samedi 28 novembre 2020

Goncourt, les paris sont ouverts

Non, il n’y a rien à gagner dans ces paris – pour vous, pour moi au moins, car il en va tout autrement pour le lauréat ou la lauréate ainsi que pour son éditeur. Lundi, à 12 h 30, on saura lequel, des quatre ouvrages restés dans le dernier carré, auront choisi les jurés.

Je vous rappelle les livres retenus ? Oui, c’est peut-être utile pour les distraits ou les distraites.

  • Djaïli Amadou Amal. Les impatientes (Emmanuelle Collas)
  • Hervé Le Tellier. L’anomalie (Gallimard)
  • Maël Renouard. L’historiographe du Royaume (Grasset)
  • Camille de Toledo. Thésée, sa vie nouvelle (Verdier)

Comme chaque année, Livres Hebdo a demandé leur avis à quinze critiques littéraires : qui aura le Goncourt ? qui le mérite ? Le récapitulatif de tout ça a été publié hier, c’est ici. Sur le fond, je ne me démarque pas des autres, voici d’ailleurs mes réponses aux deux questions.


Dix autres critiques pensent aussi qu’Hervé Le Tellier aura le Goncourt. Mais ils ne sont que trois à me rejoindre sur le fait qu’il le mérite, ce qui donne une égalité de voix entre L’anomalie et Histoires de la nuit, de Laurent Mauvignier – dont je ne comprends pas non plus comment il n’a pas été retenu par le jury du Goncourt. Mais, bon, je ne voyais pas bien pourquoi laisser croire aux chances d’un roman ignoré par ces lecteurs-là. Quand la chance est passée…

Vingt minutes après le Goncourt, car l’événement est virtuel et minuté cette année (encore faudra-t-il voir si les connections se passent avec la souplesse souhaitée, il semble que cela n’a pas été le cas pour d’autres remises de prix dans les jours précédents), vingt minutes plus tard, donc, si tout va bien, le Renaudot donnera son palmarès. J’y serai, en principe, par écran interposé, je vous raconterai probablement cela dans Le Soir ou ici.

vendredi 20 novembre 2020

Le calendrier des prix littéraires en reconstruction

Certains jurys ont fait comme si de rien n’était, ou presque – Femina, Médicis, Inrocks. La plupart, en revanche, ont pris acte de la fermeture des librairies en France et ont retardé les proclamations de leurs résultats, même quand les délibérations, comme cela semble être le cas ici ou là, ont déjà eu lieu.

La semaine prochaine, les librairies françaises seront toujours fermées (je sais, il y a le « click & collect », comme on dit dans l’Hexagone, et les envois par la Poste), mais les jurés et jurées s’impatientent. Des dates sont donc maintenant fixées et les réjouissances, dans une version étriquée de circonstance, s’annoncent. Il manque encore quelques détails, d’autres prix importants s’ajouteront à ceux-ci mais voici, à ma connaissance, où nous en sommes. Calendrier et dernières sélections…

 

Lundi 23 novembre – Prix Wepler-Fondation La Poste

  • Lise Charles. La demoiselle à cœur ouvert (P.O.L)
  • Béatrice Commengé. Alger, rue des Bananiers (Verdier)
  • Mireille Gagné. Le lièvre d’Amérique (La Peuplade)
  • Christian Garcin. Le Bon, La Brute et le Renard (Actes Sud)
  • Marius Jauffret. Le fumoir (Anne Carrière)
  • Julia Kerninon. Liv Maria (L’Iconoclaste)
  • Grégory Le Floch. De parcourir le monde et d’y rôder (Bourgois)
  • Hervé Le Tellier. L’anomalie (Gallimard)
  • Fiston Mwanza Mujila. La Danse du Vilain (Métailié)
  • Muriel Pic. Affranchissements (Seuil)
  • Jean Rolin. Le pont de Bezons (P.O.L)
  • Florence Seyvos. Une bête aux aguets (L’Olivier)

 

Jeudi 26 novembre – Grand Prix du roman de l’Académie française

  • Miguel Bonnefoy. Héritage (Rivages)
  • Étienne de Montety. La grande épreuve (Stock)
  • Maël Renouard. L’historiographe du Royaume (Grasset)

 

Lundi 30 novembre – Prix Goncourt

  • Djaïli Amadou Amal. Les impatientes (Emmanuelle Collas)
  • Hervé Le Tellier. L’anomalie (Gallimard)
  • Maël Renouard. L’historiographe du Royaume (Grasset)
  • Camille de Toledo. Thésée, sa vie nouvelle (Verdier)

 

Lundi 30 novembre – Prix Renaudot

Romans

  • Jean-Paul Enthoven. Ce qui plaisait à Blanche (Grasset)
  • Irène Frain. Un crime sans importance (Seuil)
  • Marie-Hélène Lafon. Histoire du fils (Buchet-Chastel)
  • Hervé Le Tellier. L’anomalie (Gallimard)
  • Étienne de Montety. La grande épreuve (Stock)
  • Anthony Palou. La faucille d’or (Le Rocher)

Essais

  • Dominique Fortier. Les villes de papier (Grasset)
  • David Le Bailly. L’autre Rimbaud (L’Iconoclasteà
  • Frédéric Pajak. Avec Pessoa (Noir sur blanc)

 

Mardi 1er décembre – Prix Décembre

  • Jean Rolin. Le pont de Bezons (P.O.L)
  • Grégory Le Floch. De parcourir le monde et d’y rôder (Bourgois)
  • Valère Novarina. Le jeu des ombres (P.O.L)

Pendant ce temps, les prix littéraires anglo-saxons conservent leur cap.

À Londres, le Booker Prize a été attribué hier à l’Écossais Douglas Stuart, plus célèbre jusqu’ici comme styliste mais que son premier roman, Shuggie Bain, range désormais dans la catégorie « écrivain ». Il y raconte (je pille Wikipedia) l’histoire du plus jeune des trois enfants d’une mère alcoolique dans les années 80.

Aux États-Unis, Charles Yu est le lauréat, dans la catégorie fiction, du National Book Award pour Interior Chinatown, paru en français à la rentrée Aux Forges de Vulcain dans une traduction d’Aurélie Thiria-Meulemans. Je n’ai pas lu Chinatown, intérieur, et je le regrette à découvrir l’extrait que voici – vous en savez autant que moi désormais.

Dans le monde de Noir et Blanc, tout le monde commence en tant qu’Asiat’ de Service. Enfin, tous ceux qui ont ta tronche, en tout cas. Sauf si t’es une femme, auquel cas tu commences en tant que Jeune Asiat’ Mignonne.

Vous travaillez au Pavillon d’Or, autrefois Pavillon de Jade, autrefois Pavillon de la Félicité. Il y a un aquarium à l’avant et, au fond, un vivier crado avec des crabes et des homards d’un kilo qui se grimpent les uns sur les autres. Des menus laminés suggèrent le plat du jour, toujours agrémenté d’un bol de riz blanc et d’une soupe au choix, aux œufs ou aigre-douce. Une enseigne « Tsingtao » clignote et grésille derrière le bar dans un coin sombre, une salle au plafond à caissons, en bois ou faux bois, où tout baigne dans une lumière rouge produite par des lanternes de papier bon marché, festonnées et souvent couvertes de crottes de mouche, leur papier jauni déchiré, bouclant sur lui-même.

jeudi 12 novembre 2020

Le Grand Prix de littérature américaine à Stephen Markley

Quand on se retrouve, avant de refermer un roman, à lire les remerciements de l’auteur avec autant d’appétit que les 550 pages précédentes, c’est qu’il s’est passé quelque chose. Au passage, notons que cet addendum très fréquent dans l’édition américaine est ici particulièrement bien troussé – mais ce n’est pas le propos.

Ohio, donc, de Stephen Markley (traduit par Charles Recoursé), ne ressemble en rien à une œuvre de débutant et a tout d’un torrent d’événements et de réflexions canalisé comme par miracle tant les choses menacent sans cesse de déborder. Elles débordent d’ailleurs, mais aux moments choisis par l’écrivain. Ce doit être ce qu’il évoque quand il remercie Ethan Canin : « Il a lu ce roman à un état embryonnaire et ses encouragements m’ont permis de me dépêtrer des choix difficiles et des subtiles anarchies à venir. »

Pour le dire vite, Ohio est l’histoire de quatre lycéens et lycéennes de New Canaan (et quelques autres autour) devenus adultes dans une période très compliquée. Ils étaient en cours le 11 septembre 2001, un élan nationaliste a saisi quelques-uns d’entre eux, pressés de s’engager dans l’armée pour combattre les forces du mal, en Afghanistan ou en Irak. Tous n’en sont pas revenus, certains sont rentrés avec des blessures, il n’en est pas un seul, même celui qui s’opposait avec virulence à la propagande nationaliste, à n’avoir pas été marqué par la violence de l’expérience.

En outre, leurs copines ne les ont pas forcément attendus, ce qui a pu provoquer de vives réactions, à un âge où le désir et l’amour se confondent dans un brouhaha encombré d’alcool et de drogue, au milieu, pour ne rien arranger, d’une crise économique qui en laisse beaucoup sur le carreau.

Toute une époque défile ainsi, elle n’est pas toujours belle à voir dans la tête des « mecs qui composaient le pénible tissu de l’adolescence masculine. »

Mais l’agitation n’est pas moindre du côté des filles, écartelées entre la découverte de la sexualité, qui est parfois une homosexualité pas facile à vivre dans le coin, le besoin de reconnaissance, la cote des footballeurs les plus appréciés, l’acceptation des pires saloperies qu’un garçon trop aimé se croit permis d’imposer…

Tout n’est pas noir cependant dans les échanges entre les protagonistes. Il y a des moments de grâce pendant lesquels il semble qu’on pourrait échapper au pire – quand deux aspirations se rencontrent dans le flou du présent, l’avenir restant encore à dessiner. Il s’annonce menaçant, selon les sombres prévisions de Walter Benjamin quand il parle de l’ange de l’Histoire : « Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. »

Bienvenue en Ohio ! On aurait tort de ne pas visiter ce théâtre des opérations resté dans l’ombre des grands événements, où pulse le sang d’une génération sacrifiée.