vendredi 27 septembre 2019

Prix littéraires, les enseignements des premiers tours

Le jury du Prix Interallié et celui du Grand Prix du roman de l'Académie française ont été les derniers à fournir, cette semaine, leur première sélection. Les six récompenses considérées comme des institutions (Académie, Goncourt, Renaudot, Femina, Médicis, Interallié) se trouvent donc sur le même pied (de guerre?).
Il y a deux semaines, j'avais relevé les tendances au moment où tout le monde ne s'était pas encore livré aux choix préliminaires. Souvenez-vous, Santiago H. Amigorena était en tête de liste, Nathacha Appanah et Victor Jestin le suivaient de près.
La situation a-t-elle changé?
Oui - et ce n'est pas habituel.
A l'Interallié comme à l'Académie française, on ne s'est pas trop jeté sur les ouvrages qui faisaient la course en tête (si vous me permettez de m'exprimer ainsi, mais comment voudriez-vous le dire autrement?). Ni Amigorena, ni Appanah, ni Jestin.
En revanche, les deux jurys sont tombés d'accord (sans concertation, je suppose) pour retenir les romans de Sylvain Prudhomme et de Karine Tuil. Par les routes et Les choses humaines, parus chez Gallimard, deviennent ainsi les plus souvent sélectionnés. Avec un sérieux avantage sur le premier nommé si on prend en compte (je prends, je prends) les multiples prix annexes, secondaires, tertiaires, enfin, ceux qui comptent quand même un peu et ne disparaissent pas dans un paysage de plus en plus touffu. Sept sélections! Deux de mieux que Santiago H. Amigorena, le suivant dans ce drôle de classement.
Je note que les deux jurys à avoir attendu plus longtemps que les autres pour se dévoiler ont aussi mis en évidence des auteurs et autrices qui n'avaient pas trouvé grâce aux yeux de leurs pairs.
L'Interallié a donc sauvé des eaux Olivier Adam, François Armanet, Jérôme Bastianelli, Georges-Marc Benamou, François Cérésa, Olivier Frébourg et Philippe Lacoche, faisant ainsi cavalier seul pour sept des treize titres de leur liste.
L'Académie française s'est contentée, pour se singulariser, de Jean-Baptiste Andrea, Laurent Binet et Christiane Taubira (trois sur dix).
Mais les deux sélections ont aussi en commun, outre les deux titres déjà cités plus haut, des ouvrages oubliés par les autres, ceux de Bruno de Cessole et de Cécile Coulon.
Est-ce que tout cela est porteur d'une signification profonde? Je n'en sais rien. Vous non plus, j'imagine.
On va donc continuer à surveiller ce qui se passe quand "tomberont" les deuxièmes sélections (c'est-à-dire qu'en tomberont quelques livres). Dès la semaine prochaine, avec des rendez-vous fixés par les Goncourt et Médicis.
A suivre...

mercredi 25 septembre 2019

La grande traversée d’Adrien Bosc

Presque à la fin de Capitaine, son deuxième roman, Adrien Bosc, lisant La Terre magnétique, d’Edouard Glissant, a cette réflexion : « en somme peu importe le voyage, seul compte le récit qui en est fait. » Elle naît de la manière dont l’écrivain semble avoir saisi l’île de Pâques « comme personne auparavant, avec une lucidité et une audace dont des explorateurs consciencieux auraient manqué », alors même qu’il n’y est pas allé.
Capitaine raconte aussi un voyage, Adrien Bosc ne l’a pas fait non plus. Mais le récit qu’il en donne laisse croire qu’il s’est glissé dans les coursives du Capitaine-Paul-Lemerle à son départ de Marseille pour l’Amérique, le 24 mars 1941, et qu’il a bavardé, pendant la traversée, escales comprises, avec tous les passagers.
Ils ne sont pas les premiers venus. Adrien Bosc ne voyage pas avec n’importe qui. Dans Constellation, l’avion qui fournissait le titre de son premier roman et s’écrasa aux Açores en 1949, il y avait Marcel Cerdan et Ginette Neveu, entre autres voyageurs moins connus auxquels il avait restitué identité et histoire personnelle. Sur le Capitaine-Paul-Lemerle, on croise André Breton, Claude Lévi-Strauss, Anna Seghers, Victor Serge, Wifredo Lam, Alfred Kantorowicz. Et Simone Weil, sur le quai, regardait partir le cargo…
Même un surréaliste est préoccupé de choses matérielles. A l’escale d’Oran, André Breton fait une liste des commissions indispensables à une digne survie pendant la traversée. Il a besoin d’une salopette, de tabac, de transatlantiques, d’un peigne, de savon, etc., l’énumération est longue et se prolonge par celle des personnes à qui il doit absolument écrire, car qui sait quand partiront les prochaines lettres ? Skira, Bonnard, Paulhan, Péret, Mabille, Denoël, Matta, Francis, Tanguy devraient en être, cette fois, les destinataires.
Les soucis quotidiens prennent de la place, comme dans la vie, en fait. Il n’est pas interdit de penser qu’Adrien Bosc aurait pu leur en consacrer un peu moins, mais sans doute a-t-il voulu, c’est compréhensible, restituer toutes les facettes de la vie à bord pour ces émigrés. La plupart fuyaient un climat européen devenu dangereux pour les Juifs bien sûr mais aussi pour les intellectuels, ces empêcheurs de penser selon la ligne droite dessinée par le nazisme.
Le plus passionnant du livre est constitué, bien entendu, par les échanges que peuvent avoir ces créateurs de haut vol, ces penseurs en liberté que le hasard rassemble et dont nous avons la chance de voir les esprits fonctionner dans un espace clos bien que mouvant. Un jeu de l’oie, imagine Claude Lévi-Strauss : « le voyageur est pareil au joueur qui, soufflant sur les dés, reste tributaire de l’incertitude et du hasard, et avance à tâtons sur un chemin semé d’embûches, de chausse-trapes, de joies vite déçues, de plans déroutés ou, à l’inverse, à la faveur d’un coup du sort, dessine une résolution inattendue, sur le dos, qui sait, d’autres voyageurs, eux arrêtés. »
On peut embarquer, on est en bonne compagnie.

dimanche 22 septembre 2019

Fouad Laroui et les visages multiples de Fatima

Fatima ne se sent pas vraiment chez elle dans ce qu’on appelle pourtant son quartier, sa commune. Cachée sous sa djellaba, elle ressent plutôt l’environnement comme « le leur. Celui des hommes. » La commune s’appelle Molenbeek. Fatima, étudiante à l’Université libre de Bruxelles, qui ne subit aucune pression religieuse de la part de sa famille a pourtant choisi de porter le hijab. Pourquoi ? « C’était d’autant plus incompréhensible qu’elle ne faisait jamais la prière et que personne ne se souvenait de l’avoir vue dans une mosquée. »
De Fatima, Fouad Laroui fait dans L’insoumise de la porte de Flandre un bel exemple de personnalité complexe, semblable à une matriochka dont chaque apparence en cache une autre. Jusqu’à la nudité la plus complète. Quand elle passe le canal qui sépare, comme une douve, les Marocains de Molenbeek et les Belges de Bruxelles, elle ralentit le pas et accélère le brouillage des pistes : elle se change chez une amie, devenant une jeune femme moderne et maquillée qui se rend dans le peep-show où elle s’exhibe sous les yeux des hommes affolés par son corps. Elle s’appelle alors Dany, attraction-vedette repérée par Johnny alors qu’elle lisait Virginia Woolf dans un café. Elle avait accepté facilement la proposition de son nouveau patron, qui n’y comprend rien. « Une Marocaine qui dit oui si facilement, une Marocaine de Molenbeek ? Et cultivée avec ça, la langue bien pendue, pas bête et qui lit même un livre difficile… »
Tout est dans les regards que portent les autres sur les masques et leur dévoilement. Un regard, surtout, met le roman sous tension en articulant sa progression narrative et psychologique. Celui de Fawzi dont l’avenir est conditionné par les espoirs qu’il place en Fatima, sa future femme. Il n’a aucun doute, bien qu’il prenne soin de s’informer et de surveiller pour éviter les mauvaises surprises. Certes, Fatima a une excellente réputation dans le quartier mais Fawzi n’est pas pressé et prend le temps de tout vérifier. Puisque, de toute manière, dans sa tête trop simple pour accepter des nuances, elle est déjà son épouse. Pour mériter l’union, elle ne doit plus qu’être conforme aux attentes de son mari.
Or personne n’est moins conforme que Fatima. Elle n’ignore pas l’homme qui la jauge, la juge. Et sa détermination est complète : elle ne sera jamais à lui. Elle ne sait pas, en revanche, jusqu’où il est capable de conduire son délire de possession. Car il est davantage question de possession que d’amour, dans cette histoire. Et d’une proie qui ne se résigne pas.
Dans une œuvre qui, pour une bonne partie, explore les relations conflictuelles entre les cultures, L’insoumise de la porte de Flandre donne à Fouad Laroui une nouvelle occasion d’approfondir les questions qu’il se pose. Comme dans Les tribulations du dernier Sijilmassi, un de ses précédents romans, la difficulté à se créer une personnalité propre entre deux mondes où les langues qui les définissent créent des codes divergents est au cœur du problème. Le problème de Fatima, d’abord, irréconciliable avec elle-même à moins peut-être de briser le miroir qui sépare ses différents personnages. En face, le problème de Fawzi, né de ce qu’il suppose, chez lui comme chez les autres, d’une absolue et nécessaire cohérence, refusant les failles et décidant de les combler à sa manière.
Fouad Laroui ne fournit pas les réponses à ses questions. Le lire est cependant faire une partie du chemin pour résoudre des contradictions en apparence insolubles.

jeudi 19 septembre 2019

François Vallejo, la mémoire égarée de la guerre froide

A la fin des années 70, Jeff Valdera avait seize ans et, pour la dernière fois, avait pris la direction de Davos où il accompagnait souvent sa tante Judith à l’hôtel Waldheim. Elle avait des vues sur le propriétaire, Johann Meili, tandis que Jeff se remettait difficilement de l’éblouissement provoqué, dans le train de nuit qu’ils avaient pris, par une jeune Suissesse lui ayant offert une vue sur ses seins nus puis sur sa vulve. Une grande première, un souvenir inoubliable…
C’est en tout cas l’image qui lui revient quand, beaucoup plus tard, il reçoit une carte postale, d’un côté une photo de l’hôtel Waldheim, de l’autre une phrase non signée, fautes comprises : « Ça vous rappel queqchose ? » Oui : les seins, la vulve, l’excitation plutôt que le temps passé dans le lieu qui donne son titre au roman de François Vallejo : Hôtel Waldheim.
Il y a là une énigme déclinée sur plusieurs niveaux, comme on le dirait d’un jeu où il faut trouver une clé pour gravir les échelons de la difficulté. Premier niveau : qui est l’expéditeur de cette carte postale ? La réponse arrivera toute seule ou presque, au troisième envoi, signé : F. Steigl. Ce n’est pas encore suffisant pour savoir qu’il s’agit d’une expéditrice, mais cela viendra.
Entre-temps, d’autres souvenirs sont remontés à la surface et l’on commence à se faire une idée de ce que fut la villégiature de cet été. De longues conversations sur Thomas Mann, après lectures imposées (mais le devoir avait été agréable) par une résidente incapable d’imaginer que l’on peut séjourner à Davos sans avoir lu La Montagne magique. Des parties d’échecs et de go, des échanges avec un directeur sensible à la jeunesse de Jeff, de longues promenades dans les environs…
A ce moment, l’essentiel reste obscur, et pour cause : Frieda Steigl, enfin rencontrée et enfin caractérisée par son genre féminin, veut savoir tout ce qui s’est passé cette année-là dans l’hôtel, quel rôle Jeff a joué dans une partie dont il semble n’avoir pas eu la moindre conscience, et pourquoi le père de Frieda, Friedrich, a ensuite disparu – Friedrich qui se trouvait bien à l’hôtel au même moment, mais dont Jeff, apparemment, ne se souvient pas.
L’écheveau de la mémoire est très emmêlé et y retrouver quelque chose est un travail de longue haleine – en même temps que le véritable sujet du roman. En un sens, peu importe qu’il se déroule, au moins pour l’époque dont il faut reconstituer la trame, sur fond de guerre froide. Non que ce soit totalement indifférent : John Le Carré semble être passé lui aussi par l’hôtel Waldheim (le lecteur a le droit de tout imaginer) pour y placer quelques-uns des pions qu’il manipule avec tant d’habileté dans les livres placés dans le même contexte.
Si l’on songe à John Le Carré, c’est que François Vallejo aurait pu revendiquer l’occupation du même terrain. C’est dire le respect inspiré par un roman passionnant.

mercredi 18 septembre 2019

Baudelaire, Olivier Rolin et Alain Finkielkraut

Il est de ces télescopages sur lesquels on s’arrête brièvement, alors qu’on devrait peut-être en chercher le sens – mais la vie n’a pas le temps, alors on continue, quitte à se dire plus tard : zut ! j’aurais dû creuser…
Ne creusons pas trop, ce serait donner à une coïncidence une valeur qu’elle n’a peut-être pas. Mais quand même…
Hier soir, je commençais Extérieur monde, d’Olivier Rolin. J’y croise un vers de Baudelaire :
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais
Ce matin, plongé dans un entretien avec Alain Finkielkraut publié dans L’Obs, voici que le bégaiement gagne ma lecture, puisque j’y trouve :
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !
Étonnant, non ?
Baudelaire est assez riche pour se trouver à l’intersection des univers d’auteurs qui ont assez peu de choses en commun. Rolin erre, Finkielkraut pense – je simplifie à l’excès, je sais.
Pour rassurer un peu sur l’ordre des choses qui ne s’en trouvera pas complètement ébranlé, chacun des deux tire quand même ce vers de son côté.
Olivier Rolin cite ce vers en hommage aux apparitions féminines qui fixent une partie de son ambition littéraire : « Tenter de ressusciter ces grâces aperçues, ces émotions vite évanouies, trouver les quelques traits qui les feront émerger, vivantes de la vie des mots, de la grande cave d’ombre du passé, est une gageure qui n’est pas indigne d’un écrivain. »
Alain Finkielkraut l’utilise pour servir sa vision d’un monde en cours de changement (changement qui, dans son esprit, n’est certes pas toujours pour le meilleur) : « Aujourd’hui, c’est impossible : le poète en serait pour ses frais, la passante aurait les yeux rivés sur son écran. »
On en pensera ce qu’on veut (je n’en pense pas moins). Ou (et ?) on relira ce poème des Fleurs du mal.



À une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !

lundi 16 septembre 2019

László Krasznahorkai, l’art et la manière

Les 17 chapitres de Seiobo est descendue sur terre sont numérotés de 1 à 2584, on voit qu’il en manque et László Krasznahorkai aurait pu donner à son roman une dimension beaucoup plus impressionnante. L’écrivain hongrois, célébré dans le monde entier mais encore trop peu connu des lecteurs francophones bien qu’il soit un possible futur Nobel de littérature et que plusieurs éditeurs s’emploient à le faire lire, plonge dans les mystères de la création artistique à différentes époques et dans des pays variés.
Chaque chapitre est consacré à une œuvre d’art, à sa conception ou à sa perception, à moins que ce soit ce qu’elle est par elle-même, une sorte d’évidence qui ne s’explique pas, ainsi que le prouve l’Alhambra : « l’Alhambra ne nous apprend pas que nous ne savons rien de l’Alhambra, qu’il ne sait rien de ce non-savoir, puisque le non-savoir n’existe pas. Ne pas savoir quelque chose est un processus complexe, dont l’histoire se déroule dans l’ombre de la vérité. La vérité existe. Puisque l’Alhambra existe. Il est la vérité. »
Du Japon à l’Italie, de la France à la Grèce, les hommes font l’expérience de la confrontation avec cette chose indicible qu’on nomme souvent, faute de mieux, beauté. Ainsi que le fait David Foenkinos dans son récent Vers la beauté où il place son personnage principal, Antoine Duris, provisoire gardien de musée, face à une toile de Modigliani. László Krasznahorkai, dans des pages proches par la situation mais éloignées par la manière, pose aussi un gardien de salle, au Louvre, devant son œuvre de prédilection, la Vénus de Milo. Mais il ne se fait pas d’illusion sur la relation qu’il entretient avec la statue : « il y avait la Vénus de Milo, seulement et uniquement elle, comment pouvait-on imaginer qu’une relation puisse exister entre eux, pensait Chaivagne en regardant ses collègues avec son petit sourire ».
Il y a un drame au pied de l’Acropole dont un visiteur, venu à Athènes pour voir le seul Parthénon, n’aura jamais atteint le sommet, la faute au soleil et à la chaleur avant une fin aussi abrupte que la lame d’une guillotine. Il y a, à l’image de ce moment inattendu, d’autres types de surprises. Comme la brève descente sur terre, annoncée dans le titre, de Seiobo sous une forme humaine, inspiratrice d’une pièce de danse au Japon. Car les sources de l’art sont multiples et irriguent ce roman habité.

dimanche 15 septembre 2019

La guerre des sexes selon Philippe Djian

Entrer dans le roman de Philippe Djian, A l’aube, c’est accepter par avance le piège qu’il nous tend. Pas de quoi surprendre ses lecteurs habituels, plus désireux de se laisser prendre au jeu que de deviner les mécanismes du récit avant les personnages eux-mêmes. Joan n’y met pas trop de temps. Aux environs de la page 35 (l’imprécision vient d’une lecture en version numérique), il en reste plus de 150, alors qu’elle roule sous le soleil, « surtout, surtout, elle était satisfaite, elle commençait à y voir plus clair, c’était comme les pièces d’un puzzle qui s’assemblait. » A ce moment, il nous en manque encore trop pour envisager une vue d’ensemble…
Au point où nous en sommes de la satisfaction de Joan, nous l’avons vue inquiète de voir passer une ombre derrière la fenêtre et le dire à Marlon, son frère – ils ont perdu récemment leurs parents, dont ils occupent la maison. Nous savons aussi qu’elle travaille avec Dora dans une boutique où se vendent des vêtements de seconde main et des breloques. Et c’est Dora qui, au téléphone, a passé Howard à Joan. Pour faire plus ample connaissance, ces derniers baisent, mais il faut payer, ce qui renseigne sur les activités parallèles de Joan. On a fait connaissance avec John, le shérif adjoint, inquiet à son tour – de voir Howard, qui n’a pas laissé que de bons souvenirs, traîner dans le coin, autour de Joan et Marlon, autour de la maison des parents surtout. Car Howard était l’amant de la mère de Joan et pense que son père a caché de l’argent quelque part…
Tout cela ne dit pas vers quoi court le roman – vers un drame, probablement, car on connaît le goût de l’auteur pour les fins abruptes et celle-ci ne décevra pas.
Ce qui se met en place, ce sont les relations entre une femme – et quelques autres, car Joan n’est pas la seule – et les hommes. Joan est donc une femme vénale et elle connaît surtout, du sexe opposé, les désirs brutaux, de rares moments de douceur, des abandons qui ressemblent à des vomissements davantage qu’à de la jouissance. Sa clientèle est variée, pas toujours choisie.
Howard est d’une espèce singulière. Excellent amant dont Joan apprécie les efforts, il est un vrai salaud qui ne reculera devant rien pour trouver ce qu’il cherche dans la maison des parents. Son passé ne plaide pas pour lui, bien qu’il soit aussi ambigu que son présent : la mère de Joan n’a cessé de lui écrire des lettres enflammées qui correspondent peu au souvenir qu’avait gardé sa fille d’une femme plutôt froide.
John, le policier, semble être le brave type de l’histoire, capable d’être bouleversé par la fin d’une chasse à l’homme qui a mal tourné. La réalité est beaucoup moins simple, on se laissera le temps de le découvrir.
Quant à Marlon, le frère de Joan, il est la vraie énigme du roman. Un problème insoluble nappe de brouillard un personnage aux réactions souvent étranges. Il est à côté du monde dont il ne maîtrise pas les codes, il est néanmoins habité par des pulsions dont il mesure mal les risques qu’elles lui font courir, ainsi qu’aux autres. Joan ne peut qu’essayer de le protéger, mais comment lui éviter le choc frontal avec la réalité ? Choc que le lecteur ressentira en même temps.

samedi 14 septembre 2019

Séquence nostalgie, la rentrée littéraire en 1979

Le 4 septembre 1979, Livres-Hebdo publiait son premier numéro. Où étais-je ? Peut-être revenu travailler à la librairie Libris, à Bruxelles, après avoir cru pendant quelques mois que j’étais fait pour les études, ou que les études étaient faites pour moi – dans l’un ou l’autre cas, je me trompais. Donc, retour à la vie active dans les livres, ce qu’au fond je n’avais jamais quitté tant cela m’allait bien.
L’ai-je vu, l’ai-je lu, ce premier numéro de Livres-Hebdo (qui fête donc ses quarante ans ce mois-ci) ? Honnêtement, je l’ignore. Mais, si je l’avais manqué, je viens de me rattraper puisque le magazine vient d’en offrir le fac-similé à ses abonnés. Je m’y suis plongé avec l’impression de revisiter tout un pan de ma vie.


Le dossier de la semaine, pour débuter ? La rentrée littéraire, pardi ! Elle ne tient alors qu’en une dizaine de pages, et pour cause : 129 romans français seulement paraissent en septembre, et la photographie globale tient en un paragraphe dont j’extrais quelques lignes :
Cette année encore, les éditeurs préfèrent des ténors comme Pierre-Jean Remy, Jacques Perry… et des talents déjà éprouvés même s’ils sont encore mal connus du grand public comme Alain Gerber et Jeanne Champion. Le nombre des nouveaux venus s’est réduit d’année en année : 28 en 1979, contre 32 en 1978 et 48 en 1977.
Ce n’est pas l’inflation, donc. De grands placards publicitaires complètent la liste commentée des romans à paraître et l’élargissent aux programmes complets des éditeurs ayant investi dans ce nouveau support (fusion, en réalité, de deux autres plus anciens, la Bibliographie de la France et le Bulletin du Livre). De ces publicités naît, pour moi, le souvenir de grands moments de lecture.
Gallimard vient de publier Le guetteur d’ombre, de Pierre Moinot. Flammarion, dans la collection « Textes » que dirige alors Bernard Noël, propose le cinquième roman de Claude-Louis Combet, Marinus et Marina. Chez Stock, François Weyergans donne Berlin mercredi. Au Seuil, dans la collection « Fiction & Cie », Jacques Teboul sort Cours, Hölderlin ! que j’avais complètement oublié et dont, du coup, me reviennent des bouffées… Le Livre de poche réédite Le premier qui dort réveille l’autre, grâce à quoi je me dis que Jean-Edern Hallier n’est pas passé loin d’être un grand romancier. C’était une belle rentrée…
A part ça, Harlequin lance de nouvelles collections et un « Important Éditeur Parisien » (oui, avec les capitales) recherche des manuscrits inédits – il s’agit de la Pensée Universelle. Oui, bon, il faut de tout…
Et les libraires sont obsédés par la liberté des prix, sans savoir qu’il n’y en a pas pour très longtemps avant qu’arrive, avec François Mitterrand, Jack Lang (et Jérôme Lindon), le prix fixe.

vendredi 13 septembre 2019

Le Clézio, raconter des histoires pour prolonger la vie

Après Alma, un livre ancré à l’île Maurice, J.M.G. Le Clézio se tourne vers la Corée avec Bitna, bientôt dix-huit ans au début du roman, dix-neuf à la fin – et entre les deux un joli paquet d’histoires destinées à divertir une malade qu’on appellera Salomé, comme c’est le cas dans la plus grande partie de l’ouvrage. Salomé souffre, elle est de plus en plus fragile, le Syndrome douloureux régional complexe ne lui laisse aucune chance de vieillir longtemps…
Bitna, sous le ciel de Séoul est un roman où il est beaucoup question d’oiseaux. Les pigeons de M. Cho Han-Soo sont le sujet de la première histoire racontée à Salomé, en avril 2016, et prolongée en plusieurs épisodes. Elle vient de loin, du temps où la guerre faisait rage entre les deux Corée et où un couple de pigeons a franchi la frontière avec la mère de M. Cho. Il a hérité d’elle le goût d’élever des pigeons voyageurs, de les choyer sur le toit de l’immeuble dont il est le concierge, et il veut envoyer vers le Nord, par eux, de brefs messages poétiques.
Toutes les histoires de Bitna ne sont pas aussi douces. Il y a un homme inquiétant qui suit une jeune femme, et elle cache mal qu’il est question d’elle-même. Entre authenticité et fiction, l’écart est mince : « Je ne veux pas dire que les autres histoires que j’ai contées à Salomé, pour la guérir de sa douleur, étaient fausses, mais je les ai arrangées pour qu’elles lui plaisent, j’ai ajouté des petits mots doux, des petits mots durs, pour qu’elle comprenne que ça se passe dans le monde qu’elle ne connaît pas, le monde où l’on bouge, où l’on sent la chaleur du soleil »
Les mots durs sont nécessaires pour faire ressentir à Salomé les aspects peu plaisants d’un univers qui lui restera fermé. Sa maladie l’empêche d’y vivre, elle est une recluse qui a besoin d’histoires pour exister. Quant à Bitna, elle a moins besoin de raconter que de l’argent gagné grâce à ses prestations. La relation entre les deux femmes, celle qui parle et celle qui écoute, ne sont pas toujours très claires. En tout cas, il arrive qu’elles soient l’une et l’autre fatiguées – de parler ou d’écouter. Alors, le récit s’arrête et il reprendra une autre fois, plus tard.
Bitna, sous le ciel de Séoul est donc constitué de récits entrelacés, un genre de millefeuilles littéraire dont on apprécie la variété des textures et la manière dont elles se répondent, se complètent. La thématique de l’oiseau court plus avant, un autre animal, baptisé O’Jay, entré dans la vie de Naomi, atteint d’une maladie, s’approche de la fin en même temps que Salomé dont il est une représentation symbolique – mais le symbole ne rend pas la mort moins cruelle.
Il y a, à de multiples occasions, rencontre et séparation. La déchirure potentielle est visible avant même que le premier lien se noue. Le Clézio connaît la faiblesse humaine, et combien l’homme (une jeune fille, dans ce cas précis) tente de la compenser en trouvant appui sur d’autres vies que la siennes. Donner et recevoir, c’est un peu le même geste, mais on en mesure l’incomplétude à chaque instant.
Inspiré par une ville et un pays que connaît bien l’écrivain, ce roman est néanmoins un ton en dessous de la plupart de ceux qu’il a déjà publiés. Comme si le sentiment d’une urgence géographique avait empêché la littérature de s’épanouir tout à fait. Les ingrédients sont tous là mais les articulations entre eux souffrent des artifices mis en place par les conditions dans lesquelles se développent les récits secondaires à l’intérieur du récit principal : la vie de Bitna, et aussi de Salomé, pendant une année, interrompue et nourrie par les histoires narrées à haute voix.

jeudi 12 septembre 2019

Prix littéraires, les têtes de gondole

Le tsunami économique (l'horreur qui effrayait à juste titre Viviane Forrester) balaie tout sur son passage, digère, restitue en chiffres ce qui aurait pu (dû) rester une matière de l'esprit. Voyez la méditation qui semblerait, a priori, échapper à toute mesure quantitative. Pas du tout, et même au contraire. Le Point, cette semaine, en fait un sujet de sa rubrique... économie, oui, et nous apprend, si nous ne le savions pas (je l'ignorais pour ma part et j'aurais d'ailleurs préféré rester ignorant) que c'est, attention, je cite, un marché en pleine expansion.
Fichtre! Et la littérature, dans tout ça? Expansion, je ne suis pas certain. Marché, en revanche, les prémices des prix littéraires sont là pour nous le rappeler, et voici venu le moment agréable, car bien des choses semblent encore possibles (quand d'autres ont été déjà remisées dans le grenier - celui des frères Goncourt?). Profitons-en, ça ne durera pas.
Quatre des jurys représentant les principaux prix d'automne ont fourni leur première sélection: Goncourt, Renaudot, Femina et Médicis. Plusieurs autres, moins réputés, aussi: Décembre, Roman des Etudiants, Littérature américaine, Wepler/Fondation La Poste, Renaudot des Lycéens, Landerneau  et Premier roman. Certains de ces derniers ratissent des terres plus étroites. Que nous disent ces indices encore fragiles?
D'abord, que Santiago H. Amigorena fait l'unanimité, ou presque, avec Le ghetto intérieur. Non seulement il vient de recevoir le Prix des libraires de Nancy-Le Point, mais il a été retenu (et donc, suppose-t-on naïvement, lu avec intérêt) aux Goncourt, Renaudot et Médicis, ainsi qu'aux Décembre et Renaudot des Lycéens. Ne cherchez pas, il n'y a pas d'ouvrage mieux considéré dans cette rentrée.
Le roman de Nathacha Appanah, Le ciel par-dessus le toit, a aussi été très remarqué - lui aussi par trois des prix majeurs (le Femina remplace le Médicis) et par le Renaudot des Lycéens.
Victor Jestin, primo-romancier, fait une entrée fracassante (en littérature ou sur le marché?) grâce à La chaleur - rien à voir, a priori, avec le réchauffement climatique, même si certains jurés, faute de temps, y ont peut-être cru du côté des Renaudot, Femina et Médicis.
La moitié des grands jurys, ceux du moins qu'on entend le plus, font confiance à Dominique Barbéris, Jean-Luc Coatalem, Michaël Ferrier, Claudie Hunzinger, Luc Lang, Victoria Mas, Vincent Message, Jean-Noël Orengo, Anne Pauly, Sylvain Pruhomme, Monica Sabolo et Karine Tuil.
On souhaite bonne chance aux autres, ce qui ne m'empêchera pas d'essayer de les lire. Vous non plus, j'espère.

mercredi 11 septembre 2019

Les « Souvenirs dormants » de Patrick Modiano


Un récit sans masque romanesque : tout Modiano est dans Souvenirs dormants qui disent les hésitations d’un homme confronté à une mémoire fuyante, en quête de points de repère rendus flous par le temps qui s’est écoulé depuis les événements rapportés. Les années soixante sont, avec l’Occupation, l’époque la plus souvent évoquée par Patrick Modiano dans son œuvre. Elles marquent la fin d’une adolescence qui tarde à se transformer en âge adulte, les débuts de romancier, dans une atmosphère pas si éloignée de celle qui obscurcissait vingt ans auparavant, à l’heure du couvre-feu, les rues de Paris. C’était aussi le temps où la mère de l’écrivain accueillait son fils dans les loges des théâtres où elle jouait, tandis que le père, cet « inconnu », vaquait à des occupations pas très claires.
D’une certaine manière, Patrick Modiano écrit toujours le même livre. Ou, plus exactement, il prolonge dans chaque ouvrage une quête commencée il y a longtemps déjà – son premier texte est paru en 1968. Le mécanisme consiste à rattacher des bribes éparses, à reconstruire un puzzle qui n’en finit pas de révéler de nouvelles pièces, et de fasciner. Car jamais le lecteur ne s’ennuie à suivre les méandres superposés d’une œuvre qu’il faudra, le moment venu, considérer dans son ensemble.
Souvenirs dormants en sera une articulation majeure. Des personnages croisés ailleurs reviennent, sans la précaution de la fiction. Mais avec, comme toujours, des téléphones qui sonnent dans le vide et des doutes sur la valeur des souvenirs : « De temps en temps, il me semble que le café s’appelait Le Bar vert, à d’autres moments, ce souvenir s’estompe, comme les mots que vous venez d’entendre dans un rêve et qui vous échappent au réveil. »
Cette vie rêvée est une sorte d’aventure. Au coin d’une rue presque vide, un dimanche soir, vous croisez quelqu’un que vous croyez reconnaître. Il ou elle vous entraîne, dans ses pas ou dans le passé, vers des territoires qui ne sont pas totalement inconnus et qui charrient des noms, des adresses, des numéros de téléphone, des silhouettes… Vous creusez : « avec un peu de bonne volonté, ils vous reviennent à la mémoire, ces noms qui demeuraient dans votre esprit sous une légère couche de neige ou d’oubli. »
Et la phrase se déroule avec son rythme propre, une fausse nonchalance qui masque une inquiétude permanente. On y devine une question sans réponse : que serais-je devenu si je n’avais pas été écrivain ?

mardi 10 septembre 2019

Le consul atypique de Jean-Christophe Rufin

D’abord, une anecdote puisée dans les arrière-cuisines de l’édition : Le pendu de Conakry avait été annoncé chez Gallimard en mars 2017 avant de disparaître du programme pour laisser une meilleure visibilité au Tour du monde du roi Zibeline, publié en avril de la même année. Explication, fournie alors par Jean-Christophe Rufin : « On aurait pu publier les deux livres presque en même temps, mais on n’a pas jugé ça adéquat. Donc ce livre, le début d’une série, avec un personnage récurrent qui me permet d’explorer le présent, sera publié chez Flammarion et non chez Gallimard, ce qui revient au même puisque c’est le même groupe. »
Après une petite modification de titre et une sortie plus tardive, voici donc au format de poche Le suspendu de Conakry, première aventure d’Aurel, consul qui aurait aimé être policier. Destiné à revenir (dès le mois prochain) dans d’autres ouvrages, Aurel est un enquêteur amateur et un diplomate atypique. D’origine roumaine, son nom, Timescu, semble une anomalie dans une hiérarchie, au Quai d’Orsay, plus familiarisée avec les particules qu’avec les patronymes exotiques. Exotique, la Guinée l’est aussi pour lui qui n’aime pas la chaleur mais, paradoxalement, se promène toujours trop couvert (et ne transpire jamais). Il y a en lui un malaise indéfinissable, qui disparaît quand il se trouve sur le terrain d’une énigme à résoudre – ce qui n’entre évidemment pas dans le cadre de ses attributions.
Sur le port, le spectacle a attiré du monde : un Blanc pendu au mât de son voilier et, sur le pont, Mame Fatim, célébrité locale, nue… Le défunt, à l’évidence assassiné, étant français, les services consulaires ont à entreprendre quelques démarches administratives : prévenir la famille, aider à l’organisation des funérailles ou du transfert du corps… mais vraiment pas chercher un coupable.
La victime se révèle avoir été un cas singulier : Jacques Mayères naviguait seul et, semble-t-il, avec dans son bateau une petite fortune qui, bien entendu, a disparu. La raison de son assassinat ? Sa sœur Jocelyne, à qui Aurel a téléphoné, décide en tout cas de venir immédiatement à Conakry pour évaluer la situation. Pour comprendre aussi qu’Aurel mène une enquête parallèle, ce dont il se défend : « Mettons que je réfléchis un peu et que j’essaie d’apprendre des choses utiles. »
La trame policière n’est bien sûr pas l’essentiel du roman, même si elle est assez solide pour un débutant dans le genre. Comment Aurel manœuvre et est manœuvré, sa complicité croissante avec Jocelyne, comment il assume le fait d’être considéré comme un employé subalterne, c’est tout cela qui retient l’attention, sur un intéressant tapis musical. Car Aurel, plein de ressources insoupçonnées, se révèle un ancien pianiste de bar très doué. A tel point qu’il rêve de composer un opéra. Il lui reste, à la fin du roman, six mois de placard guinéen pour le faire, à moins qu’une autre affaire le requière avant cela. A suivre, donc.

lundi 9 septembre 2019

Delphine de Vigan, les blessures d'autrefois


Deux femmes ont souffert autrefois : Hélène, enseignante, est marquée par les coups qu’elle a reçus ; Cécile, fille d’alcoolique, se sent coupée en deux. Elle est la mère de Mathis et s’inquiète de voir celui-ci fréquenter Théo, dont elle a l’impression qu’il a une mauvaise influence. Les deux garçons ont construit autour d’eux une bulle alcoolisée qui les coupe du monde réel. Mais, s’ils ont choisi cette forme de transgression, c’est parce qu’ils se sentaient déjà, d’une certaine manière, exclus.
Delphine de Vigan, dans Les loyautés, rompt, au moins par la forme brève, avec la manière qui lui a donné récemment ses plus grands succès : Les heures souterraines, Rien ne s’oppose à la nuit et D’après une histoire vraie. Mais elle reste fidèle au moteur principal de ces précédents romans : une tension psychologique installée d’abord comme un malaise sournois et qui, au fur et à mesure, s’approfondit jusqu’à faire craindre un drame majeur.
Les quatre principaux protagonistes, dont les noms alternent en tête des chapitres, possèdent chacun leurs vérités et leurs questionnements. Un peu plus de certitude du côté des adultes, mais à peine. Cécile a découvert récemment la face cachée de son mari et s’en inquiète autant que de ses propres troubles de la personnalité. Hélène veut tout faire pour le bien de Théo mais craint parfois de se montrer trop intrusive dans son existence d’adolescent.
On a parfois le sentiment d’une longue plongée au terme de laquelle le roman deviendra irrespirable. Delphine de Vigan connaît l’art de faire partager des inquiétudes, et cela passe par une écriture fluide qui n’oppose aucune résistance au lecteur. De quoi expliquer en partie la popularité de ses livres.


Entretien

Votre nouveau roman est plus court que les précédents. A quelle nécessité cela répond-il ?
C’est la volonté de revenir à une forme courte, qui m’intéresse d’un point de vue formel. J’aime l’idée d’un roman nerveux, j’avais envie d’explorer de nouveau cette forme qui suppose, du coup, une grande économie de moyens. Il y avait pour moi l’idée d’un compte à rebours qui se met en route dès le départ pour les personnages.
Avant que le roman commence, vous donnez plusieurs définitions des loyautés : des liens invisibles, les lois de l’enfance, des tremplins… Une mise au point pour le lecteur ou à votre propre usage ?
Les deux, en fait. C’est un joli mot, une mise au point… Je le voyais comme un éclairage…
Des balises ?
Oui, des clés de lecture, parce que je voulais explorer ces différents aspects de la loyauté. Pour moi, elle est forcément plurielle. Et je voulais fournir cela au lecteur, au début d’une histoire dans laquelle, d’ailleurs, le mot loyauté lui-même ne sera jamais reprononcé. Parce que ces loyautés sont souvent inconscientes, on ne se formule pas forcément à soi-même qu’il s’agit de loyauté. C’est pour ça aussi que j’avais envie de l’évoquer au début, pour ne plus du tout l’évoquer ensuite.
Les loyautés font partie des heures souterraines, pour reprendre le titre d’un autre de vos livres ?
Voilà, exactement !
Il y a quatre personnages principaux, deux femmes et deux adolescents. Vous les aviez dès le début ?
Oui, ils sont arrivés assez vite. Je me suis interrogée sur le personnage de Cécile, sur comment l’intégrer dans cette histoire où elle joue un rôle très important. A un moment, je me demandais s’il fallait la garder. Aujourd’hui, j’en suis tout à fait convaincue. Les quatre personnages existaient avant que je rentre dans l’écriture. C’est toujours le cas. J’ai une phase de préparation pour mes romans.
A propos des deux adultes, Cécile a un « radar », écrivez-vous, fourni par son passé, Hélène a souffert dans son enfance. Sont-elles hypersensibles à cause de ce qu’elles ont vécu avant ?
Oui, leur histoire respective leur permet, au fond, de déceler des choses que tout le monde ne perçoit pas, d’y être perméables.
Quant aux deux ados, on se demande un peu ce qu’ils cherchent : une perte de contrôle, la boisson pour la boisson… ?
Déjà, je pense qu’ils ne cherchent pas la même chose l’un et l’autre. Au départ, c’est finalement une transgression adolescente assez banale, j’ai envie de dire, même si elle survient à un âge très précoce. Il y a la volonté d’explorer les limites, de savoir où elles se trouvent. Pour Mathis, c’est quelque chose de cet ordre-là, avec aussi la découverte de la sensation de l’ivresse. Pour Théo, ça va au-delà, parce qu’il y a chez lui quelque chose de plus profond, probablement une volonté inconsciente de se mettre en danger, d’aller vers une forme d’effacement.
Auraient-ils pu passer par autre chose que l’alcool ?
L’alcool est très accessible aujourd’hui à quiconque. Il est en vente libre. Il est normalement interdit de vendre de l’alcool à des jeunes gens de moins de dix-huit ans, mais on sait très bien qu’ils n’ont aucune difficulté à s’en procurer.
A travers leurs cas, vous touchez à un phénomène de société. Mais vous ne le faites pas de manière explicite. Est-ce volontaire ?
Effectivement, ce qui m’intéresse, c’est d’écrire quelque chose du monde qui nous entoure, et de le faire à travers des personnages qui soient incarnés, justes, crédibles. Et j’espère, bien sûr que ça raconte quelque chose de notre monde. Mais le plus important, pour moi, c’est que les personnages soient crédibles.
C’est au lecteur qu’il appartient de concevoir, à travers eux, une vue plus générale ?
Oui, si le lecteur s’y reconnaît, s’y projette, ce que j’espère. Je ne suis pas là pour donner des leçons, pour tirer une morale. Chaque lecteur se fera son idée sur tout ça.
Selon vous, est-ce que l’alcool exclut ou est-ce parce qu’on se sent exclu qu’on boit ?
Je pencherais plutôt pour la deuxième solution mais… les deux sont vraies, en fait. Encore une fois, l’un et l’autre n’ont pas le même rapport à l’alcool. L’un des deux est capable de s’arrêter au moment où il sent que ça va trop loin. Tandis que le second n’est pas capable de s’arrêter parce que, précisément, il cherche à aller au-delà des limites.
Vous montrez la difficulté qu’ont des adultes à établir des rapports de confiance avec des adolescents plutôt égarés. Est-ce à vos yeux une part essentielle du roman ?
Je ne sais pas que vous répondre… Je ne peux pas généraliser. Hélène cherche, d’une certaine manière, à donner confiance à Théo, elle cherche par différents moyens à lui montrer qu’elle est son alliée, qu’elle peut l’aider. Mais c’est un enfant qui est réfugié dans le silence.
C’est un roman plein de tension, vous en aviez conscience ?
J’espère qu’il y a de la tension ! C’est un enjeu de vie ou de mort.
En commençant à écrire, connaissiez-vous la fin ?
Oui, j’avais vraiment la scène finale, je savais très bien où j’allais, ce que je voulais raconter.

dimanche 8 septembre 2019

Dans « rentrée littéraire », il y a « littéraire »

Je lis L’Équipe de ce matin – oui, et alors ? –, j’y trouve matière à entretenir la rogne qui me tient debout depuis un certain temps. Je découvre André Dussollier fan du PSG, ce qui ne me fait ni chaud ni froid, pointant une caractéristique du foot aujourd’hui. Il a suivi le « mercato », c’est bien son droit. Il en dit ceci, magnifique aveu : « C’est quasiment plus intense que les matchs qui vont suivre. Aujourd’hui, j’ai l’impression que le foot, ça se passe plus sur le papier que sur le terrain. » Le papier des contrats, veut-il probablement dire…
C’est la même chose pour la rentrée littéraire. Elle ne se passe plus dans les livres, matière peu comestible pour le grand public (en tout cas, on essaie de le lui faire croire et, à force, il s’en est convaincu depuis un certain temps), en revanche, parlez-moi d’un scandale saignant, il y a là de quoi nourrir un passionnant feuilleton entretenu, pendant des semaines, par les chroniqueurs assoiffés de révélations crapoteuses.
Donc, l’affaire Yann Moix, vous savez, le type qui a publié un livre dans cette rentrée – Orléans, mais qui se souvient du titre ? Il y a longtemps, car les semaines semblent durer des mois dans cette histoire, que le « roman vrai » (si je comprends bien) de l’enfant martyr a disparu sous les coulées de boue qu’il avait lui-même lancées avec ardeur sur les pentes glissantes de l’antisémitisme et, apprends-je aujourd’hui en lisant le JDD, de la « négrophobie » (j’apprends en même temps que le mot « nègre » recomposé de la sorte est toléré, c’est fou ce que la lecture de la presse est instructive). Mais vous le saviez peut-être déjà, vous qui suivez plus attentivement que moi ce feuilleton nauséabond. Qui rebondit de rubrique en rubrique, un peu comme le sparadrap du capitaine Haddock passait de doigt en doigt. Impossible de s’en débarrasser ! Le sujet sort des pages livres, il revient dans l’actualité des médias – Laurent Ruquier et France 2 seraient au bord de la rupture après la prestation de Yann Moix dans la première émission de la nouvelle (et dernière ?) saison d’On n’est pas couché (#ONPC pour les intimes).
Je repense à un autre type, j’ai oublié son nom, qui avait déclaré, c’était à l’occasion d’une précédente rentrée littéraire dans laquelle avait été lancé avec une certaine imprudence son dernier roman, que je ne sais plus quelle religion était vraiment « la plus con » de toutes les religions. La rumeur affirmait avec insistance qu’il disait cela sous l’influence de l’alcool. Vrai ? Pas vrai ? On s’en moque un peu, non ? Toujours est-il que le livre, lors de cette rentrée-là, avait connu un beau succès. Pour le livre ou pour le scandale qui l’entourait ? Rien de tel qu’un cortège tambourinant pour provoquer le phénomène moutonnier que nous rencontrons à nouveau cette année. Et dire qu’il suffisait autrefois d’un joueur de flûte ! Les temps ont bien changé…
Tout n’est peut-être pas perdu. Dans Le Monde paru hier, un homme pour qui j’ai une immense admiration, Alain Rey – « l’hostilité au père a été quelque chose de fondamental », dit-il, mais il n’a aucune chance de provoquer un scandale avec cet aveu – s’exprime au détour d’une réponse sur la littérature contemporaine. Voici : « Je n’arrive pas à accrocher à Houellebecq, il m’emmerde. » Comme je le comprends ! (Mais quel rapport avec le paragraphe précédent ?)
Comment suis-je passé d’histoires bruyantes à Houellebecq ? Je me le demande. Vous aurez peut-être la réponse à cette question lancinante – lancinante au moins trois secondes, relativisons.
En fait, je voudrais éradiquer les sources de pollution du monde littéraire, effacer les bruits parasites, être le Nicolas Hulot de lectures sans glyphosate ni OGM. Alors, pourquoi consacrer une note de blog à la périphérie envahissante ? Parce qu’il faut bien désigner l’adversaire afin de mieux se recentrer sur l’essentiel : les textes que je découvre jour après jour dans la rentrée littéraire – LITTÉRAIRE, vous avez bien lu. Et que je suis souvent tenté de garder pour moi, dans une jouissance égoïste qui ne vous regarde en rien. Même si je fais tout le contraire et viens, hier, de publier dans le Soir des articles sur Hubert Haddad, Edna O’Brien, Victoria Mas, Alexandre Labruffe ou Anne Pauly (dont je vous ai d’ailleurs parlé ici).
Le monde est contradictoire. Belle découverte de cette fin de nuit. La prochaine fois, je tenterai de réinventer (et de réenchanter ?) le fil à couper le beurre.

mardi 3 septembre 2019

La première sélection du Goncourt

Ils sont quinze, les romans retenus dans la première sélection du Goncourt. une liste d'autant plus importante qu'elle est aussi la base sur laquelle se feront les choix des lycéens et des jurys étrangers, de plus en plus nombreux. Trois ouvrages seulement, ceux de Santiago H. Amigorena, Nathacha Appanah et Jean-Luc Coatalem, appartiennent aussi à la liste du Renaudot que je vous donnais tout à l'heure. Amélie Nothomb est de retour en grâce après avoir été longtemps snobée - la grâce, cette année, est aussi méritée que l'indifférence, les années précédentes. Deux premiers romans, signés Anne Pauly (je vous ai dit tout le bien que j'en pensais) et Abel Quentin. Sept romancières contre huit romanciers. Un quart de Gallimard et associé (POL), un seul Grasset mais deux Albin Michel.
Et, alors qu'il m'en reste un gros paquet à lire, un favori forcément injuste (d'ailleurs peut-être recalé lors des prochaines étapes, les 1er et 27 octobre avant la proclamation du 4 novembre), Jean-Paul Dubois - toutes les qualités d'un Goncourt, toutes celles d'un livre qui touche juste...

  • Santiago H. Amigorena. Le ghetto intérieur  (POL)
  • Nathacha Appanah. Le ciel par-dessus le toit (Gallimard)
  • Dominique Barbéris. Un dimanche à Ville-d'Avray (Arléa)
  • Jean-Luc Coatalem. La part du fils (Stock)
  • Louis-Philippe Dalembert. Mur Méditerranée (Sabine Wespieser)
  • Jean-Paul Dubois. Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon (L'Olivier)
  • Hélène Gaudy. Un monde sans rivage (Actes Sud)
  • Léonora Miano. Rouge impératrice (Grasset)
  • Hubert Mingarelli. La terre invisible (Buchet Chastel)
  • Amélie Nothomb. Soif (Albin Michel)
  • Anne Pauly. Avant que j'oublie (Verdier)
  • Abel Quentin. Sœur (L'Observatoire)
  • Olivier Rolin. Extérieur monde (Gallimard)
  • Sébastien Spitzer. Le cœur battant du monde (Albin Michel)
  • Karine Tuil. Les choses humaines (Gallimard)

La première sélection du Renaudot

Cela n'a l'air de rien, mais le jury du Prix Renaudot vient de griller la politesse à celui du Goncourt. On n'en est pas (encore) à prévoir que, le 4 novembre, chez Drouant, le Renaudot sera annoncé avant le Goncourt, mais la publication, tard dans la soirée d'hier, de la sélection du premier prix cité, a été avancée par rapport à la date (de demain) annoncée par les agendas de tous les commentateurs de la vie littéraire parisienne...
25 titres ont été retenus, pour deux tiers environ des romans et les 9 autres sont donc des essais. Il y manque quelques stars de la rentrée littéraire, autre signe d'indépendance - et on repêche même un essai paru en novembre 2018, celui de Sophie des Déserts - la rentrée dure de plus en plus longtemps...
Côté romanciers et romancières, celles-ci ne sont que cinq, trois premiers romans sortent du lot (ceux de Victor Jestin, Victoria Mas et Alexis Michalik) et le groupe Madrigall occupe près de la moitié des places disponibles.
Bon, c'est le Renaudot, n'oublions pas que ce jury ne craint pas les soubresauts, les écarts, les surprises et que, par conséquent, cette première sélection est purement indicative. J'y mets en vedette le roman d'Hubert Haddad parce que je l'ai beaucoup aimé et que je viens d'interviewer cet auteur - ce sera à lire samedi dans Le Soir.

Romans

  • Kaouther Adimi. Les petits de Décembre (Seuil)
  • Santiago H. Amigorena. Le ghetto intérieur (POL)
  • Nathacha Appanah. Le ciel par-dessus le toit (Gallimard)
  • Emma Becker. La Maison (Flammarion)
  • Aurélien Bellanger. Le continent de la douceur (Gallimard)
  • Jean-Luc Coatalem. La part du fils (Stock)
  • Michael Ferrier. Scrabble (Mercure de France)
  • Hubert Haddad. Un monstre et un chaos (Zulma)
  • Lenka Hornakova-Civade. La symphonie du nouveau monde (Alma)
  • Victor Jestin. La chaleur (Flammarion)
  • Victoria Mas. Le bal des folles (Albin Michel)
  • Vincent Message. Cora dans la spirale (Seuil)
  • Alexis Michalik . Loin (Albin Michel)
  • Jean-Noël Orengo. Les jungles rouges (Grasset)
  • Sylvain Prudhomme. Par les routes (Gallimard)
  • Abdourahman A. Waberi. Pourquoi tu danses quand tu marches? (J-C. Lattès)

Essais

  • Brigitte Benkemoun. Je suis le carnet de Dora Maar (Stock)
  • Charles Dantzig. Dictionnaire égoïste de la littérature mondiale (Grasset)
  • Jean-Michel Delacomptée. La Bruyère, portrait de nous-mêmes (Robert Laffont)
  • Sophie des Déserts. Le dernier roi soleil (Grasset/Fayard)
  • Quentin Jardon. Alexandria : Les pionniers oubliés du web (Gallimard)
  • Emmanuelle Lambert. Giono, furioso (Stock)
  • Félix Macherez. Au pays des rêves noirs : Antonin Arthaud au Mexique (Equateurs)
  • Eric Neuhoff. (Très) cher cinéma français (Albin Michel)
  • Martine de Rabaudy. A l'absente (Gallimard)

lundi 2 septembre 2019

Anne Pauly, Prix Envoyé par la Poste

On a rarement aussi bien traduit les sentiments ambivalents d’une fille envers son père que dans le premier roman d’Anne Pauly, Avant que j’oublie, qui vient d’être salué – à juste titre – par le Prix Envoyé par la Poste. On y rit et on y pleure dans le même hoquet, à tel point qu’on ne sait plus, souvent, si l’on pleure de rire ou si le rire est une réaction nerveuse au chagrin.
Le moment est précisé dans la première phrase : « Le soir où mon père est mort », sans qu’il soit nécessaire d’en savoir davantage par rapport au calendrier (même si on apprendra, plus tard, que l’enterrement se fait le 4 novembre 2012). C’est d’une chronologie intérieure qu’il est question, quand prend fin la relation avec un être autant honni qu’aimé.
Anne, la narratrice – pas un instant on ne songera à s’étonner du prénom en commun avec l’autrice, tant ce livre semble sorti, ou plutôt arraché, des tripes et du cœur de celle qui écrit –, face à la disparition d’un homme dont, au fond, elle ne sait que penser, cherche, dans les événements à venir ainsi que dans les souvenirs et les traces du passé, à comprendre où elle en est par rapport à lui. Elle devra bien admettre qu’elle pense tout et son contraire, et que c’est bien ainsi.
Elle se souvient de la boisson et de la violence – cette violence dont le frère d’Anne a en partie hérité, comme d’une colère sans raison d’être mais profondément ancrée dans sa nature, une violence cependant jamais exercée contre elle.
Au passage, une question sur la coïncidence entre la passion du père pour le zen et l’arrivée de l’alcool dans sa vie : « Au fond, on ne sait jamais vraiment si quelqu’un boit pour échouer ou échoue parce qu’il boit. »
Un comique de situation, grâce à d’imprévisibles incidents, fait mine d’alléger ce que le sujet a de douloureux. Au cimetière, devant la tombe, le croque-mort en chef, dont Anne se dit – elle connaît le sujet – qu’il a dû faire étape au bistrot, se fend d’un discours vaseux qui, parti de rien, ne va nulle part. « Décidément, tout se répondait dans le vaste univers : c’était un ivrogne qui avait eu le dernier mot. »
Auparavant, Anne aura eu quelques raisons de retrouver quelques raisons de justifier l’admiration qu’elle éprouvait, presque malgré elle, pour ce père à la fois indigne et magnifique : « L’église était sold out, pleine à craquer et il y avait carrément un bouchon près de la porte d’entrée. Alors mon cœur s’est regonflé. Ainsi, mon père était aimable et je me suis demandé comment j’avais pu un seul instant en douter. »
Avant que j’oublie exprime un malaise qu’il n’était pas temps de mettre au jour avant la disparition du père. En son absence, il devient possible de démêler les inextricables contradictions – sans les résoudre, bien entendu.