samedi 30 janvier 2010

7 romans pour les 7 jours d'une semaine

Nous avons fait, pour le dernier supplément littéraire du Soir, une grande razzia dans les premiers romans parus en janvier. Mais pas seulement. Voici, pour une semaine bien pleine, un programme de lectures où chaque jour peut être marqué par un roman. Seul le premier de cette liste n'est pas un premier roman. (Vous me suivez?)

Hugo Hamilton, Comme personne

Qui suis-je? Gregor Liedmann s'est toujours posé la question. Non sans raison. Son premier souvenir remonte à la fin de la Seconde Guerre mondiale. «Il fait nuit, tout est noir, il est assis entre deux personnes dans la cabine d'un camion. Il y a une femme à sa droite, et à sa gauche un gros homme qui conduit. La femme doit être sa mère, et le gros homme son grand-père Emil.» Nous savons déjà qu'il ne s'agit ni de sa mère ni de son grand-père. Dans un premier chapitre hallucinant, Hugo Hamilton a raconté le bombardement de Berlin dans lequel Gregor a disparu, soufflé par deux tonnes d'acier. Et comment Emil, près de Nuremberg, a mis dans les bras de sa fille, qui pleurait la mort de son enfant, un petit garçon de trois ans qui avait perdu ses parents. Pour remplacer Gregor, pour diminuer le chagrin, pour donner à Maria une raison de vivre. Emil a fait promettre à sa fille de garder secrète la substitution, de n'en parler à personne, pas même à son mari, alors au front.



Elisabeth Filhol, La centrale

Il y a cinquante ans, l'écrivain belge Jos Vandeloo publiait son premier roman, Het gevaar, traduit en français quatre ans plus tard par Maddy Buysse (Le danger). Les risques liés au nucléaire civil n'étaient pas, à l'époque, familiers aux lecteurs de fiction. Et il faudrait relire cet ouvrage à la lumière du premier roman d'Elisabeth Filhol, La centrale. En partie pour se rassurer.



Elsa Fottorino, Mes petites morts

Anna s'installe à Cork, en Irlande. Marek aussi. Elle a laissé à Paris une sœur, Sarah, installée dans sa vie de couple. Il a entendu à Prague un diagnostic qui ne lui promet pas une santé florissante. Mais ils sont jeunes et beaux. Il ne leur manque que de sentir le sable chaud. Et d'oser, surtout, quitter la réserve qui les tient à distance l'un de l'autre. Sans cette distance, Otto ne se serait pas imposé à Anna. Anna n'aurait pas nourri des soupçons sur la nature de la relation entre Marek et Natasha.



Nell Freudenberger, Le dissident chinois

Sous les apparences, Nell Freudenberger débusque de multiples mensonges. Le point de départ est pourtant simple : un artiste dissident chinois, envoyé aux Etats-Unis dans le cadre d'échanges culturels, est hébergé dans une famille aisée de Los Angeles et enseigne dans un lycée de filles. En même temps, il prépare deux expositions, l'une avec ses œuvres anciennes, l'autre à partir du travail effectué pendant son séjour aux Etats-Unis. La confrontation des cultures et les regards différents sur l'art offraient une matière riche à la romancière, qui ne se prive pas de les exploiter.



Rich Hall, Otis Lee Crenshaw contre la société

Le père d'Otis Lee Crenshaw s'appelle Jack Daniels. Quand son fils, tout petit, pleurait parce qu'il avait mal aux dents, Jack Daniels se massait les gencives avec du… Jack Daniel's et se rendormait tranquillement. Ce n'est pas une blague. Pas plus, du moins, que l'ensemble d'un roman déjanté, ponctué de procès absurdes, d'initiatives déplorables et de mariages désastreux avec des femmes qui s'appellent toutes Brenda. Par hasard plutôt que par nécessité.



David Vann, Sukkwan Island

Roy a treize ans quand Jim, son père, lui propose de passer avec lui une année sur une petite île de l'Alaska. Le but avoué consiste à vivre comme des pionniers dans une cabane en bois. Les provisions ne seront pas suffisantes, il faudra les reconstituer au fur et à mesure. Chasser, pêcher, fumer la viande et le poisson, faire face à la voracité des ours, rassembler assez de bois pour traverser l'hiver. Jim s'est imaginé que Roy prendrait cela comme une grande aventure, avec enthousiasme. L'enthousiasme n'est pas au rendez-vous. Roy a pressenti des motivations moins excitantes. Jim a lâché son travail de dentiste après avoir échoué dans d'autres entreprises, est sur le point de divorcer pour la deuxième fois et ne sait plus où il en est. Il espère donc probablement que ce séjour au cœur d'une nature peu accueillante l'endurcira assez pour lui donner les forces de repartir ensuite sur des bases plus solides. Et qu'il lui permettra de se rapprocher d'un fils dont il connaît, au fond, peu de choses.



Pierre Simenon, Au nom du sang versé

S'appeler Pierre Simenon, être le fils de Georges et publier son premier roman exige un certain culot, ou une bonne dose d'inconscience. A moins de voir dans Au nom du sang versé le fruit d'une leçon donnée par celui qui apparaît à la fin d'une liste de personnes remerciées: «Et toi, mon dad, qui m'a transmis ta curiosité de tout vivre et de tout tenter, et, surtout, qui a été le meilleur père dont j'aurais pu rêver.» Tout tenter, donc, même le roman…

vendredi 29 janvier 2010

Deux ou trois choses que j'ignorais de J.D. Salinger

J'aimerais croire qu'en vivant caché, J.D. Salinger a vécu heureux. Mais qui suis-je pour le penser? Et qui pourrait l'affirmer? Peu d'écrivains ont cultivé à ce point l'art de la discrétion, jusqu'à disparaître presque complètement derrière leurs livres. Presque, seulement. Car, en entretenant le mystère autour de sa personne, Salinger a aussi suscité la curiosité sur le personnage qu'il était. Quarante années sans apparition publique ont favorisé les rumeurs selon lesquelles il aurait continué à écrire sans faire paraître ses textes. On le vérifiera peut-être un jour...
On sait en tout cas, brutal retour dans l'actualité, qu'il vient de mourir. Il était né le 1er janvier 1919 à New York. Il avait 21 ans quand il a commencé à publier. Et 45 ans quand il a arrêté.
Dans l'intervalle, il était devenu, en 1951, l'auteur de The Catcher in the Rye, un roman dont plusieurs générations allaient s'emparer pour en faire un objet de culte. Traduit en français deux ans plus tard par Jean-Baptiste Rossi - qui avait publié un roman, Les mal-partis, et n'était pas encore devenu le grand Sébastien Japrisot -, L'attrape-cœurs ferait, en 1986, l'objet d'une nouvelle traduction, par Annie Saumont.
Honte sur moi: je n'ai pas lu ce livre. Et vous?
A ceux qui lisent l'anglais, je confie la première phrase.
If you really want to hear about it, the first thing you'll probably want to know is where I was born, an what my lousy childhood was like, and how my parents were occupied and all before they had me, and all that David Copperfield kind of crap, but I don't feel like going into it, if you want to know the truth.
J.D. Salinger a publié quelques autres ouvrages, en particulier des nouvelles. Mais très peu, somme toute. Ce qui ne l'empêche pas d'être resté, et de rester pour longtemps encore, un point de repère dont on aurait du mal à se passer.

samedi 23 janvier 2010

Deux romans pour le week-end?

Lire jusqu'au bout du week-end, pourquoi pas? Deux suggestions, extraites des articles parus hier dans le supplément littéraire du Soir.

Et d'abord le quatrième ouvrage de Brian Evenson traduit en français dans l'excellente collection Lot 49 (un clin d'œil à Thomas Pynchon) dirigée par Claro et Hofmarcher. Père des mensonges ne devrait pas vous laisser indifférent...
Brian Evenson est un écrivain radical. Au moins assez pour avoir quitté l'Eglise mormone à laquelle il appartenait, parce qu'il lui était interdit de continuer à produire ses textes en toute liberté. Ayant repris cette liberté, il peut s'en donner à cœur joie – mais avec un sentiment que l'on devine douloureux devant la nécessité où il se trouve d'aborder des sujets difficiles.

Pour compléter, je vous suggère le nouveau roman d'Emmanuelle Pagano, une correspondance complice et amoureuse qui tourne mal, et permet à L'absence d'oiseaux d'eau de tourner plutôt bien.
Un projet littéraire dont l'orientation se modifie en cours de route, ce n'est pas nécessairement un accident de parcours. Le chemin emprunté par l'écrivain doit parfois épouser les mouvements de l'existence quand le livre est censé être lié à celle-ci. Dans une note préliminaire à L'absence d'oiseaux d'eau, Emmanuelle Pagano explique l'intention de départ: échanger des lettres avec un autre écrivain, «une œuvre de fiction que nous construisions chaque jour, à deux, et dans laquelle nous inventions que nous nous aimions.» Jeu dangereux, puisque l'amour n'est pas resté imaginaire. L'amour est né, a grandi, s'est enfui. Comme s'est enfui l'autre auteur, reparti avec ses propres lettres. Il ne reste donc qu'une voix, l'autre se faisant malgré tout entendre à travers les réponses, en creux, écho affaibli de ce que nous ne lirons pas.

samedi 16 janvier 2010

Folio n° 5000 : Annie Ernaux

Je suis certain de ne pas me tromper: quand une collection où les ouvrages portent des numéros passe un cap plein de zéros, les éditeurs prêtent une attention particulière au titre qui va être le millième, le deux millième, etc. Dans la collection Folio, je demande (et recommande) par exemple le n° 1000: Les fleurs bleues, de Raymond Queneau, paru en 1978. Le n° 2000: Le chercheur d'or, de Le Clézio, en 1988. Le n° 3000, Monsieur Malaussène, de Daniel Pennac, en 1997. Le n° 4000, La tache, de Philip Roth, en 2004. Et, arrivé en librairie cette semaine, le n° 5000, Les années, d'Annie Ernaux. Un tout petit club. Et des livres de grande qualité.
Je n'avais pas lu celui-ci à sa sortie. Pour être tout à fait honnête, je m'étais un peu détaché d'Annie Ernaux dont les premiers ouvrages m'avaient pourtant beaucoup marqué. Mais j'avais l'impression qu'elle tournait en rond. Les années prouve tout le contraire: à travers une soixantaine d'années de souvenirs qui, pour la plupart, sont communs à bien des gens, elle rend concret le passage du temps. Dans les dernières pages, elle décrit la forme prise par son projet:
Ce ne sera pas un travail de remémoration, tel qu'on l'entend généralement, visant à la mise en récit d'une vie, à une explication de soi. Elle ne regardera en elle-même que pour y retrouver le monde, la mémoire et l'imaginaire des jours passés du monde, saisir le changement des idées, des croyances et de la sensibilité, la transformation des personnes et du sujet, qu'elle a connus et qui ne sont rien, peut-être, auprès de ceux qu'auront connus sa petite-fille et tous les vivants en 2070. Traquer des sensations déjà là, encore sans nom, comme celle qui la fait écrire.
L'ambition était grande. La réussite est complète. Et pleine de choses partagées.
Au milieu des années quatre-vingt-dix, les enfants bientôt trentenaires conseillaient d'aller voir C'est arrivé près de chez vous et Reservoir Dogs.

Je n'ai, quel scandale!, jamais vu Reservoir Dogs. Mais, c'est promis (promesse faite à moi-même), je ne le manquerai pas la prochaine fois que j'ai l'occasion de le voir. D'autant que le film de Quentin Tarantino est cité aussi dans le nouveau roman de Luis Sepulveda, L'ombre de ce que nous avons été. Coco Aravena, un des ses personnages, le trouve supérieur à Pulp Fiction. Il a peut-être raison, il faudra donc vérifier. Après avoir lu, bien entendu, le livre de Sepulveda.
Le nouveau roman de Luis Sepúlveda est dédié «A mes camarades, ces hommes et ces femmes qui sont tombés, se sont relevés, ont soigné leurs blessures, conservé leurs rires, sauvé la joie et continué à marcher.» Une explication s’impose avant d’en arriver au texte. Quand Salvador Allende devient président du Chili en novembre 1970, il incarne l’espoir d’une gauche à laquelle appartient Luis Sepúlveda, 21 ans alors. Le militant aux Jeunesses communistes est, comme beaucoup d’autres, arrêté après le coup d’Etat du 11 septembre 1973 qui place Pinochet au pouvoir. Condamné à vingt-huit ans de prison, il est libéré en 1977 mais contraint de s’exiler. La démocratie ne reviendra dans son pays qu’en 1990, mais Pinochet y restera encore huit ans commandant en chef de l’armée.

vendredi 15 janvier 2010

Pierre Pelot tient la forme

Je suis fidèle à Pierre Pelot depuis, depuis... longtemps. Si je calcule bien, il a publié son premier roman en 1966, soit au moment où je commençais à devenir un lecteur vraiment boulimique. Depuis, il doit en avoir écrit près de 200 autres, dont j'ai peut-être lu à peine la moitié. Vous avez assez de données pour calculer l'âge du capitaine, ou presque - car il faut aussi tenir compte de la vitesse du vent.
Vous me comprendrez donc si je vous dis que je n'ai pu résister, cette semaine, quand nous avons bavardé par messagerie interposée pendant une demi-journée (et jusqu'à trois heures du matin), à lui demander si cette source ne se tarissait jamais. Sa réponse, arrivée au milieu de la nuit, disait ceci:
C’est terrifiant… non seulement ça ne tarit pas mais il semblerait que le débit augmente… le problème n’est pas là. Il est dans le temps qui reste… fatalement, lui, de moins en moins long et disponible… Ça, ça m’embête. Et puis je crois aussi qu’au plan de l’écriture je suis de plus plus exigeant. J’écris, ça va. Je relis, ça va moins bien… Je crois qu’il faut savoir s’arrêter de relire, sinon on finirait par tout jeter et aller cueillir des myrtilles, quand c’est la saison…
Nous parlions, auparavant, de son nouveau roman, L'ange étrange et Marie-McDo, un beau morceau de bravoure sur lequel je viens de publier un article dans Le Soir.
La première image entrevue par Abel est celle d'un gosse en équilibre sur un tas de grumes. Le même gosse revient dans les dernières lignes. Pierre Pelot boucle la boucle. Entre le début et la fin, ça déménage ferme. Il règne, dans le village où Abel débarque sur une impulsion, une atmosphère trouble et neigeuse. On croise des promeneurs qui ont l'air de savoir où ils vont. Une foule de journalistes attirés par un mystère. Un Manuel Emmanuel en rassembleur plus infaillible qu'un pape. Il y a de la religion, et même de la religiosité, dans l'air…
Lire la suite.
L'article se complète, vous l'aurez compris, d'un petit entretien que vous trouverez ici. Avant, peut-être, de faire comme moi et de dévorer son livre.

jeudi 14 janvier 2010

Esther Duflo : Lutter contre la pauvreté

Vous l'avez peut-être remarqué, je sors rarement du domaine de la fiction. C'est mon terrain de jeu favori. La vraie vie, comme on dit, ne m'est bien entendu pas étrangère. Mais je la côtoie au quotidien davantage que dans les livres. Je voudrais pourtant, aujourd'hui, faire une exception (à ce qui n'est d'ailleurs pas une règle) et signaler, en pensant autant à Madagascar où je vis qu'à Haïti d'où les nouvelles des écrivains que je connais restent très incomplètes, la parution de deux livres d'Esther Duflo, sous un titre commun: Lutter contre la pauvreté.

Il s'agit des leçons qu'Esther Duflo, professeur en économie du développement au MIT et fondatrice de J-PAL, laboratoire d'action contre la pauvreté, a données en janvier 2009 au Collège de France dans le cadre de la chaire annuelle "Savoirs contre pauvreté".
Le premier volume, Le développement humain, est divisé en deux chapitres: L'éducation: inscrire ou instruire? et La santé: comportements et systèmes.
Le second, La politique de l'autonomie, s'attache à deux autres sujets: La microfinance en question et Gouvernance et corruption.
Ce sont là, me direz-vous, des thèmes dont les pays évolués, ceux où les lecteurs n'ont qu'à entrer dans une librairie (ou cliquer sur un lien) pour acheter l'ouvrage de son choix, n'ont pas à se soucier.
Erreur, bien entendu. Les aides au développement, les programmes qui y sont liés, ceux qui y participent sont assez nombreux pour qu'on examine de près les enjeux de ce développement.
Et l'efficacité des actions menées en sa faveur.
Esther Duflo s'applique tout particulièrement à mesurer cette efficacité. Elle n'est pas une théoricienne qui passerait son temps à imaginer des solutions toutes faites, applicables dans n'importe quel cas. Elle analyse finement les résultats d'actions menées sur le terrain, observe leurs conséquences. Et constate que, parfois, les effets de programmes ambitieux - et coûteux - sont nuls, voire induisent des effets pervers, tandis que des actions plus modestes en apparence réussissent mieux.
Bref, elle bouscule quelques idées reçues avec une saine liberté de pensée capable de remettre en cause ce qui pouvait sembler être des évidences.
Nous avons besoin de personnes comme elle. Nous avons besoin de les lire. Et ces deux ouvrages ont leur place dans toute bibliothèque d'un honnête homme, comme on disait autrefois.

mercredi 13 janvier 2010

Haïti : la fête des Etonnants Voyageurs est finie avant de commencer

Du 14 au 17 janvier, c'est-à-dire à partir de demain, devait se tenir la deuxième édition haïtienne du festival littéraire Étonnants Voyageurs. Le tremblement de terre d'hier, d'une extrême violence, et dont on craint que le bilan humain soit très lourd, rend évidemment dérisoires, presque obscènes, les éventuelles inquiétudes à propos des manifestations annoncées. Moins dérisoires, moins obscènes, celles suscitées par l'absence de nouvelles directes des écrivains qui étaient sur place. S'ils sont logés à la même enseigne que le reste de la population, et ne "méritent" peut-être pas une attention plus grande - là, c'est la raison qui parle -, je ne peux m'empêcher de penser à ceux dont j'ai aimé les derniers livres - là, c'est le cœur qui parle.

Je pense à Dany Laferrière, qui a reçu le prix Médicis pour L'énigme du retour - et nous avions eu l'occasion d'en parler, lui et moi, au cours d'une conversation téléphonique.


Je pense à lionel Trouillot, aussi, que je ne connais pas mais dont j'ai aimé Yanvalou pour Charlie, prix Wepler/La Poste.


Lisez-les. Ils vous parlent de leur pays vivant.

dimanche 10 janvier 2010

Albert Camus, l'hommage

On en a parlé toute la semaine, on va en parler toute l'année... La mort d'Albert Camus, il y a cinquante ans et quelques jours, a provoqué une (sur)abondance de publications et d'hommages. Même un téléfilm assez médiocre.
En général, la place prise par ce genre d'hommage m'irrite. Cette fois-ci, pourtant, j'y ai participé sans déplaisir. J'ai retrouvé le souvenir des années de la fin d'adolescence, quand je m'émerveillais de lire Camus - tout Camus, ou du moins ce qui était disponible à l'époque. Ses trois romans, son théâtre, les essais, les articles aussi - trois volumes d'Actuelles qui ont peut-être joué un rôle dans le journaliste que je suis devenu. La pensée de l'auteur me séduisait. La place du soleil dans son œuvre y introduisait une sensualité à laquelle je n'étais pas indifférent.
Je vois bien que certains pinaillent et lui contestent la place qu'il occupe dans mon panthéon personnel (en ce qui me concerne, pas besoin de procéder à une translation physique de ses restes, cela n'ajouterait rien à mon admiration).
Mais je me dis aussi que toutes les pages lues à l'occasion du cinquantenaire de sa mort peuvent conduire vers lui de nouveaux lecteurs, ceux qui ont aujourd'hui l'âge que j'avais il y a un certain temps, et provoquer encore quelques éblouissements. L'idée me plaît. Il même possible maintenant de commencer par son premier roman, inachevé, La mort heureuse, publié seulement en 1971 et réédité en poche ces jours-ci.
Après tout, j'ai bien attendu, allez savoir pourquoi, la mort de Lhasa pour découvrir cette chanteuse que j'écoute maintenant en boucle. Je ne dois pas être le seul, à en juger par la place qu'elle occupe actuellement, avec ses trois disques, dans les meilleures ventes de musique chez Amazon en France. Ils sont premier, quatrième et cinquième. Un peu tardif, certes. Mais c'est bien, d'avoir encore des choses à découvrir...




samedi 9 janvier 2010

Les Suisses sont de grands comiques

Il aurait bien ri, Jacques Chessex, s'il n'était pas mort trop tôt, en voyant cette semaine son nouveau (et ultime) roman, Le dernier crâne de M. de Sade, "blistérisé" dans son pays. Certes, il s'agit d'un livre qui sent le soufre, comme le personnage dont il parle. Mais il est surtout tonique et remuant, et je l'ai personnellement beaucoup aimé, comme j'ai eu l'occasion de l'écrire dans Le Soir.

Jacques Chessex nous a quittés en octobre dernier. Il était en pleine forme. La preuve par son dernier roman, qu'il venait d'achever. Il y donne un coup de jeune à une de ses vieilles obsessions, l'alliance de la grâce et du péché. Dans les derniers mois de Sade, maître incontesté en transgressions diverses, l'écrivain suisse trouve un sujet à sa mesure. Sexe, pestilence, décrépitude, tout est là. Avec en supplément, et jusqu'à nos jours, les aventures du crâne du maudit (ou divin, c'est selon) marquis. L'histoire d'une quête prolongée par un narrateur qui tente, à la première personne, de se faire passer pour l'auteur lui-même et se trahit par une date: «Un matin, c'était la première semaine de novembre 2009»… Chessex était enterré depuis plusieurs jours. A moins qu'il ait survécu à travers ce livre qui franchit les limites de la vie et de la mort?

Un autre roman que j'ai beaucoup apprécié dans cette rentrée de janvier est celui de Denis Balwin-Beneich, Le sérieux des nuages.

Au milieu des années 80, Denis Baldwin-Beneich, associé à Thierry Breton, a publié un thriller visionnaire à succès: Sofwar. La guerre douce. Dans Le sérieux des nuages, Diane rappelle à Maxime Odradek, le personnage principal, qu'il a écrit un best-seller à quatre mains avec Colas. Il n'est pas obligatoire d'y voir autre chose qu'un clin d'œil. Mais on peut d'autant moins s'empêcher de le voir que tout le présent du roman est imprégné du passé, sans cesse revisité avec l'espoir de trouver, entre les deux temps, une harmonie suffisante pour construire l'avenir.
Autre détail qui, lui, n'en est pas un: les deux parties du livre portent, sans surprise en raison du titre, des noms de nuages: cumulus d'abord, cirrus ensuite. On se rappellera qu'un ciel occupé par les seconds est plus clair que s'il est bouché par les premiers. On n'en tirera pas pour autant de conclusion prématurée.
En réalité, il aurait fallu commencer par dire à quel point Denis Baldwin-Beneich nous embarque dans une prose où l'on se trouve bien.

Encore un pour la route? Je vous propose le nouveau roman de François Emmanuel, Jours de tremblement.

Ce devait être une croisière luxueuse et tranquille, quelques jours de navigation paresseuse sur un fleuve africain, ponctués d'escales pour visiter des villes, d'anciens comptoirs ou une réserve naturelle. La population du «Katarina» est variée. Un gros écrivain généralement ivre, une journaliste des guides Lonely Planet, deux Américaines bigotes, un intellectuel originaire du pays, un couple en pèlerinage, deux amies italiennes avec un enfant, le médecin du bord avec sa mère, etc. Sans oublier le narrateur, documentariste venu filmer les oiseaux.

vendredi 8 janvier 2010

Deux fois plus de pages sur papier qu'en numérique

C'est le genre de surprise qu'on peut avoir (mais c'est la première fois que cela m'arrive) quand on lit un livre sur écran: mal en estimer la longueur. Quand vous avez un ouvrage papier en mains, le volume qui est à droite diminue au rythme où celui qui est à gauche augmente. Vous avancez. Et vous sentez, à ce qui vous reste sous les doigts de la main droite, que vous approchez de la fin.
Sur écran aussi, en fait, si vous surveillez l'ascenseur. Mais, en commençant Le pont des soupirs, de Richard Russo, je n'y avais pas prêté attention, me fiant au nombre de pages annoncé par Acrobat Reader: 400 et quelques. Lundi matin, j'avais donc entamé ce roman sans m'inquiéter du reste de mon emploi du temps, comptant bien le terminer dans la journée.
Je ne sais plus à quelle page j'étais arrivé quand le facteur est passé, me déposant physiquement l'ouvrage. Je l'ai considéré un instant avec stupéfaction, le trouvant bien épais pour 400 pages. En effet, il y en avait plus de 800. Je me suis précipité sur l'ordinateur, dans la crainte d'avoir reçu un fichier incomplet. Mais non: il y avait simplement deux pages côte à côte, donc deux fois plus qu'annoncé par le logiciel.
Mon emploi du temps était perturbé. Je n'ai pas regretté un instant de terminer le roman seulement le lendemain matin. Il est formidable. Richard Russo n'a pas son pareil pour développer des vies de personnages sans grand relief apparent et rendre passionnants les détails de leurs existences. Louis C. Lynch, toute une vie dans la même ville, le caractère d'un vrai gentil, si gentil qu'il passe aisément pour falot, est un type qu'on aime. Et qu'on plaint, parfois. En sa compagnie, au milieu des siens, je n'ai pas vu le temps passer.
Si on ne craint pas une lecture au long cours, de s'embarquer pour un beau voyage - même si, dans le roman, le voyage annoncé ne se fera pas -, voici un livre qu'il ne faut pas manquer. Comme d'ailleurs les autres romans d'un écrivain qui ne m'a jamais déçu.

mardi 5 janvier 2010

Une mise en appétit pour janvier

J'attends au moins que les livres soient en librairie pour dire précisément ce que j'en pense. Mais de plus en plus d'éditeurs ont la bonne idée de proposer des premiers chapitres qui vous permettent, à défaut de feuilleter l'ouvrage comme dans une librairie, d'en goûter le début.
En voici donc quelques-uns, qui sortent cette semaine.


Christian Gailly, Les évadés


Lire un extrait.


Elisabeth Filhol, La centrale


Lire un extrait.


Denis Baldwin-Beneich, Le sérieux des nuages




samedi 2 janvier 2010

Un des livres les plus étonnants de 2009

C'est le dernier article que j'ai publié l'année dernière, puisqu'il faut maintenant parler ainsi, dans Le Soir.
Et il concerne un livre étonnant - le mot est faible - de Leanne Shapton, au titre interminable: Pièces importantes et effets personnels de la collection Lenore Doolan et Harold Morris, comprenant livres, prêt-à-porter et bijoux.

En apparence, c’est d’une parfaite banalité. La vente des effets personnels de Lenore Doolan et Harold Morris ne peut intéresser personne. Si au moins c’était Britney Spears ou Madonna! Mais deux inconnus qui dispersent livres, vêtements, bijoux, photographies accumulés pendant leur vie commune n’ont aucune chance d’attirer les foules et on imagine mal que ces souvenirs aient provoqué des enchères étourdissantes le 14 février 2009 à New York chez Strachan & Quinn.
Le catalogue de cette vente cache, on s’en doute, quelque chose de moins banal. Une fiction sous une forme innovante. Une démarche qui s’apparente à celle d’un archéologue doublé d’un ethnologue: scruter les objets qui restent pour comprendre ce qui s’est passé et connaître les personnages sur lesquels les notices des pièces de la collection livrent quelques détails.

vendredi 1 janvier 2010

Dans la nuit, 2010 pages de Jacques Roubaud

31 décembre: le colis que je prends à la poste est inhabituellement lourd. Un seul ouvrage, pourtant, sans l'enveloppe. Mais quel ouvrage! Un peu plus de 2000 pages, 2010 exactement si on s'arrête de lire avant la table des matières.
1er janvier: le millésime et la pagination coïncident donc exactement. Je n'aurai pas le temps de lire tout ça maintenant, les ouvrages de janvier m'appellent et celui-ci, qui a transité lentement par l'Allemagne, est paru fin octobre.
Mais je me suis jeté dessus comme si je n'avais rien d'autre à lire, retrouvant les sensations fortes éprouvées il y a vingt ans quand le premier volet de cette vaste entreprise littéraire de Jacques Roubaud était paru sous le titre qu'il donne maintenant à l'ensemble, Le grand incendie de Londres.
Et je redis ce que j'avais écrit en 1989.
Pour Jacques Roubaud, il y avait à l'origine un grand projet - il l'écrit même avec une majuscule, et le Projet, quand il l'évoque, suscite en nous, bien que nous n'en sachions pas grand-chose, le frisson qu'on éprouve devant la volonté de perfection, hélas! toujours plus éloignée que l'endroit atteint, comme l'horizon. Et le «récit, avec incises et bifurcations» qui porte pour titre: Le Grand Incendie de Londres annule le Projet. Parce qu'il était question d'écrire Le Grand Incendie de Londres, mais que ce soit un véritable roman à l'intérieur duquel le Projet se développe, alors que le livre tel qu'il a été obtenu n'est qu'une déclinaison de la volonté originale, bien loin de son aboutissement.
Au fond, il n'y a ici que le récit d'un échec: «Poser le rêve sur le papier, c'était l'effacer (c'est fait). Mais il n'a été posé que parce que l'échec était reconnu, parce que le renouvellement avait eu lieu.» Et on nous dira: bon, encore un écrivain qui, incapable d'écrire son livre, nous raconte comment il n'arrive pas à l'écrire. Oui, il y a un peu de cela. Et alors? Puisque Jacques Roubaud, avec le récit de cet échec, non seulement bâtit un mécanisme qui lui permet de reproduire la réalité à sa manière, mais aussi tient le lecteur en haleine, il est permis de voir dans Le Grand Incendie de Londres une réussite, certes paradoxale, mais cependant bien réelle.
Une première lecture pousse à la tentation du découpage: puisque le livre se présente sous forme de fragments numérotés (ils sont 196 au total, et ce nombre n'est pas indifférent), pourquoi ne pas détacher ceux qui, immédiatement, font sens? Les quatre luxes de Jacques Roubaud qui fait le «Portrait de l'artiste absent»: marcher, nager, compter et lire. Aucune de ces activités ne se faisant n'importe où ou n'importe comment, mais chacune d'entre elles participant du goût de la solitude. Ou bien la métaphore de la gelée d'azerole, ce fruit rare dont il fait des confitures, frissonnant à l'instant de la réussite comme la prose pourrait le faire lorsqu'elle traduit des instants, précisément. Ou encore les réflexions sur l'inexorable expansion des bibliothèques - de quoi faire peur à ceux qui sont déjà envahis par les livres.
Cette première lecture terminée, la récolte est déjà abondante. Mais ce n'est pas fini, car il manque l'essentiel: la manière dont tout cela s'organise selon des structures mathématiques et obligatoires. Mathématiques à cause du goût qu'éprouve Jacques Roubaud envers elles, obligatoires parce qu'il est de ces écrivains pour qui l'Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle, qui étudie surtout les contraintes dans la création littéraire) est un lieu de recherches particulièrement actif. Autant dire qu'on se trouve, la dernière page tournée pour la première fois, au milieu d'un vaste territoire dont la plus grande partie reste à explorer.