mardi 28 mai 2013

Michel-Antoine Burnier : petit exercice d'auto-flagellation

Michel-Antoine Burnier vient de mourir. Il avait 71 ans, je me souviens surtout des beaux jours d'Actuel, le magazine dont il avait contribué à faire une lecture foutraque autant qu'indispensable. Je me souviens aussi de quelques savoureuses collaborations avec Patrick Rambaud: du foutage de gueule drôle et intelligent. Le journaliste que je suis, bien que non maso, avait apprécié leur Journalisme sans peine, en 1997.

Michel-Antoine Burnier et Patrick Rambaud avaient déjà sévi ensemble, notamment dans un redoutable Roland Barthes sans peine. Rien ne les amuse plus que des détournements d'écriture. Patrick Rambaud, tout seul, s'est aussi attribué le pseudonyme de Marguerite Duraille, sous lequel il raillait Duras en plagiant son style de manière caricaturale.
Les voici maintenant à démonter le style médiatique en le mettant à la portée de tous. D'après Le journalisme sans peine, l'art d'écrire dans les journaux consiste à appliquer quelques recettes dont ils donnent le détail, avec exercices pratiques et exemples puisés, c'est désolant pour les journalistes, dans des articles réellement publiés.
Ils partent d'un principe de base, largement décliné sous différentes formes: pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? Cela conduit à utiliser les clichés, les lieux communs, à donner à penser, à gaver la métaphore, à faire clignoter le sens, etc.
Une des vieilles règles du journalisme étant de démarrer chaque article par quelque chose d'assez fort pour accrocher le lecteur et lui donner envie de lire la suite, ils la détournent par quelques conseils bien sentis: ne jamais commencer par une information ni par une anecdote affriolante, mais chercher une généralité. Du genre: Comment en est-on arrivé là?, ou: Tout a déjà été dit. Et de donner d'abondants exemples, dans différents domaines, de la politique à l'international. Ils conseillent aussi, dans ce chapitre, de recourir aux proverbes et aux fables de La Fontaine. Ça ne mange pas de pain, mais fait toujours son petit effet.
Il faut les voir construire un train de clichés à partir d'une information simple: Les patrons aimeraient que l'apprentissage se développe mais l'Education nationale résiste. Dans un premier temps, isoler les mots-clés, les enfler, supprimer le «mais», pour obtenir: L'apprentissage est le bras de fer entre les patrons et l'Education nationale. Ensuite, renforcer encore les éléments importants: L'apprentissage est un serpent de mer qui est le bras de fer entre les entreprises et l'Education nationale. Enfin, remplacer serpent de mer par loup de mer afin d'apporter une touche personnelle...
Ce salmigondis est bien réjouissant à lire. Parce que, sous ses dehors exclusivement ludiques, il conduit à une lecture plus attentive de la presse. Le livre donne en effet les outils nécessaires à démonter une langue codée qui paraît parfois bien obscure.
Voilà pourquoi Burnier et Rambaud, tout en faisant mine de flageller la profession de journaliste, font oeuvre utile en portant un regard critique sur le style. Et, puisqu'on s'amuse en même temps, jusqu'au «Lexique français-médiatique des 1249 clichés usuels», les exercices proposés sont une fête de la langue à eux seuls.

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