vendredi 30 mars 2018

14-18, Albert Londres : «Le camion est redevenu roi.»




Les camarades arrivent

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front français, 29 mars.
Le camion est redevenu roi. Il porte sans arrêt, depuis quatre jours, la France qui va se battre. Ce serait à croire, tant ils défilent, que nous sommes dans un manège et que ce sont les mêmes qui passent et repassent. Les camions sont groupés par trains. Jusqu’à l’autre semaine, on les rencontrait tout le long du grand front. On croisait les uns en Champagne, les autres en Lorraine. On a tout ressorti, les anciens autobus ressuscitent. Ils étaient tombés au rôle de garde-manger, ils sont réintégrés dans leur dignité de porteurs d’hommes. Tout cela se suit avec une sagesse remarquable. Chacun est à sa place, le numéro 1 précède le numéro 2, le 2 le 3, pas une interversion dans la longue file. Ils roulent à la même distance l’un de l’autre, leur allure est régulière. On sent qu’on a tout calculé, qu’ils sont partis de tel endroit à telle heure fixée, qu’ils seront à leur but à telle autre heure non moins fixée. Les soldats sont entassés, debout, assis, sur le marchepied. Les mots ont été employés hors de propos qui diraient leur allure. Aucun n’est plus assez pur pour mouler leur… grandeur. Deux vieux civils sur leur passage, avant de continuer leur marche vers l’exil, ont levé leur chapeau. Ce sont les camarades qui arrivent.

Les chevaux réapparaissent

Et fouette aussi les chevaux. C’est leur résurrection. Ils avaient disparu de la surface du front. On disait qu’écœurés par la conduite des hommes, ils avaient fondé plus loin une patrie. C’était faux… Ils étaient rentrés sous terre, simplement. Ils en ressortent à tous les carrefours, devant tous les abreuvoirs, le long de toutes les routes. Et les canons aussi se mettent à rouler. Depuis trois ans, qui avait vu rouler un canon ? On finissait par se demander pourquoi on lui mettait des roues. À le rencontrer toujours accroupi, on le croyait cul-de-jatte. Il n’était qu’atteint de paralysie. Un choc nerveux vient de lui redonner l’usage de ses moyeux, il se presse sur les routes.

La vraie guerre

Tout devient nouveau. L’installation est culbutée. Les quartiers généraux n’ont plus l’air de petites maisons de bourgeois où tout était organisé pour s’y laisser vieillir. Ce qui pousse de salades dans le jardin ne passionne plus. On sait qu’on n’aura pas le temps de les attendre pousser pour les cueillir. La guerre sur place avait permis de caresser avec d’infinies complaisances l’amour de l’ordre et du bibelot. Se prolongeant, que d’étagères il eût fallu clouer ! Ce confort est fini dans ce coin tragique de France où la guerre se lève pour renaître et plus tôt mourir. Tout est réveillé. Un poste de commandement est maintenant une maison qui n’a pas toujours ses carreaux, mais plusieurs tables, plusieurs cartes et une activité. Il était là hier, ce matin il n’y est plus. La vie renaît. La vie se déplace. Des régions subitement tombent dans la guerre. Depuis une heure, nous roulons en pleine préparation de bataille, et où cela ? À travers un pays où huit jours auparavant nous aimions à reconnaître le charme de la paix même. Là, nous nous étions arrêtés pour déjeuner. À force de vie civile, la guerre s’y oubliait. La guerre s’y forge ce matin.
C’est l’heure où tous se donnent. Les habitudes de confort ont été dépouillées avec décision. Nos troupes qui « s’accrochent au sol » sont harassées de fatigue. Elles ne connaissent plus le sommeil, plus le moment des repas. Elles exhalent toute leur résistance. Pour arriver à temps sur ce terrain où il faut se cramponner elles ont galopé à cheval. Ces cavaliers dont les sabres brillaient neuf et dont l’impatience de la charge se répandait, ces cavaliers n’allaient pas charger, le moment n’était pas venu de sabrer. Leurs chevaux c’étaient leurs camions à eux. Ils étaient en selle pour courir plus vite relever les Anglais. Ils atteignirent la poussée allemande, mirent pied à terre, prirent le fusil et déployèrent leur héroïsme. Ils en eurent tant, ils furent si Français, que devant eux l’ennemi grisé, l’ennemi qui venait de repasser sur la route des arbres qu’il avait coupés l’an dernier – des arbres où pour cacher leur outrage la nature, par pitié, voilant la trace de la scie, avait fait repousser de jolis bourgeons, prêts à s’ouvrir –, l’ennemi non seulement s’arrêta, mais ne pouvant percer la muraille en bleu, dut faire pivoter son axe de marche du côté de l’ouest. L’épée allemande s’était courbée sur la cuirasse française.

L’Allemand se fatigue

L’épée allemande est d’ailleurs en train de s’inquiéter. Nous avons glissé si rapides qu’en aucun point notre front n’est rompu. L’ennemi achète chaque mètre qu’il occupe, il n’en surprend plus aucun. Le mépris que ses vagues ont eu de nos îlots de résistance a doublé ses morts. L’Allemand se sent déjà fatigué. Leurs prisonniers disent qu’on les pousse à la cravache. Ils disent encore qu’il y a des compagnies chargées de déshabiller les cadavres, les leurs et les nôtres. Est-ce pour nous lancer une contre-attaque en bleu horizon ? Il faudra changer aussi les figures.
Le canon allemand et les transports français ne cessent de rouler. Leur artillerie fait la course avec nos camions. Défoncera-t-elle avant que nous débouchions ? Elle se le demande. Nous allons lui répondre. Les camarades arrivent.
Le Petit Journal, 30 mars 1918.


Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

Dans la même collection

Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille

jeudi 29 mars 2018

14-18, Albert Londres : «Le visage de nos contrées en bataille de nouveau s’est crispé»




L’âme de la Marne
(De notre correspondant de guerre.)
Front français, 26 mars.
À quatre ans de distance, neuves comme si depuis lors elles avaient été soigneusement enfermées, les émotions de 1914 reviennent au cœur et l’élargissent. Tout reprend le même aspect, mais en plus puissant ; les chemins de fer retrouvent leur intense circulation de longs trains qui se succèdent ; les routes revoient les misères qui redescendent et les forces qui remontent. Pour les misères, c’est plus poignant encore que jadis ; ces réfugiés dans cette charrette sont partis une première fois voilà plus de trois ans et demi, puis l’envahisseur a été chassé et ils sont rentrés, puis l’envahisseur réapparaît et ils repartent. Ils sont nombreux, il y a, en plus, ceux qui n’avaient pas fui et qui connurent la botte allemande. Sans l’avoir jamais vue, ils avaient cru pouvoir, tout en la méprisant, vivre à côté d’elle le temps de l’esclavage. Ils l’ont vécu ; c’est maintenant au-dessus de leur volonté. Ils ne veulent pas recommencer, ils fuient.

Le nouvel exode

Le visage de nos contrées en bataille de nouveau s’est crispé, il a retrouvé son frémissement. Voilà des jeunes filles qui s’en vont. Elles étaient petites l’autre fois ; elles ont assisté à la lutte que leurs grandes sœurs durent livrer aux occupants, elles s’en vont, sauvant ainsi de l’honneur français dans leurs bras purs. Chariots, chars à bœufs, voitures d’enfants, tout ce qui peut rouler et porter va sur le chemin. On dirait qu’à cette seconde épreuve ils ont voulu moins leur laisser, ils emportent plus de matériel : matelas, fourneaux, vaisselle. Est-ce la haine qui leur fait procéder à ce déménagement, ou est-ce l’expérience qui leur a désigné ce qui manquait le plus à des émigrants ? Beaucoup de femmes sont en deuil. N’étaient-elles redevenues françaises depuis un an que pour apprendre ce qu’elles avaient perdu ? Elles reprennent du souffle, elles ne savent où elles vont, elles ne pleurent pas. Que toute la France les regarde dans leur dénuement et leur calme, et que comme ces mères et ces veuves, les yeux secs, elle attende l’effort gigantesque que gaillardement montent donner ses enfants.
Car la bataille française est commencée et va faire rage. Il y a deux jours, au petit matin, autour de Noyon, nous avons vu surgir les uniformes bleus. Les habitants de l’Oise aussi l’ont vu. La musique, pas le son, serait seule capable de reproduire leur émotion, elle se traduisit par un cri qui sortit de leurs lèvres et qui du coup les fit plus légers. Ils arrivaient en camions, conduits par des Annamites qui ouvraient fiévreusement leurs yeux étroits et avaient juré qu’ils ne seraient jamais fatigués. Les soldats descendaient, se formaient, et du pas ordinaire s’en allaient. Depuis six jours les canons, par leurs coups, élèvent dans la région un mur infernal de fumée et d’éclatements. Le feu s’est ouvert un matin, à 4 h. ½, brusquement et intense dès sa première seconde comme il le demeura pendant ces 150 heures. Ce sont les vitres qui, à quarante kilomètres alentour, à force de vibrer, annoncèrent à tous les dormeurs subitement réveillés que la fameuse ruée se déclenchait. Le front anglais s’étant ouvert, les nôtres marchaient vers la brèche. Ils y affluent. Nous ne dirons rien de la bataille, à peine débute-t-elle. Âgée seulement de six journées pour les Britanniques et de deux pour les Français, elle ne peut avoir revêtu de physionomie. Les troupes de contact, uniquement jusqu’ici, ont joué leur rôle ; la manœuvre proche n’a pas encore commencé et sans elle tout n’est que préliminaire. Mais de l’âme qui l’entoure nous pouvons vous parler. C’est la même qu’aux heures qui précédèrent la Marne.

Tout n’est plus qu’à la patrie

Tout n’est plus qu’à la patrie. Personne ne guette plus le vaguemestre, ni les journaux. Le communiqué a repris son rang ; en dehors de lui, le reste n’est qu’accessoire. Il ne se passe plus rien en France qu’autour de Noyon. Toute pensée semble volée à la défense du pays qui se préoccupe d’autres questions. C’est la communion nationale qui renaît. Sur les voies ferrées, un train de civils qui passe vous fait l’effet d’une diversion. Sans degré, d’un saut immédiat, chacun a retrouvé la fraîcheur de son amour pour le sol. Tous les efforts que fournissent nos soldats paraissent être neufs. L’attaque allemande, comme un bain, les a délassés. Il n’y a pas de chants comme l’autre magnifique fois, pas de fantaisies écrites à la craie sur les wagons, pas de culottes rouges, mais comme du temps de l’Ourcq, des officiers d’état-major remplissent rapidement des missions ; des troupes, qui savent qu’elles n’auront pas leur dose de sommeil, se contentent de la halte qu’on leur donne. On ne parle plus de tranchée, mais de choc ; on ne s’abrite plus, on se meut ; on voit passer de hauts généraux en automobiles. À la rencontre de divisions célèbres, on crie : « Les voilà ! » On attend, frémissant, le jour où le chef donnera le grand ordre et les chevaux – les chevaux ! – réapparaissent.
Le Petit Journal, 27 mars 1918.


Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

Dans la même collection

Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille

vendredi 23 mars 2018

14-18, Albert Londres : «ces Polonais sans Pologne»



Pour la Pologne avec l’armée polonaise

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front français, 21 mars.
« Qui a su magnifiquement maintenir sa vie nationale à travers les plus tragiques catastrophes de l’Europe », ainsi nos chefs viennent de s’exprimer sur la Pologne. Et ils ont ajouté : « Elle se trouve sous la menace d’un quatrième démembrement. »
Eh bien, ces Polonais sans Pologne et dont l’Allemagne est encore en train d’écarteler le cadavre, viennent de coiffer la chapska, de former une armée et vont se battre, non pour leur patrie qui n’est plus, mais pour l’ombre vivante qu’elle ne cesse de projeter sur leur cœur.
J’ai vu bien des troupes, émouvantes comme les Serbes écrasés par la masse, comme les Belges refoulés sur leur rivière dernière. Celles-là avaient leur pays sous les yeux. Elles pouvaient le regarder par-dessus le parapet des tranchées, cent mètres d’avance étaient cent mètres de plus de leur sol qu’elles foulaient. Le peu qui leur restait était à elles. L’armée polonaise est poignante. Sur la terre française où elle s’entraîne avec une ardeur qui vient de la foi, elle apparaît légendaire, elle est la légion qui s’apprête à combattre, non pour délivrer sa patrie, mais pour que sa patrie cesse d’être un fantôme et ressuscite.
Je sors de son camp. Ils rentraient de la manœuvre en chantant. Ils chantaient de ces chants slaves qui touchent à la mélopée. Sans savoir les hommes qu’ils étaient, rien qu’en entendant s’élever la plainte de leurs lèvres, on aurait compris que l’on se trouvait face à des exilés. Ils chantaient non par allégresse, mais par nostalgie, et ils chantaient fort. Nulle oreille allemande, autrichienne ou russe ne pouvait plus les épier. Si la Pologne ne l’était pas, ses chants du moins étaient libres. Ils les lançaient dans l’air de France, tel un sanglot qu’enfin on peut laisser éclater.
D’où viennent-ils ? De partout. En 1917, le Président de la République signa le décret constituant leur armée. Dans tous les coins du monde où ils se trouvaient, ils se sont levés et les voilà. Ils sont arrivés d’Amérique, de Hollande, de Russie, d’Italie, d’Espagne, des rangs français. Tous ne parlent pas polonais. Enfants de la même terre violée, beaucoup sont nés hors de son ciel, et sont Polonais par le sang, non par la langue. Ces enfants du même amour, par la cruauté de leur sort, sont souvent condamnés à ne pas se comprendre. Il en est qui ne pratiquent que l’anglais, d’autres que le français, d’autres que l’espagnol. Mais c’est au cœur que l’appel voulait les toucher, ils ont tous entendu.
Des milliers sont en mer encore qui s’approchent. Bientôt ils prendront le front. Ils seront d’abord une division. Ayant des muscles, ils deviendront les premiers lanceurs de grenades. À peine, à l’exercice, leur en met-on dans la main qu’ils les lancent à quarante mètres. Pour ce qui est de leurs officiers, laissez-moi vous en présenter trois :
Le colonel : Polonais de Paris, a d’abord joyeusement servi la France : Légion d’honneur, croix de guerre à trois palmes. Vit maintenant une heure magnifique, dit : « Je vais marcher sur l’ennemi, le drapeau amarante flottant sur les chapskas. »
L’aumônier, trente-trois ans. Beau. Illuminé par ses pensées. Chassé de sa patrie par les Russes, soumettant journellement à l’exercice l’âme de toute l’armée, disant : « Maintenant le million de nos frères, qui saigna sous l’uniforme allemand, autrichien, russe, connaît une espérance. Il sait qu’une libre armée polonaise se constitue en France. Elle doit être quatre fois plus nombreuse, c’est possible. À l’Entente de faire entièrement ce qu’il faut. Les empires ne peuvent plus désormais amener les Polonais se battre de la mer aux Vosges. Ne sachant pas où nous sommes, les nôtres, esclaves, ne tireraient pas. »
Ayant porté ses regards loin, très loin, jusqu’à la Pologne sans doute, après avoir réfléchi il ajouta : « Mais la cendre recouvre encore notre flamme. »
Un lieutenant : vingt ans, venant d’Amérique. Parle à peine français, a tout de même voulu se faire présenter, s’est avancé, devant son colonel, a déclaré : « Je veux dire un mot » et brûlé par la foi, saluant de la main, péniblement, a dit :
— Je suis ve-nu en Fran-ce tu-er des Alle-mands pour la Pologne. »
Le Petit Journal, 23 mars 1918.



Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

Dans la même collection

Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille

mardi 20 mars 2018

Les nœuds autobiographiques d’Annie Ernaux


Annie Ernaux ? L’écriture de soi, l’autofiction pour le dire vite. Voilà sa case, une fois pour toutes, depuis l’avortement des Armoires vides, le père de La Place, les amours et les déchirures intimes devenues romans. A peine romans, d’ailleurs très vite aucune mention de genre n’est plus apparue sur ses ouvrages. Les commentateurs en ont fait des récits autobiographiques. L’appellation, trop réductrice, ne lui convient pas vraiment, expliquait-elle à Frédéric-Yves Jeannet dans L’écriture comme un couteau. Elle lui préfère, précisait-elle, celle de récits « auto-socio-biographiques ». Genre, s’il s’agit bien d’un genre, dans lequel elle a atteint une sorte de perfection avec Les années, en 2008.
Elle aurait pu clore sa bibliographie avec ce chef-d’œuvre de l’intime partagé avec la multitude, car ses souvenirs sont communs avec bien des lectrices et lecteurs. Il lui restait cependant à creuser une étape de sa propre construction, les années 1958 et 1959, sur lesquelles elle passait rapidement dans l’entretien déjà cité, signalant qu’elle avait, en pleine guerre d’Algérie et grâce à une professeure de terminale, découvert en même temps le marxisme, l’existentialisme et Le Deuxième Sexe.
Elle n’avait pas tout dit sur celle qu’elle appelle « la fille de 58 » dans Mémoire de fille, qui vient de paraître et où elle s’interroge sur ce que sera son dernier livre. Elle ne voulait pas, en tout cas, disparaître avant d’avoir fixé l’image de la jeune fille qu’elle était alors. Voici enfin terminé un texte déjà entrepris auparavant, puis abandonné, une trace de ce qui a été vécu « un été sans particularité météorologique, celui du retour du général de Gaulle, du franc lourd et d’une nouvelle République, de Pelé champion du monde de foot, de Charly Gaul vainqueur du Tour de France et de la chanson de Dalida Mon histoire c’est l’histoire d’un amour. »
Fallait-il raconter à la première ou à la troisième personne ? « La fille de la photo n’est pas moi mais elle n’est pas une fiction. » La fille de 58 et la femme qui écrit possèdent la même identité – au nom près, qui a changé en cours de route – et la même mémoire de ce moment-là, mais celle qui écrit connaît la suite, et regarde à distance. La fusion ne sera pas totale, décide Annie Ernaux, toujours attachée à la manière dont s’écrivent des livres où la forme participe du sens. Va donc pour la dissociation de la personne à des âges différents, la première sera « elle » et la seconde « je ».
« Je » raconte donc comment « elle », Annie Duchesne, quitte pour la première fois ses parents et travaille comme monitrice dans une colonie de vacances. Occasion d’une prise de liberté qui ne va pas sans risques pour une Annie très innocente et pleine de désirs. Elle ne connaît rien de l’amour physique, elle n’a jamais vu un sexe d’homme, elle se lance pourtant à corps (é)perdu dans la découverte, prête à tout, « amorale et cynique ». Elle couche avec le moniteur-chef, pas seulement, elle ne voit pas où est le mal mais le regard des autres change. « Ai-je soupçonné à ce moment-là qu’elles me tenaient pour une petite pute sans cervelle ? »
Corps libéré mais techniquement toujours vierge, la fille de 58 était, depuis cet été-là, prisonnière d’un sortilège dont l’écriture aujourd’hui la sauve en l’emmenant jusqu’aux années suivantes, celles où la littérature s’offre à elle comme un grand paysage à parcourir sans fin, et à pratiquer en commençant un premier roman. Celle, on est déjà en 1963, où elle vérifie qu’en effet elle était vierge – et, du coup, ne l’est plus.
Passée brutalement et sans en avoir conscience du statut de jeune fille à celui de femme émancipée (ou « petite pute », pour beaucoup), Annie aura pris le temps d’effacer les événements avant de leur donner la force d’une initiation involontaire.

dimanche 18 mars 2018

Julian Barnes, Chostakovitch et l’idéologie


Un roman biographique ne prétend ni à l’exhaustivité ni à l’objectivité. Julian Barnes, en s’emparant de Chostakovitch comme personnage dans Le fracas du temps, ne cherche pas à raconter toute la vie du compositeur, pas davantage qu’à s’extraire des questions sur lesquelles il avait envie de s’attarder, de préférence à d’autres, au risque accepté de privilégier une seule face de son principal sujet. Les amateurs de faits avérés se reporteront aux pistes fournies par la note finale. Celle-ci montrant aussi, au passage, les limites que l’écrivain a fixées à sa liberté.
La clé du livre pourrait être, avec les premières pages, le dicton russe placé en épigraphe : « Un pour entendre / Un pour se souvenir / Et un pour boire ». Il faut être trois pour boire la vodka, selon la tradition, et le troisième, qui se joint sur un quai de gare à deux passagers, est un homme-tronc mendiant à l’arrêt du train. Le moment est bref, celui qui entendait est déjà dans l’oubli, celui qui se souvenait « n’en était qu’au début de sa remémoration. »
Voici donc l’homme plutôt que le musicien, mais jamais dissocié de son travail qui joue un rôle essentiel dans son statut social et les prises de position que le pouvoir le contraint à assumer. Sous Staline, c’est-à-dire dans ce qui deviendra plus tard l’époque honnie du culte de la personnalité, la musique doit être ce qu’attend le peuple, ou plus exactement ce que les dirigeants veulent que le peuple attende, culture manipulée par une idéologie à laquelle Chostakovitch se plie avec difficulté.
Mais se plie. Car le courage n’est pas sa principale qualité, il sait que les dangers sont réels : l’interdiction d’une œuvre précède l’arrestation, l’interrogatoire est suivi d’une disparition. Joué en Occident, Chostakovitch accepte malgré lui de représenter le régime à l’étranger. Il signe des articles qu’il n’a pas écrits, lit des discours qu’il découvre au moment de les prononcer. Il renonce à toute résistance.
Mais il survit, et les siens avec lui. A qui l’art appartient-il ? Staline et les siens avaient la réponse. Pas Chostakovitch, sinon peut-être : à ceux qui l’aiment.

samedi 17 mars 2018

14-18, Albert Londres : «Ce matin, il fait beau, c’est rare en ce pays»




Le mur belge

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front belge, 15 mars.
Le soldat d’Albert Ier est devant le mur de d’Yser que l’Allemand n’a pu franchir depuis trois ans et demi. Mur, n’est pas ici une image, c’est une réalité. Ainsi, le front belge ne ressemble à nul autre. Vous pouvez arriver en auto et mettre pied à terre, et vous voilà en première ligne. De Nieuport à Dixmude, un mur de sacs à terre sépare les deux camps. Tout le long court un trottoir, en caillebotis, par endroits, en ciment par d’autres, c’est alors le quartier chic : le boulevard. Ils portent des noms célèbres aidant l’illusion, ils s’appellent boulevard Montmartre, avenue de Bruxelles, rue de Paris, rue de Rome. De l’autre côté, l’inondation est tendue, quand vous vous haussez, vous voyez nageant tranquillement entre le mur belge et le mur allemand d’infinies compagnies de poules d’eau.
Elles étaient peu nombreuses au début, à force de vivre en paix entre les deux massacres, elles se multiplièrent. Elles ne s’effraient plus des éclatements. Jadis un coup de fusil les aurait fait s’envoler. Les soixante-quinze, les cent cinq, les cent cinquante passent aujourd’hui au-dessus d’elles sans qu’une de leurs plumes ne frissonne. C’est à leur tour de regarder les hommes se tuer. C’est le front sans boyau, sans tranchée. Tout est en plein air. Les abris ne sont pas creusés dans le sol, mais posés dessus comme autant de petits cubes blancs. L’aspect est celui d’un mâchicoulis de château-fort qui, au lieu de couronner une tour, s’étirerait en droite ligne, à l’infini. Quand vous êtes aux tranchées avancées sur le front de France, vous ne rencontrez pas un homme. Ils sont dans les abris. La tranchée occupée coude à coude n’est qu’une imagination d’imagier.

Derrière le mur

En dehors des minutes tragiques de l’attaque elle ne grouille jamais, elle est dépeuplée. Derrière le mur belge, autre aspect qui vous frappe de son originalité : l’armée vit et circule. Entre les chicanes du mâchicoulis des soldats épluchent des pommes de terre, soufflent à pleine joue sur un feu de bois qui chauffera leur café, se rasent, séparent avec conviction leurs cheveux comme s’ils devaient aller rendre une visite qui exige que l’on soit beau. D’autres sommeillent, d’autres lisent des romans, d’autres rêvent. On en voit qui portent à un camarade installé tailleur, leur capote mise à mal. Il y a des groupes qui jouent aux cartes, et des stratèges aux échecs. Au pied d’une mitrailleuse de flanquement, l’un des servants recopiait de la musique. Quand il pleut ils rentrent dans leurs petits cubes et vivent comme des lapins. Ce matin le soleil est de printemps, un cycliste roule sur le bitume et vend les journaux. Les officiers se promènent sur les trottoirs. Quelques-uns pour se donner un doux rêve sont habillés de leur plus neuf uniforme, ainsi qu’au départ pour une permission. Si la mort qui ne passe pas de jour sans s’abattre sur ce trottoir les prenait à cet instant, elle les aurait en tenue impeccable. La mort, même quand elle ne s’annonce pas par ses sifflements, est sans cesse présente.

Royale familiarité

De même que des arbres bordent nos boulevards à Paris, des tombes jalonnent le mur belge. Il en est qui portent la cocarde française ; ce sont les soldats de Ronarch et de Grossetti : Dixmude, Pervyse, quarante mois déjà ! quarante mois de néant glorieux et anonyme, car tout ce que l’on en sait ne vous apprend que ceci : un brave, un héros, un fusilier marin. Ils ne sont pas seuls, des Belges sont, avec eux, couchés le long de ce trottoir. Souvent le roi y vient. Il marche des heures contre ce mur, les sept kilomètres du trajet Pervyse-Dixmude et ceux de Nieuport-Pervyse lui sont familiers.
Les hommes le connaissent aussi bien que leur lieutenant. Les connaissant encore mieux, il comprend, rien qu’à les regarder, s’ils désirent lui parler. Il leur dit : « Dis-moi ce que tu as à me dire. » L’enfant belge se confesse, prend une cigarette dans l’étui du souverain. Le souverain continue sa marche. Comme il est très grand, pendant le trajet, il plonge par-dessus le mur, par-dessus le mur où l’attend son trône, que ses sept millions de sujets, que les pères et mères de ceux avec qui il se bat, en l’attendant, lui redorent chaque jour.
Par moments, ce mur est coupé. C’est pour laisser naître une petite passerelle de bois qui, serpent noir, s’allonge sur l’inondation. Il en est plusieurs de ces passerelles, elles conduisent à des îlots que l’on aperçoit à cinq cents mètres. Dans ces îlots, sont des grand’gardes.
C’est l’une de celles-là que les Allemands ont voulu enlever l’autre jour, c’est eux qui se firent ramasser leurs 127 hommes de troupes d’assaut. On ne peut les franchir que la nuit. L’ennemi les tient sous ses mitrailleuses. Cependant, un par un, en pleine matinée lors du dernier coup de main, les Belges coururent dessus. Leur grand’garde avait été tuée. Ils allaient la reformer.
Ce mur est troué sans cesse par les obus allemands. On rebouche les brèches continuellement. Le réparer n’est rien, c’est l’élever qui fut un travail d’esclave. Au moindre coup de pelle l’eau apparaissait. On renonça à creuser. On alla chercher plus loin la terre. Toutes les nuits sur leur dos les hommes apportaient les matériaux. Le sol s’effondrait. Il fallut armer le sol et ils commencèrent le rempart. Les artilleurs ennemis se mêlèrent à la besogne. Ça ne l’avançait pas. Les Belges s’y remettaient.
Ce matin, il fait beau, c’est rare en ce pays ; quand ils construisaient il pleuvait, c’était l’hiver : boue, froid. De toute la force de leur dos ils travaillaient, ils travaillaient à dresser ce mur entre leurs familles restées là-bas et eux, partis pour mieux les délivrer. Quand ce fut fini, ils dirent :
« Nous avons mis la patrie en petits sacs. »
C’est sans doute pour que chacun puisse plus facilement la sauver dans les alertes.
Le Petit Journal, 16 mars 1918.


Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

Dans la même collection

Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille

vendredi 16 mars 2018

14-18, Albert Londres : «C'est en soldat que vit le roi, c'est en soldat qu'il nous accueille.»




Avec le roi des Belges

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Quartier général belge, 13 mars.
Émouvant honneur, Albert Ier, roi des Belges et de la Conscience, nous a reçu.
Nous venions de revoir les lambeaux de son pays, de remonter tout son front de Merckem à Nieuport, de croiser, et dans les trous d’obus où ils sont, face à la forêt d’Houthulst, et sur la ligne où ils guettent, de Dixmude à la mer, les soldats de sa cause sacrée, les soldats du premier martyre de la guerre qui, à Clemenceau notre chef, sortant de les visiter, faisaient dire voilà dix jours : « Mais ils sont aussi beaux que nos poilus français. »
En peu de temps, presque d’un coup d’œil, nous avions parcouru tout le royaume où il installa la fierté de sa race. Nous étions passé par cette plage du Nord maintenant sa capitale, par Furnes où, de son beffroi, il monte parfois regarder Ostende, par ce village de bois où les petits enfants de ces Flandres ayant tous, à cause des obus, perdu leur maison et leur école, grandissent ensemble et apprennent à lire parce que la reine l’a voulu. Nous avions vu que les ruines mêmes sur lesquelles il règne s’affaissaient, nous n’avions reconnu ni Lampernisse, ni Ramscapelle, ni Pervyse. Le squelette de ce qui lui reste s’effondre à son tour. Nous avions un instant, au milieu d’une plaine noire, réfléchi devant une ferme. Il eut un palais comme toutes les Majestés ; là, maintenant, il habite.
Nous arrivions au quartier général.
Le ciel était clair. Il y avait une église qui n’était pas démolie, un cimetière qui était civil, quatre dames à la porte d’un jardin. C’était doux. La guerre n’aurait-elle été qu’une vision ? Voilà une maison de campagne. Des légumes poussent autour. C’est le Grand Quartier. Nous entrons. Ce devait être la demeure ou du curé ou d’une vieille Flamande ne faisant pas de bruit. Une première pièce dont la fenêtre est égayée de pots de fleurs, puis on nous appelle. Un commandant pousse une porte : Albert Ier, roi des Belges, est devant nous.
Les premières grandeurs du début de la guerre nous remontent au cœur. Le roi qui est là et vers qui nous nous avançons est celui qui, le 4 août 1914, alla devant son Parlement et dit : « Si l’étranger, au mépris de la neutralité dont nous avons toujours scrupuleusement observé les exigences, viole le territoire, il trouvera tous les Belges groupés autour du souverain qui ne trahira jamais son serment ! »
La chambre est longue, paysanne, pauvre de meubles. Il est debout, il tient à la main sa casquette qui, à l’intérieur, porte la marque : Yser. Il est vêtu de l’uniforme de lieutenant général. Sur sa poitrine, la Légion d’honneur, la croix de guerre, la médaille militaire. Son regard est calme et presque fixe. Il nous serre la main et nous dit, d’une voix basse, comme s’il ne voulait laisser le retentissement qu’aux canons : « Je suis heureux de vous voir parmi mes soldats ; ils ont souffert beaucoup. » Si dans l’histoire des princes régnants, l’un d’eux, un jour, doit représenter la Loyauté, Albert Ier sera celui-là. Il était roi du pays le plus heureux du monde. Ses villes étaient chacune une merveille, son peuple trouvait dans son labeur non seulement des ressources pour son existence, mais pour ses joies. La paix heureuse pour tous éclatait chez lui plus épanouie. Il était assuré que nulle catastrophe ne s’abattrait sur son ciel, il régnait en félicité. Un empereur le jugeant à sa taille se présenta. Pour conserver tous ses biens, il ne lui demandait que d’être parjure. Albert Ier se leva et répondit : « Un pays qui se défend s’impose au respect de tous, ce pays ne périt pas. » Et l’âme sereine il entra dans le sacrifice. Ce sacrifice dure depuis trois ans et sept mois, il le dépasse encore de la tête.

Ils ont ruiné les ruines

Sa Majesté veut bien nous interroger. Nous lui rappelons que ce n’est pas pour la première fois que nous sommes dans ses lignes, que sur l’Yser en octobre 1914, nous avons vu l’armée belge, seule, tragiquement seule, comptant avec angoisse les quelques obus qui lui restaient, arrêter neuf jours durant l’offensive allemande. Sa Majesté nous regarde profondément dans les yeux. On dirait qu’elle daigne nous inviter à repasser silencieusement avec elle, les gloires de son soldat.
— Sire, lui dîmes-nous, nous n’avons jamais vu sur le front de France d’aussi effrayants spectacles que ceux au milieu desquels vit votre Majesté. Ils ont ruiné jusqu’aux ruines. Hier nous n’avons trouvé à Nieuport, dans tout Nieuport, qu’une niche à chien n’étant pas abattue.
Sa Majesté répondit calmement :
— Ils l’abattront.
C’est vrai, contre celui qui osa leur retourner une réponse d’honneur, les Allemands pousseront leur haine jusqu’à l’écœurement. De deux mois en deux mois, l’amoncellement des pierres même n’est plus reconnaissable. Ils ont jeté les habitations à terre, ils en pilonnent maintenant les débris. Dans la plaine flamande qu’ils tiennent entièrement sous le canon, il n’est pas une ferme isolée qui ne gise, écroulée. Dans ces terrains qui ne furent jamais de bataille puisque l’envahisseur ne put dépasser la voie ferrée Nieuport-Dixmude, les entonnoirs creusent les champs. Ils en veulent au roi, à ses sujets, à ses maisons, à son sol. Comme l’œil qui poursuivait Caïn, la conscience de la Belgique doit venir au cours des nuits leur mettre son doigt sur le front alors ils veulent la tuer, ils s’affolent, ils frappent partout, ils ne l’ont pas trouvée : les obus n’atteignent pas encore les profondeurs où elle séjourne.

Son armée est sa patrie

C’est en soldat que vit le roi, c’est en soldat qu’il nous accueille. Le général Ruquoy son chef d’état-major est à ses côtés, le général français Rouquerol est présent aussi. La carte des opérations est étalée sur les murs. L’autre nuit, dans un coup de main, les Belges ont ramené 117 Allemands, cette nuit dernière, dans un second, 27. De quatre heures à six heures du matin, le long des dunes où les enfants belges ne pourront plus jouer – plus jamais – parce qu’elles portent désormais dans leur sable trop d’obus encore tout chargés, le canon sans arrêt s’est mis à rouler. L’armée du roi allait mordre l’Allemand. Le général Ruquoy nous précise, sur la carte, le lieu des enlèvements. Albert Ier se rapproche du mur, regarde. On parle de son armée, il relève la tête, il dit :
— Ce sont des braves qui n’ont que l’espoir pour réconfort, seulement il est pur.
Son armée est maintenant sa patrie. De l’autre côté, il a son trône, ici, son épée. Là-bas, les criminels massacrent, pillent, incendient. On a fait flamber ses halles, ses antiques collèges, ses bibliothèques. On a torturé ses sujets à Aerschot, à Andenne, à Dinant, à Tamines, à Louvain, à ses petits sujets on a coupé les mains. On a exilé ses fiers bourgmestres, emprisonné son cardinal d’ivoire, rançonné ses fortunes. On a pris ses mines, on les a exploitées pour l’accabler sous plus d’obus. On a cherché parmi son peuple quelques hommes à vendre, on lui a fait dire qu’ils allaient former un gouvernement, que le sien ne comptait plus. On a envoyé des émissaires chez ses alliés pour tâcher de ternir sa gloire sous des vapeurs allemandes. Derrière sa rivière, on lui hache tous ses arbres, on lui descend toutes ses villes, on lui dépeuple sa dernière terre. On le jette dans une ferme. Lui. Lui, dans la quatrième année de tout cela, Lui, fait des appels aux armes, commande des uniformes, élargit son front, relève les alliés, harcèle l’Allemand. À sa voix, les Wallons et les Flamands que le naufrage rejeta en Angleterre, en France, en Italie, viennent coiffer le casque à tête de lion. Voilà comment la force abat le roi des Belges.
Le Petit Journal, 15 mars 1918.


Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

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