dimanche 23 août 2020

Le Prix Maison rouge aux crabes rouges de Dorothée Janin

C’est un prix littéraire encore marginal, mais la plupart de celles et ceux qui l’ont baptisé Maison rouge, du nom d’un établissement de Biarritz, possèdent une réputation (une surface ?) qui lui promet une notoriété croissante, s’il dure. Le jury se compose de Philippe Djian, Frédéric Beigbeder, Frédéric Schiffer, Isabelle Carré, Dominique de Saint Pern, Diane Ducret, Claude Nori et Jean Le Gall. En outre, ils avaient élu l’an dernier l’excellent Chroniques d’une station-service, d’Alexandre Labruffe. Le choix de 2020 n’est pas mal non plus : L’île de Jacob, de Dorothée Janin.

Dans l’île en question, qui s’appelle Christmas Island, le narrateur est arrivé adolescent, en compagnie de son père. Il y avait là des mines de phosphate et des crabes rouges, espèce locale envahissante mais protégée. Des millions de crabes rouges, que Werner Herzog était venu filmer, fasciné comme nous le sommes dans la description que fait la romancière de leur présence. Quand ils se mettent en mouvement, ils couvrent tout, on n’entend qu’eux. Un bruit qui continue de hanter le narrateur, longtemps après : « maintenant quand je suis sur le continent et que j’entends des rats fouiller les poubelles – j’habite un quartier très propre, très bien, mais toutes les nuits c’est pareil – il faut que je me force pour ne pas penser que ce sont des crabes. »

Plus un gamin, pas encore un homme, le garçon rêve de rencontrer là une fille, « au moins une jeune asiatique bienveillante à mon égard ». Le désir court tout le temps qu’il passe sur l’île, mais il est pollué par d’autres préoccupations. La présence de Jacob Cazaly, réputé sexy, auréolé d’une réputation de tombeur – « des kilotonnes de touristes », des Allemandes dont les maris étaient à la pêche au gros – et tout à coup replié sur la protection (ou la garde rapprochée) de Nisaï. Elle venait du Sri Lanka, elle avait échoué sur Christmas Island comme beaucoup d’autres clandestins qui finissaient enfermés au « centre d’accueil et de traitement de l’immigration ». Car l’île était devenue une prison australienne, un territoire éloigné sur lequel les règles du droit d’asile n’avaient pas cours.

On pouvait indéfiniment détenir les gens qui étaient là en attendant de décider quoi en faire et où les renvoyer. Selon les cauchemars de saison dominaient les Tamouls, les Hazaras d’Afghanistan, les Kurdes. Ils étaient un peu plus nombreux que les habitants de l’île, leur nombre augmentait chaque année.

Des réfugiés, des crabes en sursis, un homme plein de mystères et, à y regarder de près, peut-être menaçant, c’est plus qu’il n’en faut pour déstabiliser le narrateur et appeler, en écho d’une catastrophe écologique globale, une catastrophe intime dont Vicky, présente à cette époque, retrouvée plus tard, prend peut-être la mesure. Ou pas.

samedi 22 août 2020

Vinca Van Eecke, le rêve fracassé

Pourquoi la jeune narratrice du premier roman de Vinca Van Eecke, Des kilomètres à la ronde, s’entiche-t-elle d’une bande de loubards de province, forts en gueule, toujours les premiers pour faire du bruit dans les rues et échapper mine de rien au système dans lequel ils sont sans le savoir déjà enfermés puisqu’ils sont du genre à travailler tôt ? Et pourquoi ça dure, pourquoi est-ce encore avec eux qu’elle brûle ses cours du lycée après avoir réussi le bac ? « Peut-être parce que les contraires se subjuguent », avance-elle avec précaution, et parmi d’autres « peut-être », dans un prologue qui donne le ton. Plus tard, l’explication se fait plus précise, bien qu’elle soit incapable de la transmettre à sa mère qui s’inquiète de ses fréquentations : « la grâce ».

Une intelligence du mouvement, une connivence au monde, qui faisaient que, de tout temps, les gens comme moi, voués à s’asseoir dans des amphithéâtres, avaient été subjugués par les gens comme eux et cherchaient leurs mots pour décrire ce truc indéfinissable après lequel on soupirait sans fin.

Ils s’appellent Phil, son frère Buddy le bègue, Mallow, Jimmy, José, Reno et Chuck, pour la plupart – Jimmy est l’exception – ce sont des surnoms qui tentent de dire ce qu’ils veulent être, dans la lignée d’une mythologie nord-américaine. Prolongée, ça tombe bien, avec la découverte des Doors et du destin brisé de Jim Morrison.

Mais la belle insouciance n’a qu’un temps, il faut bien un jour redevenir sérieux – les accidents de la vie sont là pour rappeler que celle-ci ne se déroule jamais selon le programme que l’on pensait suivre sans fin. On a traversé la moitié du roman sur un rythme allègre, sans se poser de questions (à peine la narratrice est-elle effleurée, parfois, de légers doutes), et voilà que le poids d’un cercueil semble marquer un basculement définitif vers autre chose. Est-ce que ça s’appelle grandir, la rencontre avec le malheur ?

Frottés au même macadam depuis des années, nos enthousiasmes ne produisaient plus que de vagues étincelles.

Roman de formation, Des kilomètres à la ronde dit, et de belle manière, de la manière qui râpe quand c’est nécessaire, l’indispensable rêve de l’adolescence tenu encore à bout de bras pendant quelques années d’une vie d’adulte – et comment le rêve se fracasse sur le réel, laissant des traces qui oscillent entre nostalgie et cicatrices, à moins qu’il s’agisse de la nostalgie des blessures qui ont causé ces cicatrices.

Par certains aspects, plus discrets mais présents malgré tout, c’est aussi le roman des oubliés de la société française, dans une région – en lisière du Morvan – qui laisse peu de possibilités de participer à la compétition sociale à laquelle d’autres, ailleurs, se livrent avec tant d’énergie. L’énergie est présente chez ces jeunes aussi, mais ils ne trouvent pas, parce qu’on ne leur en donne pas l’occasion, de meilleure manière d’être dépensée qu’en vaines activités dévoreuses de temps. On brûle, mais on brûle en vain.

vendredi 21 août 2020

Le Prix Stanislas à Laurent Petitmangin, côté obscur

Le premier roman de Laurent Petitmangin, Ce qu’il faut de nuit, arrive précédé d’une agréable rumeur : les éditeurs étrangers se l’arrachent, c’est la divine surprise. Du genre qu’avaient provoqué Gaël Faye en 2016 ou Adeline Dieudonné deux ans plus tard ? Allez savoir… Ma boule de cristal ne me dit rien à ce sujet, mais je l’ai lu et je n’en pense que du bien. Le Prix Stanislas, attribué hier, lui sera en tout cas remis le 12 septembre à Nancy.

Fus, qui s’appelle Frédéric mais qui a été rebaptisé ainsi à cause du Fußball, y joue, au foot, le dimanche. Y va, aussi, voir Metz, dont il est fan avec son père, quand l’équipe joue à domicile. Fus est le moteur du récit, ce qu’il est et ce qu’il deviendra en forment la colonne vertébrale. Son petit frère Gillou a un début de vie plus lisse, tourné vers l’excellence. Leur mère est morte d’un cancer, c’est leur père, qui travaille à la SNCF et à travers les yeux duquel nous allons suivre toute cette histoire, qui s’occupe d’eux. Comme il peut, pas trop mal, en fait. Même s’il sera amené à se poser bien des questions à ce sujet.

Il a tracté, il a collé, parcours de militant socialiste en héritage familial qui n’empêche pas la sincérité. Il en est pourtant revenu, sans pour autant avoir changé d’idées, et se contente de retrouver de temps en temps ses potes à la section, autour d’un gâteau. Seul le jeune Jérémy a remis un peu de carburant pour que la flamme ne s’éteigne pas, lui qui cherche à tracer sa voie vers la politique, y faire carrière, peut-être, suivi par Guillou qui lui emboîte le pas.

Quant à Fus, il a vaguement décroché, pris une voie de garage avant d’emprunter des chemins de traverse plus hasardeux. Il s’éloigne, il se fait des potes, passe du temps avec eux, revient un jour avec un bandana marqué d’une croix celtique.

« Fus, c’est quoi cette croix ? – Pa, j’en sais rien, c’est juste un bandana prêté par un pote. – Fus, si tu ne le sais pas, je vais te le dire, c’est une croix celtique ! Une croix celtique ! Bon Dieu, Fus, tu portes des trucs de facho maintenant ? – Pa, calme-toi, c’est un bandana d’ultra, pas de facho. Ça vient de la Lazio, de leur virage nord. C’est leur truc de reconnaissance. C’est Bastien qui les collectionne. »

À l’exact opposé de son socialiste de père, Fus fraie avec le FN, trouve que ces types ne sont pas si mal, une gêne s’installe même avec Jérémy, son ami de toujours. La dérive est active : Fus aussi colle des affiches, comme avait fait son père, mais pour le camp d’en face, les ennemis, les racistes.

Quoi qu’on fasse, quoi qu’on veuille, c’était fait : mon fils avait fricoté avec des fachos.

L’idée n’est pas facile à accepter, la suite le sera encore beaucoup moins, quand les débats d’idées, fussent-elles simplistes, se transforment en haine, en baston, en coups qui font vraiment mal – et que germe l’idée d’une vengeance.

Dit comme ça, le roman peut paraître binaire. Mais, entre le blanc et le noir (le bien et le mal ?), s’installe une zone de gris, faite de silences, de progressive acceptation, de concessions mutuelles. Jusqu’au moment, du moins, où il sera trop tard pour revenir en arrière, sans qu’il soit possible de comprendre à quel moment les choses se sont articulées jusqu’à cela – que je ne vous dirai pas, et qui fait un choc quand on l’apprend abruptement avant d’en découvrir les détails.

J’avais finalement compris que la vie de Fus avait basculé sur un rien. Que toutes nos vies, malgré leur incroyable linéarité de façade, n’étaient qu’accidents, hasards, croisements et rendez-vous manqués. Nos vies étaient remplies de cette foultitude de riens, qui selon leur agencement nous feraient rois du monde ou taulards.

Dans un monde qui se défait, les liens familiaux ont perdu une grande partie de leur signification et ne suffisent en tout cas pas à rattraper celui qui va tomber. Peut-être le phénomène n’est-il pas nouveau. Il est, quoi qu’il en soit, décrit ici avec une efficacité que l’écriture hachée de Laurent Petitmangin renforce, avec une forte influence de l’oralité.

jeudi 20 août 2020

Comment être lesbienne et musulmane

Avec Virginie Despentes pour marraine – ou l’équivalent : préfacière –, Fatima Daas arrive avec un premier roman fort d’un atout majeur. Et argumenté : « Le monologue de Fatima Daas se construit par fragments, comme si elle updatait Barthes et Mauriac pour Clichy-sous-Bois », écrit Virginie Despentes à propos de La petite dernière. On ne lui donnera pas tort, car son livre permet la rencontre d’une voix prégnante qui s’avance avec précaution mais insistance, jusqu’à s’imposer par le jeu des répétitions et des déplacements.

« Je m’appelle Fatima. » « Je m’appelle Fatima Daas. » Les fragments commencent presque tous ainsi, affirmation d’une identité (celle de la romancière ou de son personnage ? on ne cherchera pas à démêler les faits et la fiction) revendiquée ou nécessité de le dire et le redire en raison d’une incertitude qu’elle cherche à lever, sachant qu’elle a peu de chances d’y parvenir. Plus le texte se déroule par à-coups, plus on penche pour la deuxième explication, tant Fatima ressent un malaise qui nous gagne.

« Je porte le nom d’un personnage symbolique en islam. Je porte un nom auquel il faut rendre honneur. » Et tout le livre dit combien elle se sent destinée à transgresser ce qu’elle devrait être. Dans un groupe d’amis, elle est la seule fille – « mais je ne le sais pas encore », ajoute-t-elle. Car elle se cherche une identité sexuelle qu’elle découvre peu compatible avec les préceptes de sa religion. Elle consulte un imam, au prétexte de lui poser des questions sur le cas d’une amie.

J’ai une amie lesbienne musulmane. Tout le monde pense que ça n’existe pas. Je veux dire être musulman et homosexuel. On lui dit que l’homosexualité est un phénomène social, une notion occidentale pas adaptée à des personnes musulmanes. Je voulais avoir votre avis, comment la conseiller, comment faire pour qu’elle ne se sente pas excommuniée.

Sans surprise, les réponses ne la satisfont pas. Elle n’est pas, elle ne sera décidément pas une bonne musulmane. En outre, Nina, dont elle est amoureuse, la tient à distance, lui laisse entendre que jamais elle ne sera pour elle ce que Fatima voudrait qu’elle soit. Et, comme les causes de malaise se nourrissent les uns des autres, plantant leurs racines vives dans un sol fécond, ses voyages en Algérie, le pays de ses parents, où ses deux sœurs sont nées, agrandissent le fossé qui la séparent de ce qu’elle devrait être.

J’ai l’impression de laisser une partie de moi en Algérie, mais je me dis à chaque fois que je n’y retournerai pas.

Mais cette phrase est écrite dans un carnet, car la porte de sortie se trouve peut-être dans l’écriture, dans le roman – qu’elle racontera, ou pas, à sa mère, qu’elle nous raconte en tout cas, avec le bouillonnement intérieur qui conduit, dans l’urgence, dans la nécessité, à ce livre.

mercredi 19 août 2020

Amélie Nothomb et le pouvoir de la littérature

À chacun ses pudeurs. Donate, qui appartient à « la catégorie des gens perpétuellement offensés », place la sienne dans son tiroir à légumes. Après tout, pourquoi pas ? Sa colocataire de dix-neuf ans, trois de moins que Donate, a envie de rire, mais c’est peut-être nerveux. Car le coup des courgettes déplacées (pour faire de la place à des brocolis) n’est pas le premier indice que donne cette fille de son caractère. « Donate était chiante au dernier degré ». Diagnostic sans appel, à la cinquième page du nouveau roman d’Amélie Nothomb, Les aérostats.

Ce sera donc plus léger que l’air ? On va voir, en tout cas Donate est lourdingue. Si son portrait, à petites touches, composé essentiellement de dialogues, est en revanche plutôt drôle, je préfère ne pas avoir connu cette emmerdeuse.

Mais, en face, à dix-neuf ans, étudiante, qui ? Amélie Nothomb elle-même, dans ses années universitaires à Bruxelles ?

Oui, la lecture suscite d’emblée des questions. Pour être honnête, celles-là ne sont posées que pour retarder la principale, qui précède la lecture et à laquelle il ne sera apporté de réponse qu’après avoir tourné la dernière page : alors, il est comment le Nothomb 2020 ? Pas mal ? Tiré en longueur ? Génial ? Et sur quelle idée ?

On va voir ça…

La narratrice, en tout cas, ne s’appelle pas Amélie Nothomb mais Ange (prénom épicène, fait-elle remarquer plus loin) Daulnoy, elle étudie la philologie, des trams passent sur le boulevard, elle aime lire, ses relations à l’université sont limitées, elle aime rentrer tard (sans faire de bruit, ça réveillerait Donate), à pied, après être allée, seule, voir un film. Les quelques éléments biographiques fournis au fil du récit l’éloignent de la romancière, et tant mieux, il n’y aura pas à suivre un jeu de piste épuisant en cherchant des indices.

Très vite, il est question de littérature. De littérature et de vie, ce qui se joue entre l’une et l’autre, comment elles se superposent, se contredisent, créent des échos parfois trompeurs.

L’étudiante a été engagée pour suivre un lycéen qui souffre de dyslexie et dont les difficultés à lire désespèrent le père qui l’imagine déjà échouant au bac. Pie, c’est son prénom, est une boule de problèmes, sa dyslexie n’est pas le pire. Et Ange l’évacue en moins de temps qu’il n’en faut pour le concevoir, quand elle lui impose la lecture du Rouge et le Noir. Un coup de baguette magique, une méthode peu conventionnelle pour faire basculer l’adolescent dans le monde merveilleux de la fiction écrite – merveilleux pour Ange, qui baigne dedans depuis qu’elle est petite, beaucoup moins pour Pie qui doit, contre son gré, forcer ses inclinations. Pie rêve d’aérostats, de zeppelins, et préfère les chiffres aux lettres.

Un peu comme son père, d’ailleurs, bien que tout le reste les oppose frontalement. Le père, qui paie grassement mais tient son petit monde sous une surveillance pénible, est un cambiste prétentieux, qui prétend faire confiance à Ange mais désapprouve à peu près tout ce qu’elle entreprend pour faire évoluer Pie. Sa femme, qu’Ange rencontrera plus tard, est un personnage insignifiant, le genre d’épouse dont il avait besoin, pense le fils qui la méprise…

Les échanges entre Ange et Pie à propos des livres que celle-là fait lire à celui-ci sont vifs et permettent à Amélie Nothomb de faire passer l’essentiel dans les dialogues, encore une fois. Y compris ce qui doit être son idée de la littérature.

Quand j'entends des lecteurs dire « J'adhère à Madame Bovary », je soupire de désespoir.

Mais le temps est trop court, ou trop peu sensible, ce qui revient au même à la lecture, pour ce qui s’y passe. Comment croire dans un personnage de seize ans qui bascule aussi soudainement de l’impossibilité de lire un livre à des remarques pertinentes sur les grandes œuvres ? Comment croire aux glissements opérés dans les relations d’Ange avec Donate, Pie et un professeur d’université ? La trame est séduisante, elle aurait gagné à être mieux nourrie entre les fils trop visibles.

Pire : la fin ressemble à une entourloupe, comme si Amélie Nothomb n’arrivait pas à finir, ou à gagner, une partie d’échecs et balayait toutes les pièces d’un revers de la main. Je me sens grugé des développements qui auraient pu se glisser dans la succession des jours, orphelin des « crevés » (un mot à prendre au sens que lui donnent les couturiers et les couturières) si bien décrits mais absents du roman.

Dommage.


Cette note s'ajoute, comme un nouveau chapitre à un long feuilleton, dans la nouvelle édition de Amélie Nothomb, regard critique, publié l'an dernier par la Bibliothèque malgache dans sa collection littéraire.

La mise à jour est disponible en même temps que Les aérostats.

0,99 euros ou 3.000 ariary

ISBN 978-2-37363-082-4

lundi 17 août 2020

La fidélité aux principes, selon Paolo Giordano

La vérité sur les gens ? Elle n’existe pas, découvre-t-on aujourd’hui, quand bien même Teresa croyait très bien connaître Bern, Nicola, Cesare, Giuliana, Danco et Tommaso. Surtout Bern, personnage central dont l’histoire est la plus complexe et la plus fascinante dans Dévorer le ciel, le roman de Paolo Giordano (traduit par Nathalie Bauer), en même temps que le garçon est le préféré de Teresa.

De l’adolescence à l’âge adulte (ou ce qui y ressemble pour eux), les personnages du roman forment une bande qui progresse de la légèreté à la gravité. Ils endossent l’effervescence de leur jeunesse avant d’investir leur énergie dans un mode de vie libertaire dans lequel ils croient. A moins qu’ils fassent surtout semblent d’y croire parce que cela les arrange d’ignorer les injonctions de la société et de transgresser par plaisir la plupart des règles. L’amour et la violence font bon ménage. Jusqu’à un certain point seulement. Car les mentalités évoluent, en cette fin de XXe siècle, moins rapidement que la course au désir dans laquelle sont lancés trois garçons et une fille.

Celle-ci, Teresa, quand elle croise pour la première fois Nicola, Tommaso et Bern, a quatorze ans. Elle est émerveillée par la manière dont ils ont pris possession de la piscine que son père n’entend pas ouvrir au public. La propriété, c’est le vol, semblent affirmer sereinement les trois garnements destinés à un bel avenir de voyous – ou de modèles, l’un n’empêchant d’ailleurs pas l’autre. Les affranchis fascinent la jeune fille, déjà emportée avant même de le savoir elle-même dans une aventure collective où elle connaîtra le meilleur et le pire.

Paolo Giordano, célébré à 26 ans dès son premier roman, La solitude des nombres premiers (traduit en 2009), poursuit son exploration, commencée à ce moment, des rapports ambigus jusqu’au conflit entre les aspirations individuelles et les conventions sociales. Les individus qu’il plonge dans les contradictions ont désormais une profondeur grâce à laquelle son lecteur les accompagne sans éprouver le besoin de juger leurs comportements. Lancés sur une trajectoire en partie imprévisible, ils sont des chevaux fous capables de remettre en question tout ce que l’on croyait acquis : seules leurs certitudes ont quelque valeur à leurs propres yeux. Cette cohérence les conduit vers des dangers qu’ils n’ignorent pas mais dont les conséquences ne les effraient guère : plutôt mourir qu’être infidèle à ses principes.

Pour en témoigner, Teresa porte une parole vibrant d’authenticité. Elle est bien celle à qui on s’attachera le plus facilement.

vendredi 14 août 2020

La farce macabre du siècle dernier

On peine à y croire, pourtant Chris Kraus semble de bonne foi quand il affirme que La fabrique des salauds, son épais roman traduit par Rose Labourie, n’était au point de départ que la présentation de son prochain film. Le manuscrit arrivé « par hasard » entre les mains d’une éditrice, celle-ci l’a convaincu d’en faire un roman.

C’était une excellente idée : le livre est formidable et son épaisseur, bien qu’impressionnante, ne doit pas faire reculer. On ne s’ennuie pas un instant en suivant l’histoire terrible en forme de farce macabre que nous raconte Konstantin Solm, dit Koja, un destin allemand comme peu d’autres à travers le vingtième siècle. En fait, il raconte sa vie à son compagnon de chambre, un hippie mal en point mais qui a gardé ses principes de paix et d’amour. Il va être, pour son plus grand déplaisir, confronté au mal absolu. Du coup, nous aussi.

Le mal est celui d’une époque qui se prolonge au-delà de sa fin annoncée : l’idéologie nazie, à travers ceux qui en avaient été les bras souvent armés, s’est fondue, après la guerre, dans un Etat redevenu fréquentable. D’où l’interrogation de Chris Kraus : « comment la société de la République fédérale allemande a-t-elle réussi à trouver le chemin de la démocratie en dépit de l’intégration des anciens nazis ? C’est cette question qui m’a poussé à écrire le présent récit. »

Si la question semble grave, la réponse sous forme de fiction est fournie avec un humour dévastateur jusque dans les moments les plus tendus. Même la balle dans la tête avec laquelle vit Koja y est arrivée lors d’un événement qui relève autant du gag que de la malheureuse coïncidence. Mais on ne le saura qu’à la fin du roman, après avoir traversé des épisodes sanglants auxquels le narrateur a participé, parfois malgré lui.

Il reste qu’il y a participé en véritable SS entraîné par son frère Hubert (Hub) dans le déchaînement meurtrier que nous connaissons. Avec Hub, il a aussi vécu une troublante compétition amoureuse où la femme, Eva (Ev), est leur presque sœur – bien que juive, de quoi rendre hasardeux tout jugement sur les actes commis par Koja.

Celui-ci manifeste, devant le hippie qui l’écoute – et souvent préférerait ne plus rien entendre –, une honnêteté absolue. Jamais il ne tente de minimiser ses crimes. « Ça me débecte », commente son auditoire réduit à une personne. « Comment tu peux dire que tu étais nazi ? Et un bon nazi, en plus ? Ça me débecte complètement », insiste-t-il. Pour s’attirer cette réponse : « C’est la vérité. Et elle va devenir bien plus débectante encore. »

Nous sommes dans le cerveau démoli, pas seulement par la balle, de Koja, dans le souvenir des drames vécus, et auxquels il a survécu grâce à une étonnante plasticité d’esprit. Pendant la guerre, son travail, pour l’essentiel, était le renseignement. Avec un peu de chance et une grande facilité à séduire des femmes par lesquelles il trouvait ce qu’il cherchait, il a plusieurs fois été considéré comme un élément doué. Assez doué, en tout cas, pour poursuivre ses activités au profit, cette fois, de la CIA.

Il pratique parfois l’effet d’annonce : « ce récit que je suis en train de vous faire va bientôt se transformer en ballade populaire de la folle époque de la guerre froide. En œuvre didactique, si vous voulez, sur les constantes de l’histoire contemporaine internationale. » Il ne nous décevra jamais…

Il met en évidence son absence de courage qui l’a toujours empêché d’être un héros – au contraire d’Ev et Hub, en qui il voit des personnages hors normes. Il a cependant manifesté quelques accès de témérité et ne se croit pas amoral. Il a d’ailleurs tout fait pour sauver une espionne russe menacée de mort. En s’enfonçant dans les contradictions : « en sacrifier d’autres à cet effet, et qui plus est de la manière dont je le faisais, c’était l’expédition en enfer peinte par Pieter Brueghel dans des tons noirs, rouges, jaunes et bruns, montrant Margot la folle rosser des démons et des hordes de créatures fantastiques pour marcher tout droit dans une gueule ouverte. »

L’enfer, on y entre en ouvrant ce livre. On y reste après l’avoir fermé.

jeudi 13 août 2020

L’Amazonie de Patrick Deville

Sans désemparer, Patrick Deville poursuit l’immense projet d’une série de romans « sans fiction » qui embrassent le temps et la géographie, dont Amazonia est le septième volume. Cet ensemble est enfin nommé, dans la liste des ouvrages du même auteur : « Le projet Abracadabra ». Et bien nommé. Car il y a une part de magie dans la manière dont l’écrivain nous emporte, de 1860 à nos jours, dans d’affolants tours du monde. Ceux-ci tiennent autant d’une manière ancienne de raconter, avec son lot d’aventures improbables, que d’une éblouissante modernité par les rapprochements saisissants effectués entre des faits contemporains entre eux ou par des échos lointains retentissant jusqu’à notre époque, avec la présence de l’auteur pour témoin.

Le titre du dernier roman en fixe le décor, très présent dans les débats qui agitaient le monde au moment de sa sortie, et il est d’ailleurs question au passage du dérèglement climatique qui, l’année dernière, « provoquait un été caniculaire dans l’hémisphère Nord, des incendies partout »… Quant à Bolsonaro, dans sa campagne soutenue par les évangélistes, il « annonçait la disparition prochaine du ministère de la Culture, ainsi que l’ouverture des terres indiennes à l’industrie forestière. » Patrick Deville n’est pas devin, mais il voit clair. Plaçant par ailleurs dans le même sac les églises évangélistes déjà citées et les organisations non gouvernementales qui « sont la plupart du temps de simples escroqueries au service de leurs actionnaires ».

Amazonia est cependant moins bâti sur des thèmes qui nourrissent (ou pourrissent) la conscience écologique d’aujourd’hui que sur les longs faisceaux d’une activité humaine intelligente traduite par de troublantes simultanéités entre l’art et l’industrie. Quand Jules Verne écrit, en 1860, son premier roman, Paris au XXe siècle, la bourgade d’Iquitos est fondée dans la forêt amazonienne, « avancée triomphante de la civilisation industrielle. » Le même Jules Verne mettra, par la pensée, les pieds dans la région avec un autre roman, paru en 1881, La Jangada. Il en est alors, poussé par son éditeur, à chanter les louanges du Progrès. Avec quelques nuances : « Les progrès ne s’accomplissent pas sans que ce soit au détriment des races indigènes. »

Ne tentons pas d’embrasser, comme le fait Patrick Deville, la matière immense d’Amazonia. D’autant que cela conduirait à passer à côté de l’essentiel : la complicité entre père et fils lors de ce voyage accompli ensemble, en partageant paysages, lectures et réflexions.

mercredi 12 août 2020

Isabelle Carré, première de cordée

Fortes du succès rencontré il y a deux ans par Les rêveurs, le premier roman d’Isabelle Carré, les Éditions Grasset anticipent la « vraie » rentrée littéraire – la semaine prochaine, ça déboule – avec Du côté des Indiens, annoncé dans le programme d’août pour le 19, et soudain avancé d’une semaine. Je ne veux pas penser aux problèmes de logistique posés par cette décision dont j’ignore si elle a été tardive, mais dont je n’ai pris connaissance qu’hier après-midi. Bah ! il y avait toute la soirée et une partie de la nuit pour lire, ce que j’ai fait. Ce matin, je suis fatigué et je me dis que j’aurais pu mieux occuper le temps passé avec Bertrand, Anne et Ziad ainsi que, dans une moindre mesure, avec leur voisine Muriel.

Car le livre est bancal, composé de pièces juxtaposées au petit bonheur la chance plutôt que construit dans son ensemble. Envisagé séparément, chaque fragment présente un intérêt, davantage lié au sujet qu’il traite sous un angle souvent inhabituel – la solitude, la trahison, la fuite, le harcèlement sexuel dans le milieu du cinéma, etc. – qu’à une écriture sans grand relief. Les uns derrière les autres, ces mêmes fragments laissent un goût d’inachevé, comme s’il avait manqué quelque chose (du temps ?) pour leur permettre de s’épanouir ensemble au lieu de se développer comme des corps indépendants, parfois encombrants.

« J’ai toujours été du côté des Indiens », dira Anne à son mari, Bertrand, pour justifier, en même temps que le titre, son envie de voir un western à la fin sanglante – ce sont les cow-boys qui meurent. Pourquoi cette préférence ? « Parce qu’ils vont perdre ! Quoi qu’il arrive, ce sont eux qui vont disparaître. »

Être du côté des Indiens, c’est être du côté des plus faibles, par principe, c’est honorable, ou, c’est plus délicat, parce qu’Anne elle-même se range dans la catégorie des perdants. La vie ne lui a pourtant pas si mal réussi, elle a passé des années heureuses avec Bertrand – un mariage assez tardif, alors qu’elle s’était habituée au célibat et à son travail chez Beauty Clean, soins de la peau, épilations, massages. Mais, malgré la présence de Ziad, dix-onze ans, ou en partie à cause de cette présence, Anne ressent le manque de ce qu’elle n’a pas. Quoi ? Difficile à dire, et quand elle se lancera dans l’aventure, cela ne se passera pas vraiment bien.

Bertrand, lui, a trouvé l’échappatoire à portée d’ascenseur. Muriel habite trois étages au-dessus, elle est devenue sa maîtresse avec un naturel confondant. Il faut dire que Muriel n’a jamais su dire non, comme le prouve le mauvais souvenir de son premier et unique tournage comme actrice dans un film, quand le réalisateur est devenu pressant, sans se demander un instant si elle avait envie de la même chose que lui.

Le temps que passe Muriel, désormais scripte, dans l’immeuble, Ziad, qui a compris le manège de son père et a trouvé le moyen d’y mettre fin, s’est lié d’amitié avec elle, a découvert un plateau de cinéma en l’accompagnant sur un tournage… Le monde est à lui, avec tous ses possibles, mais il semble surtout accablé par les événements familiaux.

Il y de quoi. Outre qu’il boite, Du côté des Indiens est un roman aux teintes sombres, dont on est plutôt soulagé de sortir intact – encore heureux qu’on ne se soit pas attaché à des personnages qui d’ailleurs ne le méritaient pas.

vendredi 7 août 2020

Roberto Bolaño dans le texte (bien que traduit)

Quelque chose va se produire dans les prochains jours. Je te tiendrai au courant.

Ça va être une histoire de terreur. Ça va être une histoire policière, un récit de série noire, et d’effroi. Mais ça n’en aura pas l’air.

Il n’y a pas de règles. (« Dites à cet idiot d’Arnold Bennet que toutes les règles de construction ne restent valides que pour les romans qui sont des copies d’autres romans. »)

Il ne faut pas s’étonner que la chambre de l’auteur soit couverte d’affiches allusives. Nu, il tourne en rond au milieu en contemplant les murs effrités, sur lesquels on voit des signes, des dessins nerveux, des phrases hors contexte. Il ne faut pas s’étonner que l’auteur se promène nu au milieu de sa chambre. Les affiches effacées s’ouvrent comme les mots qu’il rassemble dans sa tête.

Écrire de la poésie n’a pas de sens, les vieux parlent d’une nouvelle guerre et parfois le rêve récurrent revient. Dans tout poème il manque un personnage qui guette le lecteur. La violence est comme la poésie, elle ne se corrige pas. Tu ne peux pas changer la trajectoire d’un couteau ni l’image d’un soir qui tombe à jamais imparfait.

Celle qui cligne des frontières s’appelle Destin mais moi je l’appelle Petite fille Folle. Celle qui court très vite sur les lignes de ma main s’appelle Destruction mais moi je l’appelle Petite fille Silencieuse. Le paradis, par moments, apparaît dans la conception générale du kaléidoscope. Le kaléidoscope se meut avec la sérénité et l’ennui des jours. Pour elle, finalement, il n’y a pas eu d’enfer. Elle a juste évité de vivre ici. Les solutions simples guident nos actes. L’éducation sentimentale n’a qu’une devise : ne pas souffrir. Ce qui s’écarte peut être appelé désert, rocher à apparence humaine, le penseur tectonique.

Mieux vaut apprendre à lire qu’apprendre à mourir. Lire c’est apprendre à mourir, mais c’est aussi apprendre à être heureux, à être courageux. Philip K. Dick est mort et nous n’avons plus besoin que du strict minimum. On ne finit jamais de lire, même si les livres s’achèvent, de la même manière qu’on ne finit jamais de vivre, même si la mort est un fait certain.

Le poème qui est le fidèle reflet de ce que l’on veut exprimer est presque une chimère. La poésie entre dans le rêve comme un plongeur mort dans l’œil de Dieu. Il importe peu aux vrais poètes qu’on les observe quand ils écrivent Quand ils font parler les oiseaux des tropiques dans leurs journaux ou leurs épîtres, allongés à l’ombre d’un saule attendant que passe une camionnette sur la route. Les vrais poètes ont l’air de figurants de vieux films. Tout est possible. Ça, tout poète devrait le savoir.

Un poète latino-américain qui lorsque vient la nuit se jette sur sa paillasse et fait Un rêve merveilleux qui traverse pays et années Un rêve merveilleux qui traverse maladies et absences. Son Chili son arc-en-ciel immobile comme poumon de temps verbaux obscurs. Le Chili est un couloir long et étroit Sans issue apparente.

Les nouvelles disent que Sophie Podolski kaputt en Belgique. Une fille qui écrivait des dragons totalement pourrie dans une niche funéraire de Bruxelles… Une fille belge qui écrivait comme une étoile… « Elle aurait vingt-sept ans aujourd’hui, comme moi »…

C’est à cela que tout se réduit : mendier et avoir de la mémoire. Et marcher sous les éclairs dans une rue aux maisons vides. Le crépuscule arrive avec des nuages noirs, il flotte un ghetto appelé Bénarès, des centaines de gériatres descendent des fleurs. Dans la nuit les désespérés se reconnaissent et s’étreignent. Le mystère commence à la fin apparente de tous les chemins. La passion est géométrie qui tombe dans l’abîme, observée du fond de l’abîme.

C’est drôle ; dans la pièce, en plus du reflet qui absorbe tout (et de là le trou immaculé), il y a des voix d’enfants, des questions qui semblent venir de très loin. Cette enfant ne dort plus : son insomnie est un oiseau blanc qui douloureusement s’écrase contre les fenêtres.

Errer des jours et des jours. La douce compagnie des tables voisines dans le café. Une femme désirée, partager un regard, une phrase ou une mélodie. Se donner de l’importance devant un miroir. Un poète mineur disparaît pendant qu’il attend un visa pour le Nouveau Monde. Un poète mineur disparaît sans laisser de traces alors qu’il désespère échoué dans une ville quelconque de la Méditerranée française. Il n’y a pas d’enquête. Il n’y a pas de cadavre.

La Rambla est déserte, seuls quelques vieux assis sur les bancs lisent le journal. À l’autre bout les silhouettes de deux policiers commencent leur parcours. La ville de la sagesse. La ville du bon sens. C’est comme ça que ses habitants appellent Barcelone. À Masnuy-Saint-Jean, ils voient des vaches. Des arbres. Des champs en jachère. Un hangar en tôle. Des maisons de trois étages.

Padilla avait cinq ans à la mort de sa mère, et douze à celle de son frère aîné. À treize ans, il décida de devenir artiste. Il pensa d’abord que son affaire était le théâtre et le cinéma. Puis il lut Rimbaud et Leopoldo María Panero et voulut être poète en plus d’acteur. La vie, d’après Padilla, même s’il s’ennuyait souverainement à corriger des romans plus faux qu’un billet de trois mille pesetas, était toujours aussi étrange et pleine d’offrandes mystérieuses.

La disparition d’Arcimboldi était-elle liée aux écrivains barbares ? Il ne le savait pas mais il continuerait à enquêter.

Une semaine plus tard, López Azcárate s’est pendu à un arbre et la nouvelle a couru dans la faculté comme un animal rapide et terrifié.

Cela faisait cinq ans que Malone avait abandonné cette zone sombre où habitent les légendes et maintenant, en réalité, il n’intéressait plus grand monde, même si les fans n’avaient pas oublié son nom.

De chaque côté, on traîne des divorces, de nouvelles maladies, des frustrations. Quand un homme dit qu’il a le temps il est fichu (et alors ça n’a plus d’importance qu’il ait ou non du temps) et on peut faire ce qu’on veut de lui. Nous sommes tous impliqués dans cet enfer…

La garce conduisait à toute vitesse. On avait eu beaucoup de chance et ce n’était pas nécessaire d’aller aussi vite. La police guettait les mouvements des braqueurs du Banco Hispano Americano et ne savait peut-être encore rien de l’assassinat de la vieille. La dernière cachette se trouvait au plafond…

Cette histoire est très simple mais elle aurait pu être très compliquée. Et aussi : c’est une histoire inachevée, parce que ce genre d’histoires n’a pas de fin. Il fait nuit à Paris et un journaliste nord-américain est en train de dormir. Dieu lui a mis bien profond au diable. C’était ça, la culture de notre époque : Morrison et les autres cardiaques. Et Joyce. C’était difficile de penser à deux histoires plus opposées. La merde et la science-fiction.

La littérature, comprise de cette manière extraordinaire, outre que c’était stupide ou tendrement ignorant, si on la considère de façon compatissante, était le fait de n’assumer aucun rôle. Et on ne peut pas vivre comme ça.

Nostradamus Bolaño est arrivé à Mexico comme le Christ d’Ensor à Bruxelles. Ah, soleil, comme tu me manques a dit Roberto Bolaño. Roberto Bolaño se promenait avec une gringa très tranquille, vous parliez d’une liaison quand le soleil disparut comme une mofette.

Tout ce qui précède se déroula peut-être ainsi. Peut-être pas.

 

Tout ce qui précède… est un montage de fragments extraits des deux premiers volumes des Œuvres complètes de Roberto Bolaño, traduites par Robert Amutio et Jean-Marie Saint-Lu.

Un article plus classique (et un peu plus bref) paraît ce samedi 8 août dans Le Soir.