vendredi 31 mai 2013

La boulimie intellectuelle d’un adolescent curieux

Il a quinze ans pendant L'été 76, dans la phase exploratoire et boulimique. L’âge aussi où on cherche à se singulariser, ce qui consiste souvent à tenter d’imiter celles et ceux que l’on se choisit comme modèles. Hélène sera son guide intellectuel, son amie de cœur et surtout de tête, sans désir physique tant l’esprit accapare l’énergie de l’adolescent. Il a grandi dans une famille catholique de gauche, elle est plus radicale dans son approche d’une idéologie révolutionnaire. Elle a deux ans de plus que lui et un air sérieux qui impressionne. Il est parfois dépassé par ses propres lectures, affichées pour impressionner…
En 1975, quand commence le roman, puis en 1976 où il se prolonge et se développe, était-il plus facile qu’aujourd’hui de s’enthousiasmer pour les avant-gardes littéraires et musicales, comme le fait le narrateur ? Benoît Duteurtre, qui parle à l’évidence de son expérience pendant ces années de formation, hésite à l’affirmer. Même quand, dans un « interlude perplexe », il observe la nouvelle génération des adolescents, il pèse les ressemblances et les différences : une même « éclosion soudaine de l’identité », mais une « image glorifiée par la publicité et le cinéma ». Qui commençait d’ailleurs à se forger à l’époque de sa jeunesse, et à laquelle il n’échappait donc pas.
Pour entrer dans l’image adéquate, il fallait cependant, à moins d’être socialement privilégié, des efforts plus marqués qu’au 21e siècle. Ecouter les groupes rock de son époque, quand on ne disposait pas de l’installation requise, était déjà une sorte de combat. Et bricoler un vieux pick-up pour en faire sortir à plein volume le son d’Alice Cooper ou de Deep Purple, une forme d’engagement.
Benoît Duteurtre offre avec générosité et distance ses souvenirs de ces années-là. La générosité consiste à faire partager un insatiable appétit de suivre des voies nouvelles, de tout connaître, jusqu’à épuiser les ressources de la bibliothèque municipale pour acquérir une connaissance encyclopédique des courants qu’il découvre. Mais il se place à distance du jeune homme qu’il était alors, faisant la part de la pose dans la frénésie, reconnaissant qu’il faisait mine de s’emballer, notamment dans la musique contemporaine, pour des créateurs qui, en réalité, l’ennuyaient. Cela donnera, en 1995, son essai Requiem pour une avant-garde, où il livrera le fond de sa pensée sur le sujet.
Si la musique et Hélène qui, comme lui, joue du piano, occupent une part importante de son  temps, il est déjà attiré par la littérature. Là aussi, entre pose et élan individuel, il passe par l’imitation de ses maîtres provisoires pour produire ses premiers textes et même un livre, ou plutôt des pages assemblées qui ressemblent à un livre. Il le fait lire à Armand Salacrou, le plus institutionnel des écrivains du Havre – il préside l’académie Goncourt. Il est encouragé. Il continuera, progressivement détaché de ses influences multiples, pour trouver une voix qu’on a plaisir à écouter.

jeudi 30 mai 2013

La cage de verre de Nicolas Ancion à New York

En mars 2010, Nicolas Ancion avait écrit un roman à la Foire du Livre de Bruxelles. Délai: 24 heures. Il m'avait expliqué son projet, je l'avais suivi de près, j'avais consacré une dizaine de notes de blog à l'aventure. Il y a quelques heures (15 heures, me dit Twitter), je lui disais que, cette fois-ci, puisqu'il a recommencé - mais à New York -, je n'aurais pas le temps de l'accompagner de la même manière. Non pas à cause de la distance, puisque tout se passe en direct via Internet, mais tout bêtement à cause du boulot que j'avais aujourd'hui. Je n'ai pu lui poser qu'une question, en cours de route: combien de signes veux-tu avoir écrit à la fin de ces 24 heures? De 72.000 à 100.000 m'a-t-il répondu - c'est le format de la collection dans laquelle le livre doit paraître. En attendant, et puisqu'il vient, au moment où j'écris ceci, à quelques minutes du deadline fixé pour la performance, taper le mot "FIN", je peux quand même lui consacrer quelques instants - on peut lire le texte dans l'état où il se trouve et on pouvait suivre son évolution depuis le début.
La légende simenonienne prétend que le créateur de Maigret a un jour accompli cet exploit au milieu d'un grand magasin, enfermé dans une cage de verre pour que tout le monde puisse le voir travaillé. La légende a tort (même si quelqu'un d'autre s'y était mis), mais la légende est quand même utile. La cage de verre supposée de Simenon, c'est la Toile aujourd'hui. Et, si on a moins vu Nicolas Ancion à New York, il a quand même fait une apparition vers le milieu de travail de forçat.

Owly Images

Présent sur Twitter, tapant son texte d'un doigt, buvant d'une main, s'observant du coin de l’œil, et postant ses tweets avec, je suppose, le nez (et facebookant donc avec les oreilles), Nicolas n'a pas cessé de donner de ses nouvelles. On a pu le suivre d'un lieu à un autre, de la Bibliothèque du FIAF au Salon Book Expo America (BEA, comme dit Publishers Weekly), où le voici.


Il est presque 23 heures à Madagascar, 16 heures à New York, je vais faire comme Nicolas, lâcher mon texte - il m'a coûté beaucoup moins d'efforts, et je salue le vainqueur du marathon, sans adversaires car personne d'autre n'était en mesure d'accomplir ce tour de force.

mercredi 29 mai 2013

Donato Carrisi brise le secret de la confession

Après le phénoménal succès de son premier roman traduit en français, Le chuchoteur, l’Italien Donato Carrisi avait remis le couvert, avec les mêmes qualités, quelques défauts en moins et en lorgnant sur une thématique qu’aurait pu exploiter Dan Brown. Le tribunal des âmes, qui se passe pour l’essentiel à Rome, plonge en effet dans quelques secrets du Vatican.
Commençons par là. Le romancier explique, dans une note, qu’une rencontre avec le père Jonathan lui a fait découvrir les pénitenciers et les archives des péchés où sont enfermés les secrets des confessions les plus sombres. Celles qui révèlent des fautes si graves que les prêtres ne peuvent donner l’absolution sans en référer au Vatican. Avec un peu d’imagination, et Donato Carrisi n’en manque pas, on peut penser que bien des énigmes criminelles irrésolues trouveraient là leur vérité si les documents étaient accessibles. Précisément, ils le sont aux pénitenciers, un ordre en marge de la hiérarchie catholique, d’ailleurs en conflit avec elle, et dont le but serait, pour le dire vite, de mettre un peu d’ordre dans le chaos violent du monde.
Un autre élément s’ajoute au premier. Le romancier a croisé la route d’un tueur transformiste, un homme changeant sans cesse d’identité et si modelable qu’il en devient introuvable. Dans Le tribunal des âmes, le mal s’incarne dans un individu de ce genre, particulièrement doué pour se glisser dans la peau d’autres personnes. Autant d’assassins qui n’en feront qu’un, le jour où la traque s’achèvera.
Le double sujet dont s’empare Carrisi donne à son livre une dimension exceptionnelle, amplifiée par son art du montage. Les éléments sont fournis avec parcimonie, comme il convient d’ailleurs pour un chasseur – le pénitencier – qui souffre d’amnésie et manque d’éléments sur sa propre identité. Il traque presque autant les éléments de celle-ci que la piste du criminel. La construction était le point fort du Chuchoteur. Dont le point faible résidait dans l’excès d’explications à propos de la police scientifique et du profilage de criminels. Cet aspect est moins présent dans Le tribunal des âmes, on peut s’en réjouir.
Il ne manque à Donato Carrisi que de posséder un style d’écriture personnel pour jouer dans la cour des très grands. Mais, après tout, si les lecteurs n’y prêtent pas trop d’attention, il peut continuer à en faire l’économie.

mardi 28 mai 2013

Michel-Antoine Burnier : petit exercice d'auto-flagellation

Michel-Antoine Burnier vient de mourir. Il avait 71 ans, je me souviens surtout des beaux jours d'Actuel, le magazine dont il avait contribué à faire une lecture foutraque autant qu'indispensable. Je me souviens aussi de quelques savoureuses collaborations avec Patrick Rambaud: du foutage de gueule drôle et intelligent. Le journaliste que je suis, bien que non maso, avait apprécié leur Journalisme sans peine, en 1997.

Michel-Antoine Burnier et Patrick Rambaud avaient déjà sévi ensemble, notamment dans un redoutable Roland Barthes sans peine. Rien ne les amuse plus que des détournements d'écriture. Patrick Rambaud, tout seul, s'est aussi attribué le pseudonyme de Marguerite Duraille, sous lequel il raillait Duras en plagiant son style de manière caricaturale.
Les voici maintenant à démonter le style médiatique en le mettant à la portée de tous. D'après Le journalisme sans peine, l'art d'écrire dans les journaux consiste à appliquer quelques recettes dont ils donnent le détail, avec exercices pratiques et exemples puisés, c'est désolant pour les journalistes, dans des articles réellement publiés.
Ils partent d'un principe de base, largement décliné sous différentes formes: pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? Cela conduit à utiliser les clichés, les lieux communs, à donner à penser, à gaver la métaphore, à faire clignoter le sens, etc.
Une des vieilles règles du journalisme étant de démarrer chaque article par quelque chose d'assez fort pour accrocher le lecteur et lui donner envie de lire la suite, ils la détournent par quelques conseils bien sentis: ne jamais commencer par une information ni par une anecdote affriolante, mais chercher une généralité. Du genre: Comment en est-on arrivé là?, ou: Tout a déjà été dit. Et de donner d'abondants exemples, dans différents domaines, de la politique à l'international. Ils conseillent aussi, dans ce chapitre, de recourir aux proverbes et aux fables de La Fontaine. Ça ne mange pas de pain, mais fait toujours son petit effet.
Il faut les voir construire un train de clichés à partir d'une information simple: Les patrons aimeraient que l'apprentissage se développe mais l'Education nationale résiste. Dans un premier temps, isoler les mots-clés, les enfler, supprimer le «mais», pour obtenir: L'apprentissage est le bras de fer entre les patrons et l'Education nationale. Ensuite, renforcer encore les éléments importants: L'apprentissage est un serpent de mer qui est le bras de fer entre les entreprises et l'Education nationale. Enfin, remplacer serpent de mer par loup de mer afin d'apporter une touche personnelle...
Ce salmigondis est bien réjouissant à lire. Parce que, sous ses dehors exclusivement ludiques, il conduit à une lecture plus attentive de la presse. Le livre donne en effet les outils nécessaires à démonter une langue codée qui paraît parfois bien obscure.
Voilà pourquoi Burnier et Rambaud, tout en faisant mine de flageller la profession de journaliste, font oeuvre utile en portant un regard critique sur le style. Et, puisqu'on s'amuse en même temps, jusqu'au «Lexique français-médiatique des 1249 clichés usuels», les exercices proposés sont une fête de la langue à eux seuls.

Sylvie Germain et l'Académie : France 0 - Belgique 1

En janvier dernier, les amateurs de littérature croyaient naïvement que Sylvie Germain allait être élue à l'Académie française. Malheureusement (pour la littérature, pour l'Académie, pour Sylvie Germain), ce fut une élection blanche. Dominique Fernandez, avec qui j'en parlais un peu plus tard, était plus que désolé, presque en colère. Occasion manquée, dont on ne sait quand elle se représentera. Hier, cependant, les Editions Albin Michel, où la romancière est publiée après avoir commencé son oeuvre chez Gallimard, annonçaient une bonne nouvelle: l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique vient de choisir Sylvie Germain pour succéder à Dominique Rolin. Une grande dame dans le fauteuil d'une autre, c'est justice. Roger Grenier m'avait parlé de Sylvie Germain avant même la parution de son premier ouvrage, Livre des nuits. Il n'avait pas tort d'en dire grand bien...
On va remonter le temps avec un entretien de 1989, quand Sylvie Germain a obtenu le prix Femina pour Jours de colère, son troisième roman, alors qu'elle vivait à Prague, une ville en pleine Révolution de velours. Le Mur de Berlin était tombé depuis quelques jours.

Vous avez publié quatre livres dont trois, Le Livre des nuits, Nuit d'ambre et Jours de colère, ont une parenté évidente. Opéra muet est assez différent...
Opéra muet est différent, parce que c'est un récit bref dont la structure est tout à fait autre. C'est plus resserré dans le temps.
Est-ce que ce livre annonce chez vous une autre manière d'écrire?
Pas particulièrement. En ce moment, je travaille sur un quatrième roman qui est tout à fait dans le style et dans la veine des trois premiers.
En réalité, vous aviez commencé par écrire des nouvelles qui n'ont pas été publiées.
Oui, des contes pour enfants et des nouvelles. J'aime bien garder l'idée d'écrire des nouvelles. Actuellement, quand je commence à écrire, l'histoire se déploie presque fatalement dans le cadre d'un roman. Mais je ne considère pas qu'un des deux genres est supérieur à l'autre, ni exclusif. C'est selon le désir d'écriture à un certain moment.
Dans les trois romans qui forment l'essentiel de ce qu'on a lu de vous, il y a des constantes. C'est la violence, c'est la folie... Font-elles partie d'un monde imaginaire qui vous habite en permanence?
Je ne me rends pas tellement compte, dans ma vie quotidienne, de l'existence de ce monde imaginaire, parce que l'attention est requise par d'autres choses, par les gens, le travail, les obligations. C'est en écrivant. L'écriture devient un révélateur de tout ça et des constantes étranges apparaissent, qu'on retrouve aussi, d'ailleurs, dans les rêves nocturnes qu'on peut faire et dont on va garder la mémoire. Et c'est vrai que j'ai pu constater des constantes comme l'angoisse, la violence, l'emportement. Cela ne signifie pas que je vis avec cela dans ma vie éveillée, dans mes rapports avec les gens. Au contraire. C'est comme si l'écriture me permettait de me décharger de tout ce poids qui reste très enfoui, inconscient.
S'il y a choix, comment le faites-vous pour les paysages, les lieux? Ils sont très liés à vos thèmes: ce sont des forêts, des endroits très terriens...
En fait, je ne fais pas tellement de choix, pas plus que pour l'intrigue ou les personnages. Au début, je vois quelques images de lieux qui peuvent être tout à fait simples. En général, ce ne sont pas des lieux très exotiques, c'est la campagne française. Du coup, les personnages et l'histoire qui vont se mettre en mouvement progressivement, je ne peux pas les imaginer ailleurs. C'est toujours lié à des forêts, à des champs, à des prés, à l'odeur des animaux, alors que je vis dans des villes depuis maintenant presque vingt ans. Il faut croire que mon enfance passée en province m'a assez marquée pour que ça me revienne.
Dans Jours de colère, il y a aussi une inspiration presque mystique. C'est une manière de sortir de la noirceur des paysages?
Les paysages ne sont pas si noirs. La lumière d'un ciel change constamment. Il y a des trouées dans le ciel, et ce n'est pas nécessairement mystique. Cela peut être une sorte de paix, ou un certain bonheur amoureux.
Le désir de possession est particulièrement violent dans votre dernier roman...
Oui, mais le personnage de la vieille Edmée n'est pas du tout dans la possession. On n'a pas de prise sur elle, parce qu'on n'a pas de prise sur quelqu'un qui est pauvre dans son âme, dans son cœur et dans sa pensée. Qu'est-ce qu'on peut lui prendre? Rien.
L'écriture est un travail solitaire, mais le prix Femina fait de vous un personnage public. Comment le ressentez-vous?
Je suis surtout étonnée. Il y a un tel brouhaha autour que je ne me rends pas très bien compte. Ce dont je me rends compte, c'est qu'il y a un aspect collectif dans un prix. Bien sûr, les membres du jury décident en fonction de leurs goûts, mais il y a également le soutien d'une maison d'édition. Et je considère que différentes personnes, chez Gallimard, m'ont aidée à avoir le prix.
Cela va vous donner tout à coup beaucoup plus de lecteurs...
Bien sûr, mais c'est peut-être un peu artificiel. Le livre peut plaire ou non aux lecteurs, et je ne vois pas en quoi cela changerait ma manière d'écrire. C'est quelque chose d'extérieur, qui est lié au monde de l'édition.
Vous vivez à Prague depuis plusieurs années. Quand avez-vous quitté la Tchécoslovaquie?
Le week-end dernier. J'ai laissé Prague en effervescence.
Comment vivez-vous les événements qui secouent actuellement ce pays?
Je suis tout à fait concernée. Quand on est dans un pays, on s'y attache, surtout quand il a été complètement étouffé depuis vingt ans.
Est-ce que vous voyez les gens s'épanouir autour de vous?
Je le verrai surtout à mon retour, parce j'étais là quand ça a commencé, j'ai vu la progression du mouvement, comme un feu de forêt, à une vitesse prodigieuse, mais je suis partie le jour où c'était encore tangent. Finalement, c'est extraordinaire, ce qui s'est passé. Voir Havel et Dubcek devant la foule, c'est fantastique!
Cela fait quand même penser un peu à vos livres: il y a quelque chose de sombre, de gris, et tout à coup un éclair de lumière.
Oui, mais j'espère que cet éclair de lumière va durer. Ils ne peuvent plus revenir en arrière, je crois, mais un gros travail les attend...
Ces choses que vous vivez maintenant pourraient-elles vous inspirer un roman?
Je ne sais pas. J'ai du mal à être inspirée par des événements aussi actuels. Et même si je vis cela de très près, je reste malgré tout un peu en marge, parce que je ne suis pas tchèque. Et je considère que pour parler de tout ça, il y a des écrivains de là-bas, tout à fait excellents. Je me méfie toujours des discours des gens de l'Europe de l'Ouest sur l'Europe de l'Est. J'écrirai certainement un jour sur Prague, mais ce sera, comme toujours chez moi, très filtré par mon imaginaire, par des rêves, par des choses personnelles, et ça n'aura pas la prétention de parler directement du pays.

lundi 27 mai 2013

Du lourd en librairie : Fantômas et les écrivains randonneurs

La semaine des nouveautés me semble plutôt calme, à moins que quelque chose m'ait échappé. J'en profite pour signaler, présentées par leurs éditeurs, deux parutions de gros volumes qui, sans être de véritables inédits, ont leur place dans toute bibliothèque digne de ce nom. Une intégrale et une anthologie...

Marcel Allain et Pierre Souvestre, Fantômas: Edition intégrale (2 volumes)
De février 1911 à septembre 1913, durant 32 mois sans interruption, Pierre Souvestre et Marcel Allain firent paraître 32 titres de la saga de Fantômas. C'est la naissance d'un héros hors normes, qui va captiver toutes les couches de la société et conquérir le monde.
? Fantômas!
? Vous dites?
? Je dis... Fantômas.
? Cela signifie quoi? 
? Rien... et tout!
? Pourtant, qu'est-ce que c'est?
? Personne... mais cependant quelqu'un!
? Enfin, que fait-il ce quelqu'un?
? Il fait peur!!!
Fantômas n'est pas un héros positif. Il est le Génie du Mal, l'Insaisissable, qui renaît sans cesse de ses cendres. Jamais vaincu, il utilise tous les stratagèmes possibles et peu imaginables. Il nargue les hommes et transgresse les lois. Rien ne l'arrête, il pénètre toutes les couches de la société, des apaches des banlieues aux aristocrates des palaces, il franchit les frontières, connaît aussi bien Whitechapel et les docks de Londres que les fortif' de Paris et la haute société européenne. 
Cent ans plus tard, qu'est-ce qui rend la lecture de ce roman-fleuve aussi jubilatoire? 
D'abord, la jeunesse, l'énergie et l'imagination sans limites des auteurs qui séduisit artistes et intellectuels et fit le bonheur des surréalistes d'Apollinaire à Magritte; ensuite le tableau sur le vif de la société ou il naît – ce long feuilleton qui est une «série» avant l'heure amuse le lecteur par le décalque de l'actualité, la reprise des faits divers qui font la une des journaux, les noms transparents de personnages réels; enfin la passion de la modernité sous toutes ses formes – voyages en train, bateau, avion, taxi-autos, télégraphe, téléphone renforcent l'ubiquité du héros, qui utilise tous les moyens que le Progrès met à sa disposition. 
En septembre 1913, paraît l'ultime volume de la série dans un grand éclat de rire – les héros sombrent dans le naufrage du Gigantic. Six mois plus tard, Pierre Souvestre meurt d'une crise cardiaque. Le 2 août 1914, c'est la mobilisation générale. Le nouveau siècle montre son vrai visage – comme inventé par Fantômas, ce qu'écrira Alexandre Vialatte dans une de ses chroniques. 
L'adaptation au cinéma par Louis Feuillade dès 1913 lança la postérité de Fantômas, qui connut de multiples avatars sans que jamais la série ne fût rééditée dans sa version originale. Versions tronquées, versions pour la jeunesse, versions illustrées, pastiches – Fantômas a tout connu. La version ici présentée permet pour la première fois de retrouver l'oeuvre dans son intégralité et sa vigueur.

Antoine de Baecque (présentation), Écrivains randonneurs
Un recueil des plus beaux textes écrits sur la marche, pour partager et retrouver le bonheur du chemin.
«Jamais je n'ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi, si j'ose ainsi dire, que dans les voyages que j'ai fait à pied», écrivait Jean-Jacques Rousseau. Il fut le seul écrivain randonneur à avoir imaginé une écritoire portative qui lui permette d'écrire tout en marchant, mais pas le seul à avoir nourri sa pensée en mettant un pied devant l'autre, loin de là. 
De Pétrarque jusqu'à Jim Harrison en passant par Flaubert, Rimbaud, Proust, Colette, Simone de Beauvoir, Jacques Lacarrière... tous ont écrit des pages inoubliables sur cette expérience qu'ils ont eue en commun avec tous les amateurs de randonnée. 
«A travers ces textes, la marche apparaît comme la meilleure façon d'appréhender le monde, à vitesse humaine, au rythme de sa propre introspection...»
Antoine de Baecque

dimanche 26 mai 2013

Olivier Adam, le même malaise

C’était dit avec insistance l'an dernier, à la parution du livre : Olivier Adam était désigné comme favori du prix Goncourt avec son nouveau roman, Les lisières. C’était murmuré aussi : il ne s’agissait pas de son meilleur livre, mais l’écrivain se trouvait à la tête d’une œuvre qui méritait bien, et depuis longtemps, ce couronnement. C’était le plus souvent passé sous silence : il avait changé d’éditeur (quittant L’Olivier pour Flammarion) et l’argument, pour échapper au lecteur, n’était pourtant pas sans poids dans les grandes manœuvres de la rentrée littéraire.
On sait que le Goncourt ne l'a pas couronné. Contentons-nous donc de littérature. Les lisières est un roman long et qui traîne en longueur, se dit-on en le refermant avec un peu de soulagement d’en avoir terminé. Tout avait pourtant plutôt bien commencé. Paul Steiner, écrivain et scénariste, se trouve à un moment clé de son existence. Il est partagé entre l’amour qu’il éprouve encore pour son ex-femme, le sentiment puissant de ses devoirs de père envers les enfants dont il est comme amputé, et sa difficulté à trouver une place dans le monde. En lisière de la société où son travail lui donne un statut à part, en lisière géographique de la capitale depuis qu’il habite en Bretagne, en lisière de sa famille… Il parle de son « incapacité à être vraiment là à l’instant même où les choses se passaient » et de sa nature « périphérique », une explication qui pourrait suffire mais ne le satisfait pas. Il souffre d’une incomplétude à laquelle il ignore comment remédier et s’emploie donc à chercher la voie de sa rédemption. Il cherche surtout à se réhabiliter à ses propres yeux, en fait.
A bien y regarder, le malaise n’est pas nouveau chez Olivier Adam. Il tourne autour de lui dans à peu près tous ses livres. Mais il ne l’avait jamais exploré avec autant de constance, ni creusé si loin, au-delà des apparences. A-t-il eu raison de le faire ? L’auto-analyse sauvage à laquelle se livre son narrateur est assez riche en découvertes intimes pour mériter d’être suivie jusqu’au bout. Mais cette démarche, par sa nature même, entraîne des répétitions qui tournent au ressassement. Le romancier s’est peut-être laissé entraîner trop loin par son personnage, il n’a pas gardé la main sur un livre qui lui échappe par moments – les moments où le lecteur se demande dans quoi il s’est laissé entraîner.
Il n’en reste pas moins qu’Olivier Adam est assez doué pour présenter plaisamment un menu banal. Son sens de la formule le sauve de l’ennui. Et nous en même temps.


vendredi 24 mai 2013

"Inferno" de Dan Brown, suite et fin (en français)

Je m'y suis remis hier soir, j'ai terminé ce matin et je suis un peu moins enthousiaste qu'après avoir lu les 17 premiers chapitres. Il faut dire que le 18e chapitre, malheureusement pour moi, est un tunnel explicatif comme Dan Brown a le défaut d'en placer parfois dans ses romans, parce qu'il faut bien aider ce benêt de lecteur à comprendre de quoi il retourne: ici, une conférence que Robert Langdon a faite deux ans plus tôt à Vienne sur L'Enfer de Dante. Cette conférence, certes, livrera quelques-unes de clés de l'énigme. Ou plutôt du jeu de piste, car le roman est construit sur une série d'indices qu'il faut décoder... avant de se rendre compte, le plus souvent, qu'ils ont été faussés à la base.
En même temps que Langdon court, en compagnie de Sienna, dans Florence, puis dans Venise et enfin dans Istanbul pour que l'humanité échappe au mystérieux danger qui la menace, ils sont tous deux poursuivis par une véritable armée selon toute évidence décidée à les abattre.
Mais, puisque tout est construit sur des données partielles, il faudra aussi admettre que les personnages ne jouent pas tous le rôle qui semble le leur. Heureusement, le lecteur peut être certain que son héros préféré (?), Robert Langdon, donc, est bien celui qu'il a déjà rencontré dans les ouvrages précédents, un puits de science, un lecteur de symboles, un claustrophobe (il a souvent l'occasion d'être enfermé dans Inferno) attaché à sa montre Mickey qu'il a pourtant égarée tout au début du roman.
Et si tout ce qui nous est raconté ici ne consistait qu'à lui donner une chance de retrouver sa montre fétiche? Puisque l'humanité, de toute manière, court vers sa disparition si sa croissance se poursuit au rythme actuel... Quand on arrive à la fin, on se demande en effet pourquoi il fallait déployer autant d'énergie pour une cause perdue d'avance. Le chercheur fou pour qui la peste fut un bienfait, et qui cherche à en reproduire les heureuses conséquences en limitant le nombre d'habitants de la planète, n'avait peut-être pas tort...
On s'étrangle.
A force de manipuler les symboles, Dan Brown donne l'impression de s'être pris les pieds dans le tapis. Son thriller est pourtant un honnête divertissement, jusqu'au moment où il tombe dans une idéologie inquiétante, ce transhumanisme qui déboucherait sur un monde meilleur. Des mondes meilleurs, on a déjà essayé de nous en fourguer quelques-uns, à prix d'ami - on a vu ce que cela a donné...

jeudi 23 mai 2013

Yasmina Reza et Kevin Powers, prix littéraires du "Monde"

C'est une première et, malheureusement, je n'ai pas lu Yellow Birds, de Kevin Powers, lauréat du prix littéraire du Monde pour le roman étranger. J'en resterai donc aujourd'hui au prix du roman français, qui va à Yasmina Reza pour Heureux les heureux.

Les succès de Yasmina Reza au théâtre sont internationaux, son éditeur ne manque pas une occasion de le rappeler. Mais supposons un lecteur qui découvrirait Heureux les heureux en ignorant la carrière de l’auteure. S’il est un peu futé, il se dira : voilà quelqu’un qui devrait écrire pour le théâtre. Non parce que le roman serait fait de dialogues. Ceux-ci ne sont pas absents mais le monologue intérieur domine dans les vingt et un chapitres, ou séquences (sauf erreur de calcul), qui donnent voix à dix-huit personnages, trois d’entre eux s’exprimant deux fois. Ces monologues se renvoient des échos, fournissent des éléments disparates qui, ensemble, constituent un univers où les protagonistes se croisent. L’univers d’un roman, donc, que l’on imagine aisément transposé à la scène ou à l’écran, malgré les difficultés pratiques d’une abondante distribution dans laquelle chacun occupe une place aussi importante que les autres. Sans compter des personnages pas si secondaires que cela…
Il faut de la virtuosité pour mener ce petit monde à toute allure de la première à la dernière scène, en ne passant que par des moments forts, assez forts au moins pour révéler quelque chose de ce qui crée, en profondeur ou en surface, le mouvement. A l’origine, souvent, un nœud conflictuel qui cache des rancœurs plus anciennes, des blessures mal cicatrisées.
Une queue à la fromagerie dans une grande surface, un mari pressé d’en finir avec les courses – il a un article à terminer – et, pour une histoire de morbier acheté à la place de gruyère, le ton monte, on se dispute le sac à main où se trouvent les clés de la voiture. Il y aura, presque à la fin du roman, une autre histoire de sac, de sport celui-là, qui a contenu une urne funéraire et que la veuve veut récupérer au contraire de sa fille qui tient à le jeter. Deux anecdotes en apparence sans rapport et qui traduisent des frustrations capables de faire surgir une violence jusque-là contenue dans les limites de la bonne conduite en société…
Envisagées séparément, toutes les scènes ont la vivacité et la puissance de nouvelles – ce qu’elles ne sont pas, rappelons-le. Ensemble, elles forment une nébuleuse psychologique complexe de cas intéressants mais, à force de survoler des pics, leur hauteur s’annule et le paysage s’affadit. Les montagnes, c’est très bien quand des vallées les séparent. Elles manquent ici, Yasmina Reza ne laisse aucun répit à son lecteur qui, à la suivre, s’essouffle.
Curieux roman dont les qualités constituent aussi les défauts. On pourrait lire deux fois Heureux les heureux avec des résultats opposés. Une fois dans l’élan d’enthousiasme des premières pages, sans ralentir, et ce serait formidable. Une autre sous une lumière rasante qui dénoncerait le manque de relief, et ce serait ennuyeux. Impossible, en étant honnête, de jouer une lecture contre l’autre : elles préexistent dans la substance et la structure d’un livre où les morceaux de bravoure s’alignent comme à la parade, c’est-à-dire un peu artificiellement.
Selon qu’on se sentira proche de tel ou tel personnage, qu’on rira à telle ou telle situation, à moins d’être ébranlé, certaines pages resteront dans la mémoire. Ce n’est pas le cas de tous les romans, et il faut donc au moins considérer que celui-ci ne laisse pas indifférent. Mention spéciale attribuée, subjectivement, à Jacob, dix-neuf ans, le fils de Pascaline et Lionel Hutner (les amis des Toscano que des fromages séparaient au début) : Jacob se prend pour Céline Dion, heureux de recevoir l’hommage supposé de ses fans, accent québécois compris. Et quand on aura dit qu’il s’agit là d’un personnage secondaire, qui n’a pas sa place dans le chœur principal des voix, on aura peut-être fait comprendre à quel point le roman est touffu.

Mario Vargas Llosa face à deux colonialismes

Roger Casement. Le nom ne nous est pas inconnu. Celui dont Mario Vargas Llosa a fait le héros de roman, Le rêve du Celte, s’est rendu célèbre par son combat contre l’exploitation humaine. D’abord au Congo, propriété de Léopold II, où Casement accompagne Stanley en 1884. « Est-ce cette nuit-là que sa Sainte Trinité personnelle des trois C avait volé en éclats ? Jusqu’alors il croyait que le colonialisme se justifiait par eux : christianisme, civilisation et commerce. » La réalité est moins idéale. Stanley n’est pas là pour apporter la civilisation mais pour servir le monarque belge. Casement découvre l’exploitation humaine, une abomination, et entreprend de le faire savoir. A Joseph Conrad, notamment, qui tirera Au cœur des ténèbres du voyage où il a rencontré Casement. Et au monde entier, avec un Rapport sur le Congo qui nourrit, dans Le soliloque du roi Léopold, de Mark Twain, les cauchemars du souverain.
Vargas Llosa utilise les vingt années africaines du personnage. Et, plus tard, ses missions officielles en Amérique latine. Sur un terrain que se disputent le Pérou et la Colombie, il dénonce le même type de sévices exercés, cette fois, par une société britannique. Humanitaire avant l’heure, il devient consul, il discute avec le président des Etats-Unis, il est même anobli.
Mais, en mesurant les dégâts d’une occupation étrangère au Congo et en Amazone, un parallèle s’impose à sir Roger Casement : l’Irlande, d’où il vient, est aussi, d’une certaine manière, une terre colonisée. Et il se rapproche, d’abord par les idées, ensuite par les actes, des indépendantistes dont certains prônent l’action violente. De plus en plus, il considère les ennemis de l’Angleterre comme des alliés objectifs de l’Irlande. L’Allemagne, entrée en guerre en 1914, lui semble donc un parfait associé de circonstance. Il négocie l’envoi d’armes, tente de monter une Brigade irlandaise parmi les soldats prisonniers des Allemands, regagne l’Irlande en sous-marin. Et est accusé de traîtrise, arrêté, condamné à mort…
Vargas Llosa a choisi un point d’ancrage : la cellule où Casement attend de savoir s’il sera gracié ou exécuté. Cela lui laisse le temps de méditer sur une vie qui se déploie autour de quelques principes et de quelques erreurs. Le romancier péruvien, prix Nobel 2010, en profite pour saisir l’homme dans ses errements. Sans révolutionner l’art de la fiction, mais en lui donnant un souffle impressionnant.

mercredi 22 mai 2013

Mark Behr et l'apartheid


L'odeur des pommes, premier roman de Mark Behr, publié quand il avait trente ans (en 1993) et traduit en 2010, sort en poche. Il a quelque chose de glaçant. L’avenir du jeune Marnus, dix ans en 1973, semble écrit pour lui. Il n’a qu’à suivre le chemin tracé par son père, jeune et brillant général de l’armée sud-africaine qui arpente les allées du pouvoir blanc et reçoit de puissants visiteurs étrangers, comme cet officier chilien heureux de démontrer avec quel talent l’armée a, chez lui, anéanti les communistes. Aux frontières, ce sont précisément les communistes qui mettent la Nation en danger, appuyés à l’intérieur par des mouvements anti-apartheid.
Tout est décrit avec l’évidence qui s’impose à un enfant incapable d’imaginer qu’un ordre différent ne serait pas nécessairement du désordre. Les valeurs éternelles auxquelles il croit sont celles qui lui ont été inculquées, il n’a aucune raison de les remettre en question. Même si sa sœur aînée manifeste depuis quelque temps un esprit de révolte mal accepté par leurs parents.
Dans cette société où chacun est à sa place, il n’y a pas de place pour le doute. Les seules aspérités, douces ou piquantes selon les moments, sont celles que rencontre un enfant normal qui apprend à maîtriser ses limites en faisant des bêtises de son âge.
Très vite, pourtant, un second récit en italiques et dont les épisodes alternent avec celui des années soixante-dix, ébranle les certitudes du lecteur. Il comprend que Marnus, plus tard, fait la guerre en Angola et que l’issue du combat se jouera en un choix définitif : vivre ou mourir. Il semble donc que la force du pouvoir blanc installée sur des terres conquises n’est pas invincible…
Un épisode de l’enfance a creusé une faille dans la vie de Marnus, et cette faille est aussi celle qui mine l’apartheid. Il s’agit, pour le dire vite, d’un manquement moral. Et comment un régime peut-il justifier sa dureté s’il trahit les principes dont il prétend tirer sa légitimité ? A la fin de ce roman âpre, une scène révélatrice assombrit soudain un avenir qui, du coup, est écrit en lettres moins arrogantes. Marnus a saisi. Nous aussi.

mardi 21 mai 2013

Le voyageur sans bagages de Jean-Christophe Grangé


L'avant-dernier thriller de Jean-Christophe Grangé est sorti en poche et ne passe pas inaperçu. Le passager et sa couverture labyrinthique (elle servait déjà pour l'édition originale) ont leur place réservée sur les tables des libraires. Les listes de meilleures ventes ne tarderont pas à l’intégrer en haut de l’affiche. Mais attention : prévoyez quelques journées ou quelques longues soirées pour le lire, il y en a pour presque mille pages…
Cinq mois avant la parution de ce livre, le romancier à succès expliquait au Soir qu'il était « conçu dans l’esprit d’une série télé. Chaque chapitre est comme un épisode. Un peu dans l’esprit de 24 heures chrono. » Peut-être parce qu’à la première page, le réveil à quartz indique 4:02 ? Mais pas en raison d’un rythme échevelé, au moins au début. Il faut un certain temps au récit pour accéder à sa vitesse de croisière, une fois les données de base fournies avec leur mode d’emploi.
L’efficacité d’un thriller étant en partie fournie par la solidité de ses fondations, Grangé bâtit celui-ci sur la « fuite psychique » : « Il arrive qu’un homme, sous la pression d’un fort stress ou d’un choc, tourne le coin de la rue et perde la mémoire. Plus tard, quand il croit se souvenir, il s’invente une nouvelle identité, un nouveau passé, pour échapper à sa propre vie. C’est une sorte de fuite, mais à l’intérieur de soi. » Il reste 90 % du roman à lire, on croit qu’on a tout compris, et tant mieux, parce qu’on s’est un peu ennuyé jusqu’ici. Le cadavre retrouvé mutilé dans une fosse de maintenance de la gare Saint-Jean à Bordeaux doit être l’œuvre du clochard amnésique ramassé à proximité et qui a laissé des traces sur les lieux du crime.
Mais, précisément, il reste 90 % du livre. Et Jean-Christophe Grangé est trop malin pour fournir aussi rapidement la clef du roman. Qui commence d’ailleurs, à ce moment, à retenir l’attention. L’énigme bascule de la personnalité du clochard vers celle du médecin qui tente de le soigner, et dont le passé est bien mystérieux. L’engrenage est fatal pour le lecteur, il y restera le temps nécessaire à tout comprendre.

lundi 20 mai 2013

Il n'y aura pas que Dan Brown cette semaine : la preuve par trois

A propos du nouveau roman de Dan Brown, Inferno, qui risque de monopoliser les tables de nouveautés cette semaine en librairie, je vous déjà dit ce que je pouvais en penser après une lecture partielle.
Voilà qui m'autorise le passage à d'autres livres, choisis en partie arbitrairement (je ne les ai pas lus) - mais en partie seulement, car leurs auteurs ne sont pas inconnus - et présentés par leurs éditeurs qui y croient, même sans avoir l'ambition d'égaler les tirages du best-seller américain.

Frédéric Lenoir et Simonetta Greggio, Nina

Adrien est un quadragénaire parisien, célibataire et sans enfants. Il a perdu le goût de vivre et décide, un soir, de se suicider. Il écrit son testament ainsi qu’une dernière lettre destinée à Nina, la femme de sa vie, la seule qu’il ait aimée d’un amour passionné et inconditionnel. 
Nina et Adrien étaient des enfants lorsqu’ils se sont rencontrés. Les souvenirs de leurs vacances d’été passées à Ravello, le joyau de la côte amalfitaine, remontent par vagues à la mémoire de Adrien. Repoussant son suicide d’un soir, puis d’un autre et encore d’un autre, il les met par écrit dans cette longue lettre à Nina, qui devient, au fil des nuits, la bouleversante déclaration d’amour qu’il n’avait jamais osé faire à la jeune Italienne. Adrien avait toujours rêvé de devenir écrivain. Il lui aura fallu attendre cet instant ultime pour oser écrire. À bout de forces mais apaisé, il avale un mélange de médicaments et tombe dans un coma profond. Il ne se doute pas que ses mots vont bouleverser plusieurs existences: celle de Nina d’abord, mais également celle de tous ceux qui, de près ou de loin, vont être touchés par son écriture.
Simonetta Greggio et Frédéric Lenoir signent ce roman à quatre mains pour plonger dans l’absolu et la simplicité de l’amour qu’on cherche toute sa vie et qu’on ne trouve, parfois, qu’au tout début.

Annie Ernaux, Retour à Yvetot

«Depuis la parution de mon premier livre, Les armoires vides, il y aura bientôt 40 ans, je suis allée rencontrer des lecteurs dans beaucoup de villes, en France et dans le monde. Jamais à Yvetot, malgré l’invitation qui m’en avait été faite à plusieurs reprises.»
Pour la première fois, le 13 octobre 2012, à la demande de la municipalité, Annie Ernaux accepte de rencontrer les habitants de la petite ville cauchoise où elle a passé son enfance. C’est le texte de cette conférence inédite que publie ce livre, accompagné d’un cahier de photos personnelles avec, en guise de légendes, des extraits de ses livres publiés chez Gallimard.
«Comme ne l’est aucune autre ville pour moi, (Yvetot) est le lieu de ma mémoire la plus essentielle, celle de mes années d’enfance et de formation, cette mémoire-là est liée à ce que j’écris, de façon consubstantielle. Je peux même dire: indélébile.»
«Il n’y a pas en littérature de beaux sujets d’art et (qu’) Yvetot donc vaut Constantinople». Gustave Flaubert (Lettre à sa maîtresse Louise Colet).

Pierre Bergounioux, Géologies
On sent ce qui se passe. On n’a pas besoin de le savoir précisément, à moins d’en éprouver de l’embarras, de la peine. La vie qu’on menait dans les régions rurales pauvres, excentrées, a pris un tour nouveau lorsque leurs habitants sont devenus conscients des privations, de la relégation dont ils étaient frappés. S’expliquer une chose, c’est la mettre à distance, en secouer la tutelle, donc recouvrer, de son côté, un début de liberté. Les mauvaises terres pèsent doublement sur la vie de leurs occupants. La médiocrité du rendement les prive de largesses et le paysage rend mélancolique. C’est cet empire de la terre sur les corps et les âmes qu’on s’est efforcé de saisir.

dimanche 19 mai 2013

Étonnants Voyageurs : André Brink

Les Mémoires d’André Brink sont, à un double titre, un ouvrage capital. Pour comprendre le cheminement esthétique d’un immense écrivain. Pour comprendre aussi l’évolution d’un homme que rien ne prédestinait à devenir, dans son Afrique du Sud natale, un opposant à l’apartheid. Il va de soi que les deux aspects sont liés. En revenant sur le passé, Brink montre les nœuds qui l’ont conduit aux Bifurcations à l’enseigne desquelles il place ce livre. « Rien n’est jamais vraiment éliminé. Les choix éliminés continuent d’exister aussi sûrement que les rares dont on peut dire qu’ils ont été “retenus” – de même que le non-dit persiste dans ce qui est exprimé. Il est fort possible que ce soit cette coexistence qui, finalement (pour autant qu’il y ait une fin), définisse la texture d’une vie. »
Sa jeunesse se déroule en noir et blanc, surtout côté blanc d’ailleurs, sans interrogations majeures sur l’injustice d’une société qui privilégie la minorité au pouvoir. Son père, juge, lui donne à la fois l’exemple d’une haute idée du bien et du mal, et celui d’un incompréhensible détachement devant certaines scènes choquantes. André veut être écrivain – mais sa sœur, de trois ans sa cadette, publie avant lui et connaîtra le succès comme auteur pour la jeunesse. Dans le bouillonnement de ses lectures et de ses premières tentatives romanesques, des échecs qui ne remettent pas sa vocation en cause, un choc salutaire se produit en Europe. En 1960, il est à Paris quand il apprend le massacre de Sharpeville, au cours duquel des dizaines de Noirs ont été tués par la police. La même année, à Londres, il découvre Picasso dont l’art libère en lui « une profusion de possibilités », dans le même temps où il prend conscience de la violence du régime : « les assassins étaient mes semblables ; le régime qui avait non seulement rendu cela possible mais l’avait orchestré activement et avec enthousiasme était ce même gouvernement auquel, à peine quelques mois plus tôt, j’avais avec empressement juré allégeance en adhérant au Ruiterwag. » Le Ruiterwag, où il côtoyait F.W. De Klerk, futur président, était la branche cadette du Broederbond, l’organisation secrète afrikaner…
La perspective change. André Brink devient, avec d’autres, un écrivain en colère pour qui les mots sont des armes. La résistance à l’apartheid s’organise sur divers plans, force subversive que le gouvernement entend réprimer, mettant notamment la censure en place. « Mais, dans ce silence oppressant, il restait une voix qu’on pouvait encore entendre, même si elle était diabolisée ou devenue suspecte pour un grand nombre : la voix de l’art. Dans mon cas, la voix romanesque. »
Elle l’a conduit où l’on sait : Au plus noir de la nuit, Une saison blanche et sèche, L’insecte missionnaire… Une œuvre imbriquée avec les soubresauts de sa vie, y compris sentimentale, et indissociable du dernier demi-siècle en Afrique du Sud. « Dans ce processus, je suis devenu, et c’est irrévocable, un animal politique. Désormais, il serait hypocrite de ma part d’imaginer que la politique puisse rester un territoire distinct, nettement démarqué à l’intérieur de mon expérience globale de l’existence. Elle est partout, imprègne tout. On ne peut la séparer du reste. »
Dans Mes bifurcations, André Brink rend hommage à deux hommes qui l’ont particulièrement marqué : Desmond Tutu et Nelson Mandela. Mais il s’élève avec force contre ce que devient le pays auquel les années quatre-vingt-dix avaient rendu l’espoir. « En Afrique du Sud, l’immémoriale tension raciale continue donc de paralyser le débat démocratique », écrit-il en dénonçant les dérives de l’ANC où il voit la réplique du passé. Euphorie, réalisme, désillusion, rancœur, désespoir… « Il nous reste à accomplir le possible », disait-il déjà il y a quelques années. Tout un programme.


samedi 18 mai 2013

Étonnants Voyageurs : Jean-Luc Coatalem


Les nouilles froides sont une spécialité culinaire de la Corée du Nord. Quand on en trouve. Le jour où cela se produit enfin, Jean-Luc Coatelem reste… perplexe. Comme devant tout ce qu’il a vu, d’ailleurs. Le voyage dans ce pays très fermé (le dire n’est rien) est réduit à un programme suivi avec rigueur par un guide lui-même surveillé par un autre guide, le chauffeur étant peut-être le surveillant des deux…
Il a fallu, d’abord, se faire passer pour quelqu’un d’autre : un agent en charge d’une hypothétique clientèle touristique, explorant les « charmes » d’un pays où tout ce qu’il y aurait à voir est caché, où tout ce qui est caché pourrait être intéressant – mais on n’en saura rien, sinon à l’occasion d’une autre déception : la visite au pas de charge d’un musée qui n’était pas au programme et dont les collections se limitent à des portraits de la dynastie au pouvoir depuis 1945. Ces portraits sont partout. Partout où le Leader Maximo local, un des trois Kim, a mis le pied, le lieu est devenu objet de vénération, des albums photos rappellent la visite historique. On ne s’étonnera pas de constater qu’elle a eu lieu partout.
L’an dernier, le Belge Charly Delwart avait publié Citoyen Park, un étonnant roman décrivant un pays imaginaire mais très semblable à la Corée du Nord. Jean-Luc Coatalem le rejoint quand il se trouve face à la réalité : « la propagande avait fait plier ce peuple sorti d’une boîte grand format de Lego. Au point de plonger la RPDC dans une fiction vraie. Fiction dont les héritiers continuent, aujourd’hui, à rédiger les chapitres. »
Le voyageur, accompagné d’un ami qui n’avait à peu près jamais quitté la France et s’était d’un coup décidé à visiter un pays lointain à tous points de vue, s’étonne autant de la pauvreté du pays que de la pauvreté de ce qu’il propose aux touristes. A la longue, il se fatigue de s’étonner. Il doit faire des courbettes devant une statue ou une momie, déposer des fleurs, se contenter de portions minuscules aux repas, dormir dans des hôtels qui semblent avoir été ouverts seulement pour son compagnon et lui. Mais il refuse de plonger dans un bain de boue froide, malgré les bienfaits promis. Et n’en pense pas moins…
Le tourisme a ses limites, clairement dessinées dans Nouilles froides à Pyongyang. Heureusement, Jean-Luc Coatalem est aussi capable de s’inventer d’autres mondes, comme il l’avait fait dans Le gouverneur d’Antipodia, paru l’an dernier et réédité en poche.

vendredi 17 mai 2013

Étonnants Voyageurs : Teju Cole

On s’attend, après les premières lignes, à marcher beaucoup dans New York, et à découvrir la ville à hauteur d’homme. Ce sera en partie le cas. On s’attend moins à marcher dans Bruxelles. C’est pourtant ce qui arrive à Julius pendant les trois semaines qu’il passe dans la capitale belge à la fin de 2006. Il en profite pour se faire l’écho de tensions raciales qu’il découvre plus vives qu’à New York. Nigérian de peau assez claire, il croyait connaître tous les registres du mépris et du rejet. Et voilà qu’il est amené à les étendre à travers des rencontres au spectre très étendu, puisque cela va d’une amie du baron Empain au gérant d’une boutique de téléphonie. Celui-ci, Farouk, est farouchement politisé mais son discours est parfois plus verbeux que construit.
Les soixante pages bruxelloises, arrivées là parce que Julius a envie de retrouver sa grand-mère, servent aussi de point de comparaison entre une vieille ville européenne préservée des bombardements de la guerre et une immense cité nord-américaine dans laquelle deux tours se sont écroulées.
A New York, Julius est interne en psychiatrie. Les problèmes des personnes qu’il suit sont en lui comme s’il était une éponge. Semblable à cela à V., une de ses patientes, maître assistant à l’Université de New York et membre de la tribu Delaware, qui étudie les combats entre les Indiens du Nord-Est et les colons européens au 17e siècle. « La dépression de V. était partiellement due à l’impact émotif de ces études ». La marche lui permet de retrouver un équilibre, de voir la réalité autrement. Les oiseaux dont il observe le vol lui servent à envisager la ville comme une entité lointaine – et parfois dangereuse : ils sont nombreux à s’être écrasés sur la statue de la Liberté.
L’homme est aussi fragile qu’un oiseau. Le professeur Saito, que Julius voit souvent et pour qui il éprouve autant d’admiration que d’amitié, est devenu un vieil homme qui avance vers la mort avec sérénité. Julius sera moins serein quand il apprendra sa disparition. Ebranlé par les chocs quotidiens, le jeune homme résiste cependant parce qu’il a développé, depuis sa jeunesse au Nigeria, un instinct de survie qui l’aide dans les moments difficiles. La littérature et l’art appartiennent aussi aux moyens dont il dispose pour tenir, autant que possible, le monde à distance. Même quand une de ses marches aboutit à une agression nocturne…
Teju Cole, dont Open City est le premier roman, est aussi photographe de rue. Il a l’œil à des détails dont beaucoup nous échapperaient peut-être s’il ne les relevait pas dans son livre. La biographie de son personnage, proche de lui sans être tout à fait identique, la profondeur de sa pensée au milieu d’un mélange des voix et des races qui ne le surprend plus depuis longtemps, font de Julius un homme qu’on accompagne volontiers. Il ne se contente pas de vivre les événements, il leur donne aussi du sens.

jeudi 16 mai 2013

Étonnants Voyageurs : Ben Fountain

Ben Fountain avait fait sensation il y a cinq ans avec un remarquable recueil de nouvelles, Brèves rencontres avec Che Guevara. Son premier roman, Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn, est à la hauteur de l’attente. Tragique et burlesque, il raconte les derniers moments d’une tournée victorieuse effectuée par un groupe de soldats américains revenus d’Irak après de violents combats filmés par une chaîne de télévision. On dit moins à la population qui les accueille en héros quel sera leur sort dans quelques heures : retourner en Irak pour y terminer le temps de leur engagement, au risque bien sûr de perdre la vie ainsi que c’est arrivé à un de leurs compagnons.
Les hommes de Bravo – ce nom de baptême ne correspond à rien sur le terrain mais sonne bien aux oreilles des patriotes américains  – vont de réception en réception, grappillant de petits plaisirs éphémères et ruminant les questions sur ce qui les attend quand ils seront retournés au front. Ils participent à une entreprise de propagande et ils en sont conscients. Ils l’acceptent jusqu’au ridicule quand, à la mi-temps d’un match de football (américain), ils se retrouvent sur scène en compagnie des Destiny’s Child – et ce qu’ils aimeraient faire avec Beyoncé ne ressemble pas à ce qu’on leur fait faire…
Billy Lynn, dix-neuf ans et un avenir très compromis, est la vedette du jour, pour des raisons qu’il a du mal à expliquer. Bien sûr, il a probablement accompli une sorte d’exploit, mais plus par réflexe que par courage et, s’il devait retenir une seule chose de l’événement qui l’a rendu célèbre, ce serait la peur. Il ne se sent pas à la hauteur de l’image que les gens se font de lui et le projet de film qu’un producteur travaille à monter autour de leurs personnages lui paraît bien éloigné. Il l’est encore davantage en réalité, d’ailleurs…
En revanche, Billy, sentiments à fleur de peau, est sensible à la beauté d’une cheerleader qui a accroché son regard, et bientôt un peu plus que son regard. Il n’est pas sourd non plus aux appels des femmes de sa famille qui aimeraient le voir déserter plutôt que repartir en Irak.
Le tragique est engendré par le destin de ces hommes poussés vers la mort au profit d’ils ne savent pas trop quelle nécessité. Le burlesque, par la manière dont ils sont manipulés comme des objets sacrés aux pouvoirs mystérieux. De cette cacophonie, Ben Fountain fait un modèle de roman ironique.


mercredi 15 mai 2013

J'ai lu "Inferno", de Dan Brown, du moins le début


J’ai commencé le nouveau roman de Dan Brown, Inferno, paru cette semaine aux Etats-Unis et un peu partout dans le monde – sauf en France, où il ne sortira que la semaine prochaine, malgré les contraintes exercées sur le traducteur s’il faut en croire ce qu’il a raconté à Bibliobs : « J’ai traduit Dan Brown dans un bunker, il y avait deux gardes armés. » Romanesque, forcément romanesque… puisqu’on sait depuis le Da Vinci Code que le romancier américain est capable d’aller chercher très loin les ressorts des rebondissements de thrillers ésotériques dans lesquels tout semble possible. Même et surtout l’invraisemblable.
Puisque le roman n’est pas encore disponible en français, j’ai travaillé à assouplir mon américain et j’ai pris la version originale, pour une lecture bien sûr plus lente qui m’a conduit, en une longue soirée, avant de céder à l’appel de l’oreiller, aux environs de la centième page. Soit, pour donner une idée, 17 chapitres sur un total de 104.
Les romans de Dan Brown sont de ceux dont on aime dire du mal : c’est écrit n’importe comment, voilà l’argument massue avec lequel se trouve assommé le lecteur qui aime ça. Vous, peut-être. Moi, à coup sûr, au point où j’en suis.
Robert Langdon, professeur de symbologie (euh… si Wikipédia le dit…) fait pour la quatrième fois son Indiana Jones. Mais il est dans la panade. Il se retrouve dans un lit d’hôpital avec pour dernier souvenir celui de l’université du Massachussetts où il enseigne. En réalité, il est à Florence, deux jours plus tard, avec à la tête une blessure par balle qui le fait atrocement souffrir. Il est en proie à une hallucination récurrente dont le prologue, tout en rythme, nous a fourni les principales images : un homme est poursuivi, avec la ville de Florence en toile de fond, beau décor chargé d’œuvres artistiques évoquées au passage, et le mystère s’installe à propos d’un objet inconnu et important pour l’humanité – rien que ça, mais Dan Brown ne fait pas les choses à moitié. Comme dans les paroles prononcées, définitives :
« Mon don est le futur.
Mon don est le salut.
Mon don est l’Enfer. »
Vous m’en direz tant !
Le comble, c’est qu’on marche, qu’on court, et qu’on est déjà au premier chapitre, dans les souvenirs parcellaires de Robert Langdon. Très parcellaires. Où suis-je ? Qu’est-il arrivé ? C’est à peu près tout ce qu’il peut dire pour démêler les causes de l’état dans lequel il se trouve, hanté par l’image d’une femme voilée et tout surpris de reconnaître, par la fenêtre, une architecture médiévale qu’il connaît bien et dont il sait qu’elle ne trouve pas dans le Massachussetts mais à Florence. Où, dans sa chambre d’hôpital, deux médecins s’occupent de lui tandis que glisse, à l’extérieur, la silhouette d’une femme baraquée et habillée de noir. On devine qu’elle ne veut pas que du bien à Richard Langdon – après tout, quelqu’un lui a tiré dessus – et elle le prouve en abattant le Dr Marconi tandis que le Dr Brooks, une femme plus jeune, prouve son sang-froid en réussissant à s’enfuir avec un Langdon bourré de sédatifs…
De l’action, de l’action !
On ne sait toujours pas pourquoi, bien entendu. Mais le troisième chapitre a fourni un intéressant élément d’information : à 5 miles de la côte italienne se trouve un yacht luxueux aménagé comme un QG militaire, The Mendacium, d’où le chef du Consortium dirige ses opérations discrètes dans le monde entier, au service de qui peut se payer des équipes d’une redoutable efficacité pour tous les usages, sans jugement moral. Ce qui sous-entend que les opérations sont souvent immorales. Celle-ci, dans laquelle Langdon est impliqué à son insu, semble d’une importance capitale. Et susceptible d’échouer, ce que déteste le boss du Consortium. Il a construit sa réputation sur deux règles d’or : ne jamais faire une promesse que vous ne pouvez pas tenir et ne jamais mentir à un client…
Avant la fin du seizième chapitre, il y aura encore pas mal d’action. Le Dr Brooks est désormais appelée par son prénom, Sienna. Elle est dotée d’une intelligence exceptionnelle – un quotient intellectuel de 208, dont Richard Langdon ne savait pas que cela existait (moi non plus). Et Langdon n’est pas insensible au charme qu’elle dégage, ce qui laisse d’autant mieux augurer d’un rapprochement plus intime que Sienna, elle aussi… enfin, vous voyez, les choses se mettent en place assez vite.
Le mystère de l’intrigue, en revanche, ne se dévoile que très progressivement. Le mystérieux objet est retrouvé dans une poche secrète de la poche de Langton, qui en ignorait l’existence : un tube de titane qui s’ouvre sous la pression d’un doigt. Pas n’importe quel doigt, l’ouverture est programmée en fonction des empreintes. Celles de Langdon, comme par hasard.
Et nous voici plongés dans l’univers de Dante, de son Enfer et des peintres qui s’en sont inspirés, avec des allusions à la Grande Peste du Moyen Age et à la Renaissance qui suivit. Le message se complète : pour renaître, il faut mourir ; pour trouver le Paradis, il faut passer par l’Enfer…
C’est loin d’être fini.
Et j’ai très envie de connaître la suite.