suisse…
… Mais à partir du grec…
… Oui, à partir du grec, mais c’est une création d’un médecin suisse. Et au fond, mon idée, c’était que l’on donne le nom de ce médecin à une rue du Pirée d’où je suis parti à l’époque des colonels. Ma vie a été forcément marquée par cet événement et elle a changé radicalement depuis lors. Donc le bateau, c’est tout cela. C’est un passage entre les morts et les vivants, entre le silence et les mots aussi. Parce qu’on peut penser que le premier mot a rompu un silence très ancien, de plusieurs centaines de milliers d’années.
De chercher les liens communs entre les langues, ce qui les unit à partir de cette première racine, cela vous amène à parler de l’autre, de la peur de l’autre, du rejet, du repli sur soi, et donc de politique française…
Oui, le livre a un aspect qui colle assez bien à l’actualité, parce qu’il dit le contraire de toutes ces politiques nationalistes, xénophobes, etc. Toutes les langues se connaissent, aucune n’est la propriété ou la création exclusive d’un pays. Les langues sont le produit d’un dialogue très ancien avec d’innombrables autres langues. Donc les langues nous enseignent le dialogue et pas du tout le rejet de l’autre. D’ailleurs, dans le livre, il y a un personnage qui rappelle que quand on suit avec bienveillance et attention une conversation dans une langue qu’on ne comprend pas, il y a de fortes chances pour qu’on comprenne quand même quelque chose. Même quand on croit ne connaître qu’une langue, sans le savoir, on en connaît plusieurs. Les autres langues sont présentes dans la langue qu’on parle. A des degrés divers, d’une façon ou d’une autre. Mais elles sont présentes. C’est l’esprit contraire à cette espèce de repli sur soi et de rejet de l’autre que pratiquent plusieurs Etats aujourd’hui et qu’on pratique en France en ce moment.
Pour terminer sur une note un peu plus légère, quand vous écriviez le livre, veniez-vous de découvrir le jeu de sudoku? Il est présent à plusieurs reprises…
J’avais commencé à jouer plus tôt. Et, pour faire le livre, j’ai dû m’enfermer pendant deux ans à Paris dans un studio que j’habite et qui ressemble tout à fait au studio de mon personnage. Simplement, je n’habite pas en face de l’Institut de paléontologie. Et, quand on est enfermé à ce point, on cherche des moments de paix où on n’est plus obligé de réfléchir au roman. J’ai trouvé que le sudoku était une très bonne solution, parce que ça me libérait de mes soucis de construction du roman pendant une petite heure. Depuis que j’ai terminé le roman, j’ai remarqué que mon intérêt pour le sudoku a singulièrement diminué.
Vous n’en avez plus besoin?
Non. Maintenant, j’ai besoin de trouver un autre sujet de roman et, peut-être que, quand j’aurai commencé à l’écrire, je vais reprendre ce jeu, qui est un jeu absurde mais qui a le mérite de nous faire oublier le reste pendant un moment.

jeudi 21 octobre 2010

Wallender, dernière enquête

Aujourd'hui, tout le monde parle de Henning Mankell et de son nouveau roman. Enfin, tout le monde, c'est peut-être excessif. Mais c'est l'impression que j'en ai. Le jour même de son arrivée en librairie, L'homme inquiet fait l'objet de grands articles dans Libération et dans Le Monde. L'événement est en effet exceptionnel: Wallender, personnage devenu familier à tous ceux qui l'ont côtoyé dans les livres, tire sa révérence.
Comment?
Je ne le sais pas encore, et je crains, si je lis les articles, de le découvrir, ou au moins d'être mis sur l'une ou l'autre piste qui me gâcherait le plaisir de la surprise - plaisir mélangé de la tristesse, déjà présente, de voir s'éloigner une silhouette qui m'a souvent accompagné dans une sorte de présence amicale.
Alors, au lieu de lire les articles, voilà: j'ai commencé le roman. Cela va durer plus longtemps, mais c'est le principe même du roman policier. On ne connaît la clé de l'énigme qu'à la fin...

mercredi 20 octobre 2010

Prix littéraires : où en sommes-nous?

La plupart des jurys ont dégraissé la première sélection proposée en septembre, les listes d'octobre présentent donc des choix plus restreints en attendant, pour certains, une troisième et ultime sélection - le Renaudot mardi 2 novembre, l'Interallié le lendemain, le Goncourt le surlendemain, au moment où nous connaîtrons les prix Femina et Médicis). C'est un peu l'embouteillage là où, il y a un mois, c'était la bouteille à encre. Et nous ne sommes en réalité pas beaucoup plus avancés.
Pour les plus curieux d'entre vous, je le leur rappelle, les principales sélections sont mises à jour au fur et à mesure de leur publication sur cette page. Dont je vais essayer de tirer quelques enseignements à la lumière de ce que j'écrivais il y a un mois (et deux jours).
D'abord - il fallait s'y attendre -, la plupart des "petits" éditeurs qui avaient été placés dans la lumière grâce aux premières sélections ont été rejetés dans l'ombre par les deuxièmes. Aux yeux des jurés des principaux prix, seules ont trouvé grâce les Éditions de l'Escampette, par l'intermédiaire de Jean Rodier, sauvé des eaux En remontant les ruisseaux.
Un phénomène curieux - et peut-être inédit, en tout cas pour le moins inhabituel - s'est produit du côté du Renaudot. Neuf titres ont été virés dans un grand nettoyage, mais trois autres ont été introduits, comme un remords. Parmi eux, L'homme qui arrêta d'écrire, de Marc-Edouard Nabe, qui ne risque pas de jouer rôle dans les luttes d'influence entre éditeurs traditionnels, puisqu'il a sorti son livre à compte d'auteur! Surprenant, non?
Comme je m'étais avancé, la dernière fois, en proposant des favoris qui me paraissaient logiques, examinons la situation pour savoir s'ils ont survécu.
Michel Houellebecq, avec La carte et le territoire (Flammarion), me semble toujours le favori du Goncourt - ou du Renaudot si le premier lui échappait. Pronostic maintenu.
Patrick Lapeyre (La vie est brève et le désir sans fin, POL), que je donnais en première ligne pour le Femina, est toujours là. Mais Claude Arnaud (Qu'as-tu fait de tes frères?, Grasset) a disparu de la sélection du Médicis, ce qui fait de lui un concurrent plus sérieux face à Lapeyre au Femina, à moins que le Renaudot s'en empare si Houellebecq est goncourisé.
Vous suivez?
En tout cas, c'est à suivre...

lundi 18 octobre 2010

Fatou Diome et ses femmes qui attendent (entretien)

Fatou Diome a publié récemment un nouveau roman, Celles qui attendent, où des hommes manquent au village - ceux qui sont partis d'Afrique vers l'Europe en espérant y trouver l'Eldorado. Et où les femmes sont restées. Explications.

Y a-t-il des femmes puissantes dans Celles qui attendent?
[Rires.] Vous voulez absolument me rattacher à une autre auteure? Ce n’est pas cool! Les femmes de mon roman sont tout à fait humbles, qui sont face à quelque chose de plus puissant qu’elles, et qui luttent malgré tout.
Précisément, n’est-ce pas cette humilité, combinée à la volonté de vivre et de faire vivre leurs familles, qui les rend fortes? (La référence à Marie Ndiaye n’étant qu’un clin d’œil.)
J’appellerais ça la force des désespérés. Elles savent qu’elles n’ont pas le choix, elles n’escomptent aucun soutien. Elles sont obligées de trouver dans la nature quelque chose pour tenir. Quand elles vont ramasser du bois de palétuvier, quand elles rentrent avec les pieds et les bras lacérés, c’est violent sur un corps de femme. Mais elles n’ont pas le choix si le bois de palétuvier, par exemple, est le seul combustible. Donc elles doivent y retourner, non pas parce qu’elles sont courageuses, mais parce qu’il n’y a pas d’autre possibilité. Ce sont des femmes fragiles face à la lutte existentielle et elles essaient de tenir debout.
Elles remplissent leur mission, parce que quelque chose les oblige à le faire. Mais quoi? Le besoin de vivre, simplement?
Le besoin de maintenir la vie qu’elles ont donné. Ce sont des mamans et les enfants demandent toujours à manger aux mamans, surtout en Afrique. C’est rare de voir les enfants aller demander aux papas: «Papa, quand est-ce qu’on mange?» Non, c’est toujours: «Maman, quand est-ce qu’on mange?» Et je pense que les femmes ont cette force viscérale de toujours lutter pour sauver les enfants. C’est physique, c’est charnel, c’est instinctif. Je pense qu’elles se plient en quatre pour que les enfants survivent. D’ailleurs, dans le livre, les grands-mères se battent encore plus férocement que les belles-filles qui, elles, sont encore trop jeunes pour comprendre tout ça.
Votre roman parle évidemment de celles qui sont là, qui sont restées en Afrique et attendent, mais aussi de ceux qui sont partis en Europe. C’était pour vous un point central du livre?
Oui, c’est même l’idée principale. Parce qu’on a l’habitude de parler d’immigration, depuis l’Europe. Mais il faut se dire qu’il s’agit, vu de l’autre côté, d’émigration. D’un déchirement, d’un arrachement à la structure familiale, d’une séparation, donc nostalgie et frustration… Souvent, les femmes africaines ne dévoilent pas leurs sentiments. Dire, dans son village, qu’on est nostalgique de son mari parti gagner sa vie, ça ressemble à un caprice. Ces femmes-là vont vivre ça au quotidien en essayant d’être silencieuses. Et moi, je fouille dans tout ça… La différence entre immigrant et émigrant est très importante. Pour une femme qui va se marier, c’est beaucoup plus qu’une nuance. Elle ne se marie plus seulement à un Africain, elle se marie à un émigrant, donc au futur immigré de retour, avec tout ce que cela suppose. Ce sont des gens qui ont déjà une aura.
Ce que cela suppose, c’est évidemment une partie des richesses qu’on trouve en Europe?
Oui, c’est le château en Espagne – c’est le cas de le dire puisqu’ils partent dans des pirogues vers les côtes espagnoles. Les femmes pensent que tout va s’arranger quand le mari va rentrer, riche à millions. Elles vont vivre en couples modernes, tendres, affectueux, parce qu’elles ne veulent pas vivre comme leurs belles-mères.
Vous expliquez très bien dans le roman que celles qui restent ignorent une grande partie de la manière dont vivent ceux qui sont partis…
Tous les émigrants connaissent ça. Je l’ai vécu, et on discute souvent entre nous de l’idée que les Africains se font de notre itinéraire et de notre quotidien en Europe. C’est toujours très différent de ce que nous connaissons en réalité. Quand vous êtes dans une des grandes puissances économiques du monde, les Africains ne peuvent pas imaginer que vous puissiez manquer de quelque chose. Tout ce que vous ne donnez pas, c’est donc par égoïsme, et non par manque. C’est ce que disent les gens. D’autre part, les jeunes femmes voient des jeunes gens très machos, d’une virilité très affirmée, qui ordonnent à la maison – car la société africaine est ainsi faite que l’homme ordonne et que la femme est souvent soumise –, et elles ne peuvent imaginer qu’arrivés en Europe ils sont réduits à vendre leur propre chair et à devenir presque des gigolos pour pouvoir survivre grâce à certaines dames européennes qui ont parfois l’âge de leurs grands-mères.
De cette autre vie qu’ils ont menée en Europe, ils ne parlent jamais?
Non, ils n’en parlent jamais. Il y en a même qui ont des enfants en Europe et qui n’osent pas en parler. Parce qu’il arrive qu’ils rentrent en Afrique et ils voudraient peut-être emmener les enfants mais, comme la femme européenne n’est pas d’accord, ils partent sans les enfants. Et, une fois arrivés sur place, ils n’osent pas l’avouer, parce qu’ils ont laissé une épouse et des enfants. Il y a beaucoup de situations tragiques de ce genre. Vous avez aussi des épouses qui attendent au village et qui perdent définitivement leur émigrant. Parce qu’il arrive aussi de belles histoires d’amour en Europe. Il y a des histoires vénales pour sortir d’un foyer Sonacotra, pour loger dans un vrai appartement chauffé, avec une dame blanche qui finance. Mais il y a aussi de vraies histoires d’amour qui se passent, et qui parfois cassent le couple organisé au village par les parents.
Parfois, une belle histoire d’amour se reconstitue, comme à la fin de votre livre, qui est plutôt optimiste…
Je pense qu’il y a deux fins. Issa, le mari de Coumba, revient avec une dame européenne et trois petits métis. Coumba, qui l’attendait depuis des années, n’a qu’un seul enfant et va découvrir tout ça, dépitée, résignée, elle va rester parce que ça lui donne les moyens de nourrir son fils et c’est la seule raison pour laquelle elle reste. Elle ne sait même plus si elle est amoureuse ou pas. Quand son homme repart, elle ne sait pas quand elle va le revoir. C’était pour moi une manière de dire qu’il y a beaucoup de problèmes de ce genre. Effectivement, les hommes reviennent. Mais, quand ils partent, on ne sait jamais pour combien de temps. Il y a des femmes qui supportent ça en Afrique. Il y a aussi des histoires comme celle de Lamine. Quand il revient, il a épuisé sa curiosité de l’Europe et il va décider de construire son destin en Afrique. Cela arrive de plus en plus, de la part de garçons instruits.
Il y a quelques mots magiques dans votre roman. Si l’on tient compte du fait que la magie ne fonctionne pas de la même manière en Europe et en Afrique, l’un d’eux est Western Union…
Oui, Western Union! [Grand éclat de rire.] J’ai hésité à mettre le nom dans le livre, je me demandais si ce n’était pas trop prosaïque. Mais j’ai pensé au Mandat de Sembène Ousmane. Dans ce livre qui a été adapté au cinéma, c’est le mandat qui relie l’immigrant et sa famille restée au Sénégal, c’est le cordon ombilical. Finalement, c’est parfois la seule preuve de vie, quand on reçoit un petit mandat. Le téléphone est tellement cher qu’on préfère envoyer le montant en Afrique. Western Union, c’est à chaque fois un bol d’oxygène dans les villages.
Puisque vous parlez de Sembène Ousmane, où vous situez-vous par rapport aux autres romancières et romanciers africains?
Je ne me situe pas! [Rires] Je citais Sembène Ousmane parce que j’ai fait ma thèse sur son œuvre. Mais je ne situe pas par rapport à la littérature africaine, ou américaine, ou française. Je ne me pose pas la question et je refuse de me la poser. C’est une manière de vous laisser, vous, critiques littéraires, à vos responsabilités. Et, d’ailleurs, j’ai vraiment compris ce qu’était la vie de mon père sur sa barque de pêcheur en lisant Le vieil homme et la mer, d’Ernest Hemingway.

dimanche 17 octobre 2010

Challenge Maigret (8) : Maigret à l'école

Suite du parcours dans les enquêtes que mène le commissaire Maigret sous la houlette de Georges Simenon. Le challenge Maigret continue...

Une envie d'huîtres et de vin blanc
Maigret à l'école (1954)

C'est le printemps et Maigret a envie de prendre l'air. Il n'a rien à faire dans les Charentes et le meurtre de Léonie Birard ne le concerne pas. La vieille enquiquineuse n'est d'ailleurs regrettée par personne dans le village de Saint-André-sur-Mer, trois cent vingt habitants et des tas de misérables petits secrets que l'ancienne postière connaissait tous. Mais Gastin, l'instituteur, est venu jusqu'à Paris pour se mettre, selon ses propres mots, sous la protection du célèbre commissaire. Étranger au village, il est certain d'être désigné coupable. On ne l'aime pas beaucoup non plus.
Un autre jour, ces histoires auraient peut-être ennuyé Maigret. «Ce matin-là, avec le soleil qui entrait par sa fenêtre et apportait des tiédeurs de printemps, avec sa pipe qui avait un goût nouveau, il écoutait, un vague sourire aux lèvres, les mots qui lui rappelaient un autre village, où il y avait aussi des drames entre la postière, l'instituteur, le garde champêtre.»
Il se décide d'un coup: il ramènera l'instituteur à Saint-André-sur-Mer, qu'il n'aurait pas dû quitter, et profitera de quelques jours de congé, ce qui ne lui est pas arrivé depuis longtemps, à manger des huîtres et à boire du vin blanc.
Si le vin blanc est disponible en quantité, il n'y a pas d'huîtres, ni même de moules: ce n'est pas le moment. Et la mer ne sent pas assez la mer à son goût. Bref, le séjour est plutôt morne. D'autant que l'enquête, dont bien sûr il se mêle à titre privé, influence son humeur dans le mauvais sens. Tant qu'il s'agit d'observer les gens de l'extérieur, ce n'est qu'un jeu plutôt agréable. Puis le policier devient plus proche de leur comportement, on se surprend à penser comme eux et cela devient beaucoup moins drôle.
En outre, l'affaire implique des enfants et Maigret n'est pas habitué à leur manière de mentir, de travestir la réalité. Il est un peu déstabilisé par une enquête qu'il conduira bien entendu à son terme, à sa manière. Avec un effet très perceptible d'accélération dans les événements, quand l'énigme est sur le point d'être résolue et qu'il a hâte d'en finir, de boucler pour reprendre le train du soir.
«Maigret paraissait un peu triste, ou fatigué, comme presque chaque fois qu'il en avait fini avec une affaire. Il était venu ici pour manger des huîtres arrosées de vin blanc du pays.»
Sous le signe de la déception, voici pourtant un excellent Maigret.

mardi 12 octobre 2010

Roger Jon Ellory et les mystères d'un homme

Son premier roman paru en français a fait le bonheur des amateurs de thrillers. Seul le silence avait en effet tout pour leur plaire. À Augusta Falls, en Géorgie, un tueur en série massacre des petites filles. Joseph Vaughan, qui les connaît toutes, est d’autant plus bouleversé qu’il a découvert l’un des corps. Il était adolescent. Cette histoire le poursuit alors qu’il est devenu écrivain. Et que les meurtres continuent, malgré la mort du principal suspect. Un condensé d’émotions violentes qui conduisent au bord de la folie. Un suspens nourri de tensions psychologiques extrêmes. Et la découverte d’un nouvel auteur appelé à marquer le roman noir contemporain, qui remet le couvert avec cent cinquante pages de plus, ce dont on n’a aucune envie de se plaindre.
Vendetta se déroule à La Nouvelle-Orléans, où se noue l’essentiel. De cette ville, certains disent qu’il est impossible de la connaître vraiment sans y avoir vécu. C’est en tout cas ce que pense Ernesto Perez, dont la longue confession est le cœur et le moteur du roman. Et c’est pourquoi il a exigé de parler à un homme en particulier, Ray Hartmann, qui en est originaire.
Peut-être allons-nous trop vite. La conversation entre les deux hommes, qui oscillera entre affrontement et complicité, est rendue nécessaire par la découverte d’un crime et le lien probable entre celui-ci et une disparition.
Le cadavre qui a été retrouvé dans le coffre d’une voiture – pas n’importe quelle voiture, une Mercury Turnpike Cruiser commercialisée en 1957, modèle luxueux équipée de pneus aux flancs blancs –, ce cadavre, donc, est celui de Gerard McCahill, ex-flic, ex-marine. Son cœur a été enlevé et remis en place, comme cela avait été le cas dans une vieille affaire de 1968. Avant de mourir, Gerard McCahill avait pour mission d’accompagner Catherine Ducane, 19 ans, fille du gouverneur de Louisiane.
Personne n’a la moindre idée de ce qui a pu arriver à Catherine, mais on est sans nouvelles d’elle et le FBI s’agite. La fille d’un gouverneur, quand même…
Le FBI sur les dents, cela arrange plutôt Verlaine, le flic local qui avait été dans un premier temps chargé de l’enquête. Elle est trop importante pour lui, il n’y voit d’ailleurs que des ennuis à venir s’il reste impliqué dans cette affaire. Ceci dit, il n’aura pas vraiment le choix quand Ray Hartmann lui demandera de l’aider.
Le type d’affaire pour laquelle celui-ci est réquisitionné n’est pas non plus dans ses compétences. Mais un homme s’est manifesté, il dit qu’il a enlevé la jeune fille et qu’il ne révélera le lieu où on la retrouvera que si Ray veut bien l’entendre.
Ernesto Perez, du moins est-ce le nom qu’il donne, se constitue donc prisonnier. En quelque sorte. Car c’est bien lui qui tire les ficelles et c’est de lui que le FBI attend les informations qui permettront de sauver Catherine, s’il n’est pas trop tard.
Le temps semble long à ceux qui écoutent Ernesto Perez raconter sa vie. Cela dure des jours et des jours. Il semble avoir une inépuisable réserve d’histoires à déverser avant d’en venir à ce que tous attendent. Du coup, les protagonistes du roman ne sont peut-être pas aussi sensibles que le lecteur à tout ce qui se dit.
Il y a du lourd, du très lourd. Ernesto Perez remonte dans le temps et aux années où il était porte-flingue pour la Mafia. Les grandes familles sont là, leurs guerres aussi. Cosa nostra, «la chose qui nous appartient», retrouve les couleurs sombres qu’on lui connaissait, renforcées encore par des secrets soudain dévoilés. La mort de Jimmy Hoffa, le chef du syndicat des routiers? La voici expliquée. C’était, après tout, un boulot comme un autre, pas de quoi émouvoir le tueur qui a eu, avant de se ranger des bagnoles (ou presque), une existence particulièrement mouvementée.
Et ne le lancez pas sur l’assassinat de JFK, parce que, là aussi, il a des choses à révéler…
Tout cela fait qu’on se passionne pour ce vieux bonhomme d’apparence inoffensif. D’autant que la relation entre lui et son confesseur modifie sans cesse le point de vue.
À propos de Ray Hartmann, il y aurait aussi bien des précisions à apporter sur les raisons qui l’ont amené à être l’homme de la situation, autant que l’homme qu’il est. Sa dépendance à la boisson, qui est en train de précipiter, peut-être, la fin de son couple. Sa conception de la justice. Son passé, son présent, son avenir… Et pourquoi est-ce à lui et à personne d’autre qu’Ernesto Perez veut parler?
C’est, bien entendu, trop long à expliquer. Pensez donc, il faut sept cent cinquante pages à Roger Jon Ellory pour démonter le mécanisme complexe qu’il a mis en place! On se régale.

N.B. Cette note de blog est un article à paraître dans le deuxième numéro (novembre) de C'est dans la poche. Un mini-site fournit tous les liens pour la lecture et le téléchargement du premier numéro.

lundi 11 octobre 2010

Un entretien avec Philippe Claudel

Philippe Claudel a sorti son nouveau roman le mois dernier. L'enquête est une sorte de fable déshumanisée qui conduit un homme dans les marges du monde réel. Sur ce livre, j'ai écrit dans Le Soir un article complété par un entretien. Voici la suite de notre conversation.

N’avez-vous pas pensé mener vous-même une enquête?
Non, je n’ai pas ce talent-là. D’autres l’ont probablement mais, moi, coller à la réalité ne m’intéresse pas. Je ne suis pas un historien, je ne suis pas un journaliste et je n’ai pas du tout les compétences pour ça. J’essaie toujours de voir derrière les choses, ou à côté, au-dessus, en dessous, et de tirer la fable de ce qui apparaît devant moi, de révéler des architectures. L’en dehors, l’au-delà des choses, c’est ça qui m’intéresse. Et c’est ce que je sais faire, je pense. Faire un récit réaliste sur ces phénomènes à la fois ne m’intéresse pas et serait hors de mes capacités.
Dès le début, l’enquêteur est, avec majuscule, l’Enquêteur. On ne connaîtra jamais son nom. Et tous les personnages du roman n’existent que par leur fonction, avec d’ailleurs une majuscule, mais sans identité personnelle. Pourquoi ?
C’est une évolution logique par rapport à ce que j’avais écrit avant où, dans des romans comme Les âmes grises, La petite fille de Monsieur Linh, Le rapport de Brodeck, on avait des personnages qui perdaient leurs caractéristiques humaines. Les descriptions se faisaient de plus en plus rares, les fonctions prenaient le pas sur les hommes. Donc, là, c’est allé encore un petit peu plus loin. Et puis, par rapport à ce sujet, il me semblait assez important de mettre l’accent sur l’anonymisation que suppose le monde du travail où l’on n’existe en effet que par les fonctions qu’on remplit. Et dès lors qu’on ne les remplit plus ou qu’on nous les refuse, nous sommes rayés, nous sommes en dehors, remisés dans des boîtes, dans des placards…
Votre roman est à la fois très précis et très flou. Une vision analogue à celle que vous utilisez au cinéma, qui influence l’écriture? Ou le contraire?
Les deux se mêlent indépendamment de ma volonté et s’influencent au-delà de ce que je pourrais penser. Je viens de terminer le tournage de mon deuxième film et j’ai parfois, sur le plateau, des réflexes d’homme d’écrit. Je conçois parfois certaines scènes, certains plans plus d’une façon littéraire que cinématographique. Et, inversement, lorsque j’écris un livre, je vois que j’emprunte parfois aux techniques du montage, du cadrage ou de la mise au point. J’aime beaucoup la mise au point, la profondeur de champ – ou l’absence de profondeur de champ. C’est magique, l’appareil photo ou la caméra qui vous permet, avec une sorte de molette, de faire le point sur un sujet et de laisser dans le flou les autres. Ca m’intéresse beaucoup.
Une phrase revient, à peu de choses près, deux fois dans le roman. L’épigraphe, extrait de L’enfer, le film de Clouzot, «Ne cherche rien. Oublie», puis, dans les dernières pages, et reprise sur la bande qui entoure la couverture, «C’est en ne cherchant pas que tu trouveras». Y a-t-il une évolution entre les deux?
Je ne sais pas, en fait. La phrase de Clouzot est prononcée par Reggiani dans ce film qui n’a jamais été réalisé. Clouzot a passé des années de sa vie, avec des moyens considérables, à faire des essais pour ce film sur lequel un documentaire est sorti l’année dernière. Il y a une scène très belle où Reggiani est hanté par une voix off. Le film de Clouzot n’aurait rien eu à voir, il parle de jalousie. Mais l’aspect tentative avortée de ce film, je parle en termes de production, une entreprise cinématographique vouée à la folie et à l’échec, ça m’intéressait beaucoup. Et il y avait le mot «enfer» qui, par rapport à L’enquête, résonnait aussi. Dans la deuxième phrase, il y a une volonté de déboussoler, de tourner les aiguilles dans l’autre sens. Toute quête, normalement, aboutit à une recherche, tout livre aboutit à une réponse, alors que là, ce qui m’intéressait finalement, c’était de poser des questions, de mettre en place un désarroi. D’orienter les gens vers un questionnement humain qui soit métaphysique, ce qui est déboussolant.
L’important, c’est de poser les bonnes questions, davantage que de fournir les réponses?
L’important, c’est de poser des questions. Je ne sais pas si c’est de poser les bonnes. Inciter les gens à se poser des questions.
Après la fin du montage de votre deuxième film, après la parution de ce roman, savez-vous déjà si vous vous orientez ensuite vers un autre film ou un autre livre?
En réalité, j’essaie de faire les deux en même temps. Là, il y a un désir de film et un désir de livre, donc on va essayer d’agencer au mieux ces deux désirs-là pour qu’ils progressent à leur rythme.
Parallèlement?
Oui. J’aime bien entrelacer les exercices et, dans la même journée, consacrer du temps à un film puis à un livre.

dimanche 10 octobre 2010

Un Maigret dominical (7) : Le revolver de Maigret

D'un Maigret à l'autre, Simenon tire parfois des fils, comme dans celui-ci où l'on retrouve un personnage déjà rencontré précédemment. Suite, comme chaque dimanche, de ma participation au challenge Maigret.

De Paris à Londres
Le revolver de Maigret (1952)

Qui l'eût cru? Maigret gardait un revolver chez lui. Il est vrai que le Smith & Wesson 45 spécial à canon court, gravé à son nom, est un souvenir offert par les Américains à l'occasion d'une invitation du FBI. L'arme n'est pas chargée et n'a jamais servi. Mais elle a disparu après la visite d'un jeune homme que Madame Maigret a laissé entrer sans méfiance. Quelqu'un qui prend la peine de s'emparer d'un revolver a plus ou moins l'intention de s'en servir.
Mais où et quand? Le commissaire peut d'autant moins le deviner qu'il ne sait même pas qui était son étrange visiteur.
Le même soir, le couple Maigret a son dîner mensuel chez le docteur Pardon où ne vient pas un ami du médecin qui a pourtant insisté pour rencontrer le policier.
Deux événements curieux et inexplicables le même jour, c'est assez pour provoquer l'inquiétude et déclencher un vague début d'investigations.
Simenon lui-même semble tâtonner, ne pas très bien savoir dans quelle direction il va conduire son héros, et quels sont les éléments d'une enquête molle qui serviront de déclencheurs. De temps à autre, le roman connaît une accélération subite, pour retomber presque aussitôt dans une sorte de langueur. L'enthousiasme manque, à l'évidence, pour résoudre une énigme qui n'a pas été vraiment posée.
Et puis, une trentaine de pages sauvent le roman, qui en avait bien besoin. Mis sur une piste qui ne mérite pas de s'y appesantir, Maigret prend l'avion pour Londres. Il y retrouve Pyke, l'inspecteur de Scotland Yard qui l'avait un peu encombré dans Mon ami Maigret (paru trois ans plus tôt), et qui met cette fois les services britanniques à sa disposition.
Installé à l'hôtel Savoy, en face de la chambre occupée par une femme qui est au centre de tous les problèmes, le commissaire se heurte aux horaires stricts d'ouverture du bar. «Pourquoi diable n'avait-il pas le droit de boire un verre avant onze heures et demie?»
En raison de la surveillance qu'il exerce sur la porte d'entrée de l'hôtel, un peu plus tard, il n'ose pas quitter le hall alors qu'il a faim et de nouveau soif. Il faut qu'un vieux gentleman à cheveux blancs appuie sur un bouton servant à appeler un serveur pour qu'il comprenne. Et ils ont même de la bière! Mais il n'ose pas en prendre deux, comme il l'aurait fait en France. «Et il enrageait de ne pas oser. Cela l'humiliait de se sentir intimidé.»
Un mois après le début du roman, il se termine sur le dîner rituel chez Pardon. L'histoire n'est pas finie pour autant. Simenon n'a pas vu quel intérêt il y aurait eu à la mener à son terme. Nous non plus.